Chapitre 7 : Soline : Quonrade
Sortant dans le couloir, un peu désorientée par la situation, je vis qu'Andromé nous attendait. Il m'adressa un petit sourire qui me désarçonna. Qu'est-ce que je ressentais ? Mes joues s'empourprèrent quand je répondis à son salut.
- Bien, Andromé, annonça Soren, nous avons besoin d'une carte et d'un moyen de déplacement, jusqu'au Manoir de Caligostro, en pleine Forêt Bleue.
Il avait parlé d'un ton que je jugeais bien trop autoritaire, mais Andromé eut un petit rire qui me fit oublier ce que Soren venait de dire. D'ailleurs, je n'étais plus sûre de qui j'étais...
Pourquoi ai-je si chaud ? Qu'est-ce qu'il me fait ?
- Si vous allez là-bas, il vous faudra passer par le Cabinet... Et je ne suis pas sûr que vous y surviviez sans moi.
- Tss... Est-ce une menace ? demanda un Soren visiblement vexé.
- Non, une proposition, un pacte. Laissez-moi vous accompagner et je vous aide.
- Tu veux venir avec nous ? s'étonne Iram. Pourquoi ?
- Je me plais ici, certes... Mais je veux voyager, voir le monde, devenir quelqu'un.
Je réfléchis un instant :
- ... Pourquoi pas ? Il pourrait nous être utile. Il reste un mage.
- Voyez ? Même la jolie dame est d'accord.
Mon cœur rata un battement.
- Je suis d'accord avec Soline. acquiesça mon frère.
Comme s'il allait dire le contraire... pensais-je, encore sous le choc.
- Je n'y vois pas d'inconvénient. répondit Katamo. Je connais le Cabinet, nous aurons besoin d'aide.
Gorim et Riham acceptèrent à leur tour. Soren aussi, mais à contrecœur.
Andromé nous guida, tout sourire, jusqu'à un terrain d'entraînement. Il se trouvait à l'arrière du château, sur un plateau sableu, et on pouvait apercevoir plusieurs mannequins de combats qui attendaient, lances et boucliers à la main. La pelouse, où l’on combattait, semblait être régulièrement entretenue : pas un seul brin d'herbe ne dépassait. Quelques soldats s'entraînaient au loin. Profitant d'être juste à côté de lui, je demandais :
- Andromé ?
- Oui ? répondit-il avec un grand sourire.
- Je... Comment... Pourquoi tu m'as appelé comme ça tout à l'heure ?
- Tu veux parler du "jolie dame", je suppose. Eh bien, tu es une dame et tu es jolie. C'est tout.
- Moi ? Jolie ?
- Ma foi, oui. Et moi ? Tu me trouves comment ?
C'est quoi cette question ? Bien sûr que oui, crétin !
Il avait voulu adopter un ton léger mais ses épaules se crispèrent légèrement.
- Plu... Plutôt mignon...
- J'aime bien.
- Dis... Qu'est-ce que tu aimes ?
- Lire, la magie, et m'entraîner ! J'adore ça !
- Moi aussi ! mais tu sembles toujours calme ou enjoué, j'ai du mal à t'imaginer au combat.
- Je suis plus athlétique que je n'en ai l'air. Mais dis-moi, qui t'as appris à te battre ? Tu te bats bien ?
- Euh... Attends, une question à la fois. rigolais-je. J'ai appris à me battre avec mes parents jusqu'à... jusqu'à ce qu'ils partent. Puis, j'ai continué seule. Et, sans fausse modestie, je me bats correctement. Suffisament bien pour me défendre. Et toi ?
- Moi ? C'est le Maître qui m'a tout appris. Il est incroyable, tu verras.
Je voulais répondre mais une flèche, mal tirée par un des soldats me fonça dessus. Incappable de bouger, je fis un mouvement désespéré de mes bras. Heureusement, Andromé se plaça devant moi, me fit pivoter et attrapa le projectile en plein vol. Il se tourna vers moi, sa main au creux de mon dos, dans une posture qui me rappelait fort la valse. Son visage se tenait à quelques centimètres du mien.
- Tu vas bien ? demanda-t-il.
Je n'avais pas remarqué qu'il était si fort... Et si beau... Soline, ressaisis toi !
