ERUNF : la fatigue d'Audisélia et les remerciements de Rivkaé
Quelques minutes plus tôt, après qu'Audisélia ait réprimandé Sawyer pour l'avoir encore vu en train de jouer à des jeux d'argent, prenant le chemin de sa chambre comme elle l'avait initialement prévu. Elle ne savait même plus pourquoi elle s'était rendue dans le salon de jeu, mais elle n'aurait jamais pensé qu'elle aurait été témoin, une nouvelle fois, de l'addiction de Sawyer au jeu d'argent alors qu'elle lui avait expressément interdit de pratiquer cela ! Si elle était dans son état normal, elle serait dans une colère noire, au point qu'elle aurait pu s'imaginer en train de tordre le bras de son chevalier devant tous les joueurs autour de la table – Mathgen allait bien sûr y passer aussi –, mais elle se sentait fatiguée.
- Cela fait-il aussi longtemps depuis ma dernière grippe ? se demanda la reine.
À cet instant précis, son seul désir était de se reposer dans sa chambre et de faire une sieste réparatrice jusqu'à leur arrivée à Atlantis. Malheureusement, un contretemps inattendu se présenta sur son chemin. Un contretemps qui ne pouvait être résolu ni par la force de ses poings ni par le tranchant de sa lame, car c'était quelqu'un qu'elle respectait - et qui la respectait en retour - qui s'approchait d'elle d'un pas décidé.
- Rivkaé, j'espère que je ne t'ai pas fait trop mal avec mon coup de coude ? demanda Audisélia.
- Oh non, ne vous inquiétez pas ! J'ai l'habitude avec vous !
Mais qu'est-ce qu'Audisélia lui faisait subir en coulisse ?
- En fait, je voulais vous parler depuis un moment..., commença Rivkaé.
Audisélia plissa les yeux et eut un rictus agacé. En général, elle aurait volontiers écouté les palabres de ses interlocuteurs, quel qu'il soit, que cela dure quelques secondes, quelques minutes, quelques dizaines de minutes, quelques centaines de minutes, quelques heures, des dizaines, des centaines d'heures ! Même des jours, voire des semaines... Elle avait la capacité d'écouter attentivement quiconque s'adressait à elle – capacité qu'elle aurait bien voulu faire profiter à son fils, et qu'elle comptait bien lui faire profiter dès que le tournoi se terminerait –, mais à ce moment précis, à cet instant précis, dans cet entrebâillement temporel précis, la seule chose qu'elle ne voulait pas faire c'était écouter les jacassements d'autrui ! Elle voulait qu'on la laisse tranquille, que cette jeune naine, qu'elle appréciait énormément et qu'elle considérait comme une petite sœur qu'elle avait adoptée elle-même et dont elle avait aidé à faire les premiers pas, s'en aille car sa tête commençait à lui faire aussi mal que puisse avoir mal une pastèque éclatée au sol.
- Tu veux démissionner des Saints de la Reine ? demanda Audisélia.
- Oh non ! Non, non, non ! réfuta la naine, je n'ai aucune envie de vous quitter !
- Alors est-ce qu'on peut en parler ultérieurement ? proposa la reine.
Rivkaé ouvre la bouche, mais se ravise, levant ses longs bras et serrant ses mains contre sa poitrine avant de les rebaisser et d'hocher la tête avant de tourner les talons.
Audisélia soupira.
- Demoiselle Rivkaé, dites-moi ce qui obsède tant votre esprit.
La chevalière naine se retourna instantanément lorsque la reine accepta finalement sa demande. Son visage vert rayonnait si intensément qu'il en éblouissait la reine.
Toutefois, la reine espérait que ça ne serait pas une énième expression de sentiments amoureux qui risquerait de ne pas être réciproque.
Effectivement, la reine, bien qu'elle fût connue comme une bête de guerre assoiffée de morts et de batailles, surnommée « l'Arme Vivante de Sylvania », n'ayant aucun succès auprès de ses successeuses et de leurs familles nobles, la trouvant bien trop garçon manqué, alors qu'elle faisait autant d'effort qu'elle pour restait féminine, attirait le regard de tous dans le royaume et beaucoup en étaient tombés follement amoureux, mais bien qu'elle rendît à son peuple le même amour qu'elle lui portait en étant digne de son statut et du second surnom qu'ils lui avaient attribué, elle ne voyait aucun des habitants de son royaume comme un potentiel amoureux, si ce n'est lui...
