Chapitre 13
Allongée et collée au corps chaud de Liam, sous ses couettes, je ferme les yeux, me préparant à dormir. Comme la veille, j'ai son tee-shirt violet pour seule tenue tandis qu'il n'a gardé qu'un boxer. Une dizaine de minutes plus tard, la voix de Liam à mon oreille me surprend, mais je n'en laisse rien paraître.
— La dernière joueuse, c'était Stefany… t'as gagné, Emma. J'ai perdu. Et je t’ai probablement perdu avec ce jeu stupide. Il faut que j’arrête.
Ses paroles me déstabilisent d'autant plus. Mais je ne réagis pas. J'ai gagné. Liam m'a avoué qui était sa dernière joueuse, avant que je lui dise qui j'aimais. Mais je ne dis rien. Au fond, si je ne sais pas qu'il a perdu, il tentera encore de me faire tomber amoureuse de lui. Je pourrais peut-être même tomber amoureuse de lui pour de vrai. Je pourrais avoir peur de retomber dans de telles émotions, mais je sens que ça en vaut la peine. Alors je reste impassible. J'entends, sens, apprécie son corps tombé sur le matelas juste à côté du mien après qu’il ait déposé un baiser délicat sur mon épaule, un baiser qui m’a fait tressaillir. Je l’ai senti remonter en moi jusqu’à mon cœur ; et dans l’instant qui a suivi, deux de mes doigts vinrent caresser ma bouche. Sans réfléchir, je pousse mon échine à trouver la sienne. Aussitôt, ses bras entourent ma taille, me bloquant contre lui. Pourtant je sais que si je voulais partir, je pourrais. Il ne sert pas assez pour que je suis prisonnière mais juste comme il faut pour que je le sente tout proche de moi. Je ne saurais vraiment pas expliquer pour quelles raisons j’ai fait ça, mais il n’y a pas un seul instant où j’en ai douté, et pas un seul non plus où j’ai pensé à Noah, ce qui change de mes normes. Je suppose que mes normes doivent changer. Ma tête contre son torse, je peux entendre son cœur battre et sa respiration se stabiliser petit à petit. Ça m'apaise, tellement que je m'endors instantanément dans ses bras. Je m’endors avec toute cette tendresse et ce n’est pas le même sentiment que j’avais pu éprouver il y a quelques années, quand Noah me serrait dans ses bras. C’est bien plus fort cette fois.
Un poids se posant juste à côté de moi me sort de mon sommeil. J'ouvre les yeux puis les referme aussitôt : le soleil m’éblouit. Plongeant la tête dans mon oreiller, j’entends le rire de Liam. Inconsciemment, je me mets à rire, moi aussi. Mais mon visage se fige quand je sens quelque chose sur ma peau. Lorsque je rouvre les yeux, je vois Liam, un sourire aux lèvres, me caressant l’épaule, le cou, faisant le tour de mon visage et enfin son pouce sur mes lèvres. À ce dernier geste, son visage commence à se rapprocher du mien jusqu’à ce que je sente son souffle au contact de mon échine. Mon souffle se coupe et l’attente me semble insupportable, même insurmontable. Mais je me ressaisis et rigole, gênée. Je secoue la tête et commence à partir. Un dernier coup d’œil dans sa direction avant de franchir le pas de la porte et je vois Liam sur un coude, le regard plongé dans le lit et un sourire quelque peu gêné. L'idée de voir Liam gêné me fait sourire, idiotement, par la rareté de la situation. Je crois que c’est à cet instant que j’ai compris que je pourrais assister à cette scène tous les matins sans m’en lasser. C’est là que j’ai eu le déclic : j’ai repoussé Liam non pas parce que je n’en avais pas envie, mais parce que si je lui donnais ce baiser ce matin, je risquais de ne jamais en avoir d’autres.
Lorsque nous arrivons au lycée, Liam m'accompagne à mon casier et je peux sentir, même sans les voir, les regards des autres étudiants.
— Ce soir je passe te chercher vers sept heures chez toi.
— Pardon ? Et pour faire quoi, au juste ?
— On va à une soirée.
Il hausse les épaules et un dernier clin d’œil après il disparaît au fond du couloir, bondé.
Aujourd'hui, encore plus qu'hier, ma productivité frôlait le néant. Mes notes sont presque vierges et je n'ai quasiment rien retenu qui me soit utile. Si je demande encore à Ashley de me donner ses notes, elle se doutera que quelque chose me perturbe, et il est hors de question que je l’autorise.
En entrant dans le bus, je m'assois à l'une des dernières places de libre et branche mes écouteurs à mon téléphone, je lance ma playlist avec toutes mes chansons préférées. Encore une fois, le paysage des petites rues de Portland défile sous mes yeux. Mais je vois ces quelques spots avec une vue un peu différente, remplaçant quelques souvenirs du passé par de nouveaux plus récents.
Dans ma chambre, je décide de rester sous ma couette, à regarder une série toute l'après-midi jusqu'à ce que Liam se manifeste. Mais mon cerveau n'est pas de cet avis. Je répète la même scène sans arrêt, sans encore en comprendre l'utilité puisque la seule chose dont je sache me préoccuper pour l'instant, c'est de savoir qui il y aura à cette soirée, si je devais être bien habillée et tout un tas d'autres questions futiles. Pour relâcher la pression, je me glisse sous la douche, une musique de Freya Ridings en fond sonore. En en ressortant, je vais jusqu'au dressing, m'empare d'un jean noir, d'un petit top blanc léger que j'habille d'une veste légère. J’entends un peu d’agitation à l’étage inférieur puis me rappelle que j’ai croisé ma mère et mon beau-père quand je suis rentrée. Dans la salle de bain, je mets des bijoux et branche mon fer à friser. Mince. Je fais quoi là. Je deviens comme celles dont je me moquais il y a encore une semaine. Mais je ne m'arrête pas pour autant : je prends chaque mèche, l'enroule autour de l'appareil pendant quelques secondes et laque rapidement le tout quand j’ai terminé. Je ressors ma trousse de maquillage de son coin et prends le nécessaire. Il sera sept heures dans quinze minutes. Je dois me dépêcher un petit peu, je recourbe mes cils et les enrobent de mascara noir, balaye ma pommette de blush corail et le relief de l’os de ma joue de paillette doré.
