Chapitre 6 : Iram : La demande de la Reine.

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Je ne comprenais pas : Soline avait utilisé sa magie pour repousser Soren. En cet instant, ce n'était pas ma sœur qui attaquait Soren, mais quelque chose de beaucoup plus sombre.

Laissant l'elfe se remettre de ses émotions, je partis à la recherche de ma sœur. Comme à chaque fois qu'elle se sentait mal, elle s'était tassée dans un coin du jardin, entre le mur et un arbre. Je m'accroupis devant elle.

  • Tout va bien Soline ? demandais-je.

Elle parut surprise et eut un mouvement de recul. Quand elle vit que ce n'était que moi, elle se calma :

  • Ah, c'est toi. Ouais ça va.
  • Sûr ?
  • Il y a juste un truc que je ne comprends pas.
  • Quoi donc ?
  • Depuis le temps qu'on se connaît, tu es quand même mon jumeau...
  • Oui ?
  • Comment tu fais pour réussir à me surprendre ? Personne ne peut faire ça à par toi !

Je reste un instant stupéfait avant de pouffer :

  • J'ai toujours été discret, tu le sais bien. Mais toi, explique-moi un peu ce que tu as fait tout à l'heure. Je pensais que tu n'avais plus d'accès à la colère... Comment as-tu pu l'attaquer ?
  • Je ne sais pas, répondit Soline. C'était instinctif. J'avais l'impression de ne plus être moi-même.

Nous restâmes un instant songeur, jusqu'à ce que Gorim débarque :

  • Il faut y aller. D'après Katamo, c'est le moment ou jamais sinon on ne verra jamais ses majestés.
  • Bien. dis-je. On y va sœurette ?

Elle se leva, me regarda et me dit d'une voix un peu lasse :

  • A-t-on vraiment le choix ? »


§


Pour plus de discrétion, nous allâmes au château à pied. La ville me déçut... Je m'attendais, après Maf-rup, à voir des magiciens tout le long des rues, des couleurs, de la joie et de la vie ! Mais c'était terne, gris et sombre. Les magiciens étaient présents, néanmoins pas comme je l'imaginais. Ils traînaient dans les rues, portant des tenues grises ou blanches. Le château demeurait à l'image de la capitale : murs blafard, portes sans ornement, d'un bois marron, pas très bien entretenu. Pour un artiste comme moi, cette vision équivalait à l'enfer. Comme si elle avait lu dans mes pensées, Soline demanda :

  • Katamo... Tout est si sombre... Comment ça se fait ?

Katamo ne répondit pas tout de suite, trop occupé à lisser les plis de sa robe :

  • Nous, les mages, ne considérons pas la beauté des objets comme importante. Certes, pour des boutiques, c'est important, car il faut attirer le regard. Mais quand il s'agit du reste, on le délaisse car peu importe la beauté d'un objet, elle finira par se flétrir et l'objet disparaîtra. C'est la malédiction du temps. Nous vivons si longtemps... Même la couleur n'est pas importante.
  • Je vois...
  • C'est poétique comme façon de voir les choses, dis-je.
  • Si tu le penses. répondit Katamo. »

Nous entrâmes dans le hall du château et un serviteur vint immédiatement à notre rencontre. Durant l'attente de notre audience, il avait pour devoir de nous faire visiter l'endroit comme il se doit pour chaque visiteur. Il était grand et sec même si on pouvait deviner les contours d'un corps musclé sous sa livrée. Ses cheveux lui arrivaient un tantinet en-dessous des épaules et encadraient son visage. Ajoutait à ça ses yeux noisette et son regard doux, il était adorable et semblait des plus sympathiques.

  • Je me nomme Andromé, j'ai dix-huit ans et je travaille ici depuis près de sept ans. Sachez qu'il m'a fallu quasiment trois années entières juste pour apprendre le plan du château. Voyez-vous, il est magique : les couloirs peuvent s'étirer à l'infini et un seul cagibi peut contenir plus d'objet que n'importe quel royaume de ce monde.
  • Comment faisiez-vous pour ne pas vous perdre les premières années ? s'enquit Soline.

