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Quinze heures quarante-cinq, enfin la fine équipe possédait un élément décisif pour faire avancer l’enquête. Jules plongea les doigts dans fente et s’empara de la clef. Tel un trophée, il la brandit au-dessus de lui, un sourire de satisfaction partagé avec Babacar. Pire que deux enfants à noël.
Le juriste se précipita sur l’ordinateur. Il pressa le bouton pour l’allumer, sans résultat. Nouvelle tentative, nouvel échec.
- De toute façon, tu n’as pas le mot de passe, fit remarquer Babacar.
- Tu connais mon impatience.
Il hocha la tête.
- J’attendrai d’être au repère, mais pas plus longtemps. Il nous faut le contenu de cette clef pour comprendre toute l’histoire. Je suis persuadé que la solution est dedans.
Dans l’entrée, la porte grinça. Les deux compères s’immobilisèrent. Qui pouvait entrer dans l’appartement ? La gardienne ? Non, elle n’aurait pas fait preuve d’une telle discrétion jusqu’à l’étage. De même pour les voisins, aucun n’aurait pris cette précaution.
Babacar se déplaça d’un pas sur le côté, une large ombre progressait sur le mur. Il tenta d’ouvrir un peu plus son angle de vue quand son corps tout entier se figea. Il sentit la peu l’envahir. Naturellement, il leva les bras en l’air, sous le regard perplexe de son ami. Pas après pas, il se rapprocha de Jules.
Un homme de petite taille pistolet braqué devant lui, fit irruption dans la pièce. Son imposant binôme ne tarda pas. Jules reconnut sans hésitation les deux silhouettes qu’ils avaient croisé deux jours plutôt. Les traits du visage du plus petit laissaient deviner son esprit vicieux. Un véritable chefaillon en puissance. L’autre avec une case en moins dans son cerveau.
- Vladimir, pour vous servir, grinça l’homme armé.
Son sourit était malsain, pervers.
- Ne perdons pas notre temps. Tu me files la clef, et je vois avec mon boss si tu ressors vivant ou si je te troue avec ton ami.
- Sacré marché !
- Ta gueule Balou, c’est plus du mito là. Un peu de professionnalisme.
Le gros avala la fin de son sandwich, croisa les doigts et s’étira de toute sa longueur. Plusieurs craquements résonnèrent dans le salon. Il fit un pas faire l’avant, les yeux remplis de colère. Les deux compères frémirent. Cette fois-ci, ils n’avaient pas anticipé un échappatoire. Le gros se mit à éclater de rire.
Un détail retint l’attention du Sénégalais. Il tapota son camarade avec discrétion et lui montra du regard l’arme.
- Et si je refuse vous donner la clef ?
- Je vous troue, je récupère la clef et je vous troue à nouveau.
Babacar contracta les muscles de ses jambes, prêt à bondir sur son adversaire. Ses poings fermés, son visage s’assombrit.
- Vladimir, c’est ça ? Avant de menacer mon ami avec une arme, vérifie que le cran de sûreté n’est pas enclenché. Parce que je vais t’en coller une dans ta face de con.
- C’est bien dit mon petit Bounty, acquiesça Jules.
Le sbire porta le pistolet à ses’ yeux. Ce réflexion instinctif… Dans la demie seconde suivante, une masse lui percuta la joue. Il sentit son corps basculer jusqu’à percuter le sol, la douleur lui mordant la mâchoire. Il était à quatre pattes, sonné mais conscient.
L’arme glissa sur le sol. Balou porta son regard dessus. Jules aussi. Il n’y eut pas de round d’observation. Le juriste se jeta pour s’emparer de l’arme, mais le sbire le plaqua, à l’aide de sa grosse main qu’il lui imprima dans le dos. Le gamin tenta de se débattre, sans effet.
Le petit se redressa, avide de se venger. Oh oui, il prendrait un malin plaisir à s’occuper de ce putain d’enfoiré. Il l’emmènerai dans un local isolé en plein forêt, une cave abandonnée dans un bâtiment ou tout autre endroit sordide. Une fois attaché, il le ferai souffrir jusqu’à ce qu’il le supplie, qu’il couine sa douleur, qu’il lui demande de l’achever.
- Balou, le flingue, geignit-il.
