Le Quatuor d’Orphelins

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Retournant chez lui au sixième étage du palais royal, Sawyer le saint chevalier de la reine partit prendre une bouteille de whisky d’importation humaine et s’en servit un verre avant de s’installer sur un fauteuil, dans le noir, le regard vide, la bouche pâteuse et un sentiment de dégoût innommable. D’habitude, il ne buvait pas d’alcool, il évitait à tout prix d’en boire mais par convention sociale, il avait fini par s’y mettre, puis c’est devenu l’un de ses échappatoires lorsqu’il était triste et morose.

Cette pièce était à l’effigie de l’amitié qu’il avait forgé avec ses trois autres premiers amis tout au long de leurs courtes vies, parsemée des souvenirs de leurs différents « aventures » communes. Ce fauteuil orange, vieillot et décrépit où il s’était posé, par exemple, avait été volé par Morvian lors de leur séjour sur la terre de tous les dangers : l’Australie. Le lustre pourpre fait de coquillages qui s’illuminaient si on frappait dessus qui pendait sur son plafond était un cadeau de sirènes croisées dans le pacifique lorsqu’ils les avaient aidées à abattre une baleine aux dents pointues – il eut même droit à un bisou et à une invitation à venir chez l’une d’entre elles, mais bon, cela ne fut pas au goût de la princesse Audisélia qui fut à deux doigts d’électrocuter tout l’océan Pacifique. A côté de sa fenêtre, il avait entreposé le squelette de l’un des fameux monstres qui les avait pris en embuscade lors des trop nombreuses fugues ou escapades de Sélia – une enfant turbulente comme on en fait peu –, il s’agissait de Hastecalosaures, des dinosaures miniatures à la gueule qui se divisait comme une plante carnivore, ils avaient la particularité d’avoir leurs yeux à l’intérieur de la paroi de leurs mâchoires.

Tous ces souvenirs le rendaient nostalgique de cette époque où ils étaient pauvres et sans le sou mais criaient leur liberté là où ils allaient, on ne pouvait pas les jeter dans les Basfonds à cause du pacte qu’avait la royauté avec le héros Torn et que de toute façon, qui pouvait arrêter la jeune Audisélia lorsqu’elle était encore surnommé « la Princesse Bandit », connue dans tous les quartiers de Sylvania, du sommet du palais royal aux plus grandes profondeurs des Basfonds ?

Verre à la main, il se remémora sa rencontre avec Globox et Morvian.

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A la mort de Torn, les enfants Vanguard se retrouvèrent seuls au monde. Bien qu’ils soient les enfants du héros de Sylvania, aucun habitant ne voulait d’eux. Pour cause : Audisélia ressemblait un peu trop à la Félonne, et que le fils de Torn semblait bien trop faible pour être son enfant légitime. Aucune des familles nobles ne voulaient apporter l’opprobre sur eux, mais « bizarrement » la royauté n’avait pas été informée que les enfants de Torn étaient devenus orphelins, les pensant mort avec leur paternel – disons que certains ne souhaitaient pas rajouter plus d’adversaires sur leur route vers le trône s’il avenait que la reine en place était amenée à rejoindre ses ancêtres.
Alors ils se retrouvèrent à être des enfants des rues, travaillant dès leur plus jeune âge pour se trouver de quoi pouvoir subvenir à leurs besoins. Sawyer faisait la plonge, le ménage, la garderie… auprès de qui voulait bien de lui et Audisélia dépouillait quiconque se dressait sur sa route, aussi muette que le Héros en ces temps-là. C’est ainsi qu’ils survivaient.

La communication entre les deux étaient plus que passable, un « bonjour » le matin, un « bon appétit » lors des repas, une prière ensemble aux dieux du panthéon, une « bonne soirée » lorsque Sawyer travaillait de nuit et un « bonne nuit » à l’heure du coucher quand Audisélia ne dormait pas déjà.
Parfois Audisélia lui préparait un repas pour son retour dans leur cachette de ronces, parfois non.
Cette étrange cohabitation n’était pas forcée comme cela pourrait paraître au premier abord, c’était juste qu’ils avaient besoin l’un de l’autre. Cependant, cette ambiance morne et silencieuse venait du fait qu’Audisélia et Sawyer ne s’aimaient pas tant que ça, ou plutôt, Sawyer l’avait affirmé à voix haute l’année suivant la découverte de la jeune fille et encore après la mort de Torn.

« Je te déteste depuis le jour où on t’a trouvée ! Depuis ce jour, ils nous arrivent que des ennuis ! Maintenant regarde ! C’est à cause de toi que papa est mort, à cause de toi et de ta satanée… »

Audisélia n’avait jamais rien affirmé ni infirmé, elle restait muette comme une carpe, réalisant ce qu’elle avait à faire et ramenant du pain à la maison avec ses propres moyens.

Bien qu’ils se comprissent assez pour qu’il n’y ait pas de malentendu lors de leurs discussions silencieuses, Audisélia énervait toujours Sawyer. Elle ne réclamait pas, ne se défendait pas contre ses critiques, lui offrait son repas, et contrairement à Lelelitio, il avait trop peur d’elle pour en venir aux mains, ce qui ne l’empêchait d’enrager contre elle à plusieurs moments.

Puis un jour, après une vive dispute, Audisélia disparut sans laisser de trace. Sawyer ne pensa pas à aller la chercher en premier lieu. Il la savait capable de se défendre avec ses pouvoirs magiques et son attribut génétique, et son père lui avait appris la maîtrise de la danse de la double lame, qui pouvait-elle craindre ? Cependant les jours se suivirent et Audisélia n’était toujours pas rentrée. Cela commençait à inquiéter Sawyer. Avait-il oublié quelque chose qu’elle lui avait dit ? Quelque chose d’important ?

Soudain, il se souvint. Il se souvint que si Audisélia ne prenait pas ses médicaments, elle allait « déraper ». Il fouilla dans son sac et trouva une dernière boule de magie bleue contenant de la fumée de gariz et de yastsi et une potion de soin ultra condensée. Si elle ne le prenait pas, il fallait s’attendre au pire… Et il ne fallut pas longtemps pour que le pire vienne sonner à sa porte, ou plutôt, à la porte du royaume tout entier.

Dehors, il entendit le fracas des éclairs tombaient partout sur toute la nation et de grands cris de douleurs. Sawyer sortit à toute vitesse et vit Audisélia au-dessus de Haute-Ville, à la vue de tous, perdre raison et lancer des éclairs sur tout ce qui bouge, tout en se griffant la peau. Sawyer vola jusqu’au centre-ville de Haute-Ville et tenta de l’atteindre pour la stopper mais il fut arrêté par des gardes qui lui dirent qu’il était bien trop dangereux de s’approcher de cette « créature ».

- Qu’allez-vous faire ?

- Elle est incontrôlable. La reine semble ne trouver aucune solution pour la stopper, alors nous allons devoir la tuer.

- Hein ? Qu’est-ce que vous racontez ? Laissez-moi passer ! Laissez-moi passer ! répétait-il sans relâche.

Mais les gardes le repoussèrent. C’est alors, alors qu’il s’était juré de ne jamais utiliser sa magie spatiale pour elle, qu’il en usa pour passer derrière les gardes et voler jusqu’à sa « sœur ». Plus il s’approchait, plus l’électricité dans l’air se faisait de plus en plus chargée, hérissant ses cheveux au-dessus de sa tête, plus les décharges étaient violentes. Mais il devait s’approcher d’elle pour la calmer, la rassurer, sinon…

- Audisélia ! Audisélia ! Réponds-moi !

Tout ce qu’eut en retour Sawyer ne fut que des cris et encore plus de décharges électriques.

- Audisélia, tu vas me répondre, bon sang ! Il faut que tu te calmes ! Tu vas détruire Sylvania !

- M’appelle pas… par ce prénom ! Ce n’est pas le mien !

- Cesse de faire l’enfant gâté alors que ma mère t’a offert son nom et calme-toi, bon sang !

- Je… je n’arrive… plus à me contrôler…

- Je sais. C’est pour ça…

Il fouilla les poches de ses guenilles et y retrouva le médicament d’Audisélia.

- Il faut que tu le prennes !

- Je t’ai dit que je n’arrivais plus … A ME CONTRÔLER !

Une nouvelle salve d’éclairs se répandit sur tout le royaume, s’abattant sur quiconque se trouvait sur le chemin d’Audisélia, atteignant bien les Basfonds que le Sanctuaire, frappant bien la plage des fées que les champs de cultures. Cette puissance qu’elle dégageait, altérait le ciel et le rendait rouge cramoisie. Les gens en bas pleuraient et s’affolaient, suppliant qu’on les vienne en aide, ce moment leur rappela l’attaque du dragon à deux têtes qui avait pris la vie de leur héros national, mais surtout de la crise de colère de la Félonne lorsqu’elle s’était déchainée sur tout Sylvania avec l’aide de cet étranger.

Sawyer vit des cercles magiques les entourer et des archers se tenir prêts à abattre son amie, chargeant leurs projectiles en mana et en incantant des sorts pour abattre coup sûr Audisélia. Il n’avait plus beaucoup de temps pour la stopper sinon elle finirait criblée de flèches.

Sawyer scrutait la petite fée pour savoir s’il y avait un moyen de s’approcher plus d’elle, mais l’électricité qui l’entourait la rendait inaccessible sans se blesser davantage, et elle paraissait hors de contrôle, elle ne pouvait arrêter son pouvoir d’elle-même puisque ses membres étaient crispés à cause de la tension électrique.

C’était à Sawyer de s’approcher d’elle au péril de sa vie !

Il inspira et expira de grands coups, rapidement, hésitant à faire le premier battement d’ailes, mais en entendant les flèches détoner, il se jeta sur Audisélia pour faire barrage et reçut les projectiles qui était à destination de sa protégée.

- Pour… pourquoi tu protèges un monstre comme moi ?

- Parce que mon père me l’a demandé, lui répondit-il douloureusement, et que je me dois d’accomplir sa volonté, mais surtout parce que j’ai besoin de toi. Tu n’es pas un monstre, tu es la seule personne capable de me rassurer lors de mes crises d’angoisse, de m’aider à me sentir utile lorsque mon moral est au plus bas. Je suis désolé de t’avoir insultée à plusieurs reprises. Rentrons à la maison, maintenant.

- Mais je… n’arrive pas… à m’arrêter.

- Ne t’inquiète pas, je prends les choses en main.

Il compressa le médicament dans sa bouche, le fit passer de joue en joue puis embrassa Audisélia pour qu’elle ne recrache pas le médicament. Plus elle en avalait, plus les rafales de foudre diminuaient, et enfin l’électricité s’évanouit dans l’air. La bave aux lèvres, Sawyer la félicita :

- Tu as bien pris ton médicament, petite fille.

Avant de s’écrouler.

Audisélia le rattrapa de justesse avant qu’il ne s’écrase sur le sol et tous les deux atterrirent sur le toit d’une maison. Rapidement, ils furent entourés par une armée de garde, ceux-ci furent conduits par un visage dont ils seront familiers dans le futur : Caemgen.

Vêtu de ses deux ailes, le visage non meurtri par diverses blessures de combats, pas encore de cheveux blancs et à peine quelques rides sur la face, voilà à quoi ressemblait l’un des compères du prestigieux héros d’antan Torn.

Sélia se mit entre eux et forma des griffes de foudre au bout de ses doigts pour défendre Sawyer. Elle était tel un chat défendant ses petits, les dents acérées, les membres tendus, tendus, prêt à attaquer. Caemgen tendit son épée en direction du visage de la fée de foudre et y vit l’électricité s’y déverser. Si sa poignée était conductrice, il aurait fini électrisé au point d’être paralysé quelques instants, et peut-être même de s’enflammer si ça allait à l’électrocution.
D’un coup d’œil, il reconnut le fils de Torn, criblé de flèches, il baissa son arme et tenta de s’approcher mais c’était sans compter sur la méfiance d’Audisélia qui avait l’air d’une bête enragée avec sa salive dégoulinant du bord de ses lèvres.

Voyant qu’elle était toujours sur la défensive, il rangea alors son arme et s’agenouilla en face d’elle :

- Qui es-tu, jeune spriggan, pour ce garçon ?

- Je suis sa sœur ! On partage le même nom de famille ! Maintenant, cassez-vous ! Je vais me débrouiller toute seule.

- Tu ne vois pas dans quel état il est ? Il est en train d’agoniser ! s’énerva Caemgen pour lui faire l’urgence de la situation.

- Je le soignerai comme il l’a fait pour moi ! refusa encore Audisélia.

Caemgen était dépité devant l’entêtement de la jeune fille, malgré son jeune âge, elle semblait assez puissante pour lui tenir tête dans un combat où il n’aurait pas pour objectif de la tuer.

