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Sur le quai, Jules se grattait le menton. Il repensait inlassablement à toutes les données qu’il avait pu acquérir sur le dossier. Un pas à gauche, demi-tour, un pas à droite. Parfois, sa tête se balançait, décrivant un non dans l’air. Plus rarement, il souriait sans réellement avoir de raison. La nervosité, sûrement. Il était dans sa bulle, raisonnant encore et toujours.

Son portable vibra une première fois. Il n’y fit pas attention, ses réflexions l’absorbaient bien trop. Il grommela, effrayant une vieille dame qui s’en alla d’un pas rapide. Son portable se manifesta une seconde fois. Il consulta le panneau d’affichage : dix minutes d’attente. Sa main dans sa poche, il brandit son portable.

La petite enveloppe sur son écran gesticulait. Il tapota et le message de Marie s’afficha. Bien que Jules n’ait pas lu l’entier contenu, il comprit que son amie l’attendait à la surface. Bon dieu, on n’a pas de temps à perdre là. Ils devaient rejoindre leur nouveau quartier général ensemble. Jules ne chercha pas plus loin et quitta le quai d’un pas irrité.

Deux jeunes garçons se coursèrent, bousculant le juriste. Jules pesta à plein poumon. Sans effet. Les deux disparurent sans se retourner, s’engouffrant dans un escalier.

L’air frais chatouilla les narines du jeune homme. La différence était saisissante. Il se sentit revivre. Tout le monde connait cette odeur nauséabonde des RER et métros parisiens. Un mélange entre sueur, égout et déchet en décomposition. Seule l’habitude d’arpenter ces couloirs permettait d’y faire abstraction, s’il était possible qu’un tel miracle se produise.

La lumière aveugla un court instant le garçon. Ses paupières se rabattirent. Désorienté, il mit sa main sur son front en visière pour regagner la vue. Le bruit envahit ses oreilles. Les sons bourdonnaient dans ses tympans. Les gens circulaient tout autour de lui, le frôlant la plupart du temps sans lui prêter la moindre attention. L’impression d’étouffement le saisi. À moins que ce ne soit les deux bras de Marie qui l’étreignit un peu plus fort.

- Pourquoi n’es-tu pas venue me rejoindre sur le quai ? Nous perdons du temps Marie, tenta d’articuler Jules.

- Plus besoin mon cher.

Elle laissa pendouiller une clef de voiture. Un grand sourire se dessina sur son visage.

- J’ai ma voiture Croquette !

Jules se ravit de cette nouvelle. Fini les transports en commun, les personnes désagréables, les odeurs à vomir et les retards à ne plus pouvoir les compter. Mais il se remémora rapidement la raison pour laquelle Marie s’était retrouvée piétonne après six mois de permis : conduite dangereuse. Quatre-vingt-trois kilomètres par heure au lieu de cinquante. Normal… Ou pas.

La jeune femme se dirigea vers une Peugeot 206 rouge et s’engouffra dedans. Jules eut un moment d’hésitation. La conductrice baissa la fenêtre côté passager et encouragea son ami. Il se gratta le menton. Sa main descendit lentement vers la poignée de la portière. Après un ultime doute, il finit par monter. Le moteur crachota, mais la voiture démarra et Marie embraya sans se faire prier.

- Cesse de freiner à ma place. On arrivera en vie, ne t’inquiète pas. Tu n’as pas de pédale de toute façon, détends-toi.

Facile à dire. Beaucoup moins à faire. Jules changea de sujet.

- Qu’as-tu pu obtenir de Lucas ? Trente minutes c’est assez peu.

- Il est arrivé, il a aperçu une personne en sortant de l’ascenseur. Mais il n’a pas de détails à nous fournir, il n’a vu que son ombre sur le mur. Il a trouvé l’appartement sans dessus-dessous et Alexian sur sa chaise. La gardienne est arrivée peu après, elle a crié, il l’a poursuivi. Il a rencontré deux hommes, l’un menaçant et l’autre le défendant. Il y a eu un contrôle d’identité. Puis il a fui dès que l’officier de police a tourné la tête.

Jules aimait les résumés éclair de Marie, Rien que les faits utiles à la compréhension.

