La dette.
Point de vue Lorenzo.
La nuit enveloppait Las Venturas d’un voile d’éclats artificiels et de ténèbres mouvantes. Derrière la baie vitrée de mon bureau, je contemplais cette ville qui ne dormait jamais, une jungle de lumières où les prédateurs rôdaient sans relâche. Mon whisky tourbillonnait lentement dans mon verre tandis que mes pensées s’attardaient sur les affaires de la soirée. Derrière moi, le bruit feutré des cartes battues, des verres qui s’entrechoquent et des rires noyés dans l’ivresse du jeu résonnait faiblement à travers les murs insonorisés. L’Antre d’Or continuait de brasser l’argent et les illusions. Mais ce soir, je n’étais pas d’humeur à surveiller les tables.
Face à moi, assis dans un fauteuil en cuir, Elijah attendait en silence. Depuis qu’il avait intégré mon équipe, il faisait preuve d’un self-control admirable. Toujours observateur et attentif, il n’était pas du genre à parler pour combler un silence, ce qui le rendait aussi intrigant qu’irritant. Je reposai mon verre sur mon bureau et le fixai droit dans les yeux.
— Tu bosses ici depuis un moment maintenant. Tu commences à comprendre comment ça marche, pas vrai ?
Il hocha légèrement la tête, sans un mot.
— Mais voir les choses de loin, c’est une chose. Être dedans, c’en est une autre.
Je me levai d’un mouvement fluide et attrapai ma veste posée sur le dossier de ma chaise.
— Ce soir, tu viens avec moi.
Un léger froncement de sourcils trahit sa curiosité mais il ne posa pas de question. C’était exactement la réaction que j’attendais. Il comprenait que dans mon monde, on ne demandait pas pourquoi. On suivait, on écoutait et on apprenait.
Un coup discret retentit contre la porte avant que Rocco ne l’ouvre. Il portait sa veste en cuir entrouverte, laissant entrevoir son arme à la ceinture. Son regard passa brièvement sur Elijah avant de revenir sur moi.
— La voiture est prête, boss.
Je hochai la tête avant de reporter mon attention sur mon nouvel employé.
— On va récupérer une dette.
Elijah se leva, gardant son calme apparent. Je le sentais pourtant tendu mais il ne laissa rien transparaître. Encore un bon point pour lui.
Je menai le groupe à travers les couloirs du casino où l’ambiance effervescente contrastait violemment avec l’atmosphère glaciale qui pesait sur notre petit trio. Les joueurs, obnubilés par leurs cartes et leurs jetons, ne prêtaient aucune attention à nous. Ils ne savaient pas, ou feignaient d’ignorer, ce qui se tramait dans l’ombre de ces murs dorés.
Le portier s’empressa d’ouvrir la porte lorsque nous arrivâmes à la sortie. La fraîcheur nocturne mordit légèrement la peau en comparaison à la chaleur tamisée du casino. La Cadillac noire garée devant l’entrée luisait sous la lumière des réverbères. Nous nous installions, Rocco au volant, moi à l’arrière avec Elijah à mes côtés. Il ne posait aucune question mais je voyais qu’il analysait chaque détail, chaque détour que nous prenions.
Il savait que ce n’était pas une simple sortie nocturne.
— Où va-t-on ? Finit par demander ce dernier, rompant enfin le silence.
Je souris légèrement en fixant la route qui s’étirait devant nous.
— Chez un homme qui a oublié ce que signifie le mot "dette".
Il ne répondit pas mais je vis ses doigts se crisper un instant sur son jean. Il commençait à comprendre. Ce soir, il allait voir une autre facette de mon monde. Et moi, j’allais voir comment il y réagirait.