Je tiens à faire un petit aparté mais je n'ai nul besoin de la voir pour savoir qu'elle se retient de rougir en ayant pensé à ce « lui »... Idiote, va ! T'as l'âge d'une grand-mère humaine pré-catastrophe quand même !
Même si personne ne se pressait au portillon pour se présenter en tant que potentiels prétendants à cause de sa réputation, de son tempérament et de sa personnalité, certains s'y sont déjà tentés – et ils se comptent sur les doigts de la main – mais tous, sans exception essuyèrent un gentil et chaleureux refus. Que cela soit avant sa rencontre avec Elena lorsqu'elle n'était encore une soldate prétendant au trône de Sylvania, après le coup d'épée de cette dernière, avant sa dépression, après la Grande Epuration Gouvernementale... Enfin jusqu'à maintenant, elle avait refusé toute tentative de nouer une relation amoureuse avec quelqu'un qui ne soit pas ses deux amours de jeunesse. Un désormais.
Et comme pour les autres, cela la gênerait de devoir le faire pour sa protégée Rivkaé, elle serait prête même à lui mentir en disant qu'elle se considère comme une mère quand elle est à ses côtés, mais étant donné le comportement qu'elle a eu avec le Héros, cela serait un bien trop gros mensonge aux yeux de tous.
Elle pourrait très bien lire dans ses pensées pour deviner ce qu'elle s'apprêtait à lui déclarer mais la fatigue qu'elle subissait était bien trop grande, et surtout, jamais, au grand jamais, elle ne se permettait de couper l'herbe sous le pied d'une personne qui se déclarait ou se confier à elle, quel que soit la raison – dans des cas raisonnables.
Puis elle se souvint qu'elle lui avait quand même mis un coup de coude sur le pont et l'avait enfoncé dans le sol pour calmer leurs ardeurs à elle et son rival.
- Dame Audisélia, reine de Sylvania, je... je voudrais... je voudrais vous remercier !
Les paupières d'Audisélia s'agrandirent d'un seul coup. Ça, elle ne l'avait pas vu venir. Toutefois, elle ne dit rien, la laissant poursuivre.
- Bien que vous soyez une personne au tempérament parfois exécrable et pouvait être violente pour un rien...
Je ne m'attendais pas à ce qu'elle lui dise cela aussi frontalement, en la regardant dans les yeux. Cependant, au regard d'Audisélia, il était évident que cela ne la déstabilisait en aucune façon.
- ..., je vous ai toujours admiré. Que cela soit lorsque vous étiez enfermée dans votre château, lorsque je jouais au bouffon devant les nobles, quand vous m'avez recruté parmi les Saints Chevaliers ou quand je m'entrainais avec monsieur Sawyer... vous avez toujours été une source d'inspiration pour moi. Malgré les douleurs chroniques que j'avais aux bras et à mes cicatrices, et mes incessants vomissements causés par le mal qui habite mon corps, j'ai continué à m'entraîner et à combattre de toutes mes forces pour être digne de la confiance et de la chance que vous m'avez offerte depuis le début de notre rencontre, non seulement, en m'ayant une éducation que beaucoup d'entre nous, dans les Basfonds auraient souhaité obtenir, faisant de moi une Sainte Chevalière, mais en m'ayant sauvé la vie dans ma ville natale. Parfois, mon égo me fait sentir comme une sorte d'élue, choisie par la grâce de la Héraut d'Eclina, mais je sais me rappeler que c'est juste une question de chance et que je me dois de ne pas gaspiller cette opportunité que je n'ai jamais mérité. Tout cela pour vous signifier mon amour et mes profonds respects pour vous, que je vous aime comme un membre à part entière d'une famille que je n'ai jamais eu, vous et les autres Saints, et que...
Des larmes naquirent dans les coins des yeux de Rivkaé, en faisant de s'écouler comme une averse le long de ses joues verdâtres.
- ... même si vous n'êtes plus reine de Sylvania, je vous aimerai quand même et vous suivrai partout où vous irez !