- Rien de plus ?

- Non.

- Je vois bien le cadre général, mais… C’est maigre pour avancer.

- Pas faux.

Elle prit un virage à droite un peu trop serré et manqua de renverser un homme la tête plongée dans son portable. Un long coup de klaxon retentit.

- Pas de détails plus précis ?

- De tête, non. Mais j’ai pris mes notes de l’interrogatoire. Un juge d’instruction a été saisi, tu sais ce que cela signifie. Interrogatoire de première comparution et possible détention provisoire. Fils de flic, ça pue pour lui derrière les barreaux.

Jules sembla frustré par la réponse de sa camarade. Il avait besoin d’un élément déclencheur pour ordonner ses pensées. Les pièces du puzzle étaient nombreuses, beaucoup de suspects tous aussi coupables les uns que les autres. Rien ne le lui permettait d’opérer un tri efficace. Les zones d’ombres le ralentissaient, plus qu’il ne l’aurait voulu.

- Mais je devrais pouvoir le revoir, sa garde à vue va être prolongée, ajouta Marie. Il devrait être redescendu au niveau du stress. Il a aussi une audition dans trois heures.

Marie accéléra. Le périphérique était vide.

- Nous allons essayer de te donner quelques pistes pour ton entretien. Et…

Le téléphone de Jules se mit à sonner. La danse des canards. Ils se regardèrent avec Marie. Elle réprima une moquerie, mais son visage la trahit. D’un signe de la tête, elle invita le blond à prendre l’appel. Il s’exécuta, gêné.

- Croquette, c’est Dupuis à l’appareil.

- Charles…

- Putain, mais qu’est-ce que tu foutais sur le lieu de travail de la victime ? Tu veux encore te faire taper sur la tronche par Laville et le commissaire ?

Ce bon vieux Charly. Il l’avait aidé à fuir au poste de police, malgré lui. Dans ses souvenirs, ce gars avait été une petite frappe au collège. Le genre à vous gifler sans raison, vous voler vos cahiers et les planquer dans des endroits insoupçonnés. Pire encore, vous humilier devant tout le monde. Aujourd’hui il était flic. Joli paradoxe. Le changement avait sûrement dû intervenir durant ses années de lycée dans son internat militaire.

- Tu ne vas pas me croire, mais je faisais un petit tour dans le quartier de Montparnasse. Je m’emmerdais à un point, tu ne peux pas imaginer. Du coup, je me suis dit que…

- Putain d’enfoiré. Tu es pire qu’un mythomane, le plus con que je connais. Qu’as-tu fait de la boite avec les affaires de Kritovsk ?

- De quoi me parles-tu ?

- Ne fais pas l’innocent avec moi.

- Je te promets.

- T’es pire qu’un con parfois.

Souvent même. Le flic souffla si fort que Jules crut sentir le courant d’air embrasser son oreille.

- Que vas-tu faire avec ?

- Si je te le disais, je ferais de toi mon complice. À moins que tu m’arrêtes avant. Mais tous deux savons que cela ne se produira pas après ton acte héroïque au commissariat. Par contre j’aurais besoin de toi pour autre chose.

Marie donna un coup de volant au dernier moment pour s’engager dans l’interminable impasse menant à une bâtisse abandonnée. Jules se cogna la tête contre la vitre. Il se frotta la tempe avec ses doigts et remit son téléphone à l’oreille tout en fusillant Marie du regard.

- J’ai besoin d’avoir une copie des documents du dossier, ceux que je n’ai pas pu avoir. Tu as toujours mon adresse mail n’est-ce pas ? Sinon je te la redonne.

- Mais ça ne va pas dans ta tête.

- Si. Enfin presque. Tu me connais, argumenta le blond.

- Jules, j’espère que tu…

Le jeune homme raccrocha, laissant l’officier Dupuis à ses vaines protestations. La voiture s’immobilisa et Jules ne perdit pas une seconde pour s’en extraire. Il prit les devant et inséra la vieille clef rouillée dans le canon de la serrure. Il tourna deux fois sur sa gauche et poussa avec difficulté le lourd battant de fer.

Laissant Marie le suivre, il pénétra dans son antre.

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