Caemgen soupira et lui demanda :

- À quel point tiens-tu à ce garçon ?

- Au point de me sacrifier pour lui. Je le protégerai jusqu’à mon dernier souffle car bien qu’il me haïsse, il ne m’a jamais abandonnée à mon sort, alors si vous voulez vous battre, je suis prête à vous régler votre compte et vous tabasser à…

Sawyer attrapa l d’Audisélia pour l’aider à se soutenir et posa un genou à terre face à Caemgen.

- Ça suffit, Sélia, la calma-t-il, tu es face au protecteur de la reine, montre un peu plus de décence.

- Mais ils voulaient me tuer alors que tu m’as protégée…

Sawyer la rabroua en secouant la main devant elle et lui intima de se taire.

- Excusez-là, sir, elle ne connaît pas réellement les coutumes de notre royaume. C’est un peu une sauvageonne.

- Nous avons pu voir ça, confirma Caemgen, es-tu bien le fils de Torn ?

- Oui, Sawyer Travis Vanguard, monsieur.

- Bien. Qu’on emmène la fille dans les Limbes et le garçon à l’infirmerie du palais royal puis auprès de la reine.

- Attendez !

Les gardes saisirent Audisélia et l’embarquèrent jusqu’à une caravane cachot. Sawyer était trop faible pour agir, et de toute façon, avait-il la moindre chance face à ces gardes surentraînés ? Il n’était pas Audisélia qui avait cette puissance incommensurable pour se mesurer à des adultes.

Il était le faible fils de Torn…

- Tu la retrouveras plus tard, pour l’instant, je veux que tu sois convié auprès de la reine.

Impuissant, Sawyer ne pouvait qu’accepter, et regarda Audisélia s’éloigner dans cette charrette aux barreaux très solides, sans doute fait dans un alliage qui empêchait la magie d’y être utilisé. Bien qu’il la fixât du regard, la voyant partir au loin, celle-ci ne lui rendit pas son regard. Les paupières closes, les bras ballants, elle n’interféra pas avec la décision du protecteur de la reine et ne gênerait plus le fils de Torn, si c’est ce qu’il souhaitait. Après tout, elle ne devait déjà pas se trouver à cette époque et c’était en partie sa faute, s’ils vivaient dans les racines d’un arbre au lieu de vivre dans une belle maison de fée noble.

« Si elle ne peut pas être avec moi, alors je préfère vivre avec elle comme un pouilleux ! », disait Sawyer les rares fois où on lui avait proposé de l’accueillir. S’il voulait le prestige d’avoir dans leur famille, le fils du défunt héros de Sylvania, alors ils devront aussi accueillir celle qu’ils méprisent.

Le regard douloureux, mais emplit de conviction, Sawyer pensa en son for intérieur :

Ne le prends pas mal, Sélia. Je me charge de te faire sortir de là ! Je te le promets !

Après un passage à la salle de soin et être passé entre les mains des mages-soigneurs, Sawyer suivit le féérique paladins ailé Caemgen jusqu’à la salle du trône et fit la rencontre de la reine de ce temps. Comparée à la période du règne d’Audisélia, la salle n’avait pas réellement de différence avec l’actuelle, mis-à-part qu’elle était un peu plus fleurie – une passion de l’ancienne reine.

Le fils de Torn fit face à la reine et s’agenouilla.

La reine Synomïa, avant qu’elle ne tombe malade, était une femme resplendissante de beauté.

- Relève la tête, tu es quand même le fils d’un être inestimable à notre peuple, tu as le droit à tous les honneurs, lui dit la reine Synomïa, c’est une honte que nous t’ayons laissé vivre comme un paria des Basfonds ou un Grave.

Certains gardes, ministres et certaines dames de compagnies rirent à l’énonciation de ces deux mots, mais cela ne fit aucunement rire la reine qui leur ordonna de faire taire leurs voix criardes et leurs paroles dénuées de bonté.

- Je ne crois pas avoir voulu faire de l’humour, et puis tiens viens vers moi Terati.

Une vielle fée en tunique blanche aux bandelettes dorées s’avançait devant la reine, et sans même qu’elle ait prononcé un mot, en ne faisant que des signes de mains, la reine créa une ombre gigantesque qui dévora la fée goulument, les bruits de mastication, des os qui se brisent, d’une bave inexistante qui dégouline… Tout était audible. Puis l’ombre monstrueuse avala sa pauvre victime avant d’éructer et de disparaître.

- Maintenant vais-je avoir le silence ?

Personne ne répondit.

- C’est exactement ce que j’attendais de vous.

Était-ce là la force d’une descendante des Rois-Combattants ? C’était tout bonnement phénoménale ! Seul son père, lorsqu’il s’exerçait au combat, et sa mère, quand elle s’énervait, lui avaient mis une telle pression.

- Dis-moi mon jeune garçon, connais-tu personnellement la jeune fille qui a attaqué le royaume ?

- Avant de vous répondre ma reine, cette jeune fille n’a pas attaqué le royaume, rectifia Sawyer, elle souffre d’un mal inconnu pour lequel mon père la traitait du mieux qu’ils pouvaient et j’ai malheureusement oublié de lui donner le traitement. Et dans la révision de vos propos vous avez pu comprendre que je la connaissais.

- D’où vient cette fée ? Nous n’en avons jamais connu de pareille ici qui ne viendrait pas d’un Bourgeon Royal.

- À dire vrai, ma reine…

Sawyer hésita le temps d’un instant. Que penseraient-ils s’il dévoilait qu’Audisélia avait été endormie – en stase ou en hibernation, il ne savait pas – dans des ronces. Ils en concluront des choses plutôt… aggravantes.

- Parle, fils de héros, tu n’as rien à craindre.

- C’est juste que… nous l’avons trouvé, moi et mon père, il y a de cela sept ans, quand je n’avais que sept ans aussi. Nous ne savions pas d’où elle venait mais mon père ayant perdu son amour et, voyant en elle un moyen de se racheter, il l’a prise sous ses ailes et l’éduqua jusqu’à ce qu’il…

Ses mains se mirent à trembler en évoquant ces souvenirs encore tout frais. Son père était mort, il y a à peine deux ans face au roi des trolls de Norgeglun, Morkolek, qui avait envahi Sylvania.

- Prends ton temps, lui dit Synomïa.

- Ma reine, je voudrais intervenir, dit le grand conseiller Igniasté.

- Parle, grand conseiller.

- Hé bien, cette fée est plus qu’étrange ! C’est que nous n’avons jamais rien vu au royaume ayant une telle puissance parmi les citoyens. Peu de fées peuvent se vanter de mettre à mal aussi facilement et aussi rapidement les défenses de notre royaume.

- Je vous le concède, monsieur le conseiller, dit Sawyer la voix tremblotante, mais Audisélia est juste construite différemment de nous autres.

- Comment ça « construite » ?

Venait-il de lâcher un mot de travers ? Non, si la nature d’Audisélia était révélée…

- C’est juste que je ne sais pas d’où elle vient, ni où elle est née, mais elle est vraiment mais vraiment différente des autres fées-combattantes qui peuplent ce royaume, argumenta maladroitement Sawyer en balançant ses mains de toute part.

Percevant la difficulté à parler du jouvenceau, Caemgen prit la parole :

- Ma Dame, comme vous pouvez le voir, ce jeune garçon a beaucoup souffert et vous répond sous le coup du stress et de la fatigue. S’il vous plaît, pourriez-vous le laisser se reposer ?

- Ne t’inquiète pas Caemgen, je ne comptais pas lui poser plus ample question. Il n’a pas l’air de savoir grand-chose sur cette fée. Mettez-le dans des quartiers libres qu’il puisse y loger, et concernant la petite spriggan…

Sawyer courut vers la reine et se jeta à ses pieds, les fée-gardes voulurent le rattraper mais la reine ordonna qu’on le laisse faire :

- Je vous en supplie ! Je vous supplie en vous demandant grâce d’Audisélia. Elle est la seule famille qu’il me reste, cela est ma faute si elle causait autant de dégâts, si nous ne nous étions pas disputés il y a quelques jours à cause de broutilles insignifiantes, vous n’auriez même pas connaissance de sa présence…

- Mais heureusement que nous avons pris connaissance de ta présence, lui dit la reine jouasse, sinon…

- Ma reine, je vous en conjure, au nom de la Galasea notre Mère et d’Aubérion notre Père, par tous les saints, tous les dieux, par Avan lui-même, je vous supplie de ne pas faire de mal à Audisélia.

Ce regard que percevait Synomïa, c’était le même que posait Caemgen sur elle depuis toutes ces années, le regard d’un homme prêt à tout pour défendre ce qu’il a de plus cher au péril de sa vie, peut-être par amour, mais surtout par devoir. Ce jeune garçon était peut-être un couard comme disait les rumeurs à son encontre, mais il démontrait actuellement une détermination à faire pâlir plus d’un amoureux. Elle posa sa main sur le fils de Torn et souleva son menton.

- Je te promets qu’il ne lui arrivera rien de mal. Juste que tu ne pourras pas la voir pendant quelques temps, lui annonça-t-elle, je vais intercéder en votre faveur auprès du juge Triface pour que tu puisses la revoir le plus tôt possible.

D’un seul coup, le visage crasseux et sale de Sawyer s’illumina et il serra la reine dans ses bras. C’était inattendu comme comportement, mais c’était bien là une façon de remercier quelqu’un, alors elle supporta l’odeur infecte du jeune garçon le temps de cette étreinte et lui rendit même. Elle pouvait l’entendre sangloter entre ses bras et renifler, mais ressentait son bonheur de savoir sa sœur en sécurité. Cette étreinte dura jusqu’à que Caemgen intervienne et le prenne par le col.

- En tant que frère d’armes de Torn, je vais m’occuper de son fils. Cela vous va-t-il ma reine ?

- Je n’ai aucune objection.

- Alors nous nous en allons.

Caemgen prit le fils de son ami et s’en alla hors de la salle du trône. En dehors de la présence de Sawyer, la reine poursuivit la conversation avec les autres personnes présentes.

- Je veux qu’on garde un œil sur ce phénomène de foire. Jour et nuit non-stop, est-ce bien clair ?

- Oui, dirent-ils tous à l’unisson avant de se disperser.

- Et pour le fait que personne ne m’ait informé que le fils de Torn était encore en vie, vous allez m’entendre…, les prévint-elle.

Synomïa s’affala sur son trône et demanda à l’une de ses servantes de lui apporter un verre de vin rouge qu’elle sirota avant de balancer la flute derrière elle.

- Si la Félonne n’avait pas existé, j’aurais envoyé des chercheurs l’étudier, mais aucune envie de m’affilier avec cette traîtresse, pensa-t-elle à voix haute.

Puis elle fut prise par une soudaine quinte de toux. Elle ne pensait pas attraper la grippe de sitôt, peut-être serait-il temps pour eux de changer de lieu.

Une fois dans les nouveaux quartiers de Sawyer, Caemgen le prit à parti.

- La reine a peut-être fait l’ignorante et moi je t’ai défendu parce que tu es le fils de mon défunt ami, mais ne crois pas que tu es un excellent menteur.

- Mais je vous ai dit la vérité.

- Je ne le nie pas, mais tu nous caches certaines choses, douta le saint chevalier, toutefois, j’ai vu ta détermination à protéger cette fée, donc je ne vais pas farfouiller, mais jure-moi que, bien tenue, elle ne sera pas une menace pour notre nation.

- Je vous jure sur ce que j’ai de plus cher.

Finalement, ce qu’il a de plus cher, c’est Audisélia. C’est marrant…, et mignon.

- Alors, je te crois. Mais sache que si tu veux la protéger, ce n’est pas avec ce corps svelte et ce physique minable que t’y arriveras. Et ne me parle pas de « oui mais les fées ont toujours été maigrichonnes et ne se défendant qu’avec des rapières et leurs magies », parce que je vais t’en mettre une, et tu vas t’en rappeler, l’avertit-il, une idée qui ne veut pas se retirer de l’esprit de toutes les fées de ce royaume alors que je ne leur demande pas d’être aussi massif qu’un orc ! Les fées purs souches n’en sont de toute façon pas capables… Mais je divague.

Effectivement.

- Cela étant dit, tu as déjà des bases, cela doit venir des entraînements de ton père.

- Vous dites connaître mon père et pourtant, je ne vous ai jamais vu chez nous.

Caemgen recula d’un pas et se tourna vers la fenêtre donnant sur le royaume qui avait réussi à éteindre ses flammes, ne laissant que des trainées de fumées noires.