Si vous doutiez encore que la reine n'utilisait pas ses pouvoirs sur ses interlocuteurs qui lui confiaient un secret ou lui faisait une annonce, cette fois-ci vous pourrez le croire en sachant qu'elle n'avait aucunement anticipé que Rivkaé se jetterait dans ses bras et collerait sa tête contre ses hanches, mouillant sa robe de ses larmes – et j'imagine... de sa morve.
- Moi, je n'ai pas envie que vous vous en alliez ! Vous êtes la personne à laquelle je teins le plus au monde !
La reine lui caressa le dos, soulageant sa peine, avant de se mettre à sa hauteur et de la prendre dans ses bras, ce qui fit encore déclencha une tempête de larmes sur le visage de Rivkaé.
- Si tu le souhaites, ma petite naine, tu peux m'enserrer dans tes bras.
Et elle ne se fit pas prier.
Bien que les mains de Rivkaé coincées dans ses gants de fer touchassent ses ailes de fée, Audisélia n'en avait cure. L'amour que lui portait une autre de ses protégées étaient bien plus grand et bien plus important que la gêne qu'elle ressentait à ce qu'on lui touche cette partie de son corps. Cette scène qui n'avait duré qu'une minute au regard du temps, avait paru être figée dans celui-ci pour l'éternité.
- Vous ressentez tous cela parmi les Chevaliers ? demanda Audisélia d'une voix douce et apaisante.
- Je ne sais pas pour les autres, mais moi, oui !
Lorsqu'elle prononce cette phrase, Rivkaé serre encore plus la reine dans ses bras, pendant que celle-ci lui caressait délicatement le dos pour la calmer.
- Moi aussi je voudrais te dire quelque chose.
La naine aux longs bras robotiques retira l'étreinte qu'elle avait sur sa reine, recula de quelques pas, essuya ses larmes avec ses mains bioniques en faisant bien attention à ne pas se faire mal et ouvrit ses esgourdes pour écouter ce qu'elle avait à lui dire.
- Tu sais, tout à l'heure, je t'ai dit qu'aucune de tes blagues ne m'avaient fait rire du temps que tu étais la bouffonne des Nobles Saints, ce que je voulais dire c'est que... te voir faire des pitreries pour divertir ces gens qui te méprisent n'est pas quelque sur lequel je pouvais me permettre de m'amuser.
Audisélia s'accroupit et réduisit sa taille pour être à peu près à sa taille lui dit la reine en s'accroupissant et en réduisant sa taille pour atteindre la hauteur de la chevalière-naine, puis elle lui attrapa fermement l'épaule, ce qui fit cligner d'un œil Rivkaé qui s'attendait encore à recevoir un coup de la part de la reine, mais ce qu'elle lui donna fut un profond sourire et un regard plein d'encouragement.
- Rivkaé, lui dit la reine avec un ton profond, rien ne t'oblige à être la chevalière de la prochaine reine de Sylvania, si ce qui t'amuse le plus, c'est de faire rire les autres alors soit le clown de la populace, fais rire les vieux croutons qui pensent ne plus trouver une once de joie dans leur quotidien morne, fais rire les miséreux qui n'ont rien pour les amuser si ce n'est rire de leur pauvreté et de leur désespoir, fais rire les enfants des Basfonds qui ont du mal à garder leur innocence, voire l'ont déjà perdu à cause des affres de la vie qui les ont rendu plus mâture qu'ils ne devraient l'être...
D'un coup son regard devint blafard, son visage s'assombrit, sa tête chuta en même temps et se mordit la lèvre.
- ... comme je n'ai jamais pu le faire moi-même...
- Ma reine...
Rivkaé saisit la main qui lui tenait l'épaule et la plaça entre ses mains métalliques dorées aux jointures vertes, la lui serra tendrement et lui dit :
- Lorsque vous m'avez recueilli, j'étais encore une enfant, et même si vous n'êtes pas la plus drôle des personnes, vous êtes la première à m'avoir fait sourire depuis ma naissance en m'offrant, par l'intermédiaire du capitaine Vanguard et Fokatino, des bras, en m'offrant des soins qui me permettent de me maintenir en vie, une véritable éducation, un rôle beaucoup plus digne que ce je faisais auparavant, en nous offrant un titre qui nous rassemblait sous une même bannière... Vous faites déjà beaucoup plus que ce que vos prédécesseurs ont pu faire, alors ne vous lamentez pas tant que ça.
