Visite surprise.

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Point de vue : Lorenzo.

La nuit recouvrait Las Venturas d’un voile de néons et d’ombres mouvantes. La ville ne dormait jamais vraiment mais dans ce quartier plus modeste, le silence régnait. Un calme presque oppressant, seulement troublé par le grondement lointain d’une voiture sur l’avenue principale.

Je me tenais devant la porte de l’appartement d’Elijah Carter, les bras croisés, observant Marco s’affairer sur la serrure. Il était rapide et efficace. Un clic métallique, un léger grincement et l’entrée nous était ouverte.

— Allez-y, patron, murmura Marco en s’effaçant.

J’entrai le premier, immédiatement frappé par l’austérité du lieu. Un appartement sans âme. Les murs, d’un beige terne, étaient vides. Pas de photos, pas d’objets personnels, rien qui aurait pu donner une indication sur qui vivait ici. Juste une table en bois avec une seule chaise, un canapé gris usé par le temps et un lit impeccablement fait.

— Il vit comme un moine, souffla Marco derrière moi, ses yeux balayant la pièce avec méfiance.

Je m’avançai lentement, m’attardant sur chaque détail. Où étaient ses souvenirs ? Ses traces de vie ?

Je tirai un tiroir de la table de chevet: Vide, hormis un vieux stylo et un carnet vierge. L’armoire contenait quelques chemises bien pliées, deux costumes sombres, une paire de chaussures cirées. Tout était propre, ordonné, impersonnel.

— Rien, dis-je en refermant doucement l’armoire. Pas même un foutu parfum.

Marco hocha la tête.

— C’est bizarre, patron. Tout homme laisse une empreinte quelque part, un truc qui trahit qui il est. Mais lui…

Je serrai la mâchoire. Un homme sans passé était un homme dangereux. En revenant dans le salon, mon regard se posa sur le seul élément distinctif de cet appartement.

Un tableau.

Il tranchait avec la sobriété du reste. Des couleurs sombres, des lignes agressives, presque chaotiques, représentant un véritable carnage. Un champs de bataille où un dernier survivant brandissait sa lame aux éclats lugubres face à un être mystique, tiré de l'imaginaire: un dragon orné d'une couronne de feu. Quelque chose dans cette œuvre dégageait une tension, une violence outrageuse. Je m’approchai lentement, détaillant chaque coup de pinceau.

Au bas de la toile, une signature : Justice.

Un frisson me parcourut l’échine. Un pseudonyme ? Un message ?

— Patron ? Fit Marco en s’approchant à son tour.

Je ne répondis pas tout de suite. Mon doigt effleura la surface rugueuse de la peinture. Pourquoi ce tableau et rien d’autre ?

— C’est étrange, murmurai-je. Tout ici est effacé, comme si ce type n’existait pas vraiment… Sauf ça.

Marco croisa les bras, observant l’œuvre avec méfiance.

— Vous croyez que c’est important ?

Je hochai lentement la tête.

— Peut-être.

— Vous voulez qu’on l’emporte ?

Je réfléchis un instant avant de secouer la tête.

— Non. On ne touche à rien. S’il comprend qu’on est venu, il deviendra encore plus méfiant.

Je jetai un dernier regard circulaire à l’appartement. Cet endroit ne me disait rien sur Elijah Carter.

Au contraire.

Il ne faisait qu’épaissir le mystère.

— On s’en va, murmurai-je en tournant les talons.

Marco referma la porte derrière nous, sans un bruit. J’avais encore plus de questions qu’avant et tôt ou tard, j’allais obtenir des réponses.

Le bruit de mes pas résonnait dans la cage d’escalier alors que je quittais l’immeuble d’Elijah. L’air de la nuit était plus frais que je ne l’aurais cru, chargé de l’odeur familière du bitume et de la cigarette froide. Je pris une inspiration lente, cherchant à calmer l’agacement qui vibrait dans mes veines.

Rien. Son appartement ne m’avait rien appris.

Ou plutôt… Il m’en avait trop appris.

— C’était une putain de perte de temps, grogna Marco en refermant la portière de la voiture.

Je glissai dans mon siège sans répondre immédiatement. Il n’avait pas tort. Nous étions entrés en pensant trouver un indice, un détail compromettant, quelque chose qui nous donnerait un avantage sur Elijah Carter. Mais cet appartement était un désert. Pas une seule empreinte laissée derrière lui, pas même un foutu verre sale dans l’évier. Et ça, c’était peut-être pire que tout. Je passai une main sur mon visage, fixant l’immeuble par la vitre teintée.

— Tu trouves pas ça bizarre, toi ? Murmurai-je.

— Quoi ?

Je lui jetai un regard.

— Personne ne vit comme ça.

Marco haussa un sourcil, haussant les épaules.

— Peut-être qu’il est juste maniaque. Ou qu’il vient à peine d’emménager.

Je fis rouler ma langue contre mon palais, pensif.

— Non. Cet appart, c’est pas un endroit où quelqu’un vit. C’est une couverture.

Mon bras droit secoua la tête, peu convaincu.

— Il a donné ses papiers, son CV, il n'y a pas de fausses identités dans ses antécédents. Tu crois qu’il a un passé planqué ailleurs ?

Je ne savais pas encore mais quelque chose clochait. Mon instinct me le criait.

Elijah Carter n’était pas un inconnu tombé du ciel.

Il avait débarqué dans mon casino avec des compétences trop précises, une assurance qui ne collait pas avec l’image d’un simple expert financier talentueux. Et maintenant, cet appartement… Un décor vide, un espace sans âme, comme si sa vie entière n’existait que dans les limites qu’il avait lui-même tracées.

Et ce foutu tableau.

"Justice."

Je ne croyais pas aux coïncidences.

— Tu devrais le tester, lança Marco en redémarrant le moteur.

Je l’observai du coin de l’œil.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Lui tendre un piège. Voir comment il réagit. Un mec qui n’a rien à cacher ne paniquera pas.

Un sourire fin étira mes lèvres.

— J’y comptais bien.

Je laissai mon regard glisser une dernière fois sur l’immeuble d’Elijah avant que Marco ne prenne la route. Si ce type me mentait, je finirais par le savoir. Et s’il jouait avec moi…

Il allait perdre la partie.

○ ○ ○ ○ ○ ○

Assis dans mon bureau, j’observais l’horloge. Minuit quarante-sept. Elijah devait bientôt finir son service, c’était le moment parfait. Je glissai un cigare entre mes doigts sans l’allumer, le faisant rouler sur ma paume en réfléchissant. Marco avait raison. Si Elijah Carter cachait quelque chose, il fallait le pousser dans ses retranchements. Observer ses réactions. Voir s’il paniquait ou s’il restait de marbre.

— Il arrive, boss, murmura Marco depuis l’embrasure de la porte.

Je hochai la tête et me levai lentement.

— Amène-le dans la salle de jeu privée.

Marco ne posa pas de questions. Il n'avait pas besoin de le faire puisqu'il savait.

Quelques minutes plus tard, Elijah pénétra dans la pièce. Il affichait ce calme contrôlé que je commençais à bien connaître, ses yeux analysant immédiatement la situation. Une table de poker, deux verres de whisky, une pile de jetons. Et moi, debout près du fauteuil en cuir, l’attendant.

— Installe-toi, lui dis-je en désignant la chaise en face de moi.

Il ne protesta pas et s’exécuta. J’attrapai le paquet de cartes et les mélangeai lentement sous ses yeux scrutateurs.

— Tu aimes les jeux à risque, Elijah ?

Un léger sourire effleura ses lèvres.

— J’aime surtout gagner.

— Intéressant. Mais parfois, le plus important n’est pas de gagner, c’est de voir jusqu’où on est prêt à aller pour ne pas perdre.

Il haussa un sourcil mais ne répondit pas. Il savait que je n’étais pas du genre à parler pour ne rien dire. Je posai le jeu de cartes devant lui.

— Cinq cartes. Si tu gagnes, tu gagnes un mois de salaire en prime.

Il croisa les bras, méfiant.

— Et si je perds ?

J’eus un sourire amusé.

— Alors tu dois me donner une vérité. N’importe laquelle. Quelque chose d’important.

Il ne broncha pas mais dans son regard, j’ai vu la lueur d’un homme qui analysait l’enjeu réel de la partie. Il aurait pourtant pu refuser mais il ne l’a pas fait. Il a tendu la main et a coupé le jeu.

La partie était lancée. Les premières manches furent un échange maîtrisé. Il jouait bien, calculait les probabilités et restait attentif aux moindres détails. Mais moi, je jouais avec lui. Chaque fois que je gagnais, je posais une question anodine, le laissant croire que ce n’était qu’un jeu. Et chaque fois qu’il gagnait, il savourait la victoire sans arrogance. Mais après plusieurs tours, je décidai d’accélérer les choses alors je glissai un As sur la table.

— Dernière main. All in.

Il ne sourcilla pas mais j’ai vis ce léger tressaillement dans sa main droite, quand il empila ses jetons au centre du tapis. Un détail presque imperceptible mais qui ne m'échappe pas. Alors je continuai sur ma lancée en retournant mes cartes: Un full. Ses mâchoires se serrèrent imperceptiblement, il avait perdu. Moi, je pris mon verre de whisky et le fis tourner entre mes doigts avant de le fixer.