Finalement, la voiture s’arrêta devant un immeuble délabré. Une vieille bâtisse aux murs rongés par le temps, où l’odeur de pisse et de mauvais whisky s’infiltrait jusque dans les escaliers. Rocco nous ouvrit la porte et nous avançâmes sans un mot, après que deux autres de mes hommes nous aient rejoints, le son de nos pas résonnant contre le béton froid. Devant l’appartement 208, je frappai trois coups secs. Pas de réponse. Un soupir agacé m’échappa avant que Rocco ne s’en mêle et enfonce la porte d’un violent coup de pied.
L’intérieur était aussi misérable que je l’avais imaginé. Une table bancale, un canapé crasseux, des bouteilles vides éparpillées sur le sol et au milieu de tout ça, affalé sur une chaise, il y avait Vinnie Russo. Un type qui avait toujours vécu au-dessus de ses moyens.
Il sursauta, les yeux écarquillés en nous voyant entrer.
— Merde… Costa, je… Je peux t'expliquer !
Je souris doucement, avançant tranquillement vers lui pendant que Rocco refermait la porte derrière nous. Elijah s’appuya contre un mur, silencieux et observateur.
— Explique-moi, Vinnie, répondis-je d’une voix presque amicale. Dis-moi comment tu comptais rembourser les 50 000 dollars que tu me dois.
Il déglutit bruyamment, cherchant une échappatoire invisible.
— Je… J’ai eu un contretemps mais j’ai presque tout ! Il me faut juste un peu plus de temps…
— Du temps ? Répétai-je en feignant la réflexion. C’est drôle parce que moi, je t’avais donné une échéance et elle est dépassée.
Je me penchai légèrement vers lui et il recula d’instinct, sa chaise grinçant sous son poids.
— Je ne suis pas un homme patient, Vinnie. Quand on me doit de l’argent, on paie.
Il trembla puis fouilla fébrilement dans la poche de sa veste, en sortant une liasse de billets froissés qu’il tendit vers moi avec des mains moites.
— Je n’ai que 25 000 mais je vais me rattraper, je vous le jure, Monsieur Costa !
Je pris les billets du bout des doigts, les comptant lentement avant de les jeter sur la table.
— La moitié ? Ce n’est pas suffisant.
D’un signe de tête, j’indiquai à Rocco d’agir. Sans hésitation, il saisit Vinnie par le col et le souleva de sa chaise avant de l’envoyer valser contre le mur. L’homme s’écroula avec un grognement, essayant de ramper en arrière.
— Non ! Attendez !
Je m’accroupis à sa hauteur, posant une main ferme sur son épaule.
— Tu sais comment je fonctionne, Vinnie. Je peux être généreux avec ceux qui respectent leurs engagements. Mais ceux qui me manquent de respect… Je leur rappelle pourquoi il ne faut jamais jouer avec moi.
Mon ton était toujours calme, mes gestes mesurés. Mais il comprit que sa situation venait d’empirer.
— J’ai un moyen de vous payer ! Un coup sûr, ce week-end ! Un gros coup dans un casino, je peux récupérer tout l’argent !
Je soupirai, jetant un regard à Elijah qui nous observait toujours en silence.
— Tu crois que je suis assez stupide pour attendre un miracle ?
— Non, non, mais je vous jure que c’est du solide ! Il y a une partie privée organisée, des types bourrés de fric et prêts à perdre gros. L’un d’eux mise des œuvres d’art, des antiquités… Je peux récupérer assez pour vous rembourser !
J’observai ses traits déformés par la peur. Il mentait peut-être, ou alors il était désespéré. Quoi qu’il en soit, il me devait encore de l’argent. Je me relevai et fis signe à Marco.
— Donne-lui une leçon mais qu’il soit encore capable de marcher. Il a deux jours pour récupérer le reste.
— Non ! Pitié !
Mais Marco ne laissa pas place aux supplications. Son poing s’écrasa contre le visage de Vinnie avec un craquement sourd. Je me retournai vers Elijah qui continuait d’observer, impassible.
— On y va, lançai-je en quittant la pièce, laissant derrière moi les gémissements étouffés de Russo.
