L'impuissance du Sheriff

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Mardi 4 septembre 2019 | Ash Supermarket | 16h53

Dans l'ombre tranquille de l'après-midi, Addison Moon s'engage sur le chemin menant au Ash Supermarket, son esprit est brouillé par une multitude de pensées, d'émotions. La ville d'Ashlow, habituellement animée par la routine matinale de ses habitants, est retenue dans une attente silencieuse, comme si elle anticipait les événements à venir. L'adolescente, poussée par la nécessité de préparer sa soirée d'anniversaire, tente de se concentrer sur la liste des emplettes qu'elle a élaborée la veille. Cependant, son esprit est ailleurs, captif d'une tension indéfinissable qui pèse sur ses épaules comme une lourde masse d'inquiétude.

En franchissant les portes automatiques du supermarché, une bouffée d'air conditionné la frappe de plein fouet, chasse momentanément les pensées sombres qui l'accompagnent. Elle saisit un chariot et commence à déambuler entre les allées. Son regard balaie les étagères en quête des ingrédients nécessaires pour la soirée. Pour les chips, ce sera Lay's, Doritos, Cheetos, Pringles et Tostitos. Quant aux pop-corns, elles hésitent entre Orville Redenbacher's, Pop Secret et Act II. Ses choix revêtent d'une importance capitale, comme si une de ces décisions triviales dépendait de l'issue de son plan audacieux.

Alors qu'elle s'approche du rayon des boissons, une silhouette familière attire son attention : Maria Silver, la mère de Megan, se tient là, examine attentivement les étiquettes des bouteilles de vin, le regard vitreux, comme si elle était ailleurs.

Le cœur d'Addison se serre à la vue de cette femme brisée par la perte de sa fille. Elle s'est promis d'aller lui présenter ses condoléances, mais la peur et le chagrin l'ont retenue. Maintenant, face à elle, Addison se sent envahie par une gêne profonde, une honte pour son silence. Très vite, les larmes montent.

Maria lève les yeux, leurs regards se croisent. Un moment suspendu, un silence lourd de non-dits s'installe entre elles, jusqu'à ce que Maria esquisse un faible sourire, teinté de tristesse. Addison sèche rapidement ses yeux, ne voulant pas attrister davantage la maman meurtrie.

— Addison, commence-t-elle, sa voix brisée par l'émotion. Tu n'es pas venue me voir... et je comprends parfaitement. Cette situation... est plus dure que tout ce que j'aurais pu imaginer.

Addison, les yeux embués de larmes, baisse la tête, incapable de soutenir le regard empli de douleur et de pardon de Maria.

— Je... je suis sincèrement désolée, Maria. Je ne savais pas quoi dire, comment faire face. Megan... elle... elle me manque tellement, si tu savais !

Maria pose une main réconfortante sur le bras d'Addison, un geste d'une tendresse maternelle.

— Je ne t'en veux pas, ma chérie. Nous sommes tous perdus dans cette tempête. Megan t'aimait plus que tout, tu sais. Elle aurait voulu que tu continues à vivre, à rire... malgré tout. Alors, profite de la vie, ma fille.

Les mots de Maria, empreints de chaleur et de compassion, perce lentement le voile de chagrin qui enveloppe Addison. Elle relève la tête, essuie rapidement une larme du revers de la main.

— Merci, Maria. Je... Je vais faire quelque chose pour Megan. Je promets de lui rendre justice. Je retrouverai le tueur et le mettrai hors d'état de nuire.

Maria acquiesce doucement, un éclat d'espoir brillent brièvement dans ses yeux fatigués.

— Je te fais confiance, Addison. Fais attention à toi.

— Attends, Maria ! Est-ce que... Dany va bien ?

— Oui. C'est dur, mais il est fort.

— Tout comme toi, Maria.

— C'est gentil ma chérie. À bientôt, peut-être.

Elles se séparent sur ces mots, chacune poursuivant ses emplettes avec un poids un peu moins lourd sur le cœur. Alison arpente désormais le rayon de la vaisselle jetable. Elle y est seule, c'est quelque peu effrayant.

Les lumières blanches du supermarché Ash éclairent les allées d'une lueur impersonnelle, transforment les ombres en une potentielle cachette pour les regards indiscrets, insistants, menaçants.

Le silence est total, brisé seulement par le murmure lointain des climatiseurs et le cliquetis discret de ses pas. Alison sent soudain un frisson lui parcourir l'échine, une sensation glaciale, comme si les yeux de quelqu'un étaient plantés dans son dos, afin de scruter le moindre de ses mouvements.

Elle se retourne brusquement, son regