Chapitre 3

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Après un petit plus de quinze minutes de route, Liam a garé sa voiture sur le parking d'un parc d'attractions : Palace Playland. Sincèrement, il n'avait pas plus cliché ? Je lui ai d'ailleurs fait remarquer et il a sorti son téléphone : dans le genre je-m'en-fout, il est champion. Il a programmé un chronomètre, quand vingt-quatre heures se seront écoulées, je me retrouverai seule. En attendant, il est là et il me mène jusqu'à l'entrée du parc. Il veut vraiment me traîner jusqu'à la grande roue ? En vérité, je ne serais pas complètement contre.

Après avoir fait une dizaine d'attractions et acheté une barbe-à-papa, nous nous sommes installés sur la fameuse grande roue. J'attendais avec impatience ce moment. Mon âme d’enfant est encore intacte, il faut croire. C’est probablement parce que je n’ai jamais eu ce genre de moments quand j’étais enfant. À ce moment, il me demande ce que j'aimerais faire, si je n'avais plus que quelques heures à vivre. J’ai longuement hésité. Non pas parce que je n’avais pas d’idée, mais parce qu’au contraire, j’en avais trop. Et surtout, des pensées bien trop intimes pour lui être confiées. Au bout de quelques minutes, j’ai laissé quelques-unes de mes pensées s’échapper, les envies que la plupart des gens ont, celles qui ne sont pas vraiment propres à moi ou intimes.

Sans le regarder, j’ai d’abord confié mon envie de rester indépendante, le petit bout de femme avec son caractère si complexe qui fait vriller plus d’une personne. Je lui ai dit que j’aimerais me sentir importante pour quelqu’un, vivre aux côtés de cette personne et ne jamais la quitter, quoiqu’il puisse arriver. Par-dessus tout, je voudrais ressentir tous les frissons de monde en un instant, pour une action. Tout ce que j’ai dit, je l’ai pensé. J’ai seulement évité de dire que ces choses-là, j’aimerais les revivre. Il m'a écouté, attentif, a réfléchi, m'a observé et m'a prise par les épaules une fois que le tour a été terminé. « Je veux te montrer un endroit, suis-moi », m'a-t-il glissé à l'oreille tout en me traînant dans le parc désert.

Pendant un instant, j’ai réfléchi. Je ne m’attendais pas vraiment à me confier aussi facilement. Pourtant c’était facile. Je sens que Liam et moi avons plus en commun que je ne veux bien le croire, et c’est pour cette raison que j’ai décidé de briser ma carapace. Ça ne me ressemble pas vraiment, je n’ai pas l’habitude de me confier aussi facilement, d’accepter que les autres en sachent autant sur moi.

Nous passons les dernières attractions avant la sortie du parc et il m'a reconduit à sa voiture. On s'est mis en route, et tout le long du trajet nous avons parlé de tout et de rien. Si on m'avait dit, il y a un mois encore, que ça serait arrivé, je vous aurais ri au nez. Liam est gentil, ce n’est pas vraiment celui que je pensais. Je l’ai peut-être mal jugé.

Il s'est arrêté devant une salle, dans une ruelle sombre. Ça avait des airs du Bronx. Mais non, nous étions toujours à Portland. Liam a poussé la porte qui avait l'air de renfermer tant de choses, et c'était le cas. Un jeune homme est arrivé vers nous, j'ai eu, par réflexe, un mouvement de recul, je ne connaissais pas l'endroit et je me sentais comme une délinquante. Tous deux ont ri et se sont parlés. Ils se connaissent, bien évidemment. Liam m'a présenté à Tom, il devait avoir la vingtaine, il était fort et grand, très grand. Pendant que les deux discutaient, j’observais les lieux. Il y avait un terrain limité par des cordelettes, entouré de nombreux punching-balls. Pas de doutes, j'étais dans une salle de boxe. Et ça ne m’étonnait pas de savoir que Liam fréquentait ce genre de lieu, ça lui correspondait merveilleusement bien. Liam n’est pourtant pas vraiment du genre à se battre, il n’est pas particulièrement bâti comme un boxeur. Mais je n’avais cependant aucun mal à l’imaginer ici, au milieu du ring. C’est un vrai charmeur, sans cesse à faire la cour à ces dames, mais il n’en reste pas moins discret.

