Acte III : Nouvelle amie
La voix enthousiaste de Marie fit les présentations.
— Voilà, c’est Nathalie, elle rejoint notre équipe.
Au beau milieu du mois de juillet 2001, Hector n’était toujours pas persuadé de la nécessité d’enrôler un nouvel agent de terrain. Il fallait l’encadrer, le former, être attentif, tout en étant actif, tout en sachant qu’une nouvelle tempête pouvait éclater à tout moment, sans prévenir. Cependant Roger, Marie, ainsi que les deux analystes, Élisabeth et Bruno, convaincus que l’efficacité des méthodes d’Hector, un jour, ne suffiraient probablement plus, s’étaient accordés sur le fait qu’une menace grandissante mettait en péril toute la petite organisation et qu’un renfort devenait nécessaire. Il ne pouvait que respecter une décision prise en collège, à quatre voix contre la sienne, sans doute inspirée par la raison. Il accueillit donc cette grande jeune femme aux cheveux blond platine coupés au carré, aux yeux verts perçants, au sourire fin mais déterminé. Après tout, rien n’indiquait qu’elle ne satisferait pas aux exigences du groupe.
— Enchanté. Bienvenue dans l’équipe.
— Tu as un mois pour l’entraîner, lui conseilla Roger, désignant la nouvelle venue de la pointe d’une des deux cannes anglaises qui l’aidaient provisoirement à se déplacer.
De graves blessures contractées quelques mois auparavant, au cours d’une enquête qui avait mal tourné, l’avaient immobilisé dans un lit d’hôpital. C’était l’affaire Morrison, dont tout le monde se souviendrait comme un échec. Mais, désormais, Roger commençait à retrouver ses jambes (1).
— Le temps est au calme, poursuivit-il, tu ne devrais pas avoir à intervenir, où que ce soit.
Exercices de combat rapproché, tactique militaire, interventions simulées, conduite automobile sur circuit, les épreuves se succédèrent au quotidien de la nouvelle recrue qui donnait entière satisfaction à son instructeur, malgré l’intensité du stage de formation accélérée.
À la mi-août, un dîner officialisa la fin de l’entraînement théorique. Hector, Marie et Roger s’apprêtaient à lancer Nathalie dans une opération de terrain en conditions réelles. À l’occasion d’un repas pris ensemble, Roger, comme le chef d’entreprise qu’il était, donna les consignes.
— Bon, Nathalie, demain, premier exercice de terrain. Hector et toi escorterez, discrètement, un transfert de fonds. Normalement, rien de particulier ne doit se passer, la mission est simple, rester à portée du convoi, sans vous faire remarquer. Si quelque chose devait se passer tout de même, alors action, sans laisser de trace. OK ?
Si ç’avait pu être le cas un mois auparavant, Nathalie n’avait maintenant plus aucun doute et affichait son assurance.
— C’est clair.
Marie se leva de table et alla chercher un paquet, qu’elle confia à Nathalie, comme une récompense pour les efforts fournis depuis son arrivée.
— Tiens, c’est à toi, ouvre-le.
Nathalie ouvrit le paquet. À sa grande joie, elle y découvrit une tenue complète pour les opérations sur le terrain. Dorénavant, elle faisait réellement partie de l’équipe. Ses sacrifices, sa souffrance, le renoncement à son passé, tout avait une raison d’être qui se concrétisait dans ce présent.
-
Deux ans avaient passé depuis l’intégration de Nathalie. Hector, Roger, Marie, Nathalie, Bruno et Élisabeth, se retrouvèrent autour d’une table, dans un bar, et devisaient joyeusement. La complicité entre Hector et Nathalie ne se démentait pas et alimentait l’efficacité de leur tandem. Elle n’était un secret pour aucun membre de l’équipe et tout le monde se réjouissait d’une décision bienvenue, deux ans auparavant, à la suite d’une crise que personne n’avait pu oublier. À la fin de la soirée, Marie et Roger prirent congé, ainsi qu’Élisabeth et Bruno, laissant Hector et Nathalie finir leur verre en tête à tête. Alors qu’il réglait l’addition au comptoir, Nathalie lui glissa à l’oreille.
— Il n’est pas si tard, on se fait une toile ?
— Qu’est-ce qu’ils jouent ?
— Attends, je regarde.
Elle consulta son téléphone portable. Une première sélection fit sortir du lot deux adaptations de comics américains, l’une contant les mésaventures monstrueuses d’un scientifique irradié accidentellement dans son laboratoire, l’autre réunissant divers héros de la littérature du dix-neuvième siècle dans le but de sauver Venise de la destruction. Les deux comparses avaient besoin de se détendre.
À la sortie du cinéma, Hector raccompagna Nathalie chez elle. Il s’arrêta devant la porte de sa maison, sortit de son coupé anglais rétro et lui ouvrit la portière, côté passager, en gentleman. Il marcha avec elle jusqu’au perron, et s’arrêta, alors qu’elle l’invita à faire un pas de plus.