J'étais incapable de répondre mais il ne s'en formalisa pas trop. Il disputa les sodats au loin qui, tous penauds, me présentèrent des excuses. Andromé reporta à nouveau son regard sur moi :
- Tu es sûre que ça va ?
- Je... Oui, ça va. Merci Andromé.
Un peu soulagés, nous nous remîmes en route. Andromé, sentant que je tremblais, me rassura en prenant ma main. Mon estomac fit des cabrioles.
- Tu as peur des flèches ? Ou des armes en général ?
- Des... des flèches.
- Pourquoi ?
Je ne répondis pas.
- Ce n'est pas grave. J'attendrai que tu soit prête à m'en parler.
Il ne me lâcha la main qu'une fois que nous eûmes traversé toute la cour. Il s'arrêta devant un homme d'âge mûr, pour ne pas dire un doyen, aux cheveux bleus parsemé de blanc. On aurait dit un ciel nuageux. Une pipe dans la bouche, les yeux fermés, il dormait. Ou il était mort...
- Maître Quonrade. appela Andromé. Maître Quonrade ?
Il se tourna vers nous avec un soupir et nous fit signe de nous boucher les oreillers. Katamo obéit immédiatement, pas nous, pour notre plus grand malheur. Andromé hurla :
- MAÎTRE QUONRADE !!
Le maître d'armes ouvrit brusquement les yeux et se réveilla en sursaut. Sa pipe glissa de sa bouche. :
- QuiQueQuoiOùSuis-je ?!! Cria-t-il.
- Maître, c'est moi, Andromé. Je vous amène les invités du roi et de la reine. Ils doivent vérifier leur matériel.
Quonrade nous fixa un instant sans comprendre, ramassa sa pipe et se leva. Il commença à marcher vers une vieille bicoque, un peu à l'écart du terrain. Alors que nous pensions qu'il avait perdu la boule, il se tourna vers nous :
- Qu'est ce vous attendez ? Suivez mien. Grogna-t-il.
Andromé, dans sa grande gentillesse, se chargea de la traduction :
- Il vous prie de bien vouloir l'accompagnez dans la réserve dans les plus brefs délais. dit-il avec un sourire.
Presque aussitôt, des papillons se mirent à danser dans mon ventre.
Que se passe-t-il ? Pourquoi je me sens si mal et bien en même temps ? Et puis ses yeux... Il a un regard... Je... Rahhhhhhh !
Ma réflexion fut interrompue par le grincement des gonds rouillés de la porte de la réserve. Nous découvrîmes alors un atelier sombre, encombré par des centaines d'épées, de lances, de boucliers et d'armures. Quonrade attrapa une lampe magique et commença à insufflait sa magie à l'objet. Cependant, le feu refusait de s'allumer, la lampe étant, à son apparence, assez vieille et usagée. Finalement, Andromé se lança à la rescousse de Quonrade. Une fois à la lumière, l'endroit paraissait plus accueillant.
- Passez mien vos défenses ! lança Quonrade avec impatience.
Il tira une longue bouffée de sa pipe, et laissa la fumée violette s'échapper de son nez.
- Ce que mon ami veut dire, commença Andromé, c'est...
- Nous savons ce qu'il veut dire. coupa Soren, agacé. Tenez, mon brave. Ajouta-t-il à l'adresse de Quonrade.
Il lui passa son arc d'un geste que je compris comme hautain. Je me renfrognais à nouveau. Andromé regardait l'elfe avec incompréhension et Quonrade semblait outré. Iram réagit assez vite :
- C'est très gentil de ta part de nous traduire ce qu'il dit, Andromé. Sache que mon ami pense juste que nous sommes capable de deviner par nous-même le dialecte de Quonrade. Quant à vous, Maître, mon ami ne veut pas vous vexer. Pour que ces Majestés elles-mêmes vous demandent de garder les armes, c'est que vous devez être un combattant remarquable et un grand sage.
Son discours eut trois effets : Soren en fut mécontent, Andromé applaudit et Quonrade sourit. Il lui manquait beaucoup de dents... Quand Andromé cessa d'acclamer Iram, il le regarda intensément :
- Dis donc, tu manies bien les mots... C'est impressionnant ! Tu es vraiment intéressant ! Mais sache une chose : les mots peuvent autant guérir que blesser, fais attention à comment tu les utilises.
- ... Je vois, merci.
