Chapitre 4 : Un quotidien qui dérape
TW : Violence, Meurtre
Marvyn
Assis sur une chaise, mon angoisse est à son paroxysme. Les médecins et infirmières défilent sous mes yeux, l'odeur des produits de ménage, si caractéristique de l'hôpital est la seule chose qui accompagne l'air que je respire.
Trois heures que j'attends.
Je n'ai pu rien faire putain !
Je devais les protéger !
Je me suis tué pour pas qu'ils goûtent à cette saveur nocive.
Mais ils ont réussi.
***
Je marche, la boule au ventre. Un pincement me fait mal au cœur.
Encore un mauvais pressentiment... .
Mes pas défilent, luttant contre l'envie de tout foutre en l'air. Ce que je souhaite et ma voix intérieure forment un combat sans répit.
Si tu y à n'y vas pas, tu le regrettera Marvyn, souffle la voix intérieure.
Mon instant. Un sens que j'ai dû surdévelopper pour survivre à mon enfer. Bien que la peur que je ressens, est à deux doigts de me retourner les tripes, je termine de réduire la distance qu'il me reste entre la porte et moi.
C'est-à-dire, quelques mètres seulement.
Je rentre dans un bâtiment qui est censé être ma maison.
Même si pour moi, ce n'est que l'antre des enfers.
Un calme silencieux plane à l'intérieur.
Étrange.
La maison est propre, claire et lumineuse, aucun déchet ne traîne sur la table, ni sur le sol. Mon père est allongé sur le canapé, enlacent amoureusement ma mère. Ils sont bien apprêtés. Aucune trace de bouteille d'alcool et de bières n'est sur la petite table.
Ils ont l'air de parents « normaux ».
Ne te fie pas aux apparences, Marvyn, alerte l'instinct.
Mes petits frères...
- Je vois que la maison a beau être propre, le bonjour n'est toujours pas au rendez-vous, crache Marvyn.
Ces deux personnes censées être mes parents, se retournent vers ma direction.
- Ohhh, nous ne t'avons pas entendu ! Bonjour, comment vas-tu ?
Sa voix est beaucoup trop mielleuse à mon goût et en temps normal, père ne laisse jamais sa femme parler en première.
Comme à mon habitude, lorsque je suis ici, mes sens d'observations sont en alerte.
- Et je peux savoir où sont Nath et Rio ?
Une lueur sombre traverse leurs pupilles.
La même lueur présente chez un meurtrier.
Mon sang bat contre les parois de mes veines, mon cœur commence à battre de plus belle, l'adrénaline monte et les pires scénarios se déroulent dans mon esprit à cette pensée.
Tout sauf eux.
- Ils sont dehors, dans le jardin en train de jouer. Si tu veux aller les voir, vas-y, dis calmement le père de Marvyn.
- D'accord.
À ce mot, il se retourne, se reconcentrant vers ce que la télévision projette. Je ne prends pas la peine d'enlever mes chaussures et monte les escaliers. J'essaye de faire le moins de bruit possible. Je pose mon pied sur la marche la plus bruyante que je connaisse. Le bruit raisonne et je vois alors mon père se retourner.
- Qu'est-ce que tu fais ? Je t'avais dit que tes frères sont dans le jardin.
Je respire un grand coup, la peur coule dans mon sang, me fessant vivre le pire scénario dans ma tête.
- Je vais d'abord dépasser mes affaires.
Ma mère acquiesce ne disant pas un mot, contrairement à mon père qui s'apprête à prendre la parole. Cependant, sa compagne pose une main sur son bras, l'avertissant du regard. Celui-ci se tait et fait comme si de rien était.
Je continue ma montée, rentre dans ma chambre et vois que rien n'a changé. Pourtant, j'ai toujours ce pincement au niveau du cœur. Je décide de me diriger vers la salle de bain, quand un bruit retentit. De l'agitation se fait en entendre en bas. J'accélère mes pas, me dirigeant vers un endroit qui nous a été interdit depuis maintenant trois ans.
Le grenier.
Je commence à me mouvoir du plus vite possible, entendant les pas de mon père se rapprocher de moi, je commence à trembler.
Tout sauf eux.
- Marvyn ! Ne me dis pas que tu es en train d'entraver une règle, hein, déclare le père.
Sa voix est dangereuse, elle gronde mille et une sentence pour ma désobéissance. Pourtant, cela ne m'arrête pas.