- Après sa victoire face à Marrynélia et le meurtre de ta mère par ces fous, ton père n’était plus le même homme, expliqua-t-il, j’ai tenté tant bien que mal de le contacter, de renouer avec lui, de même payer mes dettes de jeux et de boissons, mais rien n’y faisait. Son cœur s’était fermé définitivement. Il n’avait qu’une chose en tête et je n’ai jamais su de quoi il s’agissait.

Envahi par les émotions, la fée-chevalier appuya son poing contre la fenêtre et y plaça sa tête.

- Tu ne l’as peut-être pas connu dans ses heures de gloire, mais ton père était un brave homme, la plus fidèle et la plus adroite des fées que j’ai pu connaître de toute ma vie. Dire qu’il ne reste plus que moi comme fée ayant dépassé les cinq cents ans.

- Vous n’avez pas été soumis à la limitation d’âge ?

- Non, dit-il en souriant, car toi, moi et ton père avons été « différemment » traités… Bon, je vais te laisser te laver, parce que tu empestes.

Le chevalier partit en direction de la porte, mais s’arrêta net, il avait une dernière chose à dire au jeune garçon.

- Ne t’attends pas à revoir ta copine immédiatement, mais garde à l’esprit que notre reine tient toujours parole.

Caemgen partit, laissant le fils de Torn, seul face à lui-même dans ce grand espace – plus grand que leur terrier. Il alla s’engouffrer dans la baignoire et se passa de l’eau tout habillé.

Ne pas revoir Audisélia… Combien de temps allait-il devoir l’attendre ?

La réponse était très simple : deux ans.

Deux ans où Sawyer s’est fait entraîner par Caemgen qui a repris l’éducation martiale de Torn, le forçant à se muscler et être plus téméraire. Au bout d’un an, il put rejoindre l’école militaire de Sylvania et devenir un soldat. On l’avait déménagé des quartiers royaux pour qu’il s’installe dans un lieu un peu plus vétuste dans Haute-Ville, c’était un ordre de Caemgen qui ne voulait pas qu’il ressemble à ces sales gosses du Sanctuaire, imbus d’eux-mêmes, se croyant tout permis alors qu’ils n’avaient rien vécu. En attendant la sortie d’Audisélia, il prépara tout pour qu’elle se sente bien dans ses quartiers, lui faisant de la place dans ses tiroirs et ses armoires, lavant toute la salle aussi rapidement et efficacement que possible – il tenait vraiment à le faire lui-même, c’est pour ça qu’il ne demanda l’aide d’aucune servante, ni femme de ménage.

Puis les deux ans s’écoulèrent, Sawyer fut contacté par un messager de la reine alors qu’il était en compagnie de Globox qui l’invitait à aller chercher sa « sœur » à la sortie des Limbes. Imaginez-vous la joie et la terreur qui parcoururent le corps de Sawyer lorsqu’il apprit cette nouvelle ? Elle était incommensurable, à tel point qu’il vomit son repas juste après le départ du messager.

Il courut avec Globox jusqu’au souterrain se trouvant sous la fontaine de la Grand Place et ils descendirent jusqu’à arriver aux doubles portes menant à la prison des Limbes. Une double porte massive où y étaient dessinées des gravures de monstres sortant des entrailles des enfers et repoussés par des Faiyerases, des fées du plan divin qui accueillent les fées les plus méritantes et condamnent les fées démoniaques, tenant les lances célestes et bénies par les dieux.
Ce qui était étrange avec cette fresque était que ces fées n’avaient pas d’ailes mais des sortes de capes pour certaines et que ces monstres ou démons sortaient d’une tour alors qu’on leur a toujours dit qu’ils sortaient des tréfonds de la terre comme dans la légende du premier héros et de la première fée de la légende.

Cependant, pas le temps de s’attarder, les trente gardes et mages se mettaient à les ouvrir pour laisser sortir son amie. Le frottement des portes sur le sol, la poussière qui se dégageait de la fente qui se créait, le vacillement des lumières provenant des torches de luxinite… tout ça donnait à croire qu’ils étaient en train de libérer un terrible être démoniaque provenant des plus profondes abîmes infernales Naletune, mais cela ne changea pas l’excitation qui éclairait les yeux du fils de Torn.
Globox n’avait aucune attente vis-à-vis de cette fée qu’attendait tant son camarade, il en avait longuement entendu parler lorsqu’elle avait perdu le contrôle de ses pouvoirs et s’était mise à attaquer tout le royaume, mais ça ne l’intéressait pas plus que cela, même par curiosité. Surtout à ce moment précis où ces maux de tête, qui étaient déjà récurrents depuis sa petite enfance, qui, lors de sa descente dans les Limbes, s’accentuaient de plus en plus, mais il arrivait à feindre que rien ne lui arrivait. L’ogre gardait assez l’esprit pour pouvoir dire à Sawyer d’arrêter d’être autant agité, qu’il grandissait et que même si elle lui avait manqué, il se devait de garder une certaine stature, surtout face à une femme qu’il semblait aimer de façon outrancière.

- Je te l’ai dit que nous sommes frère et sœur, lui rétorqua Sawyer.

- Je sais, mais je sais aussi que tu ne l’as jamais considérée comme ta sœur, surtout si c’est pour l’embrasser.

- Je n’avais pas le joie ! baragouina le jeune soldat.

- Le « choix », plutôt, ricana l’ogre verdâtre grassouillet, un lapsus aussi révélateur que l’eau bénite sur un possédé.

- Qu’est-ce que tu baragouines encore ?

- Je ne sais pas… Parfois des mots me viennent.

- Les Limbes ne te font pas du bien.

- Sans doute…, chuchota-t-il.

Leur conversation fut interrompue par l’arrêt du brouhaha de l’ouverture des portes, les deux collègues se tournèrent vers l’entrée des Limbes où aucune lumière ne s’en échappait. Le silence de mort qui régnait dans la pièce fit perdre toute excitation à Sawyer, l’ambiance était devenue totalement terrifiante.
Ce n’était pas la première fois qu’il s’était rendu dans les Limbes, Caemgen l’y avait emmené quelques fois pour interroger des criminels sur certaines positions de leurs complices ou de projet d’attentat, mais il n’y avait jamais senti une telle atmosphère. Était-ce parce que cette fois-ci il passait par la grande entrée ?

Une étrange fumée violette s’échappa de l’entrée de la prison et des petites lumières firent leur apparition au loin. Les gardes mirent en joue l’accès et les mages commençaient à dessiner des cercles magiques.

- Il n’y a pas besoin d’autant de précaution pour elle, vous savez…, dit Sawyer d’un ton hésitant.

- Bien que vous soyez le fils de Torn et le protégé du chef des Féériques Paladins Ailés de la Souveraine Combattante Féerienne, nous n’avons pas d’ordre à recevoir de vous, le rabroua l’un des geôliers, surtout face à un danger pareil.

- Mais…

Globox lui attrapa l’épaule et lui suggéra de ne rien dire.

Les petites lumières des torches de luxinite commencèrent de plus en plus à se répandre, jusqu’à ce qu’on puisse distinguer une silhouette féminine aux longs cheveux qui traînaient sur le sol, tirant la poussière avec elle, une silhouette pâle, presque fantomatique qui n’avait d’accueillant que ses magnifiques ailes pastel. La tension grimpait à chacun des pas de l’arrivée de cette femme, les gardes serraient de plus en plus leurs armes, Sawyer déglutit fortement à l’approche de ce qui semblait être Audisélia. Puis la femme arriva en face de toute la troupe, sans arrêter, ni prêter attention à ceux qui la menaçaient, elle se dirigea à la rencontre de Sawyer.

- Sawyer…

- Sawyer, cette femme me rappelle quelqu’un…, dit Globox, tu es sûr que c’est ta sœur adoptive ?

- Puisque je te dis que oui. Et je t’interdis de dire qui elle te rappelle.

Le garçon n’avait plus de salive à avaler.

Bien qu’il sache que c’était elle, pourquoi avait-elle cette aura menaçante autour d’elle ? Il était à deux doigts de se mettre en garde, armé de son épée. Un garde s’approcha prudemment de cette jeune fille à la sale chevelure pastel et déverrouilla ses menottes.

- Va maintenant, spriggan.

- Hé ! s’insurgea Sawyer.

La fée aux cheveux sales et hérissés de partout se jeta sur son visiteur et s’affala longuement sur lui.

- J’ai faim, Sawyer, tu m’as apporté à manger ?

Le soupir de soulagement qui s’évacua du corps de Sawyer se fit entendre dans tout l’étage. Avec le soulagement de Sawyer, les gardes se rassurèrent sur la non-dangerosité de cette fée.

- Je suis désolé de n’être jamais venu, Sélia, mais je te promets que tu pourras me taper autant que tu veux.

- Je veux juste manger, Sawyereli…, dit-elle, fatiguée

- Oui, attends.

Sawyer demanda aux geôliers les papiers à signer pour rendre véritablement libre Audisélia, il les signa et tous les trois s’en allèrent. Audisélia, fatiguée par son séjour en prison, les pieds, les poignées et les chevilles en charpie, demanda à son protecteur de la porter, ce qu’il accepta sans hésiter, bien trop ravi de pouvoir le faire comme lorsqu’ils étaient enfants et qu’elle le commandait pour tout et n’importe quoi. Et pendant ce temps, les mages et les gardes refermèrent la double porte en fer, éteignant par la même occasion les torches de luxinite du couloir de sortie et d’entrée dans le même brouhaha que lors de son ouverture.

- Par rapport à avant, c’est plus facile de te porter, même si tu t’es amaigrie, dit-il le visage attendri mais avec une voix presque inaudible et si grave.

Soudain, les oreilles de Globox se redressèrent et il se tourna en direction de son ami.

- Sawyer, c’est toi qui as ri ? lui demanda Globox.

- Hein ? Non.

- Pourtant…

- Ce n’est rien, lui dit Audisélia, juste les larmes d’une âme en peine.

Retournés à la surface, Sawyer paya une fournée de nourriture à Audisélia pour sa sortie de prison, elle en fut si jouasse qu’elle, avec l’aide de Globox, se remplit la panse jusqu’à se retrouver le ventre plein, ruinant, au passage, les économies de Sawyer.

Audisélia apprit à connaître Globox, personne à laquelle elle portait un désintérêt des plus total – jusqu’à aujourd’hui. Elle apprit que le nouveau partenaire de son frère adoptif était lui aussi un orphelin dont les parents étaient morts lors de l’attaque du roi des trolls, tranchés en deux par ses sbires gobelins, et il n’avait plus de contact avec sa grande sœur qui l’avait caché lors de l’invasion dans leur cave. Mais Globox ne s’en inquiétait pas plus que ça, les deux s’en étaient toujours sortis auparavant pourquoi cela changerait maintenant ?
Bien qu’il ne soit pas encore le blagueur, tchatcheur de l’époque actuelle, Globox savait faire preuve d’initiative dans une conversation, malgré le fait qu’il ne prenne pas de pincettes.

- Pourquoi une fée de sang royal aurait besoin d’économie ? bafouilla Globox en rongeant les os d’une hydre de Garse.

- On ne sait jamais ce qui pourra nous arriver, mieux vaut être prévoyant parce que…

- Parce que t’es de sang royal, toi maintenant ? le coupa Audisélia.

- Euh… oui, mais je t’expliquerai plus tard, Audisélia.

- Tu pourrais me trouver un autre nom, tu sais, si ça te gêne tant que ça de m’appeler comme ta mère.

- Ah bon ? Pourquoi ce revirement ?

- J’ai eu le temps de réfléchir… Attends…

Audisélia et Globox se frappèrent le torse avant d’éructer violemment en même temps, puis ils reprirent leur fringale comme s’il ne s’était rien passé.

- Vous êtes dégoûtants, s’indigna Sawyer.

- J’ai un passe-droit, je sors de prison, se justifia Audisélia.

- Je perpétue les stéréotypes sur les ogres, se justifia Globox.

- Ce n’est pas possible, grogna le fils de Torn.

- Et comme je te disais, reprit Audisélia, j’ai réfléchi et je me dis qu’avoir un nom appartenant déjà à quelqu’un d’aussi proche de toi doit être terriblement agaçant pour toi. Surtout que je ne lui ressemble en aucun point. Alors je te propose de me renommer puisque je n’ai pas eu la chance de naître avec un nom.

- J’ai grandi en ces deux ans, deux ans où je n’ai pas été autorisé à te voir, donc… ne t’en fais pas pour ces bêtises. Cela étant, tu peux reprendre ton nom…

A l’énonciation de cette possibilité, le visage d’Audisélia s’assombrit, effrayant Globox qui n’avait plus tellement envie de participer à ladite conversation d’un coup. Sawyer tenta de se rattraper tant bien que mal en lui suggérant une autre possibilité :

- … ou rester sans nom, rit-il, gêné, ce n’est pas si mal aussi.

- Ce qui ne risque pas d’arriver, intervint Caemgen.