Andromé se remit à sourire et partit s'occuper de la hache de Gorim. Quonrade prit l'arc de Soren et l'épée de Riham. Ce fut à ce moment que mon frère me glissa :
- Dis, sœurette, tu le trouve comment Andromé ?
Je trébuchais sur un bouclier et me rétablis de justesse :
- Qu'est ce... Qu'est-ce que tu veux dire par là ? bredouillais-je.
Iram me taquina :
- Je veux dire que tu sembles t'intéresser à lui. Et que ça m'a l'air réciproque.
- Tu... Tu dis n'importe quoi ! Je ne suis pas amoureuse... Je...
Mon regard se posa sur Riham et Andromé qui s'entraînaient dans un combat d'escrime.
-Je ne... suis pas...
Je secouais ma tête et voulus me tourner vers mon frère, mais il était déjà parti s'occuper de son pinceau géant. Quonrade retailla la pointe et poli le manche. Puis, il vint vers moi.
- Laissez tomber, dis-je. Vous ne pourrez pas vraiment vous occuper de mon arme...
- Pourquoi qu'ça ?
En soupirant, je pris ma dague. Un instant plus tard, je tenais une épée. La seconde suivante, une hache. Puis une massue, une hallebarde, un sabre... Quand je m'arrêtais, Quonrade ne broncha pas.
- Passez mien ça...
- Mais...
- Passez mien ça !
- D'accord, d'accord !
Je lui tendis ma Transfarme, sous forme de dague. Il l'étudia quelques minutes et demanda :
- Pourquoi une dague ?
- Plus pratique, petit, discret. répondis-je.
- Pourquoi que t'as ça ?
- Cadeau de mes parents, avant de partir pour toujours. Un héritage quoi.
- Combien de transformations ?
- Autant que je le veux. Je peux décider de tout. Mais ça me prive de pas mal d'énergie. Chaque changement m'enlève de l'endurance.
- Mouais... J'vais m'en occuper...
Il s'éloigna en clopinant vers son atelier. Andromé en profita pour se placer à mes côtés.
- Soline… J’aimerais te demander quelque chose. Tu veux bien m’accompagner ?
Je regardai autour de moi : tous étaient occupés... Je lui fis signe que oui et il m'entraina à l'écart, près des mannequins d'entraînement. Un long silence s'installa entre nous. Un peu gênée, je commençais à parler :
- Bon... Tu voulais me demandais quelque chose ?
Il me regarda fixement et souffla :
- Qui a-t-il exactement entre Riham et toi ?
Il avait voulu paraître calme, mais sa voix trahissait sa nervosité.
- Absolument rien, répondis-je sincérement.
- Pourtant, tu es assez proche de lui et tu le regardais beaucoup pendant notre combat...
- Andromé... Je... Riham est la première personne à nous avoir trouvé... Et ce n'est pas lui que je regardais !
- Alors qui ? demanda-t-il. Tu regardais qui ?
Sans répondre, je sentis mes joues chauffer. Andromé reprit :
- Tu sais, j'ai perdu mon combat face à lui...
- Oui ?
- Mais c'est parce qu'une personne retenait mon attention... La même personne qui me pousse à vous accompagner...
- Et qui est-ce ? demandais-je.
Mais nulle trace de nervosité dans ma voix, plutôt une grande joie.
- Je ne sais pas... répondit Andromé, rougissant enfin.
Un ange passa. Mais ce silence-là était confortable. Pourtant, je ne pus m'empêcher de parler :
- Encore merci pour tout à l'heure.
- Avec le soldat ? C'est normal. En aucun cas, j'aurais voulu qu'ils te blessent.
- Et pourquoi donc ?
- Dès que je t'ai vu, il y a eu quelque chose en moi. Tu sembles forte mais précieuse. J'ai envie de rester à tes côtés, de te protéger.
- Oh...
- Mais bon, je ne sais pas si je peux vraiment partir avec vous...
- Bien sûr que si, tu peux ! Je te défendrai, tu viens avec nous dès que nous reviendrons de chez Caligostro !
- Dans ce cas, je t'attendrais.
- Oui... Dis, tu m'apprends la magie ?
Ses yeux pétillèrent et il répondit oui aussitôt.
Se plaçant en face de moi, il me guida doucement :
- Alors, fermes les yeux... Voilà... Maintenant, concentres-toi sur ce que tu ressens : le vent dans tes cheveux, le soleil couchant qui réchauffe ta peau... Ce paysage magnifique dont tu es le centre... Les piallement des oiseaux...
