Chapitre 3 : Soline : Le début d'un grand voyage.

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Moi qui ne rêve jamais, je passais ma nuit prisonnière d'un cauchemar.

Roagan. Royaume elfe. Je devais avoir cinq ans... Je me sentais apeurée. Je voulais me réveiller, courir, fuir, mais mon corps ne m'obéissait plus. Un cri. Je me retournais violemment et ressentis profonde douleur à l'épaule. Il y avait eu des larmes, des tas de personnes, la magie... J'allais mourir. Non, il était là... Je...

Je me réveillais en sursaut. Instinctivement, je portais la main à mon cou. Je tâtais pensivement le velours du collier qui l'entourait et regardais l'encoche au milieu de celui-ci. Des mèches blondes formaient une sorte de sceau. Douze ans qu'elles me protégeaient et pourtant elles demeuraient toujours aussi belles.

Je m'apprêtais à me recoucher quand une légère douleur piqueta mon épaule. Je frissonnais lorsque mes doigts contournèrent la cicatrice. Soupirant, je repositionnais mon bras. Je me rendormis d'un sommeil un peu plus calme, alternant entre rêves et cauchemars.

Lorsqu'Iram me réveilla le lendemain, je me changeais et descendis au salon, dans un état second. Je n'avais clairement pas assez dormi.

Il y avait beaucoup de monde, avec qui Iram discutait déjà. Je souris : lui qui était assez renfermé, parlait avec entrain avec un homme. Il devait avoir une trentaine d'années, avec des yeux qui me fascinèrent immédiatement. En effet, l'un était blanc et l'autre noir. Il caressait sa barbe, un bouc en forme d'ancre, avec un grand sourire. Sekram voletait autour d'eux en poussant des petits cris de joie.

Riham les rejoignit et je me décidais à faire de même.

  • Bonjour Iram, bonjour Riham. Comment allez-vous ?
  • Bien et toi ? me répondit mon frère.
  • Je n’ai pas très bien dormi, ça va quand même. marmonnais-je.

Je le vis hausser un sourcil mais il ne se tut. Je détournais le regard pour le planter dans ceux du nouvel arrivant.

  • Et vous, vous êtes ?
  • Katamo De Miluis. Vous pouvez m'appeler Katamo. Et vous Soline, je suppose. Votre frère m'a dit le plus grand bien de vous.

Sa voix était profonde et grave. Très rassurante même.

  • Ah bon ? Vous allez être déçu alors. plaisantais-je.
  • Je ne pense pas, vous semblez... intéressante.
  • Merci. Je crois.

Les autres pouffèrent doucement alors que le sourire de Katamo s'élargit encore.

  • Katamo est un mage. expliqua Riham. Il a été mon mentor lorsque je faisais mes études dans son royaume. J'aimerai être érudit, en plus d'être guerrier. Ainsi, quand je prendrai le relais et gouvernerai Seran, je serai prêt à toutes éventualités.
  • Et tu es devenu un bon ami en plus d'être un bon élève.
  • Je n'en doute pas.

Ils s'échangèrent des tapes amicales dans le dos, rigolant des souvenirs du passé.

  • On peut savoir ce qui vous fait autant rire ? demanda une voix rauque et gutturale.

Nous nous retournâmes et je me demandais d'où venais la voix, puisqu'il n'y avait personne en face de nous. Heureusement, je pensais à baisser la tête. Notre interlocuteur était un nain. Il faisait la taille de ma jambe et avait des yeux vert émeraude, d'une beauté sans pareille.

  • Soline, Iram, je vous présente Gorim. sourit le prince de Seran.
  • Gorim de Blankfor, roi de la Montagne Blanche, je te ferais dire. rétorqua le nain.

Bien qu'il fît semblant d'être outré, ses yeux riaient.

  • Oh, excusez-moi, majesté... se moqua Riham. Ou ma reine... Tu n'as toujours pas coupé tes cheveux... Depuis combien de temps tu les laisses pousser ?
  • Je dirais une petite centaine d'années. Après tout, ça ne fait que trois ans que nous ne sommes pas vu. Et vous !

Il se tourna vers nous. Je vis Iram hésiter à répondre, face au ton autoritaire de Gorim.

