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Jules ne se sentit libre qu’une fois la grille franchie de la villa. Il avait profité de sa marche dans la propriété verdoyante pour décompresser. Les événements s’enchaînaient vite depuis trois jours, il n’avait pas pris le temps d’évacuer la pression qui l’entourait. Tous attendait beaucoup de lui, peut-être trop.

Les informations qu’il avait obtenues se mélangèrent avec ce qu’il savait. Son esprit pourtant très efficace n’arrivait pas à synthétiser l’ensemble. Il avait besoin de son tableau pour démêler l’utile du superflu. Sa seule certitude : Mâcon n’avait pas tué Alexian.

Le soleil l’éblouissait, mais une silhouette l’observait depuis le trottoir d’en face. Est-ce lui ou bien la villa derrière ? Elle faisait des mouvements pour tenter de voir derrière Jules. Étrange… Dimitri aurait-il des fans ? Il rigola, le sourire figé sur ses lèvres.

Elle devait mesurer un mètre soixante-dix, talon compris. Ses courbes, fines et musclées, révélaient la pratique régulière de sports, entre course et combat. Sa cascade de cheveux foncés glissait le long de son dos. Elle était tout simplement magnifique, encore plus avec sa robe rouge.

Malgré ses lunettes de soleil, Jules sentit son regard le transpercer.

- Mademoiselle, s’il vous plaît. Je…

Elle le dévisagea cette fois. Il se figea. Il avait un pré-sentiment. Cette femme n’était pas là par hasard. Le juriste s’engagea sur la route pour l’accoster. Une voiture klaxonna, le chauffeur écrasa le frein et braqua le volant. Jules prit à peine le temps d’un pas en arrière qu’il repartit.

Peine perdue. Elle prenait la fuite. Jules accéléra le pas et tourna sur sa gauche pour suivre les traces de la demoiselle. Il s’engagea dans la première rue à gauche.

Personne. Elle s’était envolée.

Il remonta la rue, en quête d’un indice, mais il resta bredouille. L’énervement gravé sur le visage, il se décida à regagner les transports pour rejoindre le repère. Il avait la ferme intention de faire avancer ce dossier avec ce que Dimitri lui avait dévoilé.

La porte du « Quartier Général », comme l’avait baptisé Babacar, grinça lorsque son battant de métal coulissa. Bounty tourna la tête, son stylo immobilisé sur l’îlot central, pour découvrir un Jules agacé. Mauvais signe, se dit-il. Il lui tendit une canette d’Oasis, sans succès.

Jules s’assit sur une chaise, les coudes sur la table, les doigts croisés et la tête dessus. Cette femme qui lui avait échappé savait quelque chose. Elle avait fui au moment où il l’avait abordé. Qui se comporte ainsi s’il n’a rien à cacher ? Il ne savait pas grand chose, elle était brune, rien de plus.

- Tu fais une gueule mec, on dirait que tu as vu un…

Jules leva la main.

- Pas de blague s’il te plaît. Il faut que l’on réfléchisse avec tout ce que j’ai appris.

- Je t’écoute.

- Mâcon est bien le dealer d’Alexian, mais aussi l’amant de sa mère.

- Non… rétorqua Babacar incrédule.

Le juriste lui résuma son entretien avec Dimitri Balkichvski. Il but chacune des paroles sans rien manquer, ce qui relever de l’exploit. Son visage afficha une pointe de déception une fois le récit terminé. Lui aussi aurait aimé braver le danger d’encore plus près.

- Je vais axer mes recherches sur le père et ce putain de mafieux. On va trouver quelque chose Croquette, on chauffe, je le sens.

- J’espère.

Alors que Babacar commençait à surfer sur le net, Jules en profita pour actualiser son tableau à roulette.


***


Marie arrive sur les coups de quatorze heures. La matinée n’avait pas été de tout repos. Entre l’appel de la maison central pour l’agression de Lucas et ce qu’elle avait appris, elle ne savait plus où donner de la tête. Elle laissa tomber sa manette et s’avachit sur le canapé du petit salon sous les regards interrogateurs de les et Babacar.