Je ferrais tout pour mes frères.
Je descends l'échelle et commence à monter quand une main entoure ma cheville et la tire vers le bas. Les cris environnent la maison. Je tombe, me retrouvant maintenant par terre, le monstre que j'ai toujours connu se place au-dessus de moi. Ma mère observe la scène d'un sourire malsain.
Elle me dégoûte.
Il me dégoûte.
Ils me répugnent.
Un coup-de-poing vide tout l'air contenu dans mes poumons. J'ai à peine le temps de récupérer et de respirer, qu'un autre coup s'abat.
- TU OSES ME DÉSOBÉIR !!!
- PAPA, ARRÊT !!! LAISSE MARVYN TRANQUILLE, crie Rio !!!
Cette phrase provoque un déclic en moi.
Tout sauf eux.
- FERME TA GUEULE, RIO, tonne la mère !
L'homme au-dessus de moi lève ses deux mains en l'air, tenant le couteau qui est censé m'ôter la vie. D'un geste, je prends la lame. La froideur de l'acier épouse mon épiderme, la tranchant, ainsi, du sang commence à couler. Mais ce n'est rien à l'adrénaline présente dans mes veines. Je contracte ma mâchoire, réprimant l'envie de hurler.
Sois fort pour eux.
Je retourne l'arme blanche vers sa direction et d'un mouvement, le plante dans l'épaule. Un hurlement s'échappe du monstre, il roule sur le côté, me laissant l'opportunité de me relever.
Mais bien sûr le combat n'est pas terminer.
Sinon, ce n'est pas drôle.
Sa complice, ma mère, sort une arme et la braque sur moi. Le son de la détonation raisonne, je me décale vers la gauche. Le sifflement passe tout près de mon oreille. La balle s'écrase dans le mur derrière moi.
- Tu as eu de la chance, crache la femme en face de lui.
- MAMAN ! NE LE TUE PAS !!!
Leurs voix d'enfants me brisent le cœur.
J'étais censé les protéger, pas qu'ils assistent à ce funeste spectacle qui est devenu mon quotidien.
Je profite de ce moment d'inattention de la part de mon adversaire, pour me projeter sur elle. La seconde d'après je lui arrache le flingue de la main, la vise au niveau du bras, quand quelqu'un me bouscule. Le tire part, d'une trajectoire transcendant l'air, la balle l'atteins tout droit au niveau du cœur.
La surprise se peint au niveau de son visage, enlevant l'air sadique qui régnait dessus. Un hoquet s'échappe de sa bouche, puis, son corps tombe, raide comme un bâton, par terre. Son mari se précipite vers elle. Il la prend dans ses bras et la secoue, dans l'espoir de la ramener à la vie. Les pleurs se déversent sur son visage, des secousses traversent tout son corps.
Je regarde cette scène, sans aucune émotion.
Elle devait bien mourir un jour.
Je n'ai fait qu'avancer son heure pour protéger mes frères.
Chacun ses priorités.
Pour la première fois de ma vie, je m'autorise la noirceur qui habite en moi, s'imprégner de mon corps. Ce côté sombre que j'avais tant fui. Je ne voulais pas leur ressembler. Mais aujourd'hui, à cet instant précis, il le faut bien.
J'ai leurs vies entre mes mains.
Alors que l'homme hurle de désespoir, je monte, atteins enfin le grenier. La scène qui se joue devant moi me glace le sang, l'envie de vomir me prend, mais je la repousse au fond de moi.
Comment ils ont pu faire ça.
Tout sauf eux.
- TU VAS ME LE PAYER, hurle l'agresseur !!!!!
Je me retourne et le vois au bas de l'échelle, près à escalader. D'un geste fort et sûr, je provoque le basculement de l'objet en fer. La seconde qui suit, il se retrouve écraser par son poids.
- Ce n'est que le début de ta descente en enfer, paternel.
Il se relève, et me lance le regard qui a tué l'enfant que j'étais. N'ayant qu'une seule échelle dans la maison, le temps qu'il en trouve une autre, me laisse le temps de les évacuer sain et sauf.
- Ne crois pas que j'en ai terminé avec toi !
J'affiche un sourire diabolique, comme ils l'ont tant fait avec moi. Il se pétrifie en voyant une face qui lui était inconnue auparavant.