Sorti de nulle part, il s’installa à la table des trois enfants et en profita pour déguster le buffet que se partageaient les deux autres morfales qu’étaient Globox et Audisélia, sous les yeux désespérés de Sawyer.

- Cette jeune fille se doit de revêtir un nom, qui ne soit pas le nom que tu as tenté de lui suggérer. Que ça soit ce nom ou un quelconque sous-entendu duquel il pourrait en sortir qu’elle soit née sans-nom ne doit jamais être divulguée.

- Pourquoi ? demanda Globox.

- Pour son prénom, je ne peux pas te l’expliquer pour l’instant mais pour la potentialité qu’elle serait née sans nom, cela lui serait, voire vous serez préjudiciables.

- Je compte dans l’équation maintenant ? s’étonna l’ogre vorace.

- Pourquoi ? le coupa Sawyer.

- Car étant donné que tout comme toi, mais d’une autre famille, elle a du sang de noble, cela serait une disgrâce d’apprendre qu’elle est née paria.

- De sang noble, mais de quelle famille ? demanda Globox.

Caemgen s’approcha du trio et leur chuchota.

- Elle est de la lignée des Grave.

Globox et Sawyer sautèrent de leurs chaises face à cette annonce, Audisélia resta de marbre, continuant à s’engouffrer une tonne de viandes dans la bouche.

- La lignée déchue ? Celle du roi Hid…

- Ne prononce pas son nom, Sawyer, l’arrêta Caemgen.

- C’est vrai, excusez-moi, mon oncle. Mais si elle est de la lignée déchue, il n’y a pas de mal à ce qu’on apprenne qu’elle est née sans nom ? Et c’était une blague le fait qu’elle reste sans-nom, précisa-t-il, j’aurai aimé qu’au moins… Bref, s’arrêta-t-il.

- Pour en revenir à ta demande, je le sais car dans son acte de naissance il a été ratifié qu’elle est une fée de la lignée des Trois Rois-Combattants. En somme, elle sera toujours ta sœur adoptive.

- Et comment vous savez, mon général, s’immisça Globox dans la conversation, qu’elle est une fée de sang royal ?

- Analyse sanguine.

Il déposa une feuille que Sawyer fit semblant de lire puisqu’il ne comprenait rien au Franca.

- Donc vous avez…

- C’est notre secret, dit Caemgen en les pointant du doigt, effectivement, j’ai utilisé des technologies humaines, mais ça l’a liée à la famille Grave mais on ne sait pas qui est son plus proche parent. De plus, il y a beaucoup d’anomalies étranges dans son sang, mais il n’y a pas vraiment de temps pour s’attarder sur ces choses. Je pense juste que les laborantins de Clamartel sont des incompétents. Ils ont d’abord suggéré qu’elle avait du sang de géant, tout de même, s’offusqua-t-il.

Sawyer et Globox étaient totalement perdus devant les propos de leur chef.

- Sinon le sujet de votre visite, admirable oncle de Sawyereli ? intervint enfin Audisélia alors qu’elle était quand même le sujet principal de la conversation.

- Sawyereli ? demanda curieux Caemgen.

- C’est un surnom qu’elle m’a donné, expliqua Sawyer en lui remettant la feuille.

- Ah, dit-il, feignant que cela ait une quelconque importance, oui, donc la raison de ma visite est de t’annoncer, Sawyer, que tu deviens son protecteur, son champion et son surveillant.

- Comment ça ?

- Je reformule. Audisélia est dorénavant, officiellement, une princesse de Sylvania provenant de l’arbre de Java-Aleim, alors ta mission sera de la protéger et de surveiller tous ces faits et gestes pour que plus jamais l’incident d’il y a deux ans se reproduise, sinon c’est la peine de mort.

- D’accord, hocha Sawyer enjoué avant d’entendre le risque qu’ils encouraient tous les deux, je vous promets de prendre soin d’elle.

- Et de la surveiller, reprécisa Caemgen.

- Et de la surveiller, bien sûr, précisa le nouveau champion.

Puis l’admirable oncle de Sawyereli se tourna en direction de la toute nouvellement nommée princesse.

- Sinon, Audisélia, tes crises de nerfs sont tenables maintenant, les soigneurs ont pu régler ce problème ?

- Oui, quelqu’un là-bas m’a expliqué comment « régler » le problème.

- Très bien. Au passage, Globox, toi aussi tu la surveilleras.

- Hein ? sursauta l’ogre, mais pour quelle raison ? Cette dingue a mis en danger le royaume et vous croyez que c’est moi qui peux l’arrêter ?

- Oh ! grogna Audisélia.

Caemgen pencha sa tête de gauche à droite en le fixant.

- Je pourrais très bien l’exiger de toi en tant que bras droit et protecteur de la reine Synomïa, mais je sais que tu es un bon élément alors je te propose plutôt, vu que tu n’as pas réellement d’endroit où dormir, des quartiers sublimes au plus près du sanctuaire et lors de tes montées de grade, tu auras toujours une recommandation de ma part. Ça te va ?

- C’est du travail, ça…, se plaignit-il.

- Je peux aussi te faire récurer les écuries jusqu’à la fin de tes jours.

- C’est bon, j’accepte. Vraiment le chantage de nobliaux, c’est indécent, bouda-t-il en croisant les bras et en faisant la moue.

C’est ainsi que commença à naître l’amitié entre Globox, Sawyer et Audisélia. Cependant, ils n’avaient aucune idée des épreuves qu’ils allaient traverser durant ces trois années avant de rencontrer Morvian. Et vous non plus, car il n’est pas encore l’heure de vous conter cette histoire.

Ayant de nouveau Audisélia dans sa vie, Sawyer devait réorganiser son quotidien et son planning, mais surtout, il y avait une chose à laquelle il n’avait pas pensé : c’était que ses quartiers n’étaient pas assez grands pour accueillir un autre lit pour Audisélia ! Toutefois, ne voulant pas qu’elle vive seule, il accepta de lui concéder son lit le temps de trouver une solution. Mais cela ne pouvait durer qu’un temps, Sawyer commençait à avoir mal au dos et aux ailes, alors remarquant cela, Audisélia le ramena dans son lit pour qu’ils y couchent tous les deux.
Quelle ne fut pas sa surprise en se voyant dans la couche de sa protégée, il se jeta hors du lit et partit à toute vitesse à ses entraînements quotidiens.
Et ce spectacle se répéta pendant un mois et demi avant que Sawyer finisse par accepter puisque n’ayant pas assez d’argent pour payer un loyer plus cher pour qu’ils aient une chambre tous les deux.

Le quotidien de Sawyer était : les entraînements avec les autres jeunes soldats, les tours de garde, la formation aux différentes techniques de combat, autant à main nue qu’à l’épée, à la lance ou au marteau, l’histoire de Sylvania, son perfectionnement du style de la danse à deux lames de supposément son père, renforcement musculaire, apprentissage de magie offensive plus découverte de sa magie de prédilection – ce qui était tard mais en même temps, avant il mangeait des restes de repas jetés par des fenêtres, il n’avait pas eu grand temps pour apprendre ce genre de choses…

A la fin de la journée, je pouvais dire qu’il était totalement exténué, à la limite de l’implosion.

Pendant ce temps, Audisélia, qui recevrait bientôt ses propres appartements au Sanctuaire mais n’en avait informé personne, s’était retrouvée affublée du surnom de « Princesse Monstrueuse » à cause de ses actes passés mais surtout à cause de sa crinière à laquelle personne devait toucher, elle s’énervait très rapidement lorsqu’on osait évoquer juste le sujet de l’aider à la laver. Elle préférait le faire elle-même. Cependant la couper ou la peigner, c’était hors de question. Alors les servantes devaient faire avec, et supporter ses crises de nerfs. Elle aussi avait des apprentissages à la magie, à l’histoire de Sylvania, la danse, la diplomatie, l’agilité, comment bien parler – mais ça Sawyer lui avait déjà montré –, comment bien marcher, la façon correcte de voler gracieusement, les devoirs d’une princesse et d’une reine, la magie, savoir converser, se faire courtiser, aussi apprendre à se battre, les différentes stratégies militaires pour les princesses les plus combattives, apprendre à motiver ses soldats et rassurer ses sujets, à débattre…

Des longues semaines d’épuisement qui ne fatiguaient pas physiquement la princesse mais surtout mentalement.

Ces journées à gambader dans les rues d’Haute-Ville, à se battre contre des malfrats et aider les enfants lui manquaient.
En vrai, c’est surtout le fait de se battre de façon utile qui lui manquait. Montrer sa supériorité à ses adversaires et asseoir sa domination sur les autres… C’était un peu sa passion.
En vérité, ce n’étaient pas les bagarres « d’ivrogne » qui lui manquaient mais surtout la tranquillité de la petite maison de nichée dans un arbre, loin des trois quartiers où elle résidait auparavant avec Torn, son fils et sa femme. Cette tranquillité, cette quiétude qui était installée dans ce lieu paisible, bien que le père de Sawyer fût devenu du genre taiseux, c’était une façon de vivre qui lui plaisait. L’avait-elle déjà exprimé oralement ? Sûrement qu’Audisélia la réprimanderait pour ne pas l’avoir plus promptement.

Cette partie manquante de son cœur lui pesait autant que l’horrible excroissance qu’elle avait au milieu de la poitrine. Bien qu’on dise qu’elle était une magnifique fée malgré sa puissance débordante et son tempérament colérique, elle se sentait beaucoup trop différente que ses congénères.
Que ça soit mentalement ou dans leurs philosophies de vie. Rien n’avait l’air vrai chez elles.

Le petit coin reculé de la forêt lui manquait tellement. Entre ces murs, à l’intérieur de ce royaume, elle se sentait cloisonnée, à l’étroit. Il fallait qu’elle se libère de ces chaines auxquelles elle avait consenti qu’on lui pose pour que Sawyer et elle aient une vie normale ! Ou au moins, qu’elle puisse prendre l’air le temps de quelques instants…

C’est ainsi que pour la deuxième fois, au retour de Sawyer, Audisélia disparut.

Ça n’était pas possible, se disait Sawyer, pourquoi avait-elle fui ?

Il avait tout fait pour qu’elle se sente bien chez elle. C’était même elle qui le mettait mal à l’aise ! Elle n’avait aucune tenue à se déshabiller et s’habiller devant lui comme s’il n’existait pas ! Ils n’avaient plus cinq ans pour avoir à prendre leur bain ensemble – ils ont arrêté quand Audisélia a eu ses dix ans – donc il n’avait pas à la voir toute nue tout le temps.

Sawyer partit en urgence à la recherche de Globox pour que tous les deux partent en urgence à la poursuite d’Audisélia dans tout Sylvania.

- Mais t’es pas foutu de la surveiller ? se révolta Globox.

- A la base, on devait le faire à deux !

- Mais moi je n’habite pas avec elle !

- Ce n’est pas le plus important, on doit la retrouver avant qu’une nouvelle catastrophe arrive !

- Elle n’a pas dit que ses crises étaient terminées ?

- Si, mais…

Globox attrapa l’épaule de son ami et, avec un grand sourire, tenta d’effacer son inquiétude – et sa propre inquiétude.

- C’est bon, on va aller la chercher, camarade. Demandons aux gardes s’ils ne l’ont pas vu.

- Tu ne tiens vraiment pas à récurer les écuries pour l’éternité, toi, rit jaune Sawyer.

Ils firent le tour des quartiers sans s’arrêter, fouillant tous les recoins du royaume, traquant le moindre indice de son passage, cherchant la moindre preuve qu’elle se soit arrêtée ici et là. Mais c’est à l’entrée qu’ils eurent le renseignement le plus inquiétant.

- Qui ? La Princesse Monstre ? Elle est partie avec un groupe de citoyen visiter la ville de Madrianapura. Apparemment, il s’y tiendrait un tournoi là-bas. Mais cela doit faire trois semaines qu’ils sont partis.

- Vraiment ? Tu n’as pas remarqué qu’elle avait disparu depuis trois semaines ? lui chuchota furieux Globox.

- On n’est pas retourné chez nous pendant une semaine et demie je te rappelle, je pensais juste que nos plannings ne correspondaient plus, lui rétorqua-t-il aussi énervé que lui puis se tourna vers le garde, quand est-ce que la prochaine navette pour aller à Madrianapura part ?

- D’ici douze heures, lui répondit le garde.

- DOUZE HEURES ? s’écrièrent les deux gamins.

Ils se concertèrent tous les deux et réfléchirent à comment se rendre dans cette ville portuaire.

- Il faudrait demander de l’aide à Marlaba, proposa Globox, elle a une cape d’invisibilité et en plus, elle est assez forte en magie.

- Je ne compte pas emmener cette folle à lier avec nous.

