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La cacophonie parisienne bourdonna dans les oreilles de Jules. Rien ne changeait près du jardin du Luxembourg : les touristes, les étudiants et tout le bordel habituel. Le son mélodieux d'un concert flottait dans l'air, les gens s'étaient regroupés autour des artistes inconnus. Les nuages grisaient un peu le ciel, pas de quoi décourager les parisiens aguerris.

Le jeune homme blond traversa le boulevard Saint-Michel, tourna dans la rue Soufflot et remonta quelques dizaines de mètres pour s'installer à une table du « Le Café de Juliette ». Jules avait souvent dragué sa belle dans cet endroit. Monsieur Laville ne le savait pas, fort heureusement.

En terrasse, il saisit une chaise qu'il ajusta à bonne distance pour s'asseoir. Son sac sur les genoux, il sortit un calepin. Couverture noire, les feuilles étaient ocre, de fins traits à peine perceptible tirés tous les huit millimètres. Deux stylos s'ajoutèrent : un noir et un rouge. Il fallait qu'il prépare sa rencontre avec l'inspecteur.

Le portable du juriste vibra. Un message d'Alice. « Papa n'est toujours pas au courant » annonçait la missive moderne. Il le savait. Mais rien de mieux pour mettre la pression. Griffonnant sur le papier, Jules froissa plusieurs pages, mécontent de son rendement. Comme pour toute cette affaire, il était dans une impasse. Rien ne lui venait en tête. Rien, avant d'enfin trouver une bonne idée.

La luminosité du soleil s'obscurcit rapidement. Il n'en fallut pas plus à jeune garçon pour comprendre que son charismatique beau-père venait se présenter à lui. Il rabattit la couverture de son bloc-note, se leva précipitamment et tendit sa main. La poigne fut ferme.

- Très bien, je n'ai pas beaucoup de temps avec cette nouvelle affaire.

Un mètre quatre-vingt-deux de muscles prirent place face au jeune homme. Bronzé, les cheveux grisonnant, ce furent les yeux bleus du policier qui paralysèrent Jules. Un éclair de glace l'avait frappé. Il avait beau le voir régulièrement. Sa réaction restait la même.

- Un petit noir s'il vous plaît, alpagua l'homme. Et pour toi mon garçon ?

- Une b... La même chose.

- Sûr de toi ?

- Oui, le café c'est bon pour la santé, feinta Jules.

Un peu faux-cul non ? Jules fit mine de rien.

- Dis-moi tout, puisque tu me tiens en joue. Je te dois bien ce service.

Jules se replongea dans ses pensées. Il n'avait pas pu mémoriser l'ordre des questions qu'il avait écrites sur son calepin. Il fut tenter de le prendre. Un petit geste rapide que l'inspecteur ne verrait pas s'il avait la tête tournée. L'autre n'esquissait pas le moindre mouvement, il dût renoncer. Sans filet mon gars, comme toujours... La gestuelle du gamin intrigua le flic.

- Hé bien ! On ne va pas dormir ici.

Le serveur déposa les deux cafés. Laville attaqua le sien sans attendre.

- Avez-vous pu prendre connaissance de documents ? Que je puisse me faire une idée précise des événements ? Travailler sans base me perturbe.

- Pourquoi cette enquête t'intéresse-t-elle ? Ne me cacherais-tu pas une information que je suis censé connaître ?

Répondre à une question par une autre question, ou l'art de retourner la situation lorsque la réponse est gênante ou inexistante. À vrai dire, ses interrogations étaient justifiées. Jules n'avait aucune raison de porter son attention sur cette affaire plutôt qu'une autre.

Laville haussa un sourcil. D'un côté, il n'avait pas le droit de lui dire quoi que ce soit. Le fameux secret de l'enquête. Mais de l'autre, Jules lui avait été d'une précieuse aide sur sa plus grosse affaire. Son attitude insouciante, son esprit vif et quelque peu étrange. Il avait des qualités indéniables.