- Va dans les enfers, au moins t'es sur d'avoir du sang en grande quantité.
Son visage se décompose légèrement. Je prête plus attention à lui et me tourne vers ceux dont la vie est en train de pencher vers la mort.
Nath est allongé sur le sol, ses deux mains compressent une blessure au niveau de la cuise gauche, il gémit de douleur, bien qu'il ravale ses larmes. Quant à Rio, une longue entaille traverse tout son bras. Celui-ci compresse sa blessure du mieux qui peuvent. Je le vois contracter sa mâchoire.
- C'est la première fois que ça vous arrive, demande Marvyn ?
J'ai peur de leur réponse, j'ai peur de me dire que j'aurai pu les protéger bien plus tôt, j'ai peur d'avoir échoué.
- Oui. Ceux qui sont censés être nos parents, en avaient marre de t'attendre par conséquent, ils ont dit que comme tu n'arrivais pas assez vite à leur goût, c'était nous qui allons subir à ta place, déclare Rio.
- Et nous savons aussi qu'ils te faisaient vivre ça depuis un certain temps. C'est ce qu'ils ont fini par nous dire pendant qu'ils nous ont fait, ça, complète Nath en montrant les dégâts.
Rio à douze ans et Nath quatorze ans et pourtant, ils sont bien plus matures que les enfants de leur âge.
- Combien de temps ça a durée ?
- Dix minutes, chacun. Ils avaient placé un traceur dans ton sac hier. Et quand ils ont vu l'état de la maison et le temps qui leur restait pour remettre tout en ordre, ils ont mis fin à ça en nous dissent qu'ils n'avaient pas terminé avec nous.
- Écoutez-moi bien. Tout est terminé d'accord. Maintenant, je vous amène aux urgences le plus vite possible.
- On va passer par notre fameux toboggan, demande Nath ?
Je souris de nostalgie, aux souvenirs de nos enfances passées.
- J'y vais en premier !
- Rio.
Il pose son regard sur moi, sachant pertinemment que je ne les laisserai pas plonger la tête la première sans savoir s'il y a un requin qui vous attend au virage.
- Mais qui te protège ?
- C'est vrai, tu fais que de nous mettre à l'abri, mais qui veille sur toi, renchérie Nath ?
Personne.
Je porte mon masque, ne voulant pas les effrayer par la réalité que je garde en moi.
- Un ange gardien.
Bien que la situation est effroyablement sinistre, ils éclatent de rire.
Eux aussi ont leurs flammes qui vont devoir préserver.
Je me dirige vers notre moyen d'évasion et le dirige vers le lieu qui m'intéresse. Je jette un regard par la trappe du grenier et constate que notre père est bien parti.
Avec la dépouille de notre mère.
Je regarde une dernière fois mes frères. Ceux-ci font un signe de tête, la confiance règne dans leur regard. Je me retourne et me lance alors, tout passe à une vitesse indescriptible, l'enfant en moi se rappelant de toutes les fois où j'avais traversé ce tunnel pour vivre quelques secondes d'évasion.
J'atterris dans l'arrière de la cabane situé juste devant la maison. Sur mes gardes, j'examine le lieu afin d'être sûr qu'il n'y a personne. Le calme est absolu, rien n'as l'air alarmant.
Alors que je m'apprête à donner le feu fer afin qu'ils puissent descendre à leur tour, quand une main se plaque contre ma bouche. Je ne laisse pas la personne me dominer en la projetant en avant. Je le frappe de toutes mes forces au niveau de l'oreille.
Il chancelle, alors je recommence mon coup, rempli de haine. Cette fois-ci, mon agresseur s'évanouit.
Lorsque je le dévisage de plus près, je comprends que je viens d'échapper à celui qui voulait me tuer, il y a moins d'une heure.
Mon père.
- Nath, Rio dépêchez-vous !
- Okkk, c'est Nath qui descend en premier.
Je m'accroupis afin de pouvoir le réceptionner, vérifiant toujours que notre agresseur est inconscient. Je le rattrape et le portant dû à sa blessure dans la jambe. Rio arrive quelques secondes plus tard, le regard nostalgique.
Je les empêche de regarder l'homme à terre et nous sortons de la cabane à toute vitesse. Je me dirige vers l'avant de notre maison quand je remarque que ma voiture n'est plus là.
Merde. Elle est où ?
C'est à ce moment-là que je me rappelle l'avoir laissant chez Alonzo.