- Bah, ce n’est pas comme si on avait vraiment d’autres solutions, rouspéta Globox, tu penses vraiment qu’on peut demander de l’aide à un ou une noble ?

- Rah ! désespéra Sawyer, si je dois vraiment choisir un puissant mage, je préfère encore avoir à faire avec cette aigrie de Calendula…

De petits bruits de bottes se rapprochèrent des deux garçons.

- Les enfants, j’ai une proposition à vous faire, les coupa le garde, vous avez quel âge ?

- Vingt ans pour moi et dix-huit ans pour mon ami la fée.

- Hé bien, vous êtes en âge de posséder de l’argent, alors en échange d’une somme assez conséquente, je veux bien vous emmener jusque là-bas et vous fournir un alibi.

- Vous n’êtes pas assez payé gracieusement ? demanda Sawyer, avec votre armure de platine filée d’or et avec de la soie de Jiken aux mains, je n’aurais pas besoin de me casser la tête à monter en grade et à me nourrir.

- Déjà, un garde ne devrait pas avoir les moyens de se payer de la soie de Jiken, rajouta Globox perplexe.

- C’est bon, râla le garde, moi, au départ, je viens du Sanctuaire. Malheureusement, mon pat’ m’a envoyé dans les casernes militaires, en guise de punition, à cause d’une soirée un peu trop arrosée. Si au moins c’était la police militaire…, continua-t-il de ronchonner.

Il parle bien vulgairement pour une fée du Sanctuaire.

- Mais attendez ! s’écria Globox, ce n’est pas vous le nobliau qui avait fait rentrer des prostitués dans le royaume et les avait aspergées de champagne et des vins de votre père ?

Globox, un homme des ragots.

- Donc votre pat’ vous a envoyé là ? poursuivit Sawyer, en plissant les yeux.

- Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé…, se défendit-il, et de toute manière, nous ne sommes pas là pour parler de mes erreurs mais de la vôtre, messieurs Vanguard et Marayn, gardiens de la Princesse Monstrueuse.

Il les attrapa et les entoura de ses bras mettant sa tête entre les deux gaillards.

- D’où vous nous connaissez ? demanda Globox.

- Mon père est un grand ponte de ce royaume, les informations qu’il a, je les ai, donc ne vous tentez pas à me tromper. Alors, vous comptez me passer du fric ou vous préférez rester dans la panade ?

Les deux apprentis soldats se regardèrent. Ils n’avaient pas vraiment le choix, ils avaient le devoir de surveiller Audisélia de tout danger qu’elle pourrait subir ou provoquer.

- On accepte mais je jure que si on ne la récupère pas, je vais te tabasser si fort que tu te retrouveras dans une autre dimension.

- Si ça marche pour vous, ça marche pour moi, sourit le garde, satisfait de sa bonne affaire, et si vous voulez que je vous fasse une visite guidée pour vous montrer les coins « sympathiques » de Madrianapura pour de jeunes étalons comme vous, rajoutez quelques couronnes et je suis votre homme.

- Pas intéressé, dit Sawyer.

Toutefois, Globox semblait hésitant sur l’offre du garde véreux, mais le regard noir de Sawyer le ramena à la réalité et il refusa catégoriquement.

- Au fait, c’est quoi votre nom ?

- Moi ? Mathgen. Pour vous servir, enfin, le temps de ce séjour…

Ils prirent une caravane et Mathgen se chargea de trouver une excuse à leur sortie, puis se mirent en route vers la ville de Madrianapura.

Le royaume de Sylvania s’était déplacé jusqu’au continent asiatique, sur les mers sud-asiatiques et s’était retrouvé au nouveau pays des Thaï, Siamaï. Pays gouverné par un roi-dieu nommé Nattapong Vajiralyadej, aussi renommé sous le nom de règne Rama XXXVII, un homme-aigle de la race des Garuda, l’une des races les plus vénérées du pays.
Pays qui est un mélange racial assez extravagant, bien que les autres pays soient aussi peuplés de Féériques et d’humains, il faisait partie de ces rares pays où humains et Féériques coexistaient et vivaient ensemble, pas dispatchés ou ostracisés comme dans d’autres contrés. La reine Synomïa était actuellement en discussion avec lui pour parlementer et effectuer un échange de ressources. Les fées et autres habitants de Sylvania pouvaient sortir aller visiter le pays, en évitant les recoins les plus obscurs que connaissait Mathgen.

En parlant de lui, le trio était parti à la recherche d’Audisélia sans savoir où commencer leur dite recherche. Heureusement, Mathgen avait des informateurs dans le pays pour lui communiquer toutes les choses étranges qui s’y passaient. C’est comme cela qu’ils apprirent qu’une nouvelle participante avait rejoint les combats illégaux du tournoi de Madrianapura, le Tournoi des Crocs de la Phange qui se trouve dans une région souterraine du pays, « Rāw bạndị k̄hận theph », qui est de l’Oli’Ane thaï, aussi appelé la balustrade des dieux. Un lieu de non-droit où le Garuda ne peut y faire régner la paix à cause de la criminalité envahissante de Madrianapura. Pour s’y rendre, il fallait se déplacer à deux de crapauds cornus pour ne pas se retrouver les pieds pris dans les marécages ou piégé dans les mangroves. L’éventualité de voler au-dessus de la jungle augmente le risque de se faire tirer dessus et se faire avoir par des braconniers de Féériques, autant rester sur la route officielle.

Après trente-six heures de voyage – oui, ils se sont perdus et Mathgen est tombé malade –, trente-six heures de disputes entre Mathgen et Globox à propos de la politique, du racisme – Mathgen et sa famille et une partie de sa famille était partisan de l’expulsion des races non féériques de la nation sylvienne puisqu’étant et faisant partie de l’héritage de la politique de la Félonne –, de la gastronomie, de l’importation des jeux vidéo et des technologies humaines en général, des femmes – c’est Mathgen qui avait initié Globox à cela, avant il y portait un désintérêt incommensurable avant sa rencontre avec Mathgen, juste deux trois coups de cœurs comme tout homme et toute femme –, trente-six heures à changer de moyen de locomotion entre les métros, les monte-charges à répulsion d’énergie – véhicule non homologué mais quand même utilisé… Ils arrivèrent enfin à bon port. A entendre les cris du public, ils ne s’étaient pas trompés d’endroit.

Contrairement aux combats qui se déroulaient au sein de l’arène de Sylvania, ceux de la Balustrade des dieux s’organisaient dans un immense trou sans fond où se serait déchainé le ciel et aurait anéanti toute une cité il y a de cela trois mille ans. Depuis ce jour, ce lieu est dit maudit à cause des âmes des défunts qui hurleraient leur désespoir de ne pas pouvoir trouver le repos éternel.
Ce qui n’empêcha pas les organisateurs de créer ce dangereux tournoi illégal où l’argent brassait à flot, où les « millionnaires » – tout dépendait du taux de conversion du moment – des quatre coins du monde se réunissaient pour voir des combats à mort et récolter un tas d’esclaves de toute race.
Le tournoi n’était pas qu’un simple divertissement, il s’agissait aussi d’un test pour voir quel genre de combattants les riches et les braconniers pouvaient obtenir en payant le prix ou en les kidnappant en comparant leurs performances lors de ces matchs d’exhibition. Heureusement pour les participants, si on pouvait être heureux de cela, n’étaient pas en reste puisqu’ils avaient la possibilité de devenir champion du tournoi et vivre une vie luxueuse.

Néanmoins gare à ceux qui perdent et qui disparaissent, livrés aux mains d’acheteurs dérangés et lubriques.

C’est dans un endroit aussi malfamé que Globox et Sawyer avaient été amenés par Mathgen qui semblait être jouasse de voir ses frères Féériques être vendus et échangés.

De la hauteur où ils étaient positionnés, attendant au sein d’une longue file d’attente circulaire qui les mènerait jusqu’au stade tenant sur des barres, ils aperçurent la personne qu’ils recherchaient : Audisélia affrontant un crocodile géant à dents couronnés, la bête dépassait Audisélia de deux mètres de hauteur et devait avoir une longueur de cinq.

- Sawyer, je ne veux pas t’inquiéter mais ta princesse est grave en danger ! lui s’inquiéta Globox.

- Tu penses que c’est ce genre de créature qui va battre notre chère princesse monstrueuse… Tu te fourres le sabot dans la truffe.

Les expressions et Sawyer font toujours deux – oui, elle existe mais je la trouve nulle, en plus c’était plus un pique envers Globox qu’une vraie utilisation de celle-ci –, mais on ne pouvait donner tort à Sawyer.

Audisélia, malgré ses dix-sept ans, était une fée bien plus puissante que la moyenne et ce n’était pas une créature des marécages qui allait l’effrayer. Elle avait vu bien pire dans les Limbes.

D’un simple coup de talon dans le ring, elle brisa les carreaux de pierre du sol de la plateforme de combat et les lança sur le crocodile à coup de pied, tout en s’approchant de celui-ci au pas de course. Le crocodile fit un tour sur lui-même pour lui donner un coup de queue, mais elle esquiva simplement en sautant au-dessus de son gros appendice écailleux et lui fonça dessus pour l’enchaîner de coups de poing si puissants qu’ils lui arrachaient ses écailles et les éclataient au vol. Sa salve de coups de poing était inarrêtable, la bête reptilienne était acculée et n’avait aucun moyen de se défendre.
Audisélia s’envola au-dessus et allait l’achever avec un coup de coude, mais le crocodile y voyant une ouverture, saisis la chance qu’il avait, sauta de toute sa force pendant la chute de la fée et la goba.

La foule hurla son excitation devant l’échec de la princesse Audisélia et le coup de Trafalgar de l’animal. Mathgen et Globox furent horrifiés devant ce spectacle atroce, ils venaient d’assister à la mort d’Audisélia, seul Sawyer était impassible devant ce qu’il venait de se passer.

- Oh ! Réveille-toi ! La princesse s’est fait bouffer ! Faut intervenir !

- Audisélia ! hurla Sawyer, sors de là, on n’a pas toute la journée ! Utilise-le !

Le cri fit que tout le monde se retourna dans la direction de la fée-soldate ne comprenant pas ce qu’elle disait. L’Oli’Ane d’ici était différent de celui que parlent couramment les habitants de Francilia, celui du royaume de Sylvania était un melting-pot assez compréhensible pour tout un chacun mais les fées-combattantes avaient bien leur Oli’Ane à eux, un Oli’Ane qui n’était pratiqué que par les fées de Haute-Ville et du Sanctuaire, un Oli’Ane n’appartenant qu’aux fées de pures souches.
Et c’est en cette Oli’Ane qu’avait parlé Sawyer.

Il aurait voulu en dire plus mais leur guide l’aurait entendu.

Des détonations retentirent au milieu de l’arène, toutes provenaient du crocodile. Celui-ci bougeait étrangement, à chaque détonation, sa gueule se décalait vers la droite, puis d’un seul coup, son corps fut parcouru d’un courant électrique visible à l’œil nu qui le fit sauter du sol.
L’ayant électrisé, simplement à l’aide de ses deux mains, la fée ouvrit la gueule de l’animal.

Sawyer devinait qu’elle était furieuse d’être recouverte de bave, malgré sa rudesse et son côté garçon manqué, elle restait une femme qui aimait être propre sur elle – les années dans leur terrier n’ont pas dû être facile pour elle. Elle poussa les deux côtés de la mâchoire du reptile avant de sauter à l’extérieur en lui arrachant sa langue qui était ceinturée par quelque chose de métallique, de saisir sa mâchoire inférieure et de complètement la fracasser contre le sol avant de l’arracher complètement, jetant au passage l’animal dans le trou en-dessous de la plateforme de combat en pierre. La foule en délire acclama la victoire d’Audisélia. La princesse récupéra la ceinture attachée à la langue et l’agita à la face de tous, se laissant aller à l’admiration du public – et à sa propre vantardise.

Elle vit Sawyer et Globox au loin et leur fit signe de venir, Sawyer allait voler jusqu’à elle mais Mathgen le retint en lui disant que y aller comme ça signifierait être un signe de défi pour elle donc il se retrouverait à devoir l’affronter.
La fée noble connaissait le lieu où se trouvaient les loges des combattants, il allait les y conduire.

Suivant Mathgen qui tirait certaines ficelles pour les faire accéder aux loges des combattants, ils trouvèrent celle d’Audisélia. Mathgen les laissèrent à leur retrouvaille, pendant ce temps, il allait faire connaissance avec quelques donzelles qui étaient de passage – cela en résulterait par un échec cuisant mais il s’en fichait… un peu.