  • Dans mes bras, chers cousins !

Sans un mot de plus, il m'enlaça la taille avant de faire de même avec mon frangin. Quand il nous lâcha, je demandais, perplexe :

  • Comment ça, "cousins" ? On se connaît ?

Soudain, Gorim éclata de rire, de manière franche et caverneuse :

  • Non, on ne se connaît pas ! Mais chez les nains, on fait quasiment tous partit de la même famille, alors vous êtes mes cousins aux quinzième degrés ou un truc comme ça ! Mais je reste l'ainé, j'ai quand même huit cents trente-deux ans !
  • Pourrais-tu faire moins de bruit, Blankfor ?

Je sursautais. Cette voix me disait quelque chose. Mais quoi ? Faisant demi-tour sur moi-même, je me vis un homme, à qui on ne pouvait pas donner plus de dix-sept ans. Il avait des yeux bleus hypnotisants, avec des reflets dorés. Ses oreilles pointues achevèrent de me convaincre : j'avais un elfe en face de moi. Gorim grommela dans sa barbe et les mots "elfe" et "prétentieux" furent distinctement prononcés.

L'inconnu se présenta immédiatement :

  • Je suis Soren Frigidian*, prince de Hopure et du royaume de Roagan.

Il sortit un lien de cuir de la poche intérieur de sa veste, fait dans un léger tissu sombre, pratique pour se camoufler dans la forêt. Puis, il attacha ses cheveux, d'un blond presque or. À ce moment-là, je sentis mon cœur rater un battement. Je portais la main à mon collier, caché par le haut col de ma chemise. Reculant doucement, je tentais de sourire.

  • Enchanté sieur Frigidian...
  • Soline, je suppose... Et Iram, c'est ça ?

Comprenant ma détresse, Iram répondit à ma place.

  • En effet. C'est un plaisir de vous rencontrer.
  • Pour moi aussi. C'est fou ce que vous ressemblez à vos parents...
  • Vous les avez connus ? demanda-t-il.
  • Bien sûr, j'ai près de quatre cents ans !

J'étais à présent à côté d'Iram et lui serais la main. Il ne me lâcha pas et resserra même son emprise. Il me regarda et j'acquiesçais. Katamo dut sentir que quelque chose clochait car il lança :

  • Bien, je vois que les présentations sont faites. Et si nous commencions ?
  • Bonne idée, approuva Riham.
  • Oui, il vaut mieux... répondit Gorim.

Il avait enlevé le marteau de combat et la hache qui étaient attachés dans son dos et les regardait avec attention.

  • Bon, commença Katamo. Nous allons partir aujourd'hui même, au début de l'après-midi. Ainsi, nous éviterons d'éventuelles attaques de Malaka, ces créatures sanguinaires... Elles n'hésiteront pas à nous tuer, pour la simple et bonne raison que nous accompagnons les Élus.

Il nous montra du doigt.

  • Notre aventure sera périlleuse, et nous aurons deux objectifs : le premier, garder Soline et Iram en vie.
  • Et le deuxième ? demanda Soren.
  • Récupérer des éléments importants. D'après les vieilles légendes, Galéon a vaincu Tonn à l'aide d'un collier...
  • Formé par des éléments de chaque peuple... continuais-je machinalement.
  • Qui correspondent à des symboles des royaumes. finit Iram.

Tous se tournèrent vers nous. J'expliquais :

  • Bah quoi ? Papa et maman nous ont souvent parlé de Galéon... C'était notre histoire du soir, en quelque sorte.

Katamo fut le premier à réagir :

  • Dans ce cas, peut-être savez-vous comment préparer le collier ? Ou les éléments qu'il faut trouver ?

Nous réfléchîmes un instant avant qu'Iram réponde :

  • Ni l'un nu l'autre... C'est une légende, ce n'est jamais précis. Maman disait que Galéon a trouvé la méthode de fabrication une fois arrivé à la montagne et ils abrégeaient sa quête, nous expliquant juste qu'il avait récupéré les objets...
  • Je vois... soupira le mage. Et la liste, les symboles ? Comment a-t-il su ?
  • Apparemment, dis-je, il l'a trouvé dans des livres très anciens...
  • Bien. J'ai peut-être une idée d’où pourrait se trouver ce procédé aujourd'hui.