J'étouffe un petit cri quand je vois Liam la tête dans ses mains devant l'écran de mon ordinateur alors que je rentre dans ma chambre.
— Tu fais quoi, ici ?
— Oh… te voilà enfin, me répond-il sans lever la tête. Bah j'ai frappé y a quelque chose comme deux minutes et ta mère m'a invité à t'attendre, ici. Je crois, il lève son visage et plonge son regard dans le mien, qu'elle m'aime bien.
— D'accord, mais tu étais censé venir à sept heures.
— Oui je sais, mais je m'ennuyais alors je suis venue plus tôt, tu vois, histoire de passer un peu de temps, rien que toi et moi.
— Les vingt-quatre sont terminées, non ?
— Hum, ouais, en effet. Mais puisqu’aucun de nous n'a gagné, donc perdu... je me disais que, peut-être, on pourrait être, hum… amis, me dit-il visiblement gêné.
— OK. Bon, bah, dis-moi quand on part alors, je finis de me préparer.
— Tu sais, tu es très bien comme ça. Je veux dire, tu l'es toujours, mais là plus particulièrement.
— Merci, c'est gentil.
Je lui souris en le voyant devenir écarlate à chaque nouveau mot prononcé et je ne peux m'empêcher de retenir un petit éclat de rire. Mais ce compliment me réchauffe tant le cœur que je ne peux pas réellement me moquer de lui, en réalité. Sur ma table de chevet, j'attrape un élastique et réalise un chignon très rapidement pour tenter de cacher que j'ai réellement fait des efforts pour aller à une soirée, avec Liam, qui plus est.
— C'est vraiment cliché, ta série.
— Qu'est-ce que c'est déjà ?
— T'es sérieuse ? Liam réprime un petit éclat de rire avant de me répondre. Skam. Genre le bad boy tombe amoureux de la toute sage et mignonne première année. Ce genre de choses n'arrive jamais, dans la réalité.
— Bah si, regardes toi, t'es bien tombé amoureux de moi, je lui réponds sur le ton le plus sérieux possible pour cacher mon ironie qui n'en est plus réellement.
— Ouais fin t'es tout sauf sage et mignonne. Enfin si, tu es mignonne dans le genre « jolie », mais pas dans le genre « adorable », continue-t-il après une pause.
Mais ce ne sont pas les paroles qui me laissent abasourdie, c'est ce qu'il n'a pas dit. Il n'a pas nié être amoureux de moi. Il l'a même affirmé. Un sourire se dessine naturellement sur mon visage. Mais je le dissimule avant qu’il ne s’en rende compte. S’il ne sait pas que je sais, alors il sera toujours là.
Alors que je range les affaires qui me seront essentielles pour ce soir dans mon sac, je vois Liam m’observer, et même me détailler du coin de l’œil. Je le sais parce que je le fais constamment avec lui : aussitôt que je peux, j’imagine mes mains dans ses cheveux bruns, je vois ses iris émeraudes et ses lèvres s’étendre d’un sourire dévoilant des dents blanches à l’alignement imparfait, mais très charmant. Quand j’ai enfin fini, il m’invite à regarder encore un ou deux épisodes de la série avec lui. Je rigole face à son invitation dans ma propre maison avec mes propres affaires, mais vais tout de même me glisser juste à côté de lui.
Deux épisodes plus tard, nous partons finalement à cette soirée. Il a essayé de négocier pour qu’on passe la soirée rien que tous les deux, mais j’ai refusé, parce que si j’avais accepté, j’aurais dû le présenter un peu plus officiellement à ma mère, et je n’en avais aucune envie. La musique joue pleinement dans l’habitacle de la voiture et l’ambiance est légère. La fête a lieu chez une fille de notre promo que je ne connais pas vraiment et je ne crois avoir jamais vu Liam avec elle non plus. Je me demande alors comment il la connaît. Peut-être qu’il n’était pas lui-même invité mais que c’était par un ami. Ou peut-être…
Son jeu.
Lucy doit être une joueuse.
Ma bonne humeur s’évanouit d’un seul coup avec cette pensée. Je dois lui demander. Je veux savoir. J’en ai peut-être même besoin. Je veux savoir si ce soir je suis une couverture, une amie ou encore sa proie. Je veux savoir si je verrais véritablement Liam ce soir ou s’il me laissera dès qu’il l’aura vu. Je veux savoir s’il m’a invité parce qu’il voulait qu’on soit ensemble ou s’il l’a fait pour d’autres raisons que j’ignore. Après tout, il s’agit de Liam, et je ne réfléchis pas comme lui. J’en suis incapable.
— Lucy, c’est une joueuse ? La prochaine ?
Liam tourne vivement la tête vers moi, pendant quelques secondes puis reporte son attention sur la route. Un petit rire s’échappe de ses lèvres charnues et ça m’agace. Ma question n’est pas idiote, loin de là. J’ai toutes les raisons de me poser la question et ses airs de garçon qui se fiche de tout et de tout le monde commencent à m’embêter. Encore plus quand ses airs sont contre moi, parce qu’en réalité quand c’est contre les autres, j’ai tendance à apprécier.
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