Se mordillant l'intérieur de la lèvre basse, il finit par se résoudre à parler.

- Je n'en ai eu que deux.

- Ça ira, ne vous en faites pas pour cela.

L'inspecteur tira plusieurs feuilles de sa veste. A priori, des procès-verbaux d'auditions et un état des lieux de la scène de crime. Un bon début. Il les posa sur la table, à mi-distance. L'homme plongea son regard dans celui du juriste. Jules y perçut toute la force de son interlocuteur. Il tenta de lutter, de faire plier son beau-père, mais il finit par acquiescer. Il avait compris le message.

Les actes en main, Jules les parcourut en diagonal. Quelques mots captèrent son attention sans qu'il ne puisse leur donner un sens utile. Il prendrait le temps de les lire à tête reposée un peu plus tard. Il réfléchit un court instant, se grattant le menton.

- Trois personnes ont vu le suspect en tout, sommes-nous d'accord ?

- C'est ce dont fait état le compte rendu. Cela me paraît beaucoup pour un crime aussi bien organisé. Le corps nous en dira sûrement plus, comme à chaque fois. L'autopsie est programmé dans l'après-midi, Dupuis est sur le coup. Un bon gars.

- Je me demande si... Non. Je dois faire erreur.

- Partage avec nous man !

Babacar fit son apparition. Il avait troqué son costard contre un vieux survêtement bleu nuit et une paire de chaussures trouées. Jules serait toujours surpris par les capacités d'adaptation de son ami. Plongeant sa main dans la poche de son bas, il glissa dans sa main un petit sachet au contenu blanc et farineux. L'inspecteur Laville n'hésita pas un instant.

- Cocaïne ?

- De la pure ! Vous êtes un bon monsieur.

Babacar esquissa un grand sourire, agitant le précieux trésor.

- Il est surtout flic, ricana le blond.

Le jeune noir se décomposa. Sa bouche resta entrouverte alors que ses yeux hésitaient à croiser le visage du policier. Ses jambes flageolaient, il manqua de se retrouver à terre. Devait-il partir en courant ou bien assumer ses responsabilités ? Il ne savait plus comment se comporter. Il finit par dire :

- Mais moi je rends juste un service les gars. Je ne consomme pas. Tête de mes chaussures !

- Je n'ai pas que cela à faire. Mais vous feriez bien de ne plus mettre cette chose sur la table avant que je sois parti. Est-ce bien compris jeune homme ?

Ni une ni deux, la poudre disparue au fond d'une poche de pantalon. Babacar leva les mains et regarda le ciel comme si de rien n'était. Il siffla pour accentuer ce semblant de crédibilité qui lui faisait défaut à présent. Devant la main tendue de l'inspecteur, Bounty se résigna à abandonner sa poudre.

Jules s'empara de son carnet et fit part des éléments qu'il avait entraperçu dans les différents papiers sortis par sa source. Rien de bien concluant à première vue. Mais il serait bon de réfléchir au calme. Creuser un peu plus pour ne pas laisser la moindre zone d'ombre. Et surtout mettre à jour une piste.

- Gars, je peux te demander un service ?

- Mec, tu sais très bien que je suis à ton service. Demande et le grand manitou t'exhaussera.

- Trouve-moi tout ce que tu pourras sur ces trois personnes : Dimitri Balkichvski, Madame Graignard Paulette et le père d'Alexian, Andreï Kritovsk.

Jules tourna une page de son calepin pour y inscrire ce qu'il venait de dire.

- Chaque personne. Je veux tout savoir, jusqu'à la marque de dentifrice qu'elles utilisent. Surtout le père et cet homme avec lui. Avec ces informations, nous y verrons plus clair à coup sûr, réfléchit le blondinet.