Il échangea un regard entendu avec Riham. Celui-ci prit la parole.

  • Nous irons à pied, les calèches sont plus rapides mais moins discrètes, et je ne veux pas que quiconque soit au courant pour notre quête. Il est actuellement 13h45. D'ici une heure, nous devons être partit. Nous voyagerons vers Echandi, royaume Mage, en passant par les Six Collines.
  • Pourquoi par là-bas ? s'étonna Soren.
  • Parce qu'il faut connaître les ennemis et Echandi est spécialisé dans les créatures en tout genre. Nos bibliothèques sont réputées dans les Mondes entiers...

Plus personne n'émit de protestations et nous partîmes nous préparer. Mon frère et moi conservâmes nos valises, tandis que nos nouveaux amis durent organiser les leurs. Nous passâmes donc notre matinée à vagabonder dans les parcs royaux. Des milliers de plantes différentes y poussaient ! Iram resta longtemps admirer l'Orchidaceae Sanatorum, une fleur censée guérir n'importe quelles blessures ou maladies. Mais elle n'éclot qu'une fois tous les millénaires...

Enfin, un page vint nous chercher et nous emmena devant le château, où le reste du groupe nous attendaient. Sans un mot, nous nous mîmes en chemin.

Passant dans des ruelles discrètes, longeant les devantures des boutiques de Serruin, la ville entourant le château. Malgré les nombreuses réprimandes de Riham, Iram ne cessait de s'arrêter, observant les magasins, les passants, les maisons...

La plupart des bâtisses étaient faites de briques blanches ou marrons et leurs toits brillaient au soleil. Les rues, bordées d'arbres en fleurs, ajoutaient un côté presque poétique à la ville. Les habitants vagabondaient, marchandaient, discutaient, mangeaient... C'était étrangement agréable à voir. Iram et moi connaissions très peu le monde extérieur, nos parents ne nous y emmenaient que rarement, et que dans des endroits isolés, à l'abri de tous.

Bientôt, la ville se transforma en campagne, champs et forêts. Les gens se firent plus rares, cédant la place à des paysans modestes, qui retournaient la terre et plantaient diverses graines. Quelques cris d'animaux nous parvenaient depuis les bois qui longeaient le petit chemin que nous prenions.

Enfin, Riham rompit le silence.

  • Nous sommes à l'abri ici. Vous pouvez parler. Si nous devons passer les trois heures restantes dans le silence, je vais devenir fou !

Ce fut le signal. Nous nous mîmes tous à parler. Iram avec Katamo, Riham avec Gorim, me laissant avec Soren. Celui-ci me sourit :

  • Comment vas-tu ? Pas trop fatiguée ? Ou alors trop émerveillée par le monde extérieur pour ça ?

Je tentais de répondre sans trembler :

  • Fa... Fatiguée et émerveillée.
  • Je vois. Auriez-vous déjà visité certaines des contrées de Serc ?
  • Un peu... Roagan... J'avais cinq ans...
  • C'est vrai ?! Incroyable ! Quelle partie de Roagan ?
  • La Plaine aux Papillons...
  • Je comprends que tes parents t’emmènent là-bas. C'est un endroit magnifique, j'aime m'y rendre.

Je fis un sourire crispé. Il remarqua enfin ma gêne.

  • Qu'y a-t-il ? Aurais-je fait quelque chose de mal ?
  • Non, non, non ! Ce n'est pas vous ! C'est... compliqué.

Je caressais le collier sous mon maillot.

  • C'est-à-dire ?
  • Je ne me sens pas à l'aise face aux elfes... J'ai un peu... peur ?
  • Oh, mes excuses, je ne savais pas... Pourquoi donc ?

Je gardais le silence.

  • Bien, je n'insiste pas. Je vais te laisser dans ce cas.
  • Tu n'es pas obligé. Je peux te parler, mais j'ai du mal à être détendue.

Il eut un nouveau sourire et nous discutâmes. Pas très longtemps car Riham l'appela et je me retrouvais à faire la route avec Gorim. En fin d'après-midi, nous arrivâmes au pied des Collines. La nuit ne tombant pas encore, nous commençâmes à monter.

