Tour solitaire
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Le vent hurlait son désespoir aux oreilles de qui veut bien l'entendre. Mais à part le laisser s'engouffrer dans ses meurtrières, la tour ne s'intéressait pas à lui. Immense et étroite, elle endurait ses attaques rageuses. Elle se dressait, fière et droite, et résistait. Un seul homme se trouvait à l'intérieur. Il n'avait que faire du vent et de ses lamentations. D'autres préoccupations bien plus importantes occupaient son esprit.
L'homme semblait avoir la trentaine, arborait des cheveux noirs en bataille et un visage fatigué ponctué d'un regard implorant. Ils lui avait laissé ses vêtements mais ils étaient devenus sales et déchirés ; sa belle cape noire avait perdu toute allure. Évidemment, son apparence physique était le cadet de ses soucis. Assis par terre, l'homme essayait encore et encore. Reliée à sa cheville, une courte chaîne l'attachait au mur qui se trouvait à deux mètres de lui. Il ne se rappelait même plus depuis combien de temps il était là. Une seule chose lui restait en tête cependant : il fallait sortir. Il le devait. Il n'était pas à sa place dans cette tour froide et désolée. De temps en temps, il voyait des choses étranges. Des choses qui se passaient ailleurs. Des choses à donner froid dans le dos. Alors qu'il s'était résigné et avait laissé de côté la chaîne indestructible, il fut frappé par ce genre de visions. Il se tenait devant un autre homme attaché à une chaise. Battu récemment, du sang sortait de ses blessures, son oeil gauche était fermé et des ecchymoses d'un rouge sombre couvraient son visage. Il ne voulait pas, mais il se rapprocha ; il sentit ses lèvres remuer alors qu'il n'avait pas prononcé un mot. Il désirait s'enfuir, tout simplement. Il ignorait quels mots il avait dit mais le pauvre être cessa d'implorer sa clémence et se tordit de douleur. Finalement le prisonnier hurla. D'autres mots quelques instants plus tard et les souffrances s'arrêtèrent.
- Pitié... Je... J'ignore... où se trouve... pleura t-il.
- Menteur !
- Jaha... Pitié...
La vision se termina avant qu'il ait pu faire autre chose au malheureux contre sa volonté. Il était revenu au sein de sa tour de pierre, sa tour de solitude. Le torturé l'avait appelé Jaha, était-ce son nom ? Il ne rappelait plus de rien, juste qu'il voulait se libérer, ne plus assister à ce genre de scènes. Ne plus voir des hommes et des femmes se faire violenter, torturer, tuer pour des informations qu'ils n'avaient pas. Certains mourraient de manière digne, un dernier regard qui semblait presque du défi envers leur bourreau. D'autres partaient en pleurant, en appelant des personnes qui ne trouvaient jamais là. S'agissait-il de leurs familles auxquels ils avaient été arrachés ? Pour être emmenés il ne savait où ? Pour des renseignements obscurs ? Familles et êtres aimés qui vivraient dans la douleur ne pas connaître leur sort. Et lui ? Quelqu'un le cherchait-il ? Une personne l'aimait-elle et attendait-elle en dehors de cette prison ? Il s'assit, passa ses bras autour de ses jambes et enfouit sa tête entre ses genoux pour sangloter. Après un long moment, on ne saurait dire combien de temps, la lumière s'infiltrait peu à l'intérieur de la tour, Jaha redressa la tête et reprit peu à peu ses esprits. Il essaya de penser, en se concentrant, il pouvait peut être envoyer un message lors de sa prochaine vision. Dire à quelqu'un qu'il était là, piégé, incapable de se libérer. Il tenta de se rappeler du temps entre chaque phénomène pour tenter de prévoir le prochain mais malheureusement, les visions lui arrivait de manière erratique. Ensuite il essaya de se souvenir de tout ce qu'il avait entendu. Jaha, enfin l'autre, le tortionnaire, avait interrogé beaucoup de monde. Mais à chaque fois, les mêmes questions revenaient. Qui est-elle ? À quoi ressemble t-elle ? Où est-elle ? Avec qui est-elle ? L'a t-elle en permanence sur elle ? L'a-t-elle caché ? Où ? Les réponses étaient toujours les mêmes, les pauvres interrogés ne savaient rien. Ils ne pouvaient que pleurer et implorer pour leur vie même si, au final, cela ne servait à rien, Jaha le tortionnaire prononçait les mots qui les faisaient basculer vers la mort. Il secoua la tête pour chasser les images des cadavres de ses pensées. L'autre était apparemment à la recherche d'une femme. Mais il semblait ignorer qui elle était exactement vu qu'il demandait son nom et son apparence aux interrogés. En tout cas, il voulait un objet en possession de la femme et, considérant les méthodes employées, Jaha n'allait rien faire de bien une fois qu'il l'aurait obtenu.