Elle regarda Andromé avec de grands yeux intrigués. Il repoussa la mèche brune qui lui tombait sur le front et expliqua :

  • Les premiers temps, on ne te laisse pas tout seul, tu travailles en duo avec un serviteur plus expérimenté. Il te guide, te donne des trucs et astuces pour t'en sortir. Puis, quand tu connais suffisamment le château, il cesse de te suivre. Et tu peux me tutoyer, ajouta le serviteur.
  • Cool. Tu en as un, toi ? De nouveau à chaperonner ? continua-t-elle.
  • Non, on peut en avoir un seulement après dix ans de services. Mais mon tour viendra bientôt. Je suis déjà au service des majestés depuis huit ans.
  • Tu travailles depuis tes dix ans ?!
  • Rien d'étonnant, rétorqua Soren. Certains commencent à travailler bien plus jeune.

Sans le regarder, Soline reprit :

  • Quand même, ce n'est pas tous les jours facile, je suppose ?
  • En effet, ria Andromé.

Ils continuèrent à discuter, Andromé s'arrêtait parfois pour nous donner quelques informations. C'était quelqu'un de bienveillant et je voyais bien que Soline était intéressée. De plus, l'intérêt semblait réciproque et je me réjouis de la voir en si bonne forme, elle qui était si morose ce matin. Il nous montra les salles de bal, bien plus impressionnantes que le reste du château, ainsi que les nombreuses bibliothèques. Il y en avait plus que chez Katamo, et bien plus grande. Il voulut passer par les cuisines, mais les cris des cuisiniers-mages l'en dissuadèrent.

Près d'une heure après, alors qu'il songeait à nous faire passer de la salle des tableaux aux catacombes, un messager arriva. Andromé prit la lettre, la décacheta et la parcouru plusieurs fois.

  • Excusez-moi, la lecture n'est pas mon fort. Le roi et la reine peuvent vous recevoir. annonça-t-il. En route ! Et marchons d'un bon pas car, si on se perd ou si les couloirs n'en font qu'à leur tête, on n’est pas près d'arriver.
  • Je pensais que tu ne te perdais plus. dis-je.
  • Ça arrive encore. Le plan du château n'est pas fixe. Souvent c'est le même pendant quatre ou cinq ans et après tout change. Du moins à l'intérieur. Un jour, le château a changé alors que j'étais dans une chambre. La seconde d'après, j'étais dans un cagibi ! Mais, quand on est expérimenté, on s'y retrouve vite. C'est pour ça que j'adore la magie.

On pouvait presque voir des étoiles briller dans ses yeux. Soline se renfrogna :

  • Toi au moins, tu peux l'utiliser. murmura-t-elle tristement.
  • Tu sais, tout le monde peut l'utiliser. C'est une question de sentiments.
  • C'est bien ça le problème. rétorqua Soline.
  • Tu n'es pas insensible ?

Soline le regarda et, à ma grande surprise, rougit.

  • Non...
  • Alors tu peux utiliser la magie. Il n'y a pas qu'une seule émotion. Toutes peuvent être utilisées pour faire de la magie. Les bonnes, comme les mauvaies. Si tu peux rester un petit peu, je pourrais te l'apprendre. À toi et à tes amis, bien sûr. se rattrapa Andromé.
  • Pourquoi pas. Ça peut être amusant.

Il eut un sourire et s'arrêta devant une immense porte en bois. Il toqua trois petits coups avant douvrir. Il nous fit signe d'entrer.

La pièce était petite. On aurait plus dit un salon qu'une salle du trône. Le sol était couvert de tapis en tout genre, dans les tons bordeaux et marron. Des tapisseries racontant l'histoire d'Echandi s'étalaient sur les murs, ne laissant de la place que pour un tableau des Majestés. Ils étaient représentés jeunes, en souvenir des temps anciens. Les fenêtres deversaient une douce lumière dans la pièce. Deux fauteuil étaient tournés vers nous. J'observais la peinture : on y voyait un couple, bras-dessus, bras-dessous, souriant. Le Roi avait des cheveux bleus et la reine rose, mais ils avaient les mêmes yeux, d'un gris profond.

