Chapitre 10

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Zelintis fit plusieurs fois le tour de la cellule en maugréant. Sa robe, traînant sur le sol humide, ramassait les déchets innommables laissés par ceux l'ayant précédé. Quatre épais murs de pierre l'encerclaient de leurs masses froides et inébranlables. De minces traits de lumière filtraient entre les barreaux de la lourde grille qui bouchait la fosse, plusieurs mètres au dessus de lui. On avait allumé une torche non loin, mais lorsqu'elle s'éteindrait, le prêtre serait totalement dans l'obscurité.
Il donna un coup de pied dans un morceau de crâne humain desséché qui traînait au fond de la cellule. On l'avait jeté aux oubliettes, lui, le haut prêtre protecteur de Hallbresses. Il songea à l'avenir qu'il aurait pu avoir s'il s'était enfui avec ses novices fraîchement adoubés. Eux avaient réussi à partir, emportant avec eux de nombreux artefacts. S'il n'avait pas fait la stupide promesse de rester mourir dans cette ville, il serait déjà loin.
Zelintis chassa cette pensée de son esprit. Ce qui était fait était fait. Il lui fallait plutôt planifier ce qu'il convenait de faire maintenant. S'évader ne serait pas une mince affaire, et, ne pouvant quitter la ville, il serait de toute manière repris rapidement. Depuis cet endroit il ne pouvait faire parvenir quoi que ce soit aux membres du clergé ignorants et toujours restés en ville. Le marquis les avait sans doute déjà fait arrêter et emprisonner de la même manière que lui d'ailleurs.
Il n'avait pas pu se défendre, cela eut été reconnaître qu'il avait peur et tuer un seul soldat lui aurait valu de perdre tout ce qu'il lui restait de soutien dans la population. À l'instant où il sortait du temple pour retrouver les autres clercs, des dizaines de soldats du marquis Ardelance l'avaient encerclé et sommé de se rendre. Zelintis avait eu beau leur lancer toutes les plus terribles imprécations qu'il pût invoquer, Enguerrant était apparu en personne pour pousser ses hommes à passer les chaînes au prêtre qui les avait protégés durant des décennies, arguant qu'il voulait s'enfuir de la ville. Zelintis s'était laissé lier les mains et passer un sac sur la tête, puis on l'avait mené jusqu'ici. Un bourreau s'était chargé de le descendre dans la fosse avec un treuil. On ne l'avait pas laissé prononcer un mot en chemin, chaque fois que le prêtre avait voulu parler un coup de poing dans les reins le forçait à se taire. Ces hommes s'imaginaient peut-être que le sac sur sa tête l'empêchait de les reconnaître, mais sitôt qu'ils l'avaient encerclé, Zelintis avait déjà mis un nom sur chaque visage. Tout en tournant dans sa cellule, il ressassait les noms de trente six soldats et se remémorait les péchés dont il les avait absous.
Finalement il s'arrêta et griffa nerveusement avec ses ongles un des murs en pierre. Condamner les soldats n'avait aucun sens, ils ne pouvaient pas désobéir au marquis. C'était Enguerrant Ardelance le vrai coupable. C'était lui qui expierait pour tous les autres.
Un bruit sourd le tira de sa rêverie. On ouvrait la porte du caveau qui menait aux oubliettes. Soit on lui apportait de la nourriture, soit on lui apportait un camarade de cellule.
Dans le deuxième cas, Zelintis se sentait prêt à tuer le nouveau venu de sang froid. La cellule était bien assez exiguë comme ça. Il avait à peine la place de s'y allonger.
La torche se rapprochait de la grille, apportant plus de lumière dans les tréfonds du cachot. Zelintis leva les yeux et aperçut entre les barreaux le visage du marquis.
- "Ne vous avisez pas de descendre messire." Fit le prêtre. "Dans l'état actuel des choses je vous tuerai sans hésitation.
- Je n'en avais pas l'intention. Je suis venu pour m'expliquer avec vous et vous assurer que je ne fais pas tout cela par plaisir.
- Non. Plutôt par bêtise. Vous enfermez votre meilleur défenseur juste avant la bataille décisive. Nos ennemis ne feront de vous qu'une bouchée.