Audisélia avait honte.
Elle n'avait pas voulu inquiéter, ni quémander de la pitié. Son égo était incapable de supporter qu'on la prenne en pitié alors qu'elle est la protectrice et régente de Sylvania, comment avait-elle pu autant baisser sa garde et rendre les plaies de son âme si visible ? Et pourtant, si elle possédait bien une âme, celle-ci voulait hurler toute la douleur qu'elle renfermait en elle.
- Je..., commença-t-elle.
- Il n'y a pas besoin d'en dire plus, votre cœur parle bien plus que vous ne pourrez le faire.
La reine a un petit rire.
- Serait-ce stupide de te remercier alors que tu es venu me remercier ? demanda-t-elle timidement.
- Loin de là, lui répondit-elle joyeusement, ça tient à la limite de la cocasserie, sinon.
Entendant cela, Audisélia se relève vaillamment, saisit sa chevalière par les aisselles et la soulève en l'air en tournant sur elle-même. Avec un sourire éclatant et les yeux fermés, Audisélia remercie Rivkaé pour ces gentils mots à son égard, bien que cela l'énerve que ses sentiments se soient dévoilés aussi facilement.
- Mais ce n'est rien, je vous ai dit ! rit la naine.
Ensuite Audisélia la pose délicatement sur le sol du poulpembarcation.
- Tu es une incroyable personne, Rivkaé, ne l'oublie jamais.
- Je vous en remercie. Et avant que je m'en aille, j'avais une dernière question.
- Laquelle ? Dis-moi tout ! demanda Audisélia en s'agenouillant en face de la naine aux bras de fer, les mains sur les genoux.
Rivkaé pointa du doigt le sommet de la tête de la reine.
- Est-ce que c'est normal que les racines de vos cheveux soient rousses ? Vous avez fait une teinture ?
A cette mention, le visage d'Audisélia se déconfit brutalement. Son joyeux sourire s'effaça en un instant et ses beaux yeux qui s'étaient mis en amande grâce aux mots de sa protégée devinrent des larges orbites rondes vides de vies. Elle tomba sur son derrière, ses mains étaient tremblantes et ses lèvres grelottantes. Elle qui venait de dire qu'elle était honteuse de se montrer si faible devant une des nombreuses personnes qu'elle se devait de protéger, à qui elle devait montrer l'exemple, alors était-elle consciente de l'image qu'elle renvoyait en montrant pour la première fois de sa vie ce visage terrifié ?
Rivkaé tenta de s'approcher, lui tendant l'un de ses bras bioniques en direction de celle qu'elle est censée protéger, mais Audisélia la repousse avec une vague de magie qui l'a fait s'écrouler par terre et rouler jusqu'au chariot qu'un servant avait laissé là. Malgré cela, Rivkaé se relève et court en direction de la reine pour comprendre ce qui était en train de se passer, mais lorsqu'elle fut à deux mètres de la reine, celle-ci se stoppa nette lorsqu'un éclair lui frôla la joue, la lui brulant et y faisant couler du jus écarlate sur son visage. Alors qu'elle lui montrait son dos, le corps recroquevillé sur elle-même, la seule chose qui allait dans son sens était le bras gauche de la reine était tendu vers elle, l'index et le majeur électrifiés pointaient dans sa direction. Rivkaé était sans voix devant cette scène totalement hallucinante, encore plus en observant le comportement de la reine : son visage qui était caché par l'ombre projeté de son corps ne laissait entrevoir que ses yeux étincelants qui la foudroyaient du regard, elle n'était plus face à la vaillante reine admirée et honnie de tous, mais face à une bête totalement affolée dont elle n'arrivait plus à percevoir la bravoure. Elle était consciente de l'imprévisibilité d'Audisélia, mais ce comportement était bien trop différent de tout ce qu'elle avait pu arborer auparavant, son instinct et le regard meurtrier que lui envoyait Audisélia lui hurlaient que si elle se rapprochait d'un pas de plus, elle ne serait plus que cendres.