Il savait maintenant qu’on ne joue pas avec moi.
Nous sortîmes de l’immeuble sans un mot. L’air nocturne de Las Venturas était lourd, chargé de l’odeur de la poussière et des relents de clopes froides. Je marche d’un pas tranquille, comme si la scène à laquelle nous venions d’assister n’avait été qu’une simple formalité. Derrière nous, Rocco referme la portière de la Cadillac avec un claquement sec avant de prendre place au volant.
Je montai à l’arrière avec Elijah. L’intérieur de la voiture était silencieuse, presque trop. Rocco démarra et nous nous enfonçâmes dans les rues illuminées par les enseignes criardes des casinos. Mon employé était silencieux, il n’avait pas bronché, pas détourné le regard, pas cherché à argumenter pendant la confrontation avec Vinnie Russo. Il s’était contenté d’observer.
Je fis rouler mes poignets, encore légèrement engourdis par l’adrénaline. Le sang qui avait coulé sur le plancher miteux de l’appartement de Russo n’était pas le mien mais la tension d’une telle scène laissait toujours une empreinte.
Un bon joueur sait masquer ses réactions mais il y a toujours des signes, des infimes détails qui trahissent une faiblesse, une hésitation, une peur.
Je jetai un regard furtif à Elijah. Il fixait la vitre, le visage impassible mais son reflet dans le verre me révélait plus qu’il ne le pensait. Son souffle était stable, sa posture décontractée. Il savait jouer. Je laissai planer le silence un instant avant de lâcher d’une voix calme:
— Tu n’as pas posé de questions.
Il tourna la tête vers moi, prudemment.
— Ce n’est pas mon rôle d’en poser.
Bonne réponse. Automatique.
Un sourire effleura mes lèvres. Il comprenait les règles mais me comprenait-il, moi ?
— La loyauté, Elijah. C’est ce qui distingue ceux qui survivent de ceux qui disparaissent.
Un test, une fois de plus. Il devait savoir où il mettait les pieds, savoir jusqu’où il était prêt à aller. Son regard s’attarda sur moi une fraction de seconde de trop avant qu’il ne demande:
— Et vous, Monsieur Costa ? Vous attendez la loyauté des autres… Mais à qui la donnez-vous en retour ?
Intrigant. Peu de gens osaient me poser ce genre de question. D’habitude, ils se contentaient d’acquiescer, d’éviter mon regard et d’attendre de savoir s’ils étaient du bon côté de l’histoire. Je fis mine de réfléchir, le laissant mariner un instant.
— La loyauté, ça ne se donne pas, Elijah. Ça se prouve.
Il ne répondit pas immédiatement. Son regard s’assombrit légèrement.
— Alors je suppose que chacun finit par trahir, un jour ou l’autre.
Un rire bref m’échappa. Pas dénué d’amusement mais sans chaleur.
— Peut-être bien. Mais en attendant, ceux qui me trahissent regrettent toujours de l’avoir fait.
Je n’avais pas besoin d’élever la voix pour qu’il comprenne. Elijah était intelligent, il savait lire entre les lignes. La voiture ralentit en arrivant devant l’Antre d’Or. Rocco descendit en premier et ouvrit la portière. Je sortis lentement, prenant une inspiration brève. Derrière moi, Elijah suivit le mouvement. Sa démarche était fluide, maîtrisée. Il avait du cran, je devais lui reconnaître ça mais la question demeurait. Jusqu’où était-il prêt à aller ?
Et surtout… jusqu’où pouvais-je lui faire confiance ?
J’avais fouillé son appartement. J’avais cherché des failles, des indices. Mais Elijah Carter était une énigme bien gardée. Trop bien gardée. Et ce genre de mystère… Il fallait toujours le résoudre avant qu’il ne devienne un problème.
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Hello ! Comment allez vous ?
Voici un nouveau chapitre, en espérant qu'il vous plaise. Sur ce, bonne soirée à tous =)
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