- Allons. Les eldariens ont eux-mêmes d'illustres guerriers…
- Justement. C'est d'eux que je parle en disant «nos ennemis». Bientôt ils vous égorgeront, et vous ne vous en apercevrez que quand il sera trop tard. Alors, personne ne viendra faucher la tête des elfes pour vous sauver la vie.
- Cessez ces inepties. Les eldariens n'ont tué personne à Carîsta. Ils ont même permis à ceux toujours fidèles de rentrer à Hallbresses."
Le marquis se frotta la barbe à rebrousse poil, un geste qu'il affectionnait particulièrement lorsqu'il était gêné.
- "Si je vous ai enfermé ici ce n'est pas pour vous punir. Certes, vous avez laissé des prêtres partir avec des reliques, mais vous auriez pu faire bien pire. Non, si je vous retiens ici c'est justement parce que j'estime qu'il est de mon devoir de vous protéger.
- Me protéger ?" s'exclama Zelintis, incrédule. "En me jetant aux oubliettes ? Vous vous moquez. Si je suis ici c'est la preuve que vous souhaitez oublier votre ancienne foi.
- Non !" s'écria le marquis, visiblement offensé par ces insinuations. "Ce cachot est le seul endroit où je suis certain que les eldariens ne vous trouveront pas. Je savais que vous ne quitteriez pas la ville, vous en avez fait la promesse, mais je tiens à ce que vous restiez en vie excellence.
- Et qu'en est il des autres clercs ? Les moines qui sont restés pour assurer la sauvegarde de la morale de nos ouailles et de votre morale à vous !
- Je ne peux pas tous les faire disparaître, ce serait beaucoup trop suspect. Les eldariens voudront forcément en pendre quelques uns, alors je leurs laisserai ceux-là. J'ai décidé de faire accroire que vous et vos séides êtes partis dans la campagne. Vous remonterez à la surface une fois que tout risque aura été écarté, une fois les elfes partis. Vous pourrez alors vous déguiser et continuer à vivre normalement."
Zelintis se crispa de colère.
- "Vous pouvez avoir perdu votre honneur, mais je vous interdis de toucher au mien !" hurla-t-il avec rage.
- "C'est pour ça que je ne vous ai jamais demandé votre avis, excellence."
Zelintis croisa les bras avec un grognement.
Le marquis demanda soudainement:
- "Où se trouvent les artefacts ?"
Zelintis fronça les sourcils, presque surpris.
- "Les artefacts ? Certains sont cachés sous terre, d'autres au fond des rivières, mais la plupart sont gardés chez eux par les meilleurs guerriers de la ville.
- Vous mentez, et je le sais très bien. Vous gardez des artefacts dans votre temple. Où sont-ils ?
- Ces artefacts là ne vous concernent pas. Seuls ceux qui sont bénis par Warzukan peuvent brandir ces armes sans finir consumés par leur feu.
- Balivernes !
- Pourquoi croyez-vous que le clergé les protège ? Sans nous, pas d'artefacts.
- Je vois. Il était inutile de vous parler." déclara le marquis. "Quelques jours de cachots vous permettront peut-être de réfléchir à ce que votre refus insolent à collaborer implique pour la ville."
Le prêtre resta silencieux un moment.
- "Marquis, si je dois vous donner un dernier conseil, ne laissez surtout pas l'armée eldarienne entrer en ville.
- Je n'en veux pas de vos conseils. Au revoir excellence."
Il tourna les talons et partit en emportant la torche. En même temps que le grincement de la porte se faisait entendre, la dernière source de lumière disparaissait et Zelintis se trouvait dans le noir le plus complet.
Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que les voix se manifestent sous son crâne. Les deux mains plaquées sur son front tant la douleur fulgurait dans sa tête, le prêtre entendit Warzukan lui expliquer exactement ce qu'il devait faire d'une voix à la fois suave et impérieuse. La souffrance occasionnée failit le faire chanceler, mais il se ressaisit en appuyant son dos contre un mur. Puis, fixant l'obscurité, les yeux écarquillés, il ressassa ce qu'il venait d'apprendre.
Zelintis fut des plus surpris. Puis une fois qu'il eut tout compris, il s'assit sur le sol crasseux, résigné à attendre.

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