Ses yeux étaient terrifiants, ils étaient ceux d'une bête blessée prête à tout pour survivre. Ça n'avait aucun sens pour Rivkaé, à aucun moment elle ne l'avait blessé et n'a pu être menaçante envers elle, elle n'en avait tout bonnement pas les capacités ! Alors cela ne pouvait s'agir que d'une seule chose : de sa remarque à propos de ses racines de cheveux. De souvenir, elle n'avait jamais entendu que la coloration des cheveux ou les cheveux en eux-mêmes avaient une quelconque valeur pour les fées, de toutes espèces. Etant majoritairement des êtres spirituels, leurs corps pouvaient être malléables comme bon leur semblent tant qu'ils gardaient la structure de base du corps d'une fée, alors ils pouvaient changer de couleur de cheveux à leur gré. Par conséquent, pourquoi réagissait-elle comme cela ?
Bien qu'aux yeux de la reine et des autres chevaliers, Rivkaé n'était encore qu'une gamine – alors qu'elle était déjà une femme naine adulte –, elle était celle qui cherchait le moins la confrontation – sauf avec son rival de toujours –, alors elle fit ce qu'il y avait de plus raisonnable à faire dans cette situation : reculer.
Elle fit un pas, puis deux, puis trois, puis quatre... jusqu'à qu'elle soit assez écartée pour qu'elle ne se sente plus menacée par sa présence. Jugeant qu'elle était assez loin, Audisélia abaissait son bras et mit sa main sur le sommet de sa tête, cachant la partie des racines rousses que semblait avoir vu sa protectrice, puis ses yeux disparurent dans la pénombre.
Et à peine quelques secondes plus tard, Rivkaé entendit des sanglots provenant de la reine, elle tendit l'oreille, mais étant une naine et non, une fée, un elfe, un yolentor ou encore une thérianthrope chauve-souris..., elle n'avait pas l'ouïe assez fine pour distinguer intelligiblement ce que disait la reine. Allant contre son instinct primaire, elle s'avança vers sa reine, pour entendre ses paroles qui ne lui parvenaient, et elle finit par arriver à une distance assez proche pour l'entendre implorer.
- Ne me laissez pas ! sanglot-elle avec une voix à peine discernable de ses pleurs, ne me haïssez pas ! S'il te plaît Sawyer, sauve-moi ! Maman, maman, pourquoi m'as-tu fait ainsi ? Pourquoi m'as-tu trahi Globox ? Je l'ai mérité, hein ! Aidez-moi, je vous en supplie...
Voilà ce qu'entendait Rivkaé. Voilà ce qui tirailla le cœur de celle qui admirait tant cette femme qui répétait ces phrases inlassablement dans le désordre. Quelque chose se brisa en elle ou plutôt l'image qu'elle avait de cette femme si forte s'était érodée pour la faire redescendre parmi les mortels qu'ils étaient.
Rivkaé retira sa main qu'elle pressa contre sa poitrine pour la tendre vers sa reine, mais elle fut arrêtée dans son mouvement par l'arrivée de Sawyer et Morvian qui vinrent des deux côtés du couloir.
- Qu'est-ce que tu as fait Rivkaé ? hurla Morvian en attrapant le bras de subordonnée.
Rivkaé fut terrifiée devant la colère de la fée-dragon qui d'habitude paraissait si clémente, aimable et nonchalante, à cet instant, à ses yeux, il n'était plus qu'une boule de nerfs prête à lui éclater dessus.
- Lâche-là immédiatement, ordonna Sawyer, elle n'a rien à voir avec l'état d'Audisélia. Cette fois-ci, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même...
Sawyer s'était penchée immédiatement au-dessus du corps de son amie et lui attrapa les doigts pour découvrir ce qu'elle lui cachait. Il avait du mal mais parvint à voir ce qu'elle voulait préserver à la vue de tous. Il soupira et sortit une aiguille hypodermique qu'il allait planter dans la nuque d'Audisélia, mais celle-ci lui attrapa le poignet au dernier mois et tourna ses yeux affolés vers lui.
- Pourquoi Sawyer suis-je ainsi ?
Le chevalier ne lui répondit pas et se retira de la poigne de son amie pour lui planter, l'aiguille, ce qui eut pour effet de l'endormir en quelques secondes. Il se releva et appela son subordonné pour qu'il l'aide à la transporter jusqu'à sa chambre. Celui-ci lâcha le bras de Rivkaé et s'exécuta, il attrapa les jambes d'Audisélia et Sawyer, lui attrapa ses aisselles, puis ils se mirent en marche.