Un frisson parcouru mon corps.
- Maintenant, tu vas tenter de Voir. Regarder sans ouvrir les yeux. Libère ton âme, sens nos esprits...
La silhouette d'Andromé apparut devant mes paupières closes. Elle était éthérée, faite d'un nuage doré.
- C'est bon, tu y es ?
- Oui, je te Vois...
- Maintenant, en restant concentrée, tu vas tendre ta main.
J'obéis à son injonction et il vint se placer derrière moi, en posant sa paume en dessous de ma main tendue. Je pouvais sentir son parfum, un mélange d'herbe fraîche et de Deiorus, la fleur des Dieux. Pendant un instant, je perdis ma concentration. Mais je m'en remis vite. Andromé continua :
- Penses à un souvenir, une sensation, un moment ou une personne qui te fait ressentir de la joie, ou un sentiment positif.
Mes pensées se focalisèrent sur lui.
- Bien. Tu vas imaginer une boule de feu ardent au creux de ton cœur. Le feu passe dans tes poumons, remonte vers ta tête, consumme tes veines, pour se loger dans ta main. Il va venir entourer ta main, la protéger. Oui, tu y es ! Regarde !
En ouvrant les yeux, je vis une une sorte de gant enflammé autour de ma main. Je jouais avec un instant mais une étincelle tomba au sol, brûlant la pelouse. Sans effort, Andromé fit couler de l'eau de son doigt et éteignit le brasier naissant.
- Tu es tellement plus doué que moi... soupirais-je.
- Non, j'ai eu plus d'entraînement. Sache que rares sont ceux qui ont un aussi bon résultat dès la première tentative.
- Je ne suis pas inconnue de la magie pour autant.
- Mais ça reste impressionnant. Je me demande : à qui as-tu pensé pour obtenir une telle flamme ?
Je ne répondis pas, mais il n'y avait nul besoin de parler. Il eut un air un peu triste et expliqua :
- Tu sais, je souris très souvent, tout le temps même. Mais un sourire est utile : il réconforte, intimide, cache. Dans ce château, tu es obligé de sourire, quand tu es un serviteur. Dans un métier comme le nôtre, c'est normal, nous sommes très présents. Mais ça pose plus de problèmes dans la vie commune. On n'arrive plus à se débarrasser de nos sourires et les autres ont du mal à savoir si on va bien ou pas. Mais toi... Toi tu me fais sourire. Vraiment sourire... Soline... Tu es un rayon de soleil, une envoyée d'Oméranum... Tu es merveilleuse, magnifique, intelligente... J'ai l'impression d'être dans un rêve...
- Andromé...
Je ne parvenais plus à parler. Il baissa légèrement la tête. Les mots sortirent tout seuls de ma bouche :
- Tu es tout aussi fantastique...
Il releva la tête et je pris mon courage à deux mains en plantant mon regard dans ses yeux noisette :
- Tu es quelqu'un de drôle, de patient. Tu arrives à me faire rester moi... Je pensais que je n'avais pas la magie avec moi et tu m'as prouvé le contraire. Tu calmes la moindre de mes colères par ta présence. Si je suis ce que tu as dit, c'est uniquement parce que tu l'es et que j'ai envie d'être comme toi. D'être avec toi...
Ma vision s'embrouilla et il me prit dans ses bras. Je l'enlaçais en retour, consciente que ma déclaration nétait que le début. Nous le savions, nous n'étions pas prêts pour être ensemble, nous ne nous connaissions pas assez. Mais je savais, au fond de moi, que cet amour se solidifierait avec le temps et qu'il rayonnait déjà bien assez pour nous. J'inspirais à plein poumons, m'imprégnant de son odeur si réconfortante. Il caressais mes cheveux avec une extrême douceur. À ce moment, Tonn pouvait bien détruire les Mondes que je ne m'en serai même pas apperçu.
Je m'éloignais doucement, le fixant intensémment. Il approcha son visage du mien, à tel point que je pouvais voir chacun de ses cils. Alors que je m'approchais de plus en plus, un mouvement sur le côté me fit sursauter. Je me reculais vite du garçon que j'aimais et regardais les feuillages qui encadraient notre coin. Soren finit par en sortir.
- Soline, on doit y aller.
Annotations