La première était verte et vivante, avec des petits animaux gambadant à droite et à gauche. La seconde, quant à elle, était plus... sombre. Par endroit, l'herbe jaunissais, la faune se terrait où se battait. La troisième, où nous nous arrêtâmes, semblait brulée. Il n'y avait aucun bruit, même le vent se taisait. Aucune plante ne poussait, les rares bêtes étaient menaçantes. Nous nous installâmes en haut de la colline et plaçâmes un campement de fortune. Katamo sortit de son sac quasi-sans-fond, des couvertures en laine et des provisions, des sortes de boîtes de conserve, contenant une soupe avec des petits morceaux de viandes. Soucieux d'économiser la nourriture, nous n'en prîmes qu'une chacun.

Après quelques minutes de discussions, il fit entièrement noir et nous nous couchâmes.

Pourtant, Soren nous sortit du sommeil très rapidement. Étant encore plongée dans un cauchemar, je lui en étais plutôt reconnaissante. Il écoutait attentivement les bruits alentour. Alors que, pétrifiés, nous attendions son verdict sur la situation, il s'écria :

  • Il y a quelque chose qui vient vers nous !
  • Qu'est-ce que c'est ?! demanda Riham
  • Je ne sais pas... zzz... se rendormit Gorim
  • On est attaqué ? demandais-je
  • Ce sont des Ankmars ! cria Soren.

Cela nous fit sortir de notre torpeur immédiatement. Les fantômes s'avançaient vers nous, armes translucides au poing, prêts à posséder nos esprits.

D'un bond, nous attrapâmes nos armes et nous nous mîmes en position de combat. Les Ankmars arrivèrent face à nous, leurs armures fantômes scintillant dans la nuit. Un silence pesant s'abattit sur la colline. Ce fut un des monstres qui attaqua le premier, se jetant sur nous. Riham voulu parer son attaque à l'aide de son épée, mais il se contenta de traverser son ennemi.

Un combat épuisant se mit en marche. Aucun de nous ne faiblissait, mais comment vaincre des adversaires qui peuvent nous atteindre mais qu'on ne peut pas toucher ?

D'une roulade, je partis sur la gauche, évitant une épée fantomatique. J'eus juste le temps de me relever qu'un Ankmar me prit pour cible. Ne pouvant être offensive, je me contentais d'esquiver, encore et encore. Mes amis faiblissaient, et moi aussi.

Les dagues et les flèches de Soren les traversaient, l'épée de Riham et le pinceau-dague d'Iram aussi. Même la magie de Katamo était inutile ! Finalement, à bout de souffle, Iram me cria :

  • Soline, ta Transfarme !

Je le regardais un instant sans comprendre, avant de saisir son idée :

  • Je vais essayer !

M'écartant un peu du combat, je pris le manche de mon épée à deux mains et me concentrais.

Deviens une lame fantôme... Deviens une lame pour battre les Ankmars...

Quand mes yeux se rouvrirent, ma lame était blanche et vaporeuse.

  • Mais c'est que ça marche ! dis-je. Merci Iram !

Je me précipitais vers le fantôme qui s'apprêtait à pourfendre Gorim. L'épée fantôme lui traversa le ventre et il se désintégra dans un nuage particules blanches. Le nain s'effondra au sol, épuisé. Katamo le rejoignit une seconde après la décapitation de son ennemi. Mais il restait encore sept Ankmars.

On n'entendait plus que le bruit des épées fantôme. Mes compagnons tentaient de m'aider, de les distraire. Je me baissais rapidement avant de me relever, lame vers le haut, transperçant le crâne du soldat maudit. D'une torsion du poignet, j'embrochais son voisin avant de perforer la cage thoracique du dernier. Je toussais et crachotais à cause du nuage de particules laissée par les morts.

  • Eh bien... Ton arme est pratique... murmura Katamo.
  • Cadeau... de mes parents... répondis-je.

Incapable de parler plus, nous nous affalâmes près du feu. Des tours de garde furent décidés. Je pris le premier, préférant la solitude de mes pensées aux cauchemars qui me rongeaient.


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Prononcer [Friguidianne]

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