Chapitre 7

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J'avais une fois de plus jeter un froid glacial dans l'habitacle. Liam a le visage fermé et le regard noir, sa mâchoire ne bouge plus et ses lèvres ne murmurent plus les paroles de la musique qui passe à la radio. Je repasse en boucle la vingtaine de minutes qui viennent de s'écouler, en tentant de me rappeler de chaque mot précisément, dans le bon ordre. Je me battais dans mon for intérieur pour me rappeler que son discours n'avait rien de sincère mais j'avais envie de croire à ce qu’il me disait, j’avais le désir fou de le croire sur parole, seulement, je savais pertinemment que je ne pouvais pas me le permettre. Parce qu'il s'agit de Liam Davis, et que personne ne connaît vraiment Liam Davis, personne ne sait vraiment qui il a devant lui quand le grand brun apparaît devant ses yeux. Puis, dans le discours que je réécoutais sans cesse, vint sa remarque sur ces joueuses, une phrase qui m'a interpellé, à me faire me poser pleins de questions. Mais il n'y en avait que deux dont la réponse m’intéressait vraiment. Pourquoi moi ? Et qui étaient-elles ? Je ne pouvais pas m’enlever ces questions de ma tête. Ça me brûlait. La gorge, les lèvres, la langue, le cœur. Ou était-ce sa présence proche de la mienne ? Le souffle court, je me suis lancée. Je voulais savoir. J'avais besoin de savoir.

— Pourquoi est-ce que tu m'as choisi ?

— Tu représentais le défi parfait. C'est encore le cas d'ailleurs. Pour la cinquantième partie j'avais besoin de marquer le coup. Quand je suis arrivé au lycée et que je t'ai vu pour la première fois, tu ressemblais à l'ombre de toi-même, comme si rien ni personne ne t'animait.

Je me souviens de cette période. Liam est arrivé en ville, dans ce lycée, il y a trois ans. C'était une mauvaise période pour moi. Et il a raison, à ce moment, je n'étais plus qu'un fantôme de ce que j'avais été, je n'avais plus goût à quoique ce soit, la vie me paraissait sans saveur et je ne savais plus comment faire pour retrouver le bonheur. Je vivais dans l'incompréhension, alors, quand je n'étais pas en cours, je cherchais des réponses à mes questions, je passais chaque recoin de la ville et de mon esprit au peigne fin. Je voulais avoir des réponses. J'avais besoin d'avoir des réponses.

— Cinquante parties ? Je suis ta cinquantième joueuse ?

— Oui...

— C'était qui, les quarante-neuf précédentes ?

— Je ne peux pas t'en parler.

— Aller Liam. T'es le créateur de ce jeu, tu peux tout faire.

— Ce n'est pas utile que tu le saches. D'ailleurs, tu en sais déjà trop.

— Tu m’as bien montré la salle de boxe, tu peux me dire ça !

— Non. Ce n'est pas négociable. Je t'ai montré la salle de boxe et c'est déjà énorme.

— Alors j'arrête de jouer.

— Tu ne peux pas, je te l'ai déjà dit, tu n'arrêtes pas le jeu, tu le mets simplement en pause. Il reprendra quand je l'aurais voulu, du moins quand tu seras décidée.

— Dis-moi qui sont ces quarante-neuf filles.

Je n’ai finalement obtenu aucune réponse à ma question. Il a décidé d'ignorer ma question. Alors j'ai décidé de l'ignorer lui. Comme plus tôt dans l’heure, j’ai consacré les premières minutes à observer l’environnement, mais je me suis très vite lassée de cette occupation, je décide finalement de me repasser quelques moments de ma vie en tête. Je repense à la première fois que j’ai rencontré celui que j’aime, la dernière fois que je l’ai vu et tous les joyeux moments passés ensemble, avec sa famille ou en vacances à Aspen. Je pense à mes amis, ceux qui m'ont sorti la tête de l'eau, les moments passés avec eux, les festivals et concerts, les soirées pyjamas, les longs trajets et les vacances, toutes nos baignades, nos randonnées et nos fous rires. Je pense à eux qui me rendent heureuse et vivante.

— Tu vas vraiment faire la tête ? Parce que là, il reste un peu moins de 14 heures à passer ensemble et je peux t'assurer n'avoir jamais jouer avec une muette.

— Avec qui est-ce que tu as joué ?

— Emma, arrête, je ne vais pas te le dire.

— Quand est-ce que tu me le diras ?

— Si tu gagnes, je te le dis.

— Vraiment ?

Comme moi quelques minutes auparavant, Liam a passé sa main au-dessus de la console centrale pour sceller le pacte.