Le couloir menant à ces loges était un méandre sinueux et zigzaguant et des deux côtés de la paroi se trouvait des petites galeries, sûrement forées à la main ou avec la magie, où se trouvait des salles qui étaient les loges. Dans tout endroit illicite, l'opulence ne constituait nullement une priorité, en particulier pour des combattants relégués au statut de chair consommable et éphémère au service des "sociétés de paris" et des parieurs. C'est pourquoi l'intégralité du couloir des loges présentait un aspect sordide, le sol jonché de détritus aussi répugnants les uns que les autres, certains d'entre eux étant si souillés que la simple idée de les piétiner suscitait le dégoût, peuplées d'individus à la moralité douteuse offrant des services vils, dégradant pour tout être vivant possédant une conscience – ou non d’ailleurs. L'ensemble évoquait indéniablement les bas-fonds.

Globox et Sawyer entrèrent dans la loge et surprirent Audisélia en train de s’entraîner sur un sac de frappe avec des gants aux mains et aux pieds. Elle faisait des mouvements qui étaient inconnus aux deux soldats, une toute nouvelle façon de se battre. Elle avait une nouvelle coupe de cheveux – sans pour autant avoir coupé sa longue chevelure –, une queue de cheval attachée avec deux fils d’argent et deux mèches sur chaque coin de son visage, elle était vêtue de vêtements totalement différents de ce que portaient les Féeriques de Sylvania : un blazer noir et rouge pourpre avec des tags d’éclairs, de flammes, et dragons et de phénix orientaux, à l’intérieur un croc-top noir avec des bandes dorées et circulaires et un pantalon cargo bleu foncé avec des grandes poches sur le côté, des bracelets de saphir et de diamant autour des bras et une bague en or sur son index. Dans le dos de son blazer, il était écrit en Oli’Ane Thaï « Princesse Bandit ».

Les deux hommes étaient très surpris de la voir vêtue ainsi. Jamais elle n'avait manifesté le moindre intérêt pour le style vestimentaire des humains. Et effectivement, cela conférait à son apparence une nuance de rébellion, évoquant celle d'une chef de gang.

Voyant ses deux invités, Audisélia s’arrêta et leur sourit.

- Comment ça va, les gars ? Vous en avez mis du temps !

Devant sa désinvolture, Sawyer faillit lui mettre une gifle mais se retint. Comment pouvait-elle être aussi insouciante ?

- Le visage en colère de Sawyer veut dire qu’il a envie de te corriger très violement, dit Globox, mais vu qu’il a du mal à le dire, je vais le dire à sa place : tu es une casse-burne ! Nous t’avons cherchée partout dans ce pays pendant trois jours avant que l’un des informateurs d’un mégalo, dont on a dû supporter la présence tout le voyage et l’empêcher de se faire piéger par des sirènes, nous informe que tu étais ici. Maintenant cesse tes âneries et rentre avec nous car nous ne pouvons nous permettre de consacrer chaque matin notre temps à te retrouver.

Son regard se tourna vers Sawyer qui le détourna, le poing serré, les lèvres agitées.

- J’en ai aucune envie.

- Pourquoi ? s’écria Sawyer.

Elle reprit son entraînement dans le sac de frappe et expliqua sa vision des choses :

- Je ne vois pas ce qu’il y a de sympa à être princesse dans ce médiocre royaume, à part être les meilleures amies de la reine, créer des factions pour avoir du pouvoir au sein de la cour royale, attendre la mort de la reine, avoir le pouvoir grâce des factions et alliances établies auparavant, prendre la place de la reine, garder le pouvoir, faire que son règne dure le plus longtemps et reproduire ce chemin pour nos successeuses recommence. Ce n’est pas la vie à laquelle je veux aspirer.

- Alors tu aspires à quoi ? hurla Sawyer.

Audisélia sursauta devant la colère de Sawyer, elle l’avait déjà vu en colère mais jamais frontalement. Son regard était rempli de colère et d’amertume.

- Je…

- Pendant deux ans, deux putains d’années, je m’en suis voulu de te laisser moisir dans un cachot, me disant que j’avais trahi la parole que j’avais donné à mon père de te protéger et j’ai tout fait pour que tu te sentes bien à ta sortie. Bien sûr, nous ne nous pouvions pas nous voir tout le temps, mais je faisais tout pour que tu ne te sentes pas mal à l’aise, que tu te sentes chez toi, que la moindre rancœur à mon égard puisse disparaître. Mais, malgré mes efforts, tu t’es encore en fuit, me laissant encore une fois dans la peur de te perdre, me laissant croire que j’avais encore fait quelque chose de mal…

- Mais ce n’est pas ça, Sawyer, c’est juste que…

- Oui ? l’apostropha son protecteur.

- C’est juste que… je ne me sens pas très utile à Sylvania, en plus, le regard des gens qui m’observent à cause de cette ressemblance avec la Félonne me rend folle. J’essaie de vivre sans y penser, mais c’est dur, Sawyereli !

- Et tu penses réellement que c’est dans ce trou à rat rempli de camés, de drogués, de fétichistes, de proxénètes et d’esclavagistes que tu allais obtenir une réponse ? se consterna Sawyer, les bras croisés.

- J’y ai déjà trouvé quelque chose à faire, se risqua Audisélia.

- Quoi ? grogna la fée, tuer des alligators géants ? C’est cela ton projet d’avenir, Sélia ? C’est d’un ridicule.

- Tu vois, c’est ça ton problème ! lui cracha-t-elle, tu te penses trop supérieur à moi alors que je n’ai pas choisi de naître différente, d’avoir ces problèmes physiques et mentaux. J’en ai marre du royaume de Sylvania, de mon statut de princesse ! Tu me parles comme si je te devais tout, comme si c’était ma faute ce qu’il m’arrive et que tu es mon sauveur… Je me sens étouffée, avoua-t-elle, comme si je portais constamment ce fichu corset qu’on m’oblige à vêtir.

- Non, Sélia, ce n’est pas moi qui t’ai sauvée, c’est ma mère. Moi, je n’ai jamais exprimé la moindre envie de reconnaissance de ta part. La seule chose que je voulais, même si je n’arrivais pas à me l’avouer, c’est que tu ne m’abandonnes pas. Mais si je t’étouffe, alors… Je vais juste m’en aller.

- Sawyer…

Dépité, il ignora l’appel d’Audisélia et s’en alla de la loge de la princesse en claquant la porte. Il était facile de comprendre que la fée avait brisé le cœur de son protecteur, elle partit s’asseoir sur une chaise, jetant ses gants, tête basse, elle se tortilla les doigts, s’en voulant d’avoir vexé Sawyer.

- Je pense que nous deux non plus, nous n’avons plus rien à nous dire, dit Globox devant l’absence de parole de la Princesse Monstrueuse.

Il allait lui aussi partir mais Audisélia le retint.

- Globox…

- Oui ?

- Attendez-moi. Il me reste un combat que je dois faire pour quelqu’un…

- D’accord. Mais ne le fais pas poireauter. De toute façon, je ne crois pas qu’il serait parti sans toi. Et tu le sais.

Les trois visiteurs s’installèrent dans les gradins et attendirent le dernier combat d’Audisélia. Sawyer avait l’esprit qui vagabondait ailleurs, les yeux dans le flou, abattu par les paroles d’Audisélia.

- Personnellement, Sawyer, je ne crois pas qu’elle voulait dire à mal, tenta de le rassurer Globox.

- Je sais.

- Rah, mon garçon ! intervint Mathgen, traverser tout un pays pour te faire jeter, c’est dur. Si tu as besoin de réconfort je peux t’en fournir, mais il faudra libérer ta soirée.

- Mais quel genre de fées es-tu pour penser qu’à ça ? dit Globox dégoûté.

- Qu’est-ce qu’une non-fée pourrait comprendre à une fée du Sanctuaire ? Sers ta fonction de nous servir et…

- Je vous rappelle qu’on est en dehors de la juridiction du royaume de Sylvania et il n’y a personne pour empêcher que je vous balance dans le vide.

- Ose-le. Qu’est-ce qu’un petit ogre de ton genre va pouvoir faire ?

Perdant son sang-froid, il se mit à le tutoyer.

- Attends, tu vas voir !

- Fermez-là ! s’énerva Sawyer, il y a déjà le bruit de la foule.

Les deux Féériques comprirent que Sawyer n’était vraiment pas d’humeur à subir leurs disputes. Alors ils se turent et attendirent que le combat d’Audisélia prenne fin pour qu’ils puissent s’en aller. Sawyer pensait déjà à là où il pourrait habiter puisqu’il ennuyait Audisélia.

Peut-être que vivre à la caserne comme mes camarades serait une bonne idée…, pensa Sawyer.

Sur le terrain, Audisélia s’étira en attendant le rival qu’elle s’était faite dans l’arène. Ils ont mené plusieurs combats à l’intérieur comme en dehors du ring, et c’est lui qui a initié Audisélia au taekwondo et d’autres arts martiaux – bien que son style de combat préféré soit la boxe. L’adversaire d’Audisélia ne se fit pas plus attendre arriva du ciel et atterris devant la princesse, armé d’un simple bâton rouge et ayant des gravures métalliques dorées sur chaque coin du bâton et couronné d’un diadème jaune sur le front, des écailles sur les joues et de belles ailes magenta, voilà Morvian Son Chen.

Morvian était une fée-dragon, un Fenglóngmèi, provenant d’un large empire se trouvant aux limites de l’extrême orient, à la limite de l’ancien monde des humains appelée Zhōngguóhuá. Un empire où cohabitait difficilement une partie de la population avec une autre partie de la population, que ça soit comme d’habitude les humains avec les Féériques de toutes races, ceux qui prônaient la modernité, les gratte-ciels, la technologie des sociétés Gear-O, la robotique, les implants cybernétiques, les armes laser et à plasma… et ceux qui prônaient l’ordre naturelle, la tradition, la connexion avec la nature et autrui en dehors d’écran 720 hertz, ceux qui étaient la construction d’une nation forte et ceux qui n’avaient que faire de la géopolitique et préféraient vivre dans leurs petites maisons, dans leurs petits hameaux, d’autres préférant se ressourcer dans des traditions originels, dans les arts martiaux par exemple… Et c’est dans ces derniers, bien gré, mal gré lui que le jeune Morvian s’était retrouvé. Les Fenglóngmèi n’étaient pas une race guerrière à proprement parlé, il pratiquait bien les arts martiaux, mais de façon à se connecter à leur nature profonde, pour apaiser cette nervosité et cette colère provenant de leur côté draconique et sublimer la beauté de leur côté féérique, mais non, ils ne combattaient pas, si ce n’est pour se défendre, et encore, généralement ils préféraient fuir.

Malheureusement, le petit hameau de fées draconiques où vivaient Morvian et sa famille fut prise d’assaut par un groupe militaire envoyé par un groupe pharmaceutique qui aurait étudié l’ADN des Fenglóngmèi et y aurait trouvé ce qu’ils pensaient être le moyen d’acquérir la jeunesse éternelle – il est vrai qu’il était rare de croiser un Fenglóngmèi vieux. Ils mirent à feu et à sang le village, tuèrent tous ceux qui s’opposaient à eux et s’emparèrent de tous ceux qui étaient trop faibles pour se défendre ou ceux qui s’étaient résignés. Morvian et ses parents réussirent à s’échapper de ce cauchemardesque capharnaüm et s’en allèrent dans une barque pour ne pas se faire tirer dessus comme des canards dans un terrain de chasse s’ils leur venaient l’idée de voler. Ils étaient peut-être des être puissants, mais leur priorité était la survie de leur progéniture. Et c’est cet instinct protecteur qui les conduira à se sacrifier lors d’une attaque de monstres marins pour sauver la vie de leur petit garçon.

Dérivant au milieu de l’Océan Pacifique, arrivant en mer de chine occidentale, il finit par arriver au pays des Thaï en traversant le canal qui coupait l’ancien Vietnam en deux. De là, il fut recueilli par des pécheurs qui tentèrent de le faire manger, mais après la terrible traversée qu’il avait vécue et le massacre des gens de son peuple, il n’avait plus goût à rien. Les réminiscences de l’attaque du groupe militaire le hantaient si bien, que la paranoïa le prit et il s’enfuit du domicile de ses sauveurs, craignant qu’ils le tuent ou le vendent.

C’est ainsi qu’il devint vagabond, vivant de petits boulots et petits larcins, combattant dans des arènes se trouvant des souterrains miniers pour pouvoir subvenir à ses besoins.

