J'ai écrit un roman
Je suis cet auteur à succès dont tout le monde parle. La critique m’acclame pour l’émotion brute qui se dégage de mes textes, et pour mes mots justes et sincères.
Mais c’est normal que mes mots soient sincères. Mon roman est basé sur une histoire vraie. La mienne.
Ca y est, vous me replacez ? Je suis cet auteur qui a fait pleurer toutes ses lectrices avec sa rupture difficile.
Ah, voilà. Cet auteur-là.
Je ne saurais vous dire pourquoi j’ai écrit un livre sur mon chagrin, ni pourquoi il a séduit autant de monde.
Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai écrit ces textes au lendemain de ma rupture avec Julia. J’étais au fond du fond, et l’écriture m’a apaisée.
Pour autant, je n’ai pas forcément bien vécu ce premier roman.
J’ai envoyé mon texte sur un coup de tête à une maison d’édition. J’ai été mortifié quand ils m’ont rappelé. Mais l’éditeur était vraiment persuadé de mon talent, et m’a convaincu de tenter l’aventure. Alors je l’ai écouté.
C’était aussi simple que ça.
Voilà comment je me suis retrouvé à retravailler le récit de ma vie sentimentale avec un parfait inconnu. Il a fallu accepter ses critiques, ne pas les prendre trop personnellement même si, finalement, c’était bien ma vie qu’il critiquait.
Ce passage est trop plat, on s’ennuie, me disait-il. Eh bien, que veux-tu, c’est ma vie. Ma routine monotone. Ma petite vie plate et ennuyante à moi.
Ce n’était pas toujours facile, je ne prenais pas vraiment de plaisir à enjoliver ma vie passée, et à vrai dire, j’ai voulu renoncer plusieurs fois à ce projet. Mais mon éditeur m’a toujours poussé à continuer. Et de toute façon, il fallait bien l’avouer : je n’avais rien de mieux à faire de mes journées.
Et c’est comme ça que ma vie intime s’est retrouvée exposée au monde entier en librairie.
Le livre est paru deux ans après ma rupture avec Julia. Autant vous dire que j’avais quand même commencé à tourner la page.
Mais une fois le livre paru, je suis revenu à la case départ.
Il y a eu la presse, qui m’a posé des questions et m’a obligé à ressasser, encore et encore, cette rupture amoureuse que j’aurais aimé oublier.
Il y a eu ces lecteurs, qui se sont appropriés ma douleur, qui l’ont adoré, et qui ont commencé à en écrire des fanfictions. Ces lecteurs qui débattaient, l’air de rien, de ma vie et de mes choix personnels.
Et puis, il y a eu l’appel de Julia. Ce fut vraiment le pire.
Elle habitait avec Pierre maintenant, cette espèce de hipster pour qui elle m’avait quitté. Elle m’avait vu en interview à la télé, et était franchement outrée que j’ose publier un livre sur notre relation sans son accord.
Elle m’appela un soir d’automne.
- Alors c’est ça que tu veux ? Te faire de l’argent sur notre histoire ? Et quelle image ça donne de moi, la femme adultère, qui part lâchement du jour au lendemain ? Parce que c’est comme ça qu’on m’a décrit, à la télé. Tu as pensé à l’impact que ça pouvait avoir sur ma vie ? Et Pierre, tu crois franchement que ça le regarde, tous ses détails sur ma vie passée, franchement ? Ca fait des mois qu’il est sorti ton bouquin, tu aurais pu me prévenir !
Rien que le son de sa voix me brisait le cœur, mais je lui répondis, avec toute la froideur d’une âme blessée, que c’était bien ce qu’elle était, une femme adultère. Et que personne ne pouvait remonter jusqu’à elle, puisque de toute façon elle avait un autre prénom dans mon roman.
- Ah bon, et je m’appelle comment ?
Il y eut un silence, et je réalisais le tort que je m’apprêtais à causer.
- Emilie.
Ce nom me transperca la gorge. Julia mit du temps à répondre, et mon cœur s’emporta. Même après tous nos différends, je ne voulais pas lui faire ce mal. Je m’en rendais compte, à présent. Et je regrettais déjà cet échange.
- C’est un joli prénom. Je devrais peut-être le lire, ce livre.
Je sentis sa voix trembler, tandis qu’elle essayait de le dissimuler. Je la connaissais si bien.
Je me sentis bête, j’aurais rêvé de la prendre dans mes bras. J’aurais aimé m’excuser, la rassurer, mais après deux ans, les mots ne venaient pas.
- Julia…
- Je vais devoir te laisser. Pierre va bientôt rentrer, et on va au cinéma, ce soir. Au revoir, Nicolas. Prends soin de toi.
Elle ne me laissa pas le temps de répondre, et raccrocha, me laissant seul avec ma bêtise.
Emilie. C’était le prénom qu’on aurait aimé donner à notre fille. Le prénom qu’on avait cherché ensemble. Le seul qu’on aimait passionnément, tous les deux.
Mais la fille n’avait jamais vue la lumière du jour.
J’avais nommé mon personnage Emilie, comme un dernier hommage à ce qui aurait pu être, mais qui ne serait jamais. J’avais trouvé cela poétique, et puis c’était une dernière preuve d’amour à une fille que j’avais rêvé et espéré des mois durant. Ma fille.
Je n’avais absolument pas pensé au tort que je pouvais faire à Julia. A vrai dire, jusqu’à cet appel, je ne ressentais plus que rancœur et amertume envers elle.
J’aurais aimé la rappeler, mais je ne savais pas quoi lui dire. Il fallait que je fasse le point sur ce qui venait de se passer. Que j’assimile, que j’analyse.
Alors je me suis allumé une cigarette. Et j’ai écrit à Claire, pour lui dire que je ne pourrais pas venir, finalement, ce soir-là.
Mes lecteurs attendent un deuxième roman. Mais j’ai le syndrome de la page blanche. Je n’ai plus rien à raconter, je ne ressens plus rien. On peut le dire, je suis dans une vie monotone. Je vis sous anesthésie générale.
Le hic, c’est que j’ai aussi promis une suite à mon éditeur. Mais pour qu’il y ait une suite, il faudrait déjà que je sois allé de l’avant. Et après cet appel de Julia, j’ai réalisé que je n’avais pas avancé d’un millimètre.
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