Acte X : Jeu de Piste

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Hector pressentait que la Mini-Cooper ne lui rendrait pas tous les services dont il aurait besoin, aussi, il roula toute la nuit pour retourner chez lui. Après un café et une douche, il s’installa au volant de l’Aston-Martin. Puis il se rendit sur les lieux de l’incendie. Là-bas, alors qu’il avait attendu le milieu de la nuit suivante, parmi les ruines, il trouva un linteau en pierre, sur le sol, sur lequel avaient été gravées les lettres DFLGHFN. Juste à côté de l’inscription, un trou, creusé dans le linteau, était refermé par un bouchon de fortune en silex. Il dégagea le trou et y trouva une clé, marquée D0493.

— D0493 ? s’interrogea Hector, qui se remémorait la remarque de Fred. C’est une coïncidence, ou ça évoque le printemps 1993, avril, en l’occurrence ? Il me dirait que je n’ai plus le droit de croire aux coïncidences… Cette clé bizarre m’est donc forcément destinée. Mais dans ce cas, ces lettres, qu’est-ce qu’elles veulent dire.

DFLGHFN, un acronyme qui ne lui évoquait rien, pourtant, une référence se cachait nécessairement derrière cet enchaînement de lettres, forcément non-aléatoire. Dans le doute, il examina la clé sous tous les angles possibles. La forme du petit objet n’était pas des plus classiques, pourtant, Hector ne parvenait pas à identifier le problème qu’il semblait pressentir. Il se résolut à rejoindre son coupé anglais fétiche, dans lequel un laboratoire miniaturisé à l’extrême lui permettrait d’analyser ce cadeau qu’Alban semblait lui avoir fait, de nombreuses années auparavant.

Un petit plateau sortit de la boîte à gants, alors qu’un écran holographique apparut sur le pare-brise, dès qu’Hector eut enfoncé simultanément le bouton des warnings et celui du dégivrage de la vitre arrière. Il posa la clé sur le plateau, tira légèrement sur le bouton de réglage de volume de l’autoradio, ce qui fit rentrer le plateau à sa place. Tout à coup, une image de la clé fut projetée sur le pare-brise, et une savante manipulation du bouton de sélection des fréquences permit d’orienter de diverses façon la projection tridimensionnelle, de grossir ou réduire la taille de l’image à volonté, de telle façon que ce qu’Hector avait d’abord pris pour une micro-rayure se révéla être, en réalité, une reproduction des mystérieuses lettres DFLGHFN.

— Tu as des traces de ce que j’ai pu faire, en avril 93 ? demanda Hector à Fred, par téléphone.

— Tu lui as téléphoné, et ça ne t’a pas réussi, lui répondit son ami.

— Non, je veux dire avant, avant cette soirée-là.

— Je vérifie, une minute… Fin mars, on est allé faire ce stage, à la Fachhochschule de Dortmund, et le samedi soir, on est allé voir le match, entre le Borussia et le Fortuna Düsseldorf, en coupe d’Allemagne. Oui, je me souviens, quelle soirée !

— Merde ! Düsseldorf ! Merci ! À plus.

Après quelques recherches sur son téléphone portable de la dernière génération, Hector arriva à la conclusion suivante : DFLGHFN signifiait Düsseldorf Flughafen, l’aéroport de Düsseldorf, en Allemagne, dans une région qu’il connaissait bien, la Westphalie – Rhénanie du Nord. La clé était une clé de consigne. Hector se rendit donc à Düsseldorf pour découvrir ce qui l’y attendait.

-

L’aéroport international de Düsseldorf fourmillait de voyageurs de tous horizons, touristes comme hommes d’affaire, cherchant la porte d’embarquement, le bureau de location de voitures, la famille venue les accueillir. Hector se dirigea vers les casiers de consigne, trouva le casier D0493 et l’ouvrit. Une enveloppe cachetée sur laquelle étaient inscrites les lettres « HF », ses propres initiales, attendait d’être trouvée et ouverte. Hector s’entendit parler à voix haute à ce grand absent qui avait visiblement décidé de le faire jouer à un jeu de piste, mais qui ne serait plus là pour le voir.