Nicolas Laville observait la scène avec attention, les bras croisés sur son ventre. Son flair de flic lui indiqua que le jeune homme noir avait dû avoir lui aussi un rôle dans son affaire. Jules n'avait pas pu agir seul. Il se prit à vouloir le remercier aussi, mais le moment était mal choisi.

- Le rapport d'autopsie nous aiguillera aussi. Ou du moins nous fournira des informations capitales, finit le juriste.

- N'oublie pas que tu n'es pas flic, je t'ai fait une faveur en te communiquant ces copies. Je te rends un dû plus exactement, mais maintenant laisse faire les professionnels. Tu n'es pas taillé pour...

Le téléphone de Laville sonna. Son doigt toujours pointé vers Jules, son autre main explora sa poche de veste pour en extraire son portable. Il se leva et s'éloigna un peu des deux acolytes.

Jules détailla le flic. Son comportement le trahissait. Que se passe-t-il Nicolas ? Une mauvaise nouvelle ? Les petits va et vient indiquaient qu'il était nerveux, contrarié au possible. La main glissa sur son visage puis se figea dans ses cheveux ramenés en arrière, confirmant cette impression de malaise. Le ton de sa voix était agacé, sa mâchoire se crispait par moments. Il expira avec force deux bouffés d'air.

- Son chef. Il va être écarté du dossier. Il est lié au suspect, le commissaire ne prendra pas de risque si près de sa retraite.

- Tu penses ?

Babacar sirota son diabolo grenadine, n'attendant pas de réponse de son camarade. Il enchaîna :

- Au fait Croquette, j'ai trouvé pas moins de trois planques possibles. Une seule me semble vraiment adaptée, les autres... C'est une peu Bagdad tu vois. Il faut qu'on organise tout ça mon gros. Isolé, plusieurs accès et grand volume intérieur à aménager. Le petit bijou de tes rêves et c'est mon père qui régale. Avoue que je suis un génie.

- Que de modestie, rigola Jules en tapant son poing contre celui de Babacar.

Nicolas Laville se rapprocha à grands pas, la frustration gravée sur son visage. Il prit la chaise et se laissa tomber lourdement dessus. Coudes sur la table, doigts croisés, et pied tapotant le sol ; il était énervé. Il marmonna quelque chose d'incompréhensible avant de regarder son beau-fils.

- Mauvaise nouvelle ? tenta Jules.

- Le patron veut me voir.

- Et ?

- Je n'en sais pas plus. Mais je n'aime pas être convoqué.

- Peut-être à cause de Lucas.

L'inspecteur se redressa en une fraction de seconde. Son attention encercla le jeune homme.

- Lucas ?

- Non, pardon. Je pensais à autre chose. Vous me connaissez, je réfléchis trop vite.

Le champion du sommeil avait aussi un titre de boulet à son actif. Jules conserva une expression neutre, masquant son erreur de débutant. Il n'était pas à son premier coup d'essai, il avait même un palmarès long comme un bras.

- Quoi qu'il en soit, ne vous y rendez pas tout de suite. Trouvez un prétexte. Je vais peux être avoir besoin de vous. Mais qui plus est, je vais étudier vos renseignements et vous donner mon avis. Il pourrait vous aider face à Marone.

Sans demander plus d'informations, l'homme aux cheveux poivre et sel inclina sa tête et quitta le café. Il allait suivre le conseil du garçon et se changer un instant les idées. Cela ne lui ferait pas de mal avec la pression qu'il accumulait quotidiennement. Mais un court instant seulement, pas plus.

Les choses allaient se compliquer pour Jules, il devait agir plus vite qu'il ne l'aurait souhaité. Babacar aussi se retira, embarquant le second sac de son ami. Il lui parût un peu plus lourd qu'à l'habitude, mais nul besoin d'en demander le contenu. Il le connaissait par coeur. Il laissa le jeune homme se plonger dans des réflexions dont seul lui connaissait les méandres.

Jusqu'au moment où...

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