Deux hommes étaient en train de se battre sur le ring quand Liam m'a pris la main et m'a entraîné vers des escaliers. Il m'a mené sur le toit du bâtiment, pour rester dans le cliché. Il m'a attiré vers le bord, sur le muret où je me suis assise, où il m'a rejoint. Face à nous, les édifices de Portland tendent vers le ciel et les lacs de la ville sont faciles à observer. Un silence apaisant régnait, puis il l'a brisé :

— Il ne reste plus que vingt-et-une heures.

— Pourquoi tu m’as emmené ici ?

— Parce que cette salle, c’est le seul endroit qui me fasse me sentir moi-même. J’ai plus appris ici que n’importe où ailleurs.

— Vraiment ? Et qu’est-ce qu’il s’y passe de si particulier ?

— Honnêtement, je ne sais pas. Je sais juste qu’ici, je peux me libérer de tout ce qui m’énerve, ce qui me blesse et ce qui me donne envie de craquer. Tout ce que je ressens y est décuplé. C’est mon paradis à moi, cet endroit. Si je ne devais plus faire qu’une chose jusqu’à la fin de ma vie, je passerai mon temps ici, j’en suis certain.

— Tu viens ici depuis combien de temps ?

— Depuis deux ou trois ans. Peut-être plus. Je ne sais plus. J’ai rencontré Tom quand je traversais une période… compliquée. Je partais dans tous les sens, ma vie était sens dessus dessous. Il m’a pris par les épaules et m’a poussé à me surpasser, mais à me libérer avant tout.

— Tu traversais quoi ?

— C’est encore compliqué d’en parler pour moi, Emma. Je suis désolé.

— Oh… C’est moi, je suis désolée. Ça ne me regarde pas, je n’aurais pas dû te demander ça.

Les yeux vers le ciel, je repense à la seule personne qui hante chacune de mes pensées. Les larmes aux bords des yeux, je réponds :

— J’aimerais bien me libérer aussi.

— Te libérer de quoi ?

— De pleins de choses. Je voudrais oublier la peine et apprécier la vie. J’aimerais…

Je fais une pause interrompue par les larmes qui perlent aux coins de mes yeux et je parviens à poursuivre :

— Je voudrais pouvoir me libérer de mes fantômes du passé. Tu vois ?

— Oui, je vois. Je crois que je cherchais ça aussi, en quelque sorte. C’est un bon moyen, la boxe, tu sais ?

Je rigole en entendant sa proposition. Je m’imagine, ici, un peu plus bas, au milieu de la salle, entourée de personnes un peu comme Tom et Liam. Je peux déjà voir les visages se tournés vers moi, empreints d’incompréhension, me dévisageant et se demandant ce qu’une personne comme moi fait là. Je suis petite, à peine un mètre soixante-cinq, et très fine, j’ai perdu beaucoup de poids quand je l’ai perdu. Je désigne mon corps d’une main et lui demande :

— Tu m’y vois, vraiment ?

Il jette un regard à ce que je lui montre, mon corps frêle, et le détaille. Je crois qu’il cherche une once de combativité ou de la force. Il n’en trouvera pas, je ne suis pas de ce genre. Puis quand il a compris que je n’ai rien de ces personnes qu’il fréquente ici, il tord ses lèvres et sa grimace me fait rire. L’instant d’après, il est redevenu sérieux et, le regard porté sur le ciel bleu, m’a susurré :

— Un jour peut-être...

— Comment ça ?

— Peut-être qu’un jour, je t’emmènerai à nouveau ici et je t'apprendrai à te libérer.

— C’est faux. Et tu le sais.

— Non...

Je me retourne vivement vers lui et croise son regard. Il sait qu’il ment et je le vois dans la lueur de ses iris. Son ton en suspens l’a tout de suite trahi. Excédée par la tournure que prend cette discussion, je descends de mon perchoir et me dirige vers la porte de service. J’entends ses pas me suivre dans les escaliers.

— Attends ! Emma, reviens là. C’est vrai, t’as raison. Il y a peu de chance qu’on revienne ici ensemble. Je suis désolé. Je n’aurais pas dû dire ça c’était stupide. Reviens maintenant.

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