Audisélia l’avait rencontré pour la première fois dans les rues d’Ayutthaya en train de voler une paysanne qui vendait ses récoltes, et par un concours de circonstances que vous devinez très bien, ils se sont affrontés. Malheureusement comme à son habitude, Audisélia ne fit pas dans la demi-mesure et déclencha sa violente colère contre la fée-dragon, mais celle-ci était différente de tous les adversaires qu’elle avait affrontés auparavant. Il n’était pas faible, arrivait à prévoir ses coups et les dévier. Ce qui faillit contraindre Audisélia à utiliser sa magie électrique qu’elle craignait bien trop d’utiliser depuis qu’elle était sortie des Limbes. Heureusement pour elle, ou malheureusement, ils furent arrêtés par les autorités compétentes avant qu’ils ne détruisent tout le quartier voire plus encore.
Au poste, les policiers reconnurent en elle une dignitaire étrangère provenant du royaume de Sylvania. Pour n’avoir aucun souci avec le Rama et le reine Synomïa, ils décidèrent de la relâcher, contrairement à Morvian qui devait retourner combattre dans l’arène. Bien que les combats lui permissent d’assurer un certain mode de vie, peu enviable mais qui lui accordait une certaine subsistance, il finit par ne plus en être capable. Bien qu’il n’eût que ses poings et ses qualités d’apprentis-combattants pour pouvoir se nourrir convenablement, le nombre de personnes qu’il avait tuées dans l’arène l’avait traumatisé, et le poussa à s’enfuir et à abandonner les combats.

Jusque-là, il s’en sortait bien… avant de croiser la route d’Audisélia.

C’est en sachant cela qu’Audisélia décida de le faire sortir, et par la même occasion, tous les autres combattants esclaves de cet endroit en participant d’elle-même à ces combats clandestins se déroulant à la balustrade des dieux.

Elle aurait aimé raconter tout cela à Sawyer, mais pour une raison inconnue, elle avait préféré passer ses nerfs sur lui. Quelquefois, elle pensait aux fées de son âge qui étaient à peine plus hautes que trois pommes – précisément – et se disait qu’elles, contrairement à elle, n’avaient pas à penser ce genre de choses puisqu’elles n’étaient encore que des bébés inversement à elle qui était issue des fée-combattantes de Java-Aleim, donc avait déjà atteint l’âge adulte comme les humains, les orcs ou les ogres – il se disait que cela était forcément dû au fait que les races belliqueuses atteignaient l’âge adulte bien plus rapidement que les races un peu plus pacifiques.

- Ennuis sur ennuis, se plaignit-elle en secouant la tête.

- De quoi tu te plains ? lui chuchota Morvian, c’est notre dernier affrontement et on sera quitte. J’ai déjà préparé l’évasion des autres.

- Non, ça n’a rien à voir avec notre plan, juste… Bon, finissons-en, abrégea-t-elle abruptement.

Morvian fit tournoyer sa trique cerclée d’or et se mit en position de combat face à celle qui était surnommée par la foule : « Princesse Bandit ». Celle-ci qui mit sa garde pour le combattre à main nue. Et tous les deux se lancèrent dans un bel affrontement où la technique et l’agilité étaient les maîtres-mots face à la puissance et la force brutes.

Alors que les gens étaient excités par ce combat où deux adversaires aguerris se donnaient à fond l’un à l’autre, Sawyer était insensible face à cet affrontement, désintéressé par ce qu’il pourrait arriver à son amie.
Il se contentait juste de les regarder sans aucune émotion, mais au fil du combat, en observant un peu plus Audisélia, il ressentit quelque chose, il se mettait à comprendre ce qu’elle avait voulu lui dire, il voyait à travers ce combat toute la frustration qu’elle avait en elle s’extirper : la voir sourire devant l’adversité en ayant aucune charge sur ses épaules – à part la dette qu’elle avait envers Morvian mais moins que de porter le poids de son insipide de dame de compagnie de la reine ou future reine, peut-être encore ce possible futur où elle serait à la tête d’un royaume ou aussi cette possibilité d’échouer lamentablement et retourner en tant que paria.
La voir se lâcher, décompresser, se réjouir d’un simple affrontement sans que cela soit de la préparation face à de nouvelles guerres ou qui ait pour conséquence la chute de son royaume était… satisfaisant. Audisélia, à ce moment-là, n’avait que pour fardeau sa propre vie qu’elle mettait en jeu, et si elle perdait, elle la perdrait seulement. Bien sûr ses proches seraient tristes, mais pas plus, ils ne mourraient pas à cause d’elle, et peut-être même que sa mort leur rendrait service.

La dextérité de Morvian dans le maniement de sa trique était tout à fait remarquable, son arme devait peser une tonne, mais il la portait comme s’il ne s’agissait que d’un simple bâton rouge. Son entraînement dans son pays natal de son jeune âge à son adolescence, et son perfectionnement en autodidacte n’ont pas été vain.

Audisélia, à chacun des coups qu’elle subissait de la part de Morvian, à chacun des impacts, ressentait tout le poids de l’arme de son adversaire. Cependant, elle ne restait pas de marbre à se laisser faire : elle arrivait à parer, esquiver ses attaques grâce à la légèreté que lui offraient ses ailes et son corps de fée, à rentrer dans sa défense et lui infligeait des coups bien violents.
Néanmoins, les techniques de Morvian étaient totalement inédites, elle n’avait jamais affronté un adversaire qui exerçait autant dans le maniement du bâton au point qu’il puisse reproduire les coups d’un lancier, mais ce n’était pas suffisant pour la toucher, elle arrivait à voir à travers ses attaques et à les esquiver – en ayant pas encore développé l’attribut génétique qu’elle avait en tant que reine ! Morvian courut jusqu’à elle, bredouilla quelques mots inaudibles, puis la prit au dépourvu en utilisant sa trique comme un athlète de saut à la perche pour passer au-dessus d’elle et rapidement, il pointa son bâton dans son dos et déclara :

- Ruyi Bang, agrandis-toi !

Le bâton s’agrandit et frappa le dos de la princesse avec une rapidité fulgurante, et avant même que sa cible tombe, il tourna son bâton pour frapper le visage de la princesse et la fit s’écrouler sur le sol. La fée-dragon s’envola et fonça sur elle pour l’achever en lui enfonçant sa trique dans le crâne.

- À cette vitesse elle finira avec sa cervelle répandue sur le sol ! commenta Mathgen.

- Saw…

Pas besoin de mot. Il le savait instinctivement mieux que quiconque ce qu’il allait advenir de sa protégée s’il n’agissait pas.

A à peine quelques centimètres du visage de la fée, Sawyer arrêta le coup de la fée-dragon en parant avec deux épées courtes qu’il avait piquées à des brigands en revenant dans les gradins. Audisélia rouvrit les yeux et vit la moitié du corps de Sawyer flottait dans l’air, l’autre moitié, qui devait se trouver de l’autre côté du portail, flottait au-dessus d’elle.

- Sawyer, qu’est-ce que tu fais ? Tu l’as utilisé ?

- Tu pensais vraiment que j’allais te laisser tuer ? Je suis ton gardien, et tu ne mourras jamais tant que j’aurai le regard sur toi.

A ses mots, Audisélia rougit, elle n’aurait jamais pensé que Sawyer lui pardonnerait aussi rapidement. L’avait-il réellement pardonné ?

Plus important ! Il venait de ruiner le plan que Morvian et elle avaient établi.

- Et la fée ! Qu’est-ce que tu fous à intervenir dans notre combat ? s’énerva Morvian.

- Oui, car je me dois te protéger ma princesse…

- Abruti, c’est une mise en scène, cria Morvian.

Grosse erreur pour lui d’avoir succombé à l’énervement et d’avoir révélé devant tout le monde la supercherie…

Les conséquences ne se firent pas attendre, le public les hua et leur jeta leur nourriture, la partie des spectateurs qui se trouvaient au côté de Globox et Mathgen regardait d’un mauvais œil les amis de Sawyer et voulait clairement s’en prendre à eux.
Sur le terrain, quatre gardes Grashina, des énormes bêtes humanoïdes aux corps immenses et ayant quatre têtes d’éléphants sur chacun de leurs troncs, apparurent et allèrent en découdre avec les combattants. Les parieurs et les sociétés de paris venaient de perdre de gros gains et ne comptaient pas laisser cet affront rester impuni.

Globox rentra dans le portail poussant le fessier de Sawyer au travers, mais le passage disparut lorsque Mathgen voulut rentrer, se retrouvant encerclé de toute part par des ennemis qui venaient lui réclamer remboursement pour une affaire dont il n’était absolument pas au courant.

Voilà maintenant notre quatuor réuni face à quatre Grashina qui voulaient leur arracher la tête, seul Morvian et Sawyer possédaient des armes, et encore, Sawyer utilisait des armes qui n’étaient pas adaptées à son style de maniement d’épée. Même Audisélia ne savait pas si elle pourrait s’en sortir face à ces créatures monstrueuses.

- Sélia, je t’autorise à utiliser ce que tu sais devant tout le monde, lui dit Sawyer.

- J’en ai déjà fait usage, tu sais, lui fit-elle remarquer.

- Mais pas à la vue de tous, je suis au courant.

- Je prends note que tu es au courant de mes cachotteries.

Audisélia leva sa main et avec son magnétisme attira vers elle toutes les armes métalliques qui se trouvaient aux alentours et leur dégota à tous une arme adéquate : un marteau à réacteur pour Globox, deux épées longues pour Sawyer, une épée lourde pour Audisélia qui pourrait utiliser l’électricité à travers elle et Morvian avait déjà son bâton.

- Vous savez qu’on a peu de chance s’en sortir ? déclara Morvian, même si on les bat, il y a un tas de mages, de shamans, soldats équipés d’armes à feu, laser, à plasma, électrique et tout autres qui vont débouler et nous canarder.

- Ne t’inquiète pas, Morvi, lui sourit Audisélia, libère tout le monde, ça va les distraire un temps.

- « Morvi » ?

- Laisse tomber, elle aime donner de stupides sobriquets aux gens, lui dit Saywer.

- Pourtant, elle ne m’en a toujours pas donné, fit Globox.

- C’est que tu n’es pas là quand je l’emploie, Glolard, lui répondit la princesse.

- Espèce de…, grinça des dents Globox.

Plus le temps de rire, les Grashina foncèrent sur les enfants et frappèrent là où ils se trouvaient à l’unisson, tous les quatre esquivèrent leur assaut, les trois fées en volant, l’ogre en faisant une roulade puis partit frapper un grand coup dans la cheville de l’un des gardes qui posa un genou à terre. La Princesse Bandit passa entre leurs jambes et commença à taillader le dos de l’un des pachydermes humanoïdes à quatre têtes mais fut surpris par l’une d’elles qui lui cracha des flammes dessus. Elle les esquiva de justesse, puis fut pris en chasse par l’éléphant quadtêtes qui balançait sa masse de pierre partout. Toutefois, ses gestes étaient bien trop amples et trop lents pour toucher d’une quelconque façon la fée. Celle-ci esquiva aisément les coups de masse de son opposant avant de se poser dessus et d’électrocuter son possesseur en lui tirant un éclair en plein thorax, l’intensité électrique de l’éclair était si grande que des bulles de chair commencèrent à apparaître et à éclater sur son corps, le terrassant sur le coup et le faisant mettre pied à terre.

- N’attente plus jamais à la vie d’une princesse du royaume de Sylvania.

Sawyer se téléporta en effectuant la danse des doubles lames et en volant tout autour de sa cible, il déplaçait toutes les attaques de son opposant sur tous les tireurs qui voulaient s’en prendre à eux, ce qui risquait aussi de toucher les spectateurs, mais sa priorité était sa princesse. Il tourbillonna sur le bras du Grashina qui lui faisait face lui dessinant un tourbillon allant de son poignet à son épaule avant d’arriver à ses têtes et de lui trancher toutes ses trompes avant de planter ses deux épées sur le sommet de leur colonne vertébrale liant à tous leurs cous, le tuant instantanément.

Morvian ne s’était pas pris la tête, comme il l’avait fait avec la fée, il repoussa son adversaire avec un assaut de lancier sur son Grishana en faisant grossir de plus en plus son bâton jusqu’à le faire tomber dans le vide.

Il ne restait plus que Globox, mais celui-ci se retrouva dans une impasse lorsque son marteau lui explosa dans les mains. Une arme défectueuse – provenant de Xin Tuei sûrement. Il fut sauvé par Audisélia qui décida pour la première fois à utiliser le mana pour modeler un arc de foudre et mitrailler l’opposant de Globox de flèches jusqu’à que celui-ci soit raide comme un bâton et que Globox n’ait plus qu’à pousser le monstre dans le vide avec un fort coup d’épaule.

Exténué, les mains sur les genoux, Globox demanda :

- Maintenant, quelle est la suite du plan ?

- J’en ai vraiment aucune idée, dit Morvian, si on s’envole, on se fera canarder.

Audisélia réfléchit. Elle trouva un plan qui semblait fou, mais elle ne voyait aucun moyen de faire mieux.

- Morvian, jusqu’à combien de mètres peut s’étendre ton arme ? lui demanda-t-elle.