Putain ! Pile au moment où j'en ai plus besoin !
J'avance tout de même, me souvenant d'un danger rode encore. Alors que je marche avec Nath dans les bras et Rio devant moi, une voiture noire au loin apparaît.
Je la stop ou pas ?
Imagine que la situation ne s'aggrave plus qu'elle ne les déjà, souffle sa petite voix dans sa tête ?
Je vois bien que Nath ne tiendra plus longtemps et que Rio fait de son mieux pour ne pas montrer la douleur qui lui est de plus en plus difficile à supporter.
Avant que mon choix n'ait pris et que je suis en pleine contradiction intérieure, le véhicule en question s'arrête. La personne qui la conduit descend.
Lorsque mon regard croise le sien, je sens mon cœur s'arrêter de battre pendant une mini seconde.
Elle.
La femme avance vers moi et me tend les bras, voulant prendre Nath afin de l'installer. Avec une certaine résistance, je le lui donne. Elle le porte soigneusement jusqu'à l'intérieur de la voiture.
- T'es sûr qu'on est en sécurité avec elle ?
- Tu n'as aucune crainte à faire. Ton frère et moi, nous nous connaissons, déclare Élisa.
Il m'interroge du regard puis un énorme sourire s'étale sue le visage de Rio.
- D'accord !
Je ne prononce aucun mot, et me contente de l'installer sur son siège. Une fois que tout le monde est attaché, Élisa démarre.
- J'imagine que votre destination est les urgences.
- Tu penses bien, répond Marvyn.
Je me retiens de rajouter du sarcasme à ma phrase. Mais je me suis retenue de justesse, me rappelant que ce n'est pas à elle de subir ma noirceur. Alors je l'éteins petit à petit, laissant naître, enfin, la lumière qui habite en moi.
Le silence s'installe, elle accélère dépassant les limites de vitesses. Les paysages se défilent pendant que je me rejoue la scène dans ma tête.
Qu'est-ce qu'il se serait passé si je n'étais pas rentrée à temps ?
Alors que mes pensées défilent dans ma tête, je sens la voiture s'arrêter. Je lève la tête et me rends compte que les ambulanciers sont en train de prendre en charge mes frères. Je me détache le plus vite possible et me précipite vers eux.
Un urgentiste m'arrête.
- Je peux savoir qui vous êtes ?
L'inquiétude qui régnait sur mon visage part.
- Leur grand frère.
- Et la fille qui vous accompagne ?
Je me retourne, nos yeux se croisent. Une demande silencieuse passe dans mes yeux, son accord passe dans le sien à la seconde qui suit.
- Ma petite amie.
La seule excuse qui pourra passer dans la situation actuelle quand on sait que nous n'avons aucun trait de ressemblance.
Dieu merci, sinon ça serait effrayant.
- Bien, je vais devoir vous parler dans mon bureau.
Mon rythme cardiaque accélère.
- Suivez-moi s'il vous plaît.
Nous marchons derrière lui. Je ne sais pas où sont partie Nath et Rio et cette idée m'angoisse.
On est aux urgences Marvyn, calme toi, tout vas bien se passer.
L'homme ouvre la porte de son bureau et nous laisse rentrer. Nous nous installons, attendant patiemment ce qu'il a à nous dire.
J'ai peur.
En partie par l'appréhension que je ressens, mais aussi qu'une fille que je ne connais pas vas découvrir la face cachée de l'iceberg.
- Bien, nous avons remarqué les blessures de vos frères et l'absence de la présence de majeur. Pouvez-vous nous expliquer s'il vous plaît, ce qu'il s'est passé ?
Pas besoin de la présentation formelle, je suis venue assez de fois pour que tout l'hôpital me connaisse.
- Je peux vous répondre seul à seul ?
- Pourquoi ? Si elle est votre petite amie, elle ne doit pas être mise à l'écart.
Bien évidemment qu'il ne me croit pas.
On a rien de deux personnes qui s'aiment.
- Si. Je veux juste l'épargner de tous les détails qui vont s'en suivre.
Élisa me lance un regard attendri, bien que je perçois derrière son expression que tout cela n'est qu'un masque pour renforcer mes dires.
Pourquoi elle m'aide alors qu'on ne se connaît pas réellement.
- Je comprends. Madame, si vous êtes d'accord bien sûr, je vous laisse attendre dans la salle d'attente.
