Chapitre 1
Zelintis se mît à genoux devant l'autel, les bras écartés pour accepter la flamme divine. Il ferma les yeux et tenta autant que possible de cerner les paroles que Warzukan lui susurrait. Toujours quand il fermait les yeux le prêtre entendait des murmures. Certains étaient les reflets de sa propre pensée, mais en se concentrant il les faisait taire un à un jusqu'à ce que ne demeure plus qu'une voix. C'était là un exercice pénible, et la voix divine était lointaine; trop lointaine.
"Votre excellence !"
On l'appelait. Avec résignation, Zelintis ouvrit les yeux. Quelqu'un s'approchait en courant vers lui.
Le prêtre se retourna et darda d'un air contrit ses deux yeux gris comme des miroirs sur le jeune importun.
Celui ci déglutit en voyant l'air de reproche sur le visage du prêtre. C'était un jeune garçon qui devait avoir un peu plus de quinze ans, petit en taille mais musclé, avec un visage doux surmonté de cheveux noirs en bataille. Il était vêtu d'une tenue d'éclaireur à cheval, et sa démarche dénonçait qu'il avait longuement chevauché avant d'entrer dans le temple.
Zelintis le connaissait. Après tout il connaissait tous les habitants de Hallbresses mieux que quiconque. Le prêtre était responsable de tous les baptêmes d'enfants et des confessions. Le jeune éclaireur devant lui était Maltis Hergefor, un apprenti dragon à l'esprit tourmenté. Zelintis savait que quelque chose clochait avec cet enfant, quelque chose qu'il n'avait pas osé évoquer en se confessant. Pourtant, il compensait cette culpabilité par plus de zèle et de loyauté.
"Et bien ? Qu'y a-t-il mon fils ?
- Votre excellence, j'ai un rapport très important à faire au marquis, mais j'ai préféré venir vous en informer avant."
Zelintis avait encore l'esprit embrouillé. Tout en écoutant le garçon, il cherchait à se rappeler des paroles qu'il avait entendu lorsque ses yeux étaient clos. Son dieu lui ordonnait de lui donner un pécheur en sacrifice, il en était presque sûr, mais qui précisément ?
"Parle, mon fils."
Maltis parla à toute vitesse, visiblement très heureux de sembler utile au clerc.
"J'ai aperçu au nord-est des étendards étranges. Après m'être approché j'ai compris que c'était l'étendard des eldariens. Je suis descendu de cheval pour m'approcher discrètement et j'ai pu observer leur camp, car oui, il s'agissait d'un campement, et c'est toute une armée qui est en marche. Je suis entré en rampant dans leur camp pour essayer de savoir à peu près combien ils sont. Je ne saurais pas être très exacte, mais dans le campement où je suis arrivé j'ai compté plus d'une centaine d'hommes et aussi il y avait une grande tente avec des elfes dedans, mais je ne sais pas combien. J'ai dénombré au total six campements séparés, mais ce n'est pas tout. Là où j'étais il y avait un grand enclos avec trois éléphants dedans. J'avais jamais vu d'éléphants avant mais j'ai tout de suite su que c'en était, ces grands animaux gris avec une trompe…
- Tu feras un rapport détaillé au marquis. Viens en au fait qui me concerne.
- Eh bien, j'ai voulu savoir dans quelle direction ils marchaient, alors je me suis éloigné pour les observer au moment où ils levaient le camp. Au matin, ils se sont très vite organisés, et ils sont partis en marche vers le sud-ouest. Ils se dirigent donc peut-être par ici ou plus vraisemblablement vers le fort de Carîsta, ce qui est tout autant inquiétant. Mais surtout, quand leur armée s'est mise en marche, j'ai vu…"
Il s'arrêta pour mieux réfléchir à la meilleure façon de décrire ce qu'il avait vu. Zelintis croisa les bras pour montrer son impatience.
"Les éléphants… ils… ils portaient des objets… des chaînes… enfin un objet qu'ils portaient avec des chaînes, mais des chaînes volantes.
- Sois plus clair.
- Il y avait sept éléphants, et ils portaient chacun sur leur dos un immenses crochet auquel était attachée une chaîne. Et à l'autre bout, les chaînes se rejoignaient pour enserrer un objet massif. Une sorte de… de cube… un coffre géant, absolument gargantuesque et qui brillait bizarrement. Mais surtout, ce cube, il flottait dans les airs. En fait on aurait dit que les chaînes et les éléphants étaient là pour l'empêcher de s'élever dans le ciel. Ça avait l'air d'un objet massif et pourtant, plus léger que l'air."
Un court silence se fit. Zelintis réfléchit.
"Étrange… fit le prêtre. Tu as très bien fait de venir m'en parler avant d'aller voir le marquis."
Le visage du garçon s'illumina.
"Vraiment ? Oui. Oui, je savais que c'était mon devoir. Maintenant… je dois en alerter le marquis…
- Inutile. Je m'en chargerai." Le prêtre passa une main sous sa veste et tâta le pommeau de sa dague.
"V…vraiment ? Vous… vous êtes sûr ? Je veux dire…
- Vois tu…, déclara Zelintis d'une voix claire. J'ai entendu la voix de Warzukan qui m'ordonnait de tuer un pécheur.
- Ha…ha bon ? C'est…
- …Et à ce moment précis, tu es arrivé, Maltis."
Le jeune homme parut presque comprendre, mais il n'eut pas même le temps d'ouvrir sa bouche béante de surprise que déjà le poignard de Zelintis jaillissait de son fourreau. Dégainant de sa main gauche, le prêtre n'eut besoin que d'un seul geste pour plonger sa dague dans le cœur du garçon. Le choc fut brutal. La lame transperça tout sur son passage avant de ressortir lentement. La douleur et la terreur de Maltis furent si foudroyantes qu'il s'écroula sur l'instant. Ses jambes se dérobèrent sous lui et il tomba à la renverse. Son buste s'agita de spasmes terribles tandis que son sang giclait en tout sens à chaque battement de son cœur lacéré. Le prêtre enjamba son corps et observa son visage de son œil inquisiteur.
"Je ne sais pas quel était ton péché, Maltis, mais tu étais un pécheur, je n'en doute pas."
Le garçon gigotait entre la vie et la mort, s'étranglant dans son sang et ses sanglots…
"Mon père… je…"
Il mourut rapidement avec de terribles souffrances. Le prêtre se tourna vers l'autel et murmura un sermon.
"Vois ce que je me trouve obligé de faire pour toi, Warzukan ! Puisse ton feu prendre pitié de nous."
Puis il sortit du temple. Maintenant que Maltis n'en était plus capable, c'était à lui qu'il revenait de faire au marquis le récit de cette armée d'eldariens. Au fond de lui même, Zelintis tremblait d'effroi. Si les elfes parvenaient jusqu'ici, il savait quel sort lui serait réservé. Il lui fallait s'assurer que le marquis repousse cette armée d'impies.
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