Le bougre tourna la tête pour repérer l’arme. Babacar en profita pour lancer son pied et frapper la tête. Désorienter l’ennemi, la meilleure des stratégies lorsqu’il est plus fort que soi. L’attaque fut contrée avec facilité par l’homme de main. Il s’empara de la cheville et projeta Bounty au sol.
De sa paluche libre, il tâta le parquet. Après quelques secondes, son majeur entra en contact avec le métal froid. Il s’en saisit. Son bras s’immobilisa.
- Hein ?
Jules maintenait son poignet de toute ses forces. Il fit deux ou trois gestes pour se dégager, soulevant le jeune garçon qui ne lâcha pas sa prise.
- C’est pas ton jour mon gars ! le nargua-t-il. Je vais t’écraser jusqu’à ce que tu me lâches.
Balou contracta les muscles de son bars et le leva dans un cri d’effort. Ses jambes se déplièrent, déployant sa masse. Jules se retrouva un mètre au-dessus du sol, la canon de l’arme à moins de dix centimètre de son crâne. Il fallait agir, et vite.
Babacar se précipita sur l’homme et le percuta d’un coup d’épaule. Tous tombèrent au sol. Un hurlement de douleur déchira l’air.
- Je crois que tu lui as luxé le coude.
- Et tu m’en vois satisfait mon cher Bounty.
- Oh oui.
Balou se tapa à plusieurs reprise le membre déboité contre le sol. Un nouveau « crac » résonna. Tous eurent une expression de dégoût.
- Où est le flingue mec ? Prends-le pour les…
Le bruit de la culasse stoppa net le duo. Devant eux, Vladimir se tenait contre le canapé, le chien baissé et le cran de sûreté retiré. Il ne ferait pas la même erreur deux fois de suite. Un petit mouvement vers le bas avec l’arme força Jules et Babacar à s’agenouiller.
- Où est la clef fils de pute !
- Je ne sais pas.
- Putain je vais te niquer sale merde. Je vais t’étriper et les faire bouffer à ton pote !
Il s’approcha du juriste et lui assena un coup de cross sur la tempe. La violence inouïe du choc assomma à moitié le garçon. Les mains au sol, il essayait de retrouver son équilibre.
- La clef, dernier avertissement.
Devant la dangerosité du personnage, Jules céda. Il glissa sa main dans la poche de son pantalon et en extirpa le précieux sésame. Sur la table basse, Vladimir se l’appropria sans attendre.
- Il est temps d’en finir avec vous. Vous avez grandement fâché le patron, et les emmerdeurs n’ont pas leur place dans notre monde. Une petite balle entre les yeux et tout sera terminé.
- Je ne suis pas sur que…
- Ta gueule le noir.
- Merci pour le racisme, gratuit en plus, j’apprécie.
Le petit nerveux frappa Babacar à son tour. Un premier coup dans le bas ventre, puis un second une fois l’homme à terre. Il perdait ses nerfs, son plus grand défaut. Il n’aimait pas les imprévus, leur gestion demandant une improvisation et une imagination dont il n’était pas pourvu.
Avant d’entrer dans l’appartement, il avait misé sur une stratégie rapide. Menacer avec l’arme les deux amis, récupérer la clef et filer au plus vite. Les éliminer interviendrait dans un second temps pour éviter tout lien avec l’affaire. Mais comme d’habitude, rien ne se déroulait comme prévu.
- Aller, debout les gros durs.
Jules se leva péniblement. Son binôme, plié en deux, restait sur le sol.
- Tant pis, je m’occuperai de lui après. Debout ou déjà par terre, il prendra sa balle.
- S’il vous plaît… implora le juriste. Laissez-le partir. C’est moi qui l’ai entraîné dans cette histoire. Il n’a rien demandé.
L’homme de main afficha un sourire sadique.
- Alors je vais commencer par ton ami. Puis je reviendrai un autre jour pour toi, le temps que la culpabilité te ronge.
L’homme pointa l’arme sur Babacar. Le coeur de Jules s’emballa. Il tenta d’intervenir, mais toujours sous l’influence de son vertige il ne put bouger. Que pouvait-il faire ? Vite, une idée. Mais… Trop tard.
Un ultime ricanement glaça Jules.
Puis un coup de feu résonna.
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