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Il y a quelques années, ce garçon d’un mètre quatre-vingt est entré dans ma classe. Son crâne était recouvert de cheveux bruns très courts, c’était presque un duvet. La principale Wilson nous l’a présenté, le poussant un petit peu plus vers nous et le sortant de sa zone de confort. Il était nouveau, il venait de New York, ce qui était un véritable changement pour lui. Il sortait de la grosse pomme pour rejoindre notre ville aux roses. Je l'avais plains, moi qui avais toujours rêvé de découvrir New York City, lui devait la quitter pour venir s'installer ici, une ville que je n'avais jamais quitté et qui me paraissait fade. Sur son visage pâle, je pouvais très distinctement voir un sourire timide et presque gêné, ses iris brillantes attirait le regard sur le sien tout en effaçant les cernes qui soulignaient ses yeux. Il était attirant, très charmant même. Je me souviens avoir vu ses yeux balayer l’ensemble de la classe de ses yeux marron foncé comme pour nous analyser, tous, un à un. Quand j’avais croisé son regard, je lui avais souri, et il avait souri en retour. J’avais essayé d’accrocher son regard, et j’avais réussi. Ça n’avait pas duré une éternité, à peine quelques secondes, je crois, mais ce contact avait été intense, assez pour que ce moment reste gravé dans ma mémoire depuis, assez pour que je cherche à le retrouver dans tous les regards du monde.

Quelque chose en lui m’appelait et me soufflait qu’il était quelqu’un de bien, qui avait vécu beaucoup. Son âme m’interpellait de l’autre côté de la classe. Je pouvais l’entendre très distinctement. Alors, à l’instant où la sonnerie a retenti, je me suis approchée de lui. Je n’étais pas la seule, quelques filles de la classe étaient venu, elles aussi, sans doute autant intéressées que moi. Chacune à leur tour, elles avaient fait la même proposition : lui faire visiter la ville. Il avait refusé chaque proposition alors j’avais commencé à partir pour m’épargner un refus. Mais quand tout le monde était enfin parti et l’avait laissé seul, il était venu me trouver de lui-même et m’avait demandé de jouer les guides. J’avais directement accepter et, dès que les cours avaient fini, nous nous étions retrouvé pour arpenter la ville de long en large. Depuis ce moment, nous ne nous étions pas lâché pendant des mois entiers. Il m’avait vu dans mes meilleurs moments, mais aussi dans les pires et rien ne me faisait peur à ses côtés.

Puis un jour, il est parti, sans savoir où il était passé, sans un mot pour me dire au revoir. J’ai tenté de le recontacter chaque jour, puis chaque semaine et j’ai fini par abandonner. J’étais persuadée qu’il avait déménagé à nouveau, à cause du travail de son père. J’en ai voulu à son père puis je lui ai pardonné, mais je n’ai jamais été en colère contre Ethan, pas même au début, pas même quand je pouvais sentir mon cœur se déchirer face à son absence qui me hantait. J'arpentais les couloirs de ce collège que j'avais l'habitude de traverser avec Ethan en essayant d'accrocher une paire d'yeux, tentant d'imaginer tout ce que j'aurais pu vivre d'autre s'il avait toujours été là. Je ressentais la sensation, au creux de mon ventre, de ses lèvres sur les miennes quand je pensais l'apercevoir au loin ou que je passais devant un endroit qui hébergeait nos souvenirs. Puis ce sentiment s'est effacé et a laissé la place à un tout autre sentiment : l'horreur. L'horreur de ne plus le voir, de ne plus sentir ses mains caleuses sur ma peau, de ne plus voir les traits de son visage, de ne plus entendre sa voix, de ne plus pouvoir parler pendant de longues heures avec quelqu'un et de ne plus rire aux éclats. L'horreur de ne plus avoir de famille, de perdre la seule personne qui me faisait vibrer. Je découvrais l'horreur de perdre l'amour de sa vie, je découvrais la douleur du premier chagrin d'amour.

Je n'avais que quatorze ans et l'amour quand on a cet âge ne se finit pas de cette façon. Quand on a quatorze ans, on rencontre quelqu'un, on a des sentiments et on pense que ça va durer pour toute la vie jusqu'à ce que l'un des deux se rendent compte qu'il n'en a plus envie. L'autre a le cœur brisé et le sentiment de se noyer dans sa peine. Ça dure un temps et ça finit par passer parce que le temps guérit les blessures que l'humain créé.

Et huit mois plus tard, un jour de pluie, il est réapparu, avec des explications et des excuses. Il ne faisait pas beau, cette journée ne présageait rien de bon, mais rien de mauvais non plus. C'était un jour classique dans l'Oregon et je n’avais pas fait de grand effort, je m’étais habillée à la hâte, pressée par le temps comme souvent. On pouvait voir les cernes creuser mes yeux. Il était devant moi et je n’avais pas su comment réagir au départ. J’avais la sensation de voir un fantôme. Il était différent, son teint bien plus pâle et blafard et ses cheveux beaucoup plus courts. Mais je savais qu’il s’agissait de la personne qui m’avait rendue la plus heureuse jusqu’à ce jour. J’avais tellement attendu ce moment.

J’attends encore ce moment.

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