Je l'ai regardé pour tenter de déceler l'ironie ou la sincérité. J'ai été surprise de me rendre compte qu'il était sincère. Et encore une fois, je me suis laissée porter par son sourire, qui laissait voir ses magnifiques dents blanches. Puis j'ai décroché mon regard de son visage pour le reporter sur le paysage de la ville que l'on quittait. À l’aveugle, j’ai entremêlé mon doigt au sien. Il n’a pas lâché ma main pendant plusieurs minutes. Et quand il l'a lâché, j’ai senti l'air frais revenir glisser sur ma peau et la chair de poule remonter le long de mon bras. Je n’avais pas froid, mais l’absence de ce contact auquel je m’étais habituée résonnait étrangement sur mon échine. Je suis restée un instant la main toujours suspendue dans l’air, à attendre qu’il la reprenne pour rattraper ce lien qu’il avait rompu, puis, très vite, je me suis rendue compte de l’idiotie du geste.

Il semblerait que Liam ait enfin trouvé où m'emmener après plusieurs minutes à passer d’une rue à une autre au ralenti. Tandis que moi, je n'en ai aucune idée. Cependant, je reconnais encore la route. Il quitte les quartiers aisés où nous avons fini par tomber puis rejoins l’hypercentre de la ville, cette grande avenue qui mène au monde entier, ou presque. Il emprunte la direction qu'il faut pour quitter la ville. Je reconnais toujours les terrains qui habitent le côté du passage, je reconnais les arbres, je reconnais le lointain et les maisons. Je reconnais tout, parce que j'y suis passée tous les week-ends, pendant près de deux ans, avec celui que j'aimais, pour nous rendre à la cascade Wahclella Falls. Puis je n'y suis pas retourné depuis un an. Depuis qu'il est mort. Sur cette même route. Je n'ai jamais réussi à passer ici à nouveau, que je sois seule ou accompagnée. Aujourd'hui, c'est la première fois et je me sens mal de repasser par là accompagnée de quelqu'un d'autre. J'espère que de là-haut il sait que je ne l'oublie pas et que je l'aime comme au premier jour, et que ça, rien ni personne ne me l'enlèvera. J'espère qu'il sait que je ne pourrais jamais ressentir un tel bonheur.

— On est arrivés, Emma. Réveille-toi.

J'ouvre doucement les yeux alors que la voix grave de Liam me réveille tendrement. La voiture garée dans une rue sombre que je ne reconnais pas. Je suis sûre que si le soleil était là, cette rue aurait beaucoup de charme, mais là tout de suite, je suis plus intriguée que subjuguée. Le dernier souvenir, avant que je ne m'endorme, est la route pour sortir de la ville, celle qui m’a pris celui que j’aime plus que ma propre vie. Le tableau de bord indique qu'il est vingt heures et le ciel peut le confirmer. Quand je sors de la voiture, je peux observer derrière les hauts bâtiments, un dégradé de couleurs pastel qui se rejoignent au-dessus de ma tête en un bleu plus foncé. Liam saisit ma main, et m'entraîne dans quelques ruelles. Très vite, nous rejoignons le bord de plage. Nous sommes à plusieurs centaines de kilomètres de chez nous. Le moment semble presque plus intime.

Sur la plage, près de l'eau, j'observe Liam retirer son tee-shirt puis son jean après s'être déchaussé. Mais surtout, j'observe son corps, certes, pas aussi formé que l’on aime le voir dans les films, mais tout de même assez pour me déstabiliser. Suffisamment pour me faire oublier le reste du monde. Suffisamment pour me faire oublier que bientôt, il sera parti, parce que ce n'est qu'un jeu. Un temps après, j'entends la voix de Liam et son rire, mais je ne distingue pas les mots, je ne les associe pas. Puis je comprends, il me demande de le rejoindre. Alors, sans vraiment hésiter, je retire ma veste, mon haut, défait les boucles de mes lacets et enlève mes chaussures. J'abaisse mon jean et laisse paraître un peu plus de peau à chaque seconde. Je vois du coin de l’œil Liam m'inspecter alors que je ne suis vêtue que de mes sous-vêtements. Il me détaille tout autant que je le faisais quelques minutes auparavant. Et, pour ne pas montrer à quel point je suis gênée, j'attrape sa main et l'entraîne au travers du sable, au travers du vent et de l'air pour arriver à l'eau. Sans vraiment y réfléchir, je pousse Liam à me suivre, à l'instar de ce qu'il a fait avec moi, il y a quelques heures en m'embarquant dans son jeu. Et j'aimerais arrêter le temps, pour profiter. Je me sens bien en ce moment, depuis quelques heures. Tout n'est plus qu'une question d'heure, à ce moment précis. Dans quelques heures le jeu prendra fin et l'un de nous devra souffrir, c'est la règle.