- Oui, merci.
Son attention se pose sur moi et elle affiche un sourire.
- On se voit tout à l'heure.
Sur ces mots, elle part de la salle.
Elle a l'habitude de jouer la comédie.
- Maintenant, que nous sommes seuls, d'homme à homme, voulez-vous bien, Monsieur Luciani, m'expliquer l'absence de vos deux parents. Et ce qu'il s'est passé pour que vos frères se retrouvent dans cet état-là ?
- Bien alors...
Une fois avoir fini mon récit, je me retrouve face à un homme dont le visage est décontenancé.
- Je comprends à présent pourquoi vous vouliez me parler seul.
Après un cours silence, il reprend la parole :
- Vous n'avez que dix-sept ans ?
- Dix-huit dans un mois.
Il plante son regard dans le mien.
Le même qu'il y a dix ans.
- Vous êtes toujours mineur aux yeux de la loi. Et nous ne pouvons pas nous permettre de les revoyez chez vos parents. Nous vous avons déjà fait une faveur pour vous il y a dix ans, on avait prévenu vos parents.
Un rire amer s'arrache de ma gorge.
- Parce que vous croyais qu'ils ont arrêté entre temps et que c'est tout juste aujourd'hui qu'ils ont repris leurs manigances ?
Je perçois un micro mouvement de crispation.
- Pourquoi vous n'êtes pas venu nous le dire ?
- Pourquoi n'avoir pas cherché plus loin alors qu'il m'arrivait de venir ici au bord du coma ?
Il reste silencieux face à ma remarque.
- Donc, j'aimerais savoir. Qu'est-ce que vous comptez faire, demande Marvyn ?
- Je vais devoir en discuter avec mes collègues et contacter la police et je reviendrais vers vous.
Il fait que je réfléchis vite à une solution.
Alonzo !
- Je connais des adultes qui peuvent prendre en charge Nath et Rio.
Il me fixe.
- Donnez-moi leur numéro de téléphone s'il vous plaît.
Je m'exécute.
- Je vais en discuter avec mes collègues. Je reviens vers vous dès que nous avons pris notre décision.
J'acquiesce, me lève de mon siège et part. Je rejoins Élisa, assise, l'air pensive.
- Merci pour ton aide.
Elle se retourne vers moi au son de ma voix, d'abord surprise, elle se reprend et affiche un léger sourire.
- T'inquiètes, c'est normal.
Sa voix est sans émotions, neutre. J'aimerais lui poser cette question qui tourne en boucle dans ma tête, mais je me mords la langue pour m'en empêcher à temps.
- Tu as trouvé une solution pour tes frères, demande Élisa ?
- L'idéal, c'est qu'ils aillent chez Alonzo. Mais pour ça, ils vont devoir approuver cela.
- Je comprends.
Un silence s'installe entre nous. Je n'ai pas la force de parler alors que mon esprit tourne à mille à l'heure.
***
Je suis à présent tout seul dans mes pensées. Élisa est partie prendre l'air.
Pourquoi m'a-t-elle aidé ?
- Monsieur Luciani,
Je lève la tête vers la voix qui m'interpelle.
- Oui ?
- Je vous prie de venir avec moi, on a trouvé une solution pour vos frères.
- Je vais juste prévenir ma copine que je suis avec vous et j'arrive.
L'infirmière acquiesce. Je pars. Une fois sortie, je retrouve Élisa au téléphone, en train de faire les cent pas. Je m'approche d'elle, fessant attention de ne pas l'interrompre dans sa conversation. Lorsqu'elle me reconnaît, son visage, fermé par une forme de colère, se change, devenant à présent, neutre.
- Je te rappelle plus tard, déclare sa camarade en raccrochant.
Elle se tourne vers moi.
- Ils ont pu te recevoir ?
- Ils sont venus me chercher. Je suis venu pour te prévenir, que tu ne penses pas qu'on m'a kidnappé.
Elle lève les yeux.
Totalement le but recherché.
- Marvyn. Vas-y. Je t'attends dans la salle d'attente.
Je sens mon regard devenir plus intense. Ses iris gris propagent une forme de chaleur froide, laissant le doute planter sur ce qu'elle ressent en ce moment même pour son interlocuteur.
Comment arrive-t-elle à la propager ?
D'habitude, lorsqu'une personne propage de la chaleur autour d'elle, elle est toujours chaude.