- Et moi ? demanda timidement Rivkaé.
- Toi..., commença Morvian.
- Tu nous suis, l'interrompit Sawyer.
- Hein ? Mais...
Le simple regard de Sawyer à son égard le fit lui fit comprendre l'ordre qui lui venait d'être annoncé : se taire.
Tous les trois amenèrent la reine dans sa chambre, Sawyer ordonna à Rivkaé de rester devant la porte en attendant qu'ils sortent. Une fois dans la chambre, Sawyer et Morvian installèrent Audisélia soigneusement dans son lit, déplaçant délicatement le drap de feuille jusqu'à son cou. Puis le chef des Saints Chevaliers demanda à Morvian de l'attendre dehors, ce qu'il fit sans broncher.
Une fois seule, Sawyer retira la couverture de feuilles qui recouvrait Audisélia, et se mit à la dévêtir, faisant bien attention à ne pas toucher ses ailes, il lui retira sa robe de reine, la déchaussa de ses escarpins, déposa sa couronne royale sur la table de chevet, ôta ses bijoux et ses parures royaux, enleva ses collants, puis alla prendre dans l'armoire de la chambre la robe blanche de nuit d'Audisélia, soyeuse et délicate, il l'enfila à sa princesse, lui passant les bras au travers des manches et fit passer ses ailes à travers les ouvertures dans le dos de la robe.
Une fois vêtue dans son vêtement de sommeil, il la réinstalla dans son lit, la recouvrit de sa couverture comme elle était au départ, puis partit placer une chaise à côté du lit de sa reine et s'y assit l'observant longuement, les mains croisées devant sa bouche. Une ombre croissante obscurcissait son visage, couplé au silence qui se faisait de plus en plus sentir dans la pièce, le sang-froid de Sawyer commençait à flancher.
Mais d'une voix fluette, Audisélia s'exprima :
- Tu es fâchée ?
Le visage de Sawyer se rééclaircit, mais ce n'était pas pour autant qu'il retrouva le sourire.
- Comment ne veux-tu pas que je le sois quand tu fais ce genre d'âneries ? Je t'ai déjà dit à plusieurs reprises de ne pas mettre à plus tard ton jour de repos.
Elle voulut s'empresser de lui répondre, mais elle n'avait même plus assez de force pour faire un mouvement ou ouvrir les yeux, juste bouger les lèvres lui demandaient un effort incommensurable.
- Les princesses... succession... et puis... fils de Lena... Pluton...
- Même si on compte tout cela, Audisélia... rien ne t'empêcher de prendre une journée de repos avant notre départ. Regarde dans quel état tu t'es mise, tu avais failli tuer Rivkaé, tu t'en rends bien compte ?
Audisélia le savait. Au moment même où elle avait tiré son éclair de ses doigts, elle savait que si elle avait touché celle qui était censée être sa protégée allait tomber raide morte, le cœur pulvérisait, la peau calcinée et le corps totalement électrifié. Mais la peur qu'elle avait ressenti au moment cette jeune naine lui avait indiqué la rousseur naissante de ses cheveux, avait totalement pris le contrôle de son corps et... elle aurait peut-être été prête à la tuer pour garder son secret.
En pensant cela, des larmes s'échappèrent de ses pupilles closes.
- Pourquoi... pourquoi... suis-je... ainsi faite ?
Sawyer lui attrapa la main et caressa le dos de celle-ci pour la rassurer et la calmer.
- Peu importe la façon dont tu as été faite, ça ne change pas l'importance que tu as à mes yeux...
Entendant ces mots, Audisélia fut inspirée d'un second souffle qui habita tout son corps, ce qui lui permit de se jeter sur Sawyer dans un saut de désespoir. Elle l'atteignit difficilement, il fallut l'aide de sa cible pour qu'elle arrive à l'atteindre. Et lorsqu'elle eut réussi à s'agripper à lui, et le tient fermement dans ses mains.
- Audisélia...
La reine-fée grogna de désapprobation et releva la tête en larmes.
- Peut-être serait-il temps... que tu m'appelles... par ce qui semble être mon « prénom »...
Sawyer était désemparé.
Depuis combien d'années ne lui avait-elle pas fait cette demande ? Peut-être cela remontait même au décès de son paternel.
Pourquoi maintenant ?
- Sélia...