— Un dernier verre ?
— Non, tu sais bien, ce n’est pas possible.
— Attends, elle est loin, elle est mariée, mère de famille… qu’est-ce que tu espères ?
— Je sais. C’est comme ça. Je ne peux pas, pas encore. Ça ne serait pas honnête.
— Un jour, il faudra que tu apprennes à tourner la page.
— Un jour, sûrement. Pas aujourd’hui.
Nathalie lui déposa un baiser amical sur la joue et rentra chez elle. Tandis qu’il retournait à sa voiture, elle déverrouilla sa porte, se tourna vers lui, l’interpella, un soupçon de malice dans la voix.
— C’est ta dernière chance…
Hector sourit et continua son chemin sans se retourner, il s’assit au volant de l’Aston-Martin et démarra.
-
Au petit matin, Hector arriva à la base avec un sac de croissants. Marie et Nathalie prenaient un café à la cuisine. Sans se départir de ce ton malicieux que tout le monde appréciait, Nathalie joua l’ironie.
— Tu as quelque chose à te faire pardonner ?
— Toi, tu es trop bête, enchaîna Marie… mais merci quand même !
Roger entra et vit Hector avec son sac de croissants…
— Tiens ? Tu as quelque chose à te faire pardonner ? Tu l’as battue aux fléchettes, c’est ça ? Ben en tous cas, merci pour les croissants !
Hector gardait le sourire, mais avait d’autres préoccupations.
— Bon appétit, je vais à la plage.
-
Sortant de l’eau, Hector se changea rapidement puis s’installa au volant de la belle anglaise et alluma la radio, alors qu’au même moment, dans la cuisine, la sonnerie du téléphone retentit. Hector roulait doucement, n’écoutant que d’une oreille distraite une émission qui ne l’intéressait guère.
— En cette belle journée du 18 août, Johanna étant malade, c’est Melchior qui vous annonce ce que les astres vous ont réservé. Bonjour Melchior.
— Bonjour Caroline, bonjour à tous ! Bélier, cette belle journée de fête se terminera dans une situation de grand stress. Ne cédez pas à la panique et comptez sur vos amis pour vous donner un petit coup de main. Taureau, vous devrez affronter le plus grand défi de votre carrière, ne baissez pas les bras.
Dans la cuisine, Marie tendit le combiné à son amie.
— Nathalie, c’est pour toi…
L’Aston-Martin accéléra violemment et arriva au centre. Dans la cuisine, Nathalie fut prise d’angoisse, alors que le combiné ne renvoyait plus que la tonalité monotone d’un appareil qui demandait à être raccroché. Désespérée, elle appelait vainement.
— Allô ? Florence ? Allô ?
À cet instant, Hector surgit dans la cuisine. Il s’attendait au spectacle de ses trois amis à la mine consternée, et, comme pour les sortir du cauchemar dans lequel ils étaient plongés, leur annonça l’arrivée d’un événement qu’il semblait attendre depuis longtemps.
— Je crois qu’on y est !
Marie sembla vouloir lui faire comprendre la gravité de la situation qu’elle et les deux autres venaient de vivre, dans cette cuisine devenue oppressante.
— Hector, c’est Nathalie, sa sœur…
— Elle est prisonnière, confirma Nathalie, retenue par des inconnus. On a douze heures, on doit attendre des instructions.
— C’est quoi son signe ?, demanda Hector, comme pour s’assurer qu’il était sur la bonne voie, ce qui provoqua l’incompréhension de Roger.
— De quoi ?
— Son signe zodiacal, insista Hector, visiblement pressé.
— Capricorne, pourquoi ?
Hector alluma l’ordinateur portable posé sur la paillasse, à côté du réfrigérateur, et commença sa recherche.
— Alors, rediffusion de ce matin… horoscope…
Roger et Marie étaient dans l’incompréhension la plus totale, et l’homme bourru commençait à s’impatienter devant l’attitude irresponsable d’Hector.
— Qu’est-ce que tu fous ? Tu crois que c’est le moment ?
— En plus, tu n’y crois pas à ces trucs, poursuivit Marie.
Hector avait maintenant l’intention de leur montrer l’erreur qu’ils faisaient tous en se fiant aux apparences. Il fallait avoir une vision plus large.
— Aujourd’hui, j’y crois, affirma-t-il posément en lançant la lecture de l’enregistrement.
— Bélier, cette belle journée de fête se…
— Écoutez ça… Et tâchez de vous concentrer sur sa voix, ça devrait vous mettre la puce à l’oreille.
— Capricorne, vous ferez une rencontre inattendue, pour une journée forte en émotion. Demandez à vos proches de vous aider à gérer la situation…
— Bélier, taureau, capricorne, vous êtes convaincus ? Et je veux bien être pendu si ce type est astrologue. Il nous envoie un message, c’est évident. Nathalie, où est ta sœur, en ce moment ?