- Laissez-moi cinq minutes les gars, juste cinq. Je n’en peux plus.

Sa tête bascula en arrière jusqu’à l’appui-tête. Elle retira ses talons. Marie détestait ses chaussures depuis toujours. Seulement le milieu juridique possède son dress-code à respecter et les talons faisait partie de l’attirail. Elle se massa les pieds et profita d’un silence qu’elle espérait infini. Il s’écourta un instant plus tard.

- Comment va Lucas ?

- Il est en piteux état.

- Comment ça ? fit Jules interloqué.

- Une agression dans la matinée par d’autres détenus. Fils de flic, c’était à prévoir.

- Mauvais signe.

Elle se redressa, les yeux fixés sur la télévision diffusant une série américaine des années quatre-vingts. Comme toujours, la petite Carrie Ingalls tombait dans le champ lors du générique. La jeune avocate leva les bras pour s’étirer. Il y eut un léger « crac ».

- Et ce con de juge d’instruction qui n’a pas voulu entendre ma mise en garde, pesta-t-elle.

- Nous avons avancé de notre côté. Les dernières heures ont été très animées. Entre l’explosion d’un entrepôt, la visite chez Balkichvski et les quelques recherches de Bounty, les informations ne manquent pas. Il ne reste plus qu’à mettre un peu d’ordre. Tu nous aides ?

Marie s’affala de nouveau dans le canapé.

- Cinq minutes s’il te plait.

Jules brandit les pouces en avant, tourna sur lui-même et regagna l’îlot central.

Sur le tableau à roulettes, la photo de Mâcon avait été barrée par deux traits rouges. L’apprenti détective fait ajouté chaque nouvelle information sous la personne correspondante. Il prit une chaise et s’installa pour avoir une vue d’ensemble.

Il ne bougea plus.

Cette attitude ne surpris ni Babacar qui continua ses recherches sur Andreï Kritovsk et Dimitri Balkichvksi, ni Marie lorsqu’elle le rejoignit. Il était dans sa bulle, à analyser chaque fait, chaque possibilité. Seuls ses yeux se baladaient d’un coin à l’autre du support.

La situation n’évolua pas les quinze minutes suivantes. Jules continuait son travail intellectuel pendant que l’avocate et son ami exploraient les biographies de chacun des suspects. Ils n’en sortirent rien d’utile.

- Fais chier ! gueula Jules.

Marie sursauta. Son verre se brisa sur le sol.

- Il me manque des paramètres pour décoder ce putain de casse-tête. Dimitri, Andreï ou bien Diane, ils ont tous jouer un rôle. Mais je n’arrive pas à les lier les uns aux autres.

- Peut-être fait-on fausse route, suggéra Babacar du papier essuie-tout à la main.

- Impossible.

Les bris balayés, tous s’installèrent autour du plateau digital. Stylo à la main, Jules exposa les trois théories qu’il avait dégagé de sa silencieuse réflexion.

- Andreï a découvert le poteau rose : sa femme couchait avec Mâcon. Il l’a éliminé avec l’aide de son ami de toujours, Dimitri. Ce qui expliquerait la présence de deux tireur pour la fusillade de l’entrepôt. Pour la mort d’Alexian, les choses sont encore floues.

- Et sa collègue, proposa Babacar.

- Diane l’aurait fait chanter ? Mais pour quelle raison ? Dimitri l’aurait fait tuer pour mettre la pression sur son père ? Personne n’avait d’intérêt à ce que ce mec là meurt. Pour chacun, sa mort est à la fois profitable et néfaste. Seule Diane n’a pas d’alibi.

Ils avaient besoin d’aide. Laville mis à pied ne serait pas d’un grand secours. Il avait encore des contacts avec ses collègues, mais il n’aurait pas accès aux pièces importantes du dossiers. Une impasse de plus.