Audisélia baissa sa tête, l'air abattu, son visage affichant un rictus de dégoût mêlé à de la tristesse et de la déception.
- Alors..., ce n'est pas encore aujourd'hui... que j'aurais le droit d'exister par moi-même...
Soudain, à ses paroles, Sawyer saisit la reine par les bras et l'amena à sa hauteur, celle-ci ne put cacher sa surprise d'être empoigné de la sorte par son protecteur qui était toujours si doux avec elle. Tous les deux se regardaient dans le blanc des yeux, Sawyer avait une pointe de colère dans le regard tandis qu'Audisélia avait une pointe d'inquiétude et de regret dans le sien.
Était-elle allée trop loin cette fois-ci, se demandait-elle, après tout ce n'est pas à n'importe qui qu'appartenait ce prén...
- Je pourrais très bien me mettre en colère, l'interrompit Sawyer alors qu'elle était plongée dans ses appréhensions, mais je sais trop bien le tourbillon d'angoisses qui s'implantent et pourrissent dans ton esprit pour que je me laisse aller à une futile colère quelconque. Rappelle-toi, Audisélia, que bien que tu portes le prénom de ma mère, tu n'as à aucun moment usurpé son identité. Tu es Audisélia la reine de Sylvania, protectrice des Féériques de ce foyer en branle que tu t'évertues à protéger, et Audisélia ma mère, femme de Torn, est celle qui t'a offerte son nom pour que tu n'es pas à incroyable fardeau à porter. Et pour répondre à toutes les interrogations que tu te posais à l'instant : en ce qui me concerne, peu importe qui tu es, tant que tu es toi, je serais avec toi pour le restant de mes jours, lui dit-il en souriant.
A la lumière du sourire de Sawyer, les larmes de la reine esseulée cessèrent de couler, elle se détacha délicatement de l'étreinte des mains de son chevalier servant, et déposa ses mains sur ses genoux, puis approcha son visage du sien, de celui qui n'avait eu de cesse de la protéger.
Face au regard de cette femme vulnérable qu'il rêvait tant d'avoir à ses côtés, de posséder, d'obtenir après d'affres combats, face à ses fines lèvres qu'il n'avait eu de cesse d'observer du coin de l'œil, d'imaginer leur contact aux siennes, le fils de Torn allait succomber à l'appel de ses pulsions charnelles, obtenant ce qu'il rêvait tant d'avoir depuis le jour où il était tombé amoureux d'elle, depuis le jour où Audisélia lui avait avoué son amour pour la mère de son élève, depuis le jour où il n'avait eu de cesse de la réconforter et de lui rappeler que c'était un être incroyable... Il voulait aller à leur rencontre, il allait aller à leur rencontre, ce qui lui permettra de lui dire tout ce qu'il pensait depuis toutes ces années, tout ce qu'il avait sur le cœur, tout ce qui lui tirailla l'âme... Mais il savait que s'il le faisait, il l'empêcherait d'atteindre son but. Il n'aurait plus ce rôle d'accompagnant et d'aide royal, mais deviendrait son gardien qui l'empêcherait de faire toutes folies que ce soit... et il ne pouvait pas se le permettre.
Cet égoïsme ne pouvait être relâché.
Il la prit simplement dans ses bras et la serra très fort dans ses bras. Audisélia fut d'abord étonnée, mais comprit très vite, alors elle caressa son dos.
Il n'est pas encore l'heure pour nous deux..., pensèrent-ils en même temps.
Surtout pas dans ton état..., ajouta Sawyer dans son for intérieur.
Si Audisélia avait la capacité de pouvoir utiliser ses pouvoirs, elle aurait sûrement entendu cette dernière pensée... et l'aurait sûrement laisser filer.
Sawyer reposa sa demoiselle sur le lit, découvrant ainsi que toute sa chevelure qui d'habitude était d'une couleur pastel éclatante avait pris une couleur rousse flamboyante avec des pointes de pastel aux extrémités qui ne tarderaient pas à disparaître.
- Repose-toi bien cette-fois-ci, lui déclara Sawyer.
Le chevalier se leva et lui embrassa sur le front, avant d'ajouter :
- De toute manière, comme les autres fois, tu ne te souviendras pas de cette nouvelle crise...
Puis il se retira des appartements de la reine Audisélia.
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