Je baissais le regard et fut, à nouveau, surpris. Les dirigeants n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes... Leurs cheveux blancs, parsemés de gris, tombaient mal sur leurs visages, leurs yeux avaient perdus de leur éclat et on sentait que la vie les épuisait, qu'ils étaient las de ce Monde. Même les couronnes semblaient moins brillantes. Pourtant, ils sourirent sincérement en nous voyant. Andromé les salua :

  • Ma reine, mon roi, je vous présente vos invités.
  • Nous nous rappelons de leurs noms, tout va bien, Trésop. Murmura le roi.
  • C'est Andromé, majesté. Trésop est mon défunt père.
  • Pardonne mon époux, dit la reine. Tu peux te retirer, Mérodé. »

Andromé nous lança un regard amusé avant de quitter la pièce à reculons, la tête toujours baissée. Pendant que la porte se fermait, il eut un dernier sourire, ce qui fit sourire niaisement Soline. Nous nous tournâmes à nouveau vers les monarques. La reine se redressa sur sa chaise, ce n'était pas un trône mais un massif siège en bois verni, et parla :

  • Bien le bonjour, Soram et Irine. Et bien le bonjour à vos amis. Nous savons que vous êtes là car vous avez une demande. En tout cas, c'est ce qu'annonçait votre lettre.
  • En effet, ma reine. dit Katamo. Et leurs noms sont Soline et Iram.
  • Et vous êtes... demanda-t-elle.
  • Katamo, votre majesté. Je suis là pour les aider à formuler leur demande.
  • Et pourquoi auraient-ils besoin de votre aide, Eremo ? Dit le roi.

Je fus le seul à voir l'éclair de douleur et de tristesse qui passa dans les yeux du mage à l'évocation de ce nom.

  • C'est Ka... Oh, tant pis... Ils ne connaissent pas nos coutumes, encore moins l'Échange...

Comme pour lui donner raison, Soline questionna Katamo :

  • L'Échange ?

Le roi la dévisagea et expliqua :

  • Ici, pour obtenir quelque chose, il faut en donner une autre. C'est la loi du Troc des Échanges. En fonction de ce que vous voulez, on vous demandera un objet ou un service de valeur équivalente.

Il eut un blanc, pour que chacun puisse assimiler cette information. Puis, je demandais timidement :

  • Mais, Katamo... Pourquoi aurions-nous besoin de faire un échange ?

Il soupira :

  • La bibliothèque d'Echandi, sacré dans tout les mondes... Ses archives contiennent chaque document des royaumes, depuis leurs créations. Y compris...
  • Comment fabriquer le collier... murmura Soline.
  • Exactement. Mais accéder aux archives est interdit.
  • Formellement. ajouta le Roi.
  • Mais, repris Katamo, si l'on fait un échange... Un objet précieux ou un service important... Peut-être consentirez-vous à nous autoriser l'accès ?

Ils fixèrent notre groupe un instant avant de se concerter. La Reine se tourna vers nous :

  • Il ya bien quelque chose que vous pouvez faire. J'ai un joaillier, Caligostro, qui devait me confectionner une dague en diamant, et il ne me l'a toujours pas envoyé. Mais les Monstres... Les Malakas ont investi sa demeure et nous menacent. Eux aussi souhaitent le parchemin. Les négotiations sont en cours. Si vous me rapportez Caligostro et mon joyau, je pourrais envisager de vous donner l'accès aux réserves.

Ce fut à notre tour de discuter :

  • On peut accepter ? demandais-je.
  • Des Malakas... Des monstres inconnus mais apparemment puissants, si même ces Majestés refusent le combat... hésita le mage.
  • Eux là ? répliqua Soline. Ils sont forts ?
  • Le Roi et la Reine ne sont pas au pouvoir pour rien...
  • Mouais... Mais les Malakas... On peut les tuer non ? Non ?
  • Bah, une flèche dans la tête... proposa Soren.
  • Ou un bon coup de hache ! rajouta Gorim.
  • Bon, on accepte ? répétais-je.
  • On a pas vraiment le choix... soupira Katamo.

Il se tourna vers les Altesses :

  • Nous acceptons !
  • Parfait ! Vous partirez demain ! Un bal est prévu ce soir, vous devez rester discret. Trés... Andromé vous menera à vos chambres, dans le quartier des domestiques (Soren fit la moue). Passez une bonne journée !
  • Attendez ! s'écria Katamo. Où vit Caligostro ? Cela fit si longtemps que je ne lui ai pas rendu visite.
  • Oh, mais dans la Forêt Bleue !

Face au regard terrifié de Katamo, je me doutais que libérer le joailler n'allait pas être facile.

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