— Quoi ? Si tu avais quelque chose à me dire, pourquoi pas avant de mourir ? Et si ta maison n’avait pas brûlé ?

Hector décacheta l’enveloppe, y trouva un prospectus, et, à sa grande surprise, une photo de Nathalie.

— Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Nathalie ? Comment c’est possible ? Et qu’est-ce que tu es allée foutre là-bas ?

Il sortit son téléphone de sa poche, tapota sur l’écran et le porta à son oreille.

— Marie ? J’ai besoin de savoir très vite qui sont les cadavres chez Alban. Surtout la femme. Matche avec les archives…

— Les archives ? Tu penses à qui ?

— Vérifie Nathalie.

— Bon sang, c’est pas vrai…

— Vérifie s’il te plaît.

Tout de suite après avoir coupé la connexion, Hector lut le prospectus.

— Clinique privée, chirurgie réparatrice, de père en fils, Docteur Winter, Santa Monica, CA.

Hector reprit son téléphone et composa le numéro qu’indiquait la brochure de la clinique. Il s’exprima dans un anglais sans accent.

— Good Morning. I would like to get an appointment with Dr. Winter please. In the next days, end of a day… Fischer. Thank you very much. (1)

Hector avait laissé l’Aston-Martin dans le parking couvert de l’aéroport, et prit un billet d’avion pour les États-Unis. Ce moyen de transport lui semblait tout à fait approprié pour se rendre à Los Angeles, bien qu’il fût moins rapide que le jet du centre, et malgré le fait qu’il dût laisser en soute son sac dans lequel sa nouvelle tenue voyagerait le plus discrètement possible.

Seul un petit fascicule fut conservé à portée de main par le voyageur, une sorte de notice d’utilisation pour les gadgets que lui avait confiés son ami. Après une lecture rapide du manuel, Hector sortit son téléphone portable de sa poche, composa un texto en trois courtes phrases et l’envoya à un numéro à dix chiffres à la suite desquels il ajouta une suite de cinq caractères alphanumériques indiquée à la dernière page du livret. Puis il éteignit son téléphone, le replaça au fond de sa poche et s’octroya le droit à un petit somme jusqu’à l’atterrissage.

-

Santa Monica était une ville de quatre-vingt-dix-mille habitants enclavée entre Los Angeles et l’Océan Pacifique. Ses palmiers avaient vu naître diverses célébrités mondiales, de Shirley Temple à Angelica Huston, en passant par Robert Redford, et avaient pleuré la disparition de grands noms comme Douglas Fairbanks, le truculent Stan Laurel ou encore la divine Farrah Fawcett. La clinique dont le prospectus faisait la présentation occupait un immeuble de treize étages, au croisement de Arizona Avenue et de la Quinzième Rue, au-delà de laquelle lui faisait face le UCLA Medical Center. L’Arizona Avenue traçait une ligne droite rejoignant directement, au sud-ouest, la plage et l’océan. Hector franchit la porte d’entrée du grand bâtiment blanc et se présenta à l’accueil.

— Good afternoon, Fischer, I have an appointment with Dr. Winter. (2)

— Sure ! Mr. Fischer, please have a sit, the doctor will receive you in a minute. (3)

Après une courte attente, Hector entendit une voix visiblement ravie qui ne cachait pas un accent allemand fortement marqué.

— Monsieur Fischer ! Je ne vous attendais plus !

Que ce fût dans la langue de Goethe ou dans celle de Shakespeare, le nom Winter s’écrivait de la même façon et signifiait la même chose, l’hiver. Seule la prononciation du « W » permettait de faire la distinction sur l’origine du Docteur, mais ce n’était pas ce qui, pour le moment, surprenait le plus Hector.

— Comment ça ? J’ai à peine une minute de retard…

— Non, vous ne comprenez pas, reprit le Docteur Winter, je vous attends depuis de nombreuses années, voyez-vous ? Mais je manque à tous mes devoirs, permettez-moi de me présenter, Docteur Hans Winter ; venez dans mon bureau, je vous prie.