Un peu logique aussi...
Pourtant, la sienne est froide.
Comme si elle n'avait jamais goûté au rayon de soleil pour pourvoir en redistribué aux autres.
Je n'arrive pas à me détacher de ses yeux, beaucoup trop captivant pour que je puisse détourner le regard, beaucoup trop perçant pour ne pas m'en donner des frissons, beaucoup trop mystérieux pour ne pas éveiller ma curiosité, beaucoup trop sombre pour ne pas mettre en alerte mon instinct.
Elle est en quelque sorte le reflet de mes peurs, et ça m'effraie.
Elle rompt le contact en regardant ailleurs.
- Tu devrais y aller, avant qu'il ne croit que je t'ai kidnappé.
Je souris face à la reprise de ce que je lui ai répliqué juste avant.
- Ça ne devrait pas, ils pensent que tu es ma petite amie.
- N'espère pas que ce rôle que je joue devienne réalité.
Je m'écaffe face à ce qu'elle vient de rétorquer.
- Ça ne risque pas, croit moi !
Je lui tourne le dos, fait quelques pas qui nous séparent, m'arrête, inspire un coup et déclare :
- Personne ne t'a forcé à jouer ce rôle, Élisa. Sache-le.
Sur ces mots, je me remets à marcher vers l'intérieur de l'hôpital, un rictus aux lèvres. L'infirmière m'attend patiemment, puis me fait signe de la suivre. Je sens une angoisse s'installer en moi, je fais tout pour la réprimer, mais il s'agit de l'avenir de mes petits frères, ceux pour qui je pourrais sacrifier ma vie pour qu'ils vivent la leur.
« Mais qui te protège ? »
« C'est vrai, tu fais que de nous mettre à l'abri, mais qui veille sur toi ? »
Un sentiment de fierté m'empreint.
Ils n'auront pas la noirceur de nos géniteurs.
Je rentre dans la salle et remarque qu'il n'y a plus à personne que je ne l'imaginais. L'urgentiste qui m'as accueilli tout à l'heure, le médecin qui c'est occuper de la plupart de mes blessures et qui m'as plusieurs fois sauver la vie, un agent de police, et l'assistance social que j'ai rencontré il y a dix ans.
Je me crispe légèrement en voyant celle-ci.
Tout sauf ça.
- Asseyez-vous, Monsieur Luciani.
Je la regarde avec dédain.
Elle se prend pour qui ? Elle débarque dans ma vie, dix ans après, et elle pense que je vais l'écouter. Non mais je rêve.
- Vous n'avez aucun droit sur moi pour que je vous obéisse.
Elle s'offusque.
Qu'elle s'étrangle avec sa salive, ça serait encore mieux.
- Pardon ? Je vous rappelle que nous sommes ici pour vos frères alors, si, ne vous voulait pas que leur destin finissent mal à cause de votre comportement, je vous prie de m'écouter.
Les autres adultes dans la pièce s'apprêtent à réagir. Mais je les devance.
- Vous me menacez ? Ce n'est pas très professionnel de votre part, vous ne trouvez pas ?
Elle ouvre la bouche puis la referme aussitôt quand je la fusille du regard.
Elle sait que j'en sais plus que je ne le dis.
Pas conne quand elle le veut.
- Monsieur Luciani, pouvez-vous vous asseoir s'il vous plaît.
Cette fois-ci, c'est l'agent de police qui s'adresse à moi. Je fais ce qu'il me dit sans poser de question. Ce qui rend folle de rage la femme que je déteste tant.
- Bien, nous sommes ici, car si j'ai bien compris, vos frères ont été maltraité, vous aussi si j'ai bien compris et que vous avez aussi commis un meurtre.
- C'est de la légitime défense et non un meurtre, Monsieur Larron. Je ne l'avais pas voulu, on m'a bousculé à ce moment-là. C'était soit la vie de ma génitrice ou celle de mes frères et moi.
- Seule l'enquête le prouvera.
- Je sais, faite votre travail, ce n'est pas moi qui fais partie des forces de l'ordre.
Il ignore complètement le commentaire que je viens de faire et poursuit.
- J'imagine que vous avez un appartement.
- En effet.
- Après mûr réflexion, nous avons décidé que vos frères iront, le temps de vos dix-huit ans et que l'enquête confirme la thèse de la légitime défense... .
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