Marie griffonna sur son bloc de papier, à la recherche d’une hypothèse non explorée. En tant qu’avocate, elle avait appris à débusquer des textes de lois oublié, ou que peu connaisse, pour résoudre les cas les plus désespérés. Aujourd’hui, elle se trouvait dans une impasse et le temps jouait contre l’équipe.

Son portable vibra. Un message vocal vieux de plusieurs heures. Elle l’écouta, son attention à moitié consacré aux thèses de Jules. Après un instant, l’air satisfaite, elle finit par dire :

- Beaucoup de questions et peu de réponses.

- Exact Marie.

- Alors je vais peut-être pouvoir t’aider.

Cette simple phrase lui suffit à devenir le centre de l’attention. Les deux amis attendaient avec impatience qu’elle leur délivre ce qu’elle savait et qu’ils ignoraient. Ses notes en main, elle se lança :

- Ce midi, Lucas m’a expliqué que son ami avait pour habitude de cacher les choses importantes dans des recoins ou des cachettes dissimulées. Le matin même, il avait reçu un paquet, une clef USB. Lucas n’y avait pas pensé plutôt, mais le soir où il a découvert le corps, l’ordinateur de la victime affiché un message.

- Oui, cela me dit quelque chose. Bounty, regarde les clichés qu’on a de la scène. Il me semble que tu m’avais parlé d’une mauvais déconnexion, ou un truc dans le genre.

- Exactement Jules. Lucas m’a dit avoir vu le même message. hors il n’y avait plus aucune de ces clefs sur…

- … le bureau, conclut le juriste.

Le repère si calme un instant plutôt s’agita de plus bel. Chacun se mit à fouiller dans les différents documents. Ils tenaient là un élément qui leur avait échappé, mais sous leur yeux depuis le départ. Imbécile, tu es le roi des imbécile mon pauvre ! s’énerva Jules contre lui-même.

- Je viens de recevoir un appel de Betty. Elle m’a confirmé qu’Alexian avait une trappe secrète dans son appartement. Mais elle ne sait pas où précisément, il n’a jamais voulu lui dire.

- On va la trouver. Babacar et moi filons chez la victime.

- Je m’occupe des recherches, ajouta la belle blonde.

- Marie ?

La jeune femme s’arrêta et leva la tête vers son camarade.

- Tu es la meilleure.


***


Jules enfonça l’accélérateur de la voiture de Babacar et les pneus crissèrent sur l’asphalte. Le véhicule partit comme une balle pour rejoindre le périphérie parisien. Les kilomètres défilèrent. Tant pis pour les queues de poissons, les refus de priorité. Les feux ne les stoppèrent pas une fois la ville gagnée.

La Clio tourna à droite. Le passager se souvint alors pourquoi Jules ne conduisait pas souvent : il était un véritable danger. Babacar avait accepté de lui laisser le volant uniquement car le temps leur était compté. Le regrettait-il à présent ? Sûrement.

Un nouveau coup de volant à droite.

- On va arriver en vie ?

Pas de réponse.

- Non parce que j’ai des projets de vie Jules.

- Dis que je conduis mal aussi. C’est Alice qui m’a appris je te rappelle.

- Tout s’explique… murmura-t-il.

Sur la place de la République, pas de manifestation, pas de skaters. Un calme inhabituel qui troubla le juriste. Il pila pour éviter la grand-mère au milieu des passages piétons. Ah ces vieux ! Toujours à traverser n’importe comment ! pesta-t-il. Il klaxonna.

Le feu s’éclaira vert. Un dernier virage et les deux comparent sortirent de la voiture à tout allure.

La porte cochère était maintenu ouverte par un crochet, une aubaine. Jules s’engouffra dans le hall suivi de Babacar. La loge de la vieille Graignard était plongée dans le noir, son absence ne faisait pas de doute. La chance était de leur côté. L’ascenseur toujours condamné, ils grimpèrent les marches deux à deux.