— Elle a une maison de vacances, à côté de Pointe à Pitre, à la Guadeloupe. Elle y va tous les ans, pour trois semaines, pendant ses congés.
— Merde, enchaîna Roger, la Guadeloupe, c’est pas la porte à côté. Et on n’a personne là-bas. On doit prévenir les autorités locales.
— Non, reprit Hector, vous avez entendu comme moi, la voix, les signes astrologiques, le message est pour nous, c’est nous qu’il veut, c’est moi qu’il veut !
— Mais attends ! Bélier ? Une journée de fête ?… quel rapport avec ma sœur ? demanda Nathalie qui restait dans le flou.
— Regarde le calendrier, lui lança Hector qui quittait déjà la pièce… Que Jonathan et Mary (2) ouvrent l’œil !
Nathalie et Marie consultèrent le calendrier, 18 août, Sainte Hélène. Nathalie quitta la pièce et suivit son équipier.
— Hector, tu vas où ?
— Je vais me préparer pour aller chercher ta sœur, reste à l’écoute, tiens-moi au courant.
— Je viens avec toi.
— Hors de question !
— Quoi ? Mais pourquoi, c’est ma sœur !
— Justement. Tu es trop engagée personnellement et émotionnellement. Tu lui ferais courir un risque. J’y vais seul.
— Et si la mission est double ?
— Je m’en occuperai.
— C’est ça, parce que tu n’es pas impliqué, toi ?
— Tu restes ici.
Elle courut vers son appartement, suivie de Marie. Lui partit vers le sien. Le temps de préparer son équipement de terrain, Hector retrouva Roger et Marie à la salle de contrôle.
— Vous avez le lieu où elle est retenue ? s’enquit-il.
— Oui, tu verras, finalement, c’est assez simple à trouver, rassura Marie. Le GPS est programmé. On a fait une cartographie rapide avec Nathalie. Tu peux y être en quatre heures, avec le jet. Selon la situation, je ne sais pas combien de temps il te faudra pour la délivrer. Le mieux serait que tu la ramènes ici, près de sa sœur.
Hector, Roger et Marie sortirent du bloc de contrôle et se dirigèrent vers la taupinière, au sous-sol, où attendait un engin, visiblement une sorte d’avion qui semblait tout droit sorti de l’imagination d’un auteur de bandes dessinées de science-fiction. Hector, d’un calme olympien, déterminé, donna les dernières consignes.
— Vous deux, restez à l’écoute de Johnny et Mary. Tenez-moi au courant, en temps réel. Et tâchez de trouver Nathalie et de la rassurer. Dites-lui que tout se passera bien.
— Sois prudent ! répondit Marie.
Elle savait que ce conseil était inutile, mais, comme une grande sœur, qui avait déjà veillé à son chevet, autrefois, alors qu’il était, lui-même, entre la vie et la mort (3), elle sentait une pointe d’inquiétude la gagner.
Hector monta dans le jet et engagea rapidement la procédure de démarrage. L’appareil s’ébranla dans un vacarme assourdissant, que Roger et Marie connaissaient déjà et contre lequel ils venaient tout juste de se protéger les oreilles. L’engin s’élança dans un tunnel et prit son envol à pleine vitesse. Dans le cockpit, Hector entendit un bruit inhabituel pour cette machine qui fonctionnait parfaitement. Nathalie sortit de sa cachette.
— Qu’est-ce que tu fiches ici ? Je t’avais dit…
— Je sais, mais je viens quand même. Tu dois faire avec !
— Tu n’es pas équipée pour.
— J’ai mon uniforme…
— Ça ne suffira pas. Avec lui, il en faut plus.
— Et le tien ?
— Un prototype récemment mis au point. Il y a quelques améliorations. Test grandeur nature.
— Et moi ?
— Je te l’ai dit, c’est un prototype.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? Comment ça va se passer ?
— J’imagine qu’il y aura des pièges, de toutes sortes, un peu partout. Des pièges bien voyants, pour en cacher d’autres, plus discrets, plus terribles.
— Tu auras besoin de moi !
— J’aurai besoin que tu restes planquée, que je n’ai plus à m’occuper que de ta sœur.
Après deux heures de vol stratosphérique à vitesse supersonique, Hector enfila une cagoule et s’apprêta à sauter du jet en vol stationnaire. Nathalie le retint par le bras.
— Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi tu t’arrêtes maintenant ? Où tu vas, comme ça ?
— On est au but, ma grande.
— Mais Marie a parlé de quatre heures de trajet… On n’est encore qu’à mi-chemin…
— On ne vole que depuis deux heures, je sais. Il a subi quelques modifications, ces dernières semaines. Roger n’est pas au courant. En fait, tu es la première à qui j’en parle… Fais-moi confiance.
Une pression sur un bouton poussoir rouge, la porte latérale s’ouvrit, Hector disparut dans le néant et l’obscurité.
1 - Voir Épisode III : Les Masques tombent
2 - Voir Épisode I : Retour aux sources
3 - Voir Épisode III : Les Masques tombent
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