— À toi de payer, maintenant.

Il resta silencieux une seconde puis croisa les bras.

— Quelle vérité voulez-vous savoir ?

J’eus un sourire lent, savourant ma victoire.

— Dis-moi une chose, Elijah. Pourquoi voulais-tu ce job alors que tu aurais pu travailler dans n’importe quel autre casino ?

La même question que notre précédente partie de poker mais légèrement modifiée. Tomberait-il dans le piège de répondre autre chose ? Son regard se durcit légèrement. Il savait sans doute que c’était une question piège. Et pour moi, un bon menteur sait improviser. Un très bon menteur sait donner juste assez de vérité pour que ça paraisse crédible.

J’attendais de voir dans quelle catégorie il se plaçait. Carter finit par hausser légèrement les épaules, après une courte réflexion.

— J’avais besoin de quelque chose de plus excitant. Les autres casinos, c’est du divertissement. Ici, c’est… Plus intense. Ça me convient mieux.

Une réponse prudente. Trop prudente. Je me contentai de le fixer, laissant le silence peser. Lui n’a pas baissé les yeux, un bon joueur, vraiment. Mais je savais qu’il cachait encore sa main maîtresse et moi, j’avais tout mon temps pour la lui faire abattre.

Une rare accalmie s’installa puis je me pencha légèrement en avant, brisant l’espace entre nous.

— Carter, laisse-moi te poser une autre question, dis-je d'une voix douce mais pleine de poids. Parfois, pour réussir dans ce monde, il faut être prêt à faire des sacrifices. Toi, quels sacrifices es-tu prêt à faire ?

Elijah répondit, son regard fixe, pesant ses mots avec précaution.

— Ceux qui en valent vraiment la peine.

Un silence tomba, plus significatif que toute phrase échangée jusque-là. Mais je décidais de continuer à jouer plutôt que de m'arrêter en si bon chemin. Ce petit agneau n'allait pas m'échapper entre les doigts.

— Une chose est certaine, Carter, dis-je en me dirigeant vers la fenêtre donnant sur le casino en contrebas. Tu n’es pas comme les autres mais je n’ai pas encore décidé si c’est une bonne chose ou non.

Du coin de l'oeil, je vois Elijah esquissait un sourire nerveux, essayant sûrement de garder le contrôle. Puis il se contente de sourire en silence mais je reste persuadé qu'il savait que cette soirée avait marqué un tournant. Je l'ai dans mon viseur et à partir de maintenant, chaque mouvement compterait.

Pourquoi me posez-vous autant de questions, Monsieur Costa, que cherchez-vous réellement à savoir ?

Je garde le silence quelques secondes, peut-être plus, avant de lâcher:

— Je n'aime pas les secrets, Carter. Ils finissent toujours par causer des problèmes.

Elijah semblait garder son calme apparent et cela me frustrer. Mais je sais également qu'il ne peut se permettre aucune erreur et ça me prouve à quel point il est intelligent. Et constamment sur ses gardes.

— Et pourtant, les secrets sont parfois nécessaires, renchéris Carter en jouant avec un jeton entre ses doigts. Ils protègent ce qui compte.

Je venais de me tourner vers lui, le fixant avec une intensité qui pourrait presque le faire vaciller.

— Protéger, dis-tu ? Ou cacher ?

Mon nouvel employé hésita un instant, une fraction de seconde qui ne m’échappa pas. J'esquisse un sourire satisfait, comme si je venais de remporter une victoire invisible.

— Tu es doué pour mentir, Carter, déclarais-je en me penchant légèrement vers lui. Mais moi, je suis doué pour découvrir la vérité.

Elijah se força à sourire, jouant le rôle de l’homme confiant. Hors, il ne pouvait pas me tromper, cela faisait déjà bien des années que j'avais affaire à ce genre d'individus.

— Alors peut-être devrais-je me méfier de vous, monsieur Costa.

Le silence qui suivit était chargé de tension. Je me redresse, un éclat amusé dans les yeux.

— Fais attention à ce que tu souhaites, Carter. Le jeu ne fait que commencer.

Cette soirée marqua un tournant dans notre relation. Je savais qu'il y avait plus à découvrir sur Elijah, et ce dernier comprit sûrement qu’il ne pourrait pas cacher ses véritables intentions éternellement. Les premières fissures apparaissaient dans nos masques respectifs, annonçant des jours encore plus dangereux à venir.

C'était intéressant.


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Bien le bonsoir ! Un petit chapitre supplémentaire, n'hésitez pas à me laisser vos avis.
Notre petit Elijah ne se laisse toujours pas démonté ♥

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