Il se demanda pourquoi il voyait à travers les yeux du tortionnaire lors des visions, y avait-il un lien entre eux ?
Jaha... Il réfléchit fortement à ce nom. Il lui évoquai les tortures de ce malade mais une autre pensée lui vint à l'esprit. Il voyait une forêt luxuriante, le soleil ne perçait que difficilement à travers les feuillages la lumière au niveau du sol était assez faible. Il se promenait sans hâte en observant les environs. Il imaginait les rires des enfants, leurs yeux qui pétilleraient quand il leur racontait des histoires au coin du feu le soir avant de retrouver les bras de la femme qu'il aimait.
Il se sentait presque sourire en y repensant. Étrange sensation que de sourire, pensa t-il, alors sa vie n'était plus qu'habitée par le vide, les visions et la souffrance.
Alors qu'il flânait dans ces bois, il sentit une piqûre au niveau de son cou. Par réflexe, il se frappa mais ne réussit pas à tuer l'insecte, qui s'envola et disparut entre deux arbres. Son cou commença à le démanger de manière très violente quelques dizaines de minutes plus tard. Son état s'aggrava rapidement, sa vue devint floue, se tenant le cou il s'appuya contre un tronc. Il tituba pour essayer de continuer à marcher et quand il réalisa qu'il ne pourrait pas atteindre le prochain village pour se faire soigner, il s'évanouit. Enfin il se réveilla et tâtonna son cou : la peau était lisse il n'avait aucune trace de la piqûre ni de démangeaisons. Et il était resté là depuis, seul. Il n'était pas plus avancé qu'auparavant...
- Alors, on se creuse les méninges ?
- Qui parle ? Où es-tu ? dit-il en se relevant.
- Personne ne parle imbécile. Il est évident que tu es tout seul ici ! Pauvre de toi, bouhou... Tu vas encore pleurer ?
Alors il comprit. Cette voix provenait de son propre esprit. Il n'y avait personne pour lui parler, il n'y avait jamais eu personne. Personne pour lui apporter à boire ou à manger alors qu'il était là depuis des semaines.
- Tu es sur la bonne voie... l'encouragea la voix, grinçante.
- Mais qui es-tu ? demanda t-il avec les larmes aux yeux.
- Je suis toi. Et tu es moi. Enfin non puisque je t'ai enfermé ici. Je suis juste toi. Tu n'es rien. Rien qu'une chose que je dois garder pour survivre. Tu as aimé quand je t'ai laissé regarder ?
La dernière chose dont il se rappelait était son évanouissement après la piqûre. Il réalisa soudain que l'insecte était un taon géant de la forêt d'Arval ; espèce qui pondait des œufs dans le corps des humains. Il se remit à pleurer de désespoir. Il comprenait tout. La forteresse abandonnée, le temps qui ne passait pas, les voix et visions à l'intérieur de son esprit, les torturés qui connaissaient parfois son nom. La larve avait atteint son cerveau via ses vaisseaux sanguins et avait pris le contrôle total de son corps. Elle l'avait enfermé, muré, dans un recoin de son esprit et il était coincé à l'intérieur avec aucun espoir d'en sortir.
- J'ai... fait ça... à tous ces gens... sanglota Jaha en prenant sa tête dans ses mains.
- Tu as aimé ? Leurs petits cris exquis de souffrance ? Leurs gémissements ? J'ai trouvé ça magnifique !
Il ne pouvait pas s'imaginer avoir fait ça. C'était tellement différent de sa personnalité enjouée, altruiste, aimante. Penser que les autres croyaient qu'il avait fait tout cela de sa propre initiative le brisa et il fut incapable de continuer à se battre avec la voix qui continuait.
- Je vais te laisser gérer tout ça, tu as l'air d'en avoir besoin. Je te laisserai encore regarder si je suis dans un bon jour. dit-il d'une voix méprisante.
- Mais pourquoi me fais tu faire ces choses horribles ?
- Pour le pouvoir ! Je n'en ai pas assez ! Il me faut la pierre ! Je l'arracherais du cadavre encore chaud de sa gardienne ! Toute sa puissance sera à moi, Jaha de la Gorge Noire ! La piqûre de ma mère a laissé une belle cicatrice noire sur ton cou alors les gens t'appellent comme cela maintenant. J'aime bien.
La voix ricana dans l'esprit de Jaha, qui s'écroula sur le sol, vaincu, impuissant.
- À l'aide ! cria t-il, sachant pertinemment que personne ne l'entendrait.
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