- Indéfiniment.

- Si tu savais comme ça me fait plaisir de l’entendre, lui sourit-elle, place-toi devant moi et rapetisse-le. Les garçons, mettez-vous à ses côtés.

Ils lui obéirent ne sachant pas ce qu’elle préparait.

- Six cents cieux, treize voûtes célestes, mille cumulonimbus, rassemblez-vous en ma main et donnez forme à ma colère…

Une boule d’énergie électrique se créa entre ses mains et elle détacha ses mains de cette boule en créant un arceau de foudre entre ses deux mains.

- … Que ma colère fasse pâlir mes assaillants et libère les miens : Canon de rayon de foudre écarlate.

L’électricité devint rougeoyante et la boule d’énergie électrique projeta un rayon surpuissant contre les gradins, perçant tout le trou avant de rejoindre le ciel.

- Qu’as-tu fait ? s’écrièrent Morvian et Globox.

Sawyer n’eut pas le temps de poser la question qu’Audisélia hurla à Morvian d’allonger son bâton. Ce qu’il fit sans plus attendre. Tous les quatre s’accrochèrent au bâton et s’envolèrent à toute vitesse, en entendant le ciel crier sa colère. Sawyer créa un portail pour attraper, au passage, Mathgen qui était submergé par ses assaillants, tous les cinq se retrouvèrent hors d’atteinte de la chimère qui fit son apparition, descendant du ciel, et qui dévasta le trou. Ils atterrirent auprès des crapauds cornus qui leur servaient de moyen de locomotion et Morvian ramena son arme auprès de lui en la rapetissant à la taille d’une aiguille, puis tous prirent la poudre d’escampette sur le dos de leurs montures.

- Tu penses qu’ils vont s’en sortir ? lui demanda Audisélia.

- S’ils suivent mes indications en volant les trains souterrains à la place des criminels qui les ont kidnappés, ils ont toutes leurs chances.

Ils retournèrent dans la ville adjacente au royaume de Sylvania, une fois arrivés là-bas, il était l’heure des adieux pour les camarades de circonstances et pour les sylvains de retourner chez eux.

- Je crois que c’est ici que nous nous séparons, déclara Morvian, en tout cas, merci de m’avoir aidé avant que tu foires, Princesse Bandit.

- Pas besoin de me remercier, grâce à toi, j’ai ses magnifiques habits et un nouvel ami au royaume, lui sourit-elle.

Morvian plissa les yeux, le visage dérouté.

- C’est génial pour toi…, dit-il en ne comprenant pas où elle en voulait venir.

- On va faire simple parce qu’elle aime prendre son temps à dire n’importe quoi, la coupa Sawyer dans son élan, elle veut que tu viennes avec nous.

- Euh… Je ne sais pas.

- Je ne crois pas t’avoir dit que tu avais ton mot à dire, dit-elle en lui attrapant le bras.

- Et je ne crois pas vous t’avoir autorisé à gambader pendant des jours sans autorisation, princesse Audisélia, s’exprima la reine Synomïa.

Tous se retournèrent mais ne virent qu’un espion chiroptera face à eux, tenant un cristal de communication. Puis, ils découvrirent qu’ils étaient encerclés par une tripotée d’espions.

Depuis quand sont-ils là ? se demandèrent tous les cinq.

- Vous pensez pouvoir vous soustraire ainsi à vos obligations ? les réprimanda la reine à travers le cristal, nous avons failli nous en aller sans vous, heureusement que nous avons pensé à regarder les rapports de sortie. Et vous autres, dit-elle en s’adressant à Globox et Sawyer, il y a quelqu’un qui a quelques mots à vous dire.

On entendit un fracas à travers le combiné cristallin puis la voix de Caemgen résonna à travers le cristal de communication.

- Vous deux ! N’êtes-vous pas censés surveiller votre princesse ? Une fugue d’une princesse en pleine visite diplomatique… Imaginez-vous, un seul instant ce que cela provoquerait comme problème si elle s’était fait kidnapper, voire pire, tuer ? Et toi Mathgen, ne crois pas que je ne sais pas ce que tu as fait.

- Mais mon oncle…, se défendit Mathgen.

- Tais-toi ! le réprimanda le Paladin de la Reine Synomïa, nous réglerons cela plus tard. Rentrez au royaume ! s’égosilla-t-il.

Les espions ramenèrent la petite troupe à l’intérieur du royaume en les entourant de leurs corps, les jeunes adultes se laissèrent faire et les suivirent.

- Au moins, j’ai eu ma ceinture de championne…, se réjouit à voix basse la fée.

- Content pour toi, la félicita Sawyer sans en penser un seul mot.

Audisélia l’observa du coin de l’œil et n’osa rien dire. S’ils s’étaient entraidés à l’intérieur de l’arène, cela ne changeait pas qu’ils étaient toujours en froid tous les deux, et Audisélia ne savait pas comment arranger les choses, à part entrelacer ses doigts, elle n’effectuait rien de productif. C’était arrivé de nombreuses fois qu’ils se disputent mais c’était toujours la faute de Sawyer qui perdait patience avec elle car elle n’arrivait pas à s’occuper d’elle-même. S’enfermant sur elle, d’obscures pensées se mirent à rejaillir de son esprit : « À quoi bon… ».

Elle sentit deux coudes lui taper le dos, elle se retourna et vit Mathgen et Globox se pencher vers elle.

- Ne devrais-tu pas t’excuser ?

- Mais je ne sais pas comment faire ? En plus, devant tout le monde…

- Il n’y a rien de gênant à cela, en plus, cela deviendra pire si tu ne le fais pas, lui dit Mathgen, regarde, moi je devrais m’humilier devant mon oncle pour lui demander pardon, si je ne faisais pas cette concession les choses pourraient encore plus s’aggraver. C’est qu’un conseil, hein. T’en fais ce que tu veux après, lui dit-il en haussant les épaules avec dédain.

Ils avaient raison.
Si elle ne faisait rien, peut-être ne se parleraient-elle plus jamais de leurs vies…

Tu dramatises beaucoup, gamine.

Elle s’approcha alors de Sawyer, s’arrêta et s’excusa humblement envers lui avec une voix forte qui brisa les tympans des gens aux alentours.

- Tu n’avais totalement pas besoin de m’hurler dans les oreilles.

- Au moins, comme ça, tu n’aurais pas fait semblant de ne pas m’entendre.

- N’abuse pas. Je n’aurais pas fait ça, enfin possiblement, ricana la fée-soldate.

- Alors on est réconciliés ?

Revêtant une moue attendrissante, elle lui enfonce un regard perçant, implorant le pardon de son protecteur. Sawyer soupira et sourit :

- Oui, Sélia, nous sommes réconciliés.

- Tu me coifferas alors ?

- Tu t’es excusée pour ça ?

- En partie… En plus, tu es le seul que je laisse me peigner.

- Rah ! râla la fée-soldate.

Les autres observateurs pouffèrent de rire devant cette scène de vieux couple.

Maintenant, réconciliés, Audisélia en profita pour présenter en bonne et due forme leur nouveau compagnon.

- Voici notre quatrième compagnon : Morvian Son Chen !

- Salut, dit-il humblement en secouant la main.

C’est sur cette bête présentation que naquit l’amitié du quatuor d’orphelins. Que d’aventures, de batailles et de guerres les attendaient…

Toutefois, la suite n’était pour tout de suite puisque le sommeil, et donc le rêve de Sawyer, fut interrompu par l’arrivée impromptue de la reine Audisélia qui entra par la fenêtre de ses appartements.

- Tu recommences ça ?

- Laisse-moi tranquille. Je suis venue prendre un petit remontant, et je vois que je ne suis pas la seule à en vouloir un, nota-t-elle en voyant le verre de whisky qu’avait dans la main son saint chevalier.

- Je n’ai même pas eu le temps d’en profiter correctement….

La reine lui prit la bouteille de whisky et en but une gorgée avant de la poser sur la table juste à côté de Sawyer et de se poser contre le mur où se situait la fenêtre.

- Quel est ce rêve qui te faisait tant sourire ?

- Un souvenir. De nous quatre. Comment nous nous sommes rencontrés.

Audisélia pouffa.

- Tu es bien émotif. Aurais-je eu raison sur notre ami Globox ?

- Je te soupçonnais de l’accuser juste parce que tu ne l’aimais pas… mais il s’est révélé qu’il soit impliqué avec les Adeptes de Marrynélia.

- Tu es drôle toi. Morvian et lui m’insupportent peut-être mais restent mes meilleurs amis, qu’est-ce que je voudrais que l’un des deux soit un traître ?

- Je savais que tu avais un cœur bienveillant, mais seulement envers une poignée de personnes, dit Sawyer en s’enfilant une nouvelle gorgée de son alcool.

Audisélia ne répondit pas tout de suite. Elle ne comprenait pas s’il lui faisait un reproche, une boutade ou si cela était un état de fait pour lui.

- Peu importe ce que tu insinues, tu as tort. Je les apprécie autant que toi, ils sont mes frères d’armes et mes compagnons de route ! Mais bon, les informations fournies vont à contresens de ce que je voudrais.

- Il a avoué ?

- Le stratagème de notre petit protégé humain s’est révélé fructueux, indiqua-t-elle les yeux plongés dans le plafond, si les gens écoutaient ce que je leur racontais lorsque je leur parle de la légende du héros et de la fée, au lieu d’être suspicieux, ils ne se seraient pas fait avoir. J’imagine qu’on peut remercier leur stupidité, soupira-t-elle de dépit avant de reprendre une rasade de cet amer alcool orange.

Le silence s’imposa dans la pièce, ne laissant que comme bruit le son du vent passant dans les feuilles des arbres aux alentours. Puis Sawyer perça ce silence en se posant une question :

- Depuis combien de temps on est amis avec lui, dis-moi ?

- Je ne sais pas. Cinquante ? Soixante ? Par là.

- Sûrement. Et combien d’années nous a-t-il menti ? Que pense-t-il de nous ?

- Ne te tracasse pas avec cela, Sawyereli. Lorsque cela concerne cette folle dingue, il ne vaut mieux pas chercher de rationalité.

- Quand bien même…

Audisélia déposa la bouteille sur la table et partit s’asseoir sur l’un des accoudoirs du fauteuil de Sawyer. Ainsi dans cette pièce plongée dans les ténèbres accompagnée de la noirceur de la nuit, éclairée seulement par les pierres luminescentes de la carapace de la tortue géante, aucune des deux fées ne percevait la tristesse de l’autre.

Et c’était mieux ainsi.

Audisélia déposa sa tête sur celle de Sawyer, et ne dit rien.

Elle ne voyait pas comment le rendre heureux, aucune blague, aucun trait d’humour n’était envisageable, à part pour rire jaune. C’est Sawyer qui décida de lui poser une question.

- Quand aura lieu le raid sur la base des Fanatiques de la Félonne ?

- Le dernier jour des demi-finales, lui dévoila-t-elle, selon notre informatrice et les informations de Detsine, c’est le meilleur jour pour les attraper tous.

- Tu ne pourras pas venir alors puisque c’est le combat du fils d’Elena.

- C’est pour ça que je veux que tu m’assures que tu feras les choses bien.

Il leva la tête vers elle.

- S’il n’y a aucun moyen de le sauver, Sélia… Rappelle-toi avec mon père.

- Je le sais. Juste fait ce qu’il y a à affaire.

- Morvian est au courant ?

- Non, je ne voulais pas gâcher sa dernière soirée avec son ami de toujours. Il m’en voudra sûrement de lui avoir rien dit.

- Il te mettra sûrement son bâton dessus pour que tu ne te relèves pas.

- J’aurai qu’à me téléporter, sourit tristement Sawyer.

Mais comme attendu, cette tentative d’humour ne fit que rendre l’atmosphère encore plus pesante.

- D’abord Elena et maintenant, Globox. Qui sera le prochain ?

- Certainement moi, Morvian est trop bête pour mourir ! Et toi et ta satanée invincibilité…

- C’est dans ta tête que je suis invincible, lui tapota-t-elle la joue avec son poing, et ne dis pas de choses aussi terribles. Je ne veux pas te perdre.

- Désolé. Pour te réconforter, tu veux bien que je te brosse les cheveux ?

- Avec grand plaisir.

Elle s’assit devant lui et Sawyer tira sur toutes les bougies avec de la magie simple des flammes pour éclairer la pièce, puis partit chercher le peigne fétiche de la reine. Lorsqu’il revint, il la retrouva recroquevilla sur elle-même, le visage collé contre ses genoux. Sawyer ne dit rien et se replaça sur son fauteuil, plongeant sa main dans la longue chevelure lisse de la reine et y glissa son peigne, à chaque coup, il l’entendit renifler, mais resta silencieux, gardant pour lui le contenu de son cœur.

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