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Alors qu’il franchissait les grandes portes d’entrée pour quitter définitivement le bâtiment, une silhouette féminine s’interposa avec fermeté. Jules reconnut Diane, la dictatrice du treizième étage. Il tenta de garder son calme et de l’esquiver, sans succès.

- Suivez-moi. Nous devons parler de quelques détails avant votre départ.

- Ça aurait été avec plaisir, mais…

La femme lui agrippa l’avant-bras et le traina de force vers une porte dérobée. Elle voulait cet échange et elle l’aurait. Un dictateur impose, il ne négocie pas.

Les yeux du juriste balayèrent la pièce. Trop de monde pour faire un scandale, il serait repéré. Il coopéra malgré lui. Le pas déterminé, Diane s’engouffra dans un couloir, Jules dans ses pas.

Dans la cage d’escalier, peinte d’un mauvais beige, la femme l’entraîna une vingtaine de marches plus bas. Il n’y avait pas assez de lumière pour dévisager avec netteté les traits de la tortionnaire. Les deux petites ampoules entourant l’écrit blanc « exit » sur fond vert ne l’aideraient pas.

La main de Diane effleura le torse de Jules, l’obligeant à se placer dos contre le mur. Leurs regards se transpercèrent mutuellement.

- Je ne sais pas ce qu’il vous prend, mais sachez que…

- Taisez-vous par pitié, le coupa-t-elle. Vos jérémiades me fatiguent. Vous n’êtes pas un proche d’Alexian. Vous ne savez pas grand-chose de lui. Je ne le demanderai qu’une seule fois : qui êtes-vous ?

- Comment osez-vous ?

Il tentait de convaincre cette adversaire. Tous les coups étaient permis. Jules était isolé avec la jeune femme, cette idée ne lui plaisait pas. Il n’exclut le recours à la force pour se sortir de ce piège.

- Je vous ai observé. Vous avez fouillé dans les affaires d’Alexian. C’était un jeune homme organisé, bien plus que l’ensemble des personnes de cet immeuble. N’importe quel ami aurait trouvé ce qu’il cherchait sans l’ombre d’une hésitation. J’en conclus que lui et vous étiez de parfait inconnus.

Remarquable raisonnement. Jules était sans voix, fasciné par la force qui se dressait devant lui. Son ton était froid, calculateur. Elle savait d’où elle partait et vers où elle allait. Chaque étape était prévue d’avance. Jules était pieds et poings liés.

Aucun son ne sortit de sa bouche légèrement entrouverte. Nerveux, il battait du pied dans l’espoir de trouver un moyen de se sortir de ce mauvais pas.

Diane était une femme autoritaire. Le pouvoir l’animait, elle ne vivait que pour en obtenir d’avantage. Elle ne supportait pas les voix discordantes. Pour autant, il paraissait fort peu judicieux de la mettre en colère, qui plus est si elle était le véritable assassin d’Alexian.

Comment l’attaquer et la forcer à baisser sa garde ? Jules tenta de gagner un peu de temps.

- Vous fumez ?

La démarche intrigua la grande brune. Elle laissa Jules briser le silence.

- Je vous demande parce que nous soyons dans une impasse. Je ne compte pas répondre à vos questions. D’une, vous n’avez pas l’autorité nécessaire pour m’y contraindre. Et de deux, c’est moi qui pose les questions en temps habituel.

- Donnez-m’en deux alors.

La main de la sulfureuse femme s’avança doucement vers le jeune homme. Bien sûr, il n’avait pas de cigarette sur lui. Intelligent n’est-ce pas. Sa première tentative pour la déstabiliser avait échoué. Mais il comprit une chose capitale pour faire plier son adversaire.

Agacée, Diane sortit son propre paquet. Une tige de tabac se glissa entre son index et son majeur. L’embout calé entre ses lèvres, elle fit apparaître la petite flamme du briquet et alluma sa clope. Un léger filet gris serpenta dans les airs.

Jules se posa sur une marche. Son sac posé à ses pieds, il s’appuya sur ses coudes, en arrière, et s’arma de son plus beau sourire. Diane ne parut pas réagir. Sans doute cherchait-elle aussi une faille chez son vis-à-vis.

- Vous êtes une personne étrange Diane. À écouter les gens qui vous entourent, vous êtes la pire des femmes qu’il puisse exister. Mais vous et moi savons qu’ils ont tort. Tous. Sans exception.

- N’essayez pas de m’amadouer.

- Oh non ! Jamais !

Elle avait quelque chose à cacher.

Acte un : mettre en confiance l’ennemi. Rien de mieux que feinter la compréhension et l’adoption du point de vue de votre interlocuteur. Avec une personne comme Diane, rien de plus facile, il suffisait de reconnaître sa prétendue supériorité.

- Vous êtes plus intelligente que la plupart des gens qui travaillent avec vous, n’est-ce pas ?

- Effectivement.

- Ça se voit au premier coup d’œil.

Diane se mit à rougir. Un signe de victoire pour Jules. Acte deux : faire parler son interlocuteur. Là encore, aucune difficulté. Une simple comparaison avec la victime et la trentenaire déballerait le fond de sa pensée sur son défunt collègue.

- Dont Alexian, bien entendu. Mais du coup, je me demande pourquoi a-t-il eu la promotion alors ? Il n’y a pas de logique…

Attention, tour de magie. Trois, deux, un…

- Je détestais ce gamin. Sous prétexte d’être le fils d’un homme riche, il se permettait de vivre la belle vie au boulot. J’ai travaillé trois ans pour cette promotion ! Il était hors de question qu’elle m’échappe. Coûte que coûte. Vous l’auriez vu en sortant du bureau de l’autre porc là. Si heureux d’avoir été promu et me narguant sans aucune limite.

- Je vous comprends. Moi aussi j’ai vécu des revers. Ils font mal, au point de perdre son propre contrôle et de commettre des actes irréparables.

- Je l’aurais tué de mes propres mains si possible… Quelqu’un l’a fait pour moi.

- Une dernière pour la route : Où étiez-vous ce soir là ?

- Seule, chez-moi, malheureusement. J’ai été boire pour oublier dans un bar, une gars un peu lourd m'a emmerdé un bon moment. Je lui ai mis un claque quand il a voulu me toucher le cul, puis je suis rentrée.

Jules n'en demandait pas plus, cette phrase était ce qu'il attendait avec impatience : un mobile et aucun alibi pour le soir du meurtre.

Il se releva, saisit son sac et monta lentement les marches à reculons. Diane leva la tête, mais elle ne dit rien. Seul son sourire brisa le silence. Jules se demanda alors si sa réponse n'était pas toute faite, si elle ne l'avait pas piégé. Il n'aurait pas de réponse cette fois-ci.

Regagnant le hall, il pressa le pas pour enfin franchir la grande porte d’entrée. L’air frais lui fit un bien fou. Une pleine bouffée et il se dirigea vers l’accès au métro le plus proche. Il ne savait pas quoi penser de Diane. Excellent coupable, un peu trop même pour se salir les mains. Mais très probablement impliquée.

Le regard sur le carton, Jules était bien loin de savoir ce qui l’attendait.

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