Après trente minutes de rigolade, d'amusement et de bon temps, nous sommes sortis de l'eau fraîche pour nous allonger sur le sable chaud, dans la nuit de ce joli mois d'avril. Côte à côte, nous observons les étoiles qui semblent envahir le ciel. La Lune en est déjà à son deuxième tiers, elle brille et illumine le ciel. Le corps de Liam se redresse juste à côté du mien et je tourne la tête pour l’observer. Les muscles de son dos sont saillants, sa peau matte est picotée par la chair de poule et ses cheveux tout ébouriffés. Il tend le bras pour attraper son sac et me propose de partir. J'acquiesce et l'imite : nous nous relevons, enfilons nos affaires et remontons la plage puis la rue. Nous rejoignons la voiture et entrons à l'intérieur. Liam allume le moteur puis le chauffage qui souffle et réchauffe l'intérieur contrastant avec l'air ambiant extérieur. Je resserre mes jambes sur ma poitrine pendant que le paysage défile devant mes yeux qui, j'en suis sûre, sont remplis d'étoiles.

Dans ma poche, je sens mon téléphone vibrer, m’alertant de nouveaux messages.

De :Ashley

Où es-tu Emma ? On te cherche partout et on est inquiets !

De :Ashley

Em’ ? Réponds s’il te plaît… on commence tous à paniquer là.

De :Maya

Ta mère m'a appelé, j'ai dû lui dire que personne n'avait de tes nouvelles. Rappelle-moi vite, je t'en supplie.

De : Aiden

Emma ! t’es où ? Pourquoi est-ce que tu ne réponds à aucun de nous ?!

De :Maman

Je viens de rentrer et tu n’es pas à la maison. J'ai eu Maya et elle m'a dit que tu n'avais pas donné signe de vie depuis ce matin. Que fais-tu et où es-tu ?

Mince. Je n’ai prévenu personne. Je rassure ma mère et je la préviens que je suis avec un ami et je m’excuse de ne pas avoir répondu. Quant à mes amis, je leur réponds que je ne me sentais pas vraiment bien donc que j’avais préféré rester chez moi pour me reposer et que je n'avais pas entendu quand ma mère m'appelait. Je me tourne vers Liam qui baille avant de reprendre la route. Il s'est reposé sur la plage tout à l'heure. Je crois qu'il pense que je n'ai pas remarqué.

— Qu'est-ce-que tu dis à tes parents quand tu ne vas pas en cours pour pouvoir jouer ? Ma mère flippe complètement.

— Ma mère ne sait pas, comme ça elle ne peut pas s'inquiéter. CQFD, me répond-il avec un doux sourire.

— Et ton père ? je demande.

— Il s'en fiche.

LIAM

Endormie à côté de moi, Emma semble paisible. Je ne l'ai jamais vu aussi sereine. Emma est assez douée pour cacher ses émotions, je sais de quoi je parle, je fais la même chose. Elle ne laisse jamais personne entrevoir sa vulnérabilité pourtant, lorsque nous sommes sortis de la ville, j’ai vu ses yeux embués de larmes. Elle affichait un fin sourire malgré elle. À cet instant précis, je donnerais tout pour savoir à quoi elle pensait. Mais ça paraît personnel alors je n’ai rien dit.

Toujours en roulant vers la côte, je continue de me demander si tout ça est une bonne idée, si je ne devrais pas faire machine arrière. Mais pour autant, je continue ma route. Quand j’aperçois enfin le panneau indiquant que nous sommes à Rockaway Beach, une vague de nostalgie me saisit. Des tas de souvenirs, qui ne sont pourtant pas si lointains, viennent me hanter et je commence à croire que cette idée était la pire que j’ai eu depuis très longtemps. Quand je finis ma manœuvre dans la ruelle où j’ai passé des journées voire des semaines entières, je réveille Emma, déterminé à changer la donne. Puisque pour le moment, elle a le dessus.

Quand nous sommes sur la plage, j’essaye de repousser tant bien que mal toutes les bribes de souvenirs qui flottent autour de moi et me concentre sur l’émerveillement d’Emma. Elle regarde tout autour d’elle comme une enfant, comme ma sœur l’a fait et comme je l’ai fait avec mon père. L’air ambiant est toujours agréable et la mer semble me tendre les bras. Alors je me déshabille et invite Emma à faire de même. Cependant, elle semble absorbée par les détails de mon corps qu’elle ausculte. Et comme pour me narguer, elle retire ses vêtements à son tour dévoilant un peu plus d’elle à chaque mouvement. Bordel. Elle saisit mon bras et m’entraîne vers le rivage. Son contact est brûlant et j'ai peur que ça ne se voit sur mon corps.

Une fois de plus, elle a le dessus.