Devant la porte de l’appartement, Babacar n’hésita pas à sortir son set de crochetage. Il inséra une première tige dans le mécanisme et immobilisa plusieurs goupilles. La seconde, légèrement crochue, se glissa le long de sa semblable. Le Sénégalais l’agita dans tous les sens. Il y eut un déclic.

- Rappelle-moi de prendre un système anti-crochetage si je change ma serrure.

Babacar lui adressa un sourire ironique. Les deux rentrèrent dans le logis, le battant refermé derrière eux avec la plus grande discrétion possible.

L’appartement n’avait pas changé. Seul le sol avait été nettoyé de fond en comble. Bris de verre, copeaux de bois, tout avait disparu. Tout sauf les contours de la marre de sang incrusté les fentes des planches du parquet. L’équipe de nettoyage repasserait avec des produits plus puissants d’ici peu.

- Par où commence-t-on ?

- La chambre, suggéra Babacar. Les gens aiment cache les choses importantes près d’eux pour garder un oeil dessus.

- Allons-y.

Jules laissa son ami pénétrer le premier dans l’intimité du défunt. Les livres de la bibliothèque avaient été replacé au hasard, des collections séparées ou bien des auteurs anglais entrecoupées de classiques russes. Trouver un indice dans ce pêle-mêle ne serait pas chose aisée.

Infructueuses, les recherches se poursuivirent dans le dressing, la salle de bain ou bien la buanderie. Le résultat fut le même. Il ne restait que la pièce à vivre et la cuisine.

- Je parierai sur le bureau, lança Babacar.

- Trop prévisible.

- Justement Jules, plus c’est prévisible et moins les gens vont penser que c’est effectivement le bon endroit. Logique non ?

Le juriste leva un sourcil, perplexe.

- Vas-y Bounty, fais-toi plaisir. Je m’occupe du salon pendant ce temps.

Babacar se précipita vers l’ordinateur, il en ressortit bredouille.

- Je te l’avais dit, taquina Jules.

- Toi aussi, tu aimes trop remuer le couteau dans la plaie. Mon coeur saigne maintenant.

- Au lieu de me faire ton numéro d’artiste, viens m’aider à déplacer le canapé et la table basse.

- Pourquoi ?

Le juriste secoua la tête. Il montra tour à tour le parquet en bois et le tapis. Babacar réfléchit, son visage passant par plusieurs états. Les mains sur le canapé, il tira de toute ses forces. La table basse décalée, Jules roula le tapis. Au sol, une latte présentait un défaut. Le juriste s’allongea, posa sa joue contre le sol. Son oeil parcourut le sol et mit un instant à chasser le flou.

Pas de doute, il y avait un très léger décalage.

- Pied-de-biche s’il te plait, requit Jules.

- Putain, je n’en reviens pas. Le mec a installé un coffre fort dans le plancher.

L’objet coincée entre les deux lattes du plancher, Jules posa le pied sur la partie haute et appuya de tout son poids. Il y eut un léger craquement, mais le bois résistait à l’agression. Il répéta l’opération. Un nouveau « crac » plus sonore. Il sortit un peu plus la barre de fer.

- En sortant la barre, j’augmente la distance entre le sol et mon pied, expliqua-t-il. J’ai donc une force qui augmente. Démonstration.

Sa jambe poussa le pied-de-biche vers le bas. Sous la pression croissante, un morceaux de latte se détacha pour gagner les air pour s’écraser dans le couloir. Babacar eut un mouvement de recul. Jules s’inclina vers l’avant une main sur le coeur et l’autre bras tendu.

Sans plus attendre, les deux compères se penchèrent au-dessus du trou. Il était profond, assez pour y cacher un livre. Au fond, une forme y reposait. Un petit rectangle d’à peine dix centimètre. Jules balaya la minuscule abscisse à l’aide du flash de son portable.

La clef USB apparut.

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