— Expliquez-vous…

— Je me suis longtemps demandé si ce n’était pas un canular. Il semble que non, je vois. D’accord, je vous dois une explication. Il y a une douzaine d’années, un de mes patients m’a annoncé votre venue dans mon cabinet. Après quelques jours sans nouvelles, je m’étais fait une raison. Puis, plus tard, en revérifiant mes rendez-vous passés, j’ai retrouvé votre nom. Alors, devant ce mystère, je me suis dit que j’allais vous attendre, indéfiniment si besoin. Douze ans, et vous voilà enfin. Mais vous ne semblez pas avoir besoin de mes services, je me trompe ?

— J’aurais plutôt besoin que vous éclairiez ma lanterne.

— Votre Laterne ? (4)

— En réalité, j’ai reçu une sorte d’invitation, d’un très vieil ami à moi. Qui vous aurait peut-être même conseillé à une autre de mes connaissances.

— Oui, je comprends. Nombreux sont mes patients qui me connaissent par le bouche-à-oreille. Mais pourquoi vous avoir envoyé une invitation à venir dans mon établissement ? Encore une fois, vous ne semblez pas avoir besoin de moi.

— Je cherche à comprendre. Dites-moi, qui est ce patient qui vous a parlé de moi ?

— Ach ! Monsieur Fischer, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, le secret médical, voyez-vous…

— Docteur, je vous en prie, faites un effort, depuis le temps, il y a sûrement prescription.

— Ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’avait pas l’air d’avoir besoin de moi non plus. Mais il a insisté. C’est à la fin de son séjour qu’il m’a annoncé qu’un ami de lui, un certain M. Fischer, vous, donc, viendrait me voir sur ses recommandations.

— Il n’avait pas besoin de chirurgie esthétique, mais vous l’avez tout de même soigné ?

— Chirurgie réparatrice, je vous prie.

— Réparatrice ? Vous réparez quoi ? En particulier s’il n’y a rien à réparer ?

— Vous savez, la plupart de mes patients ont eu des accidents, toutes sortes d’accidents de la vie. Parfois, ils sont défigurés, parfois, ils sont amputés. Parfois ils se trouvent simplement trop petits, ou trop grands.

— Trop petits ou trop grands ? Et vous leur faites quoi, à ceux-là ?

— Nous leur rallongeons ou raccourcissons les jambes, par exemple. À d’autres, nous greffons un visage, un membre pour remplacer une jambe perdue…

— Voyez-vous ça…

— Et votre ami, quel est son nom ? Peut-être je le connais.

— En réalité, ç’aurait un sens s’il était votre patient mystère. Mais il avait déjà quitté ce monde, il y a douze ans. Dites-moi, sur votre brochure, il est écrit que vous pratiquez de père en fils.

— Oui, mon père s’est installé ici juste avant la guerre. Il a préféré fuir l’Allemagne Nazie, pour protéger sa famille, voyez-vous ? C’était un bon médecin, il a trouvé une clientèle facilement ici, en ces temps difficiles. Puis, il a changé un peu d’activité au retour des braves, en 45. Je lui ai succédé, et mon fils est mon premier collaborateur. Il prendra la suite lorsque j’irai dans la retraite.

— Derrière cette porte, il y a quoi ?

— Monsieur Fischer, vous le savez, chacun a ses petits secrets. Les miens sont d’ordre professionnel, médical pour être tout à fait exact. Maintenant, je vais devoir vous demander de m’excuser, mais il me faut partir. Je suis ravi de vous avoir rencontré, enfin. N’hésitez pas à me recommander à vos amis, à l’occasion…

1 — Bonjour, je voudrais avoir un rendez-vous avec le docteur Winter, s’il vous plaît. Dans les prochains jours, en fin de journée… Fischer. Merci beaucoup.

2 — Bonjour, Fischer, j’ai rendez-vous avec le docteur Winter.

3 — Certainement ! Monsieur Fischer, asseyez-vous, je vous prie, le docteur va vous recevoir dans une minute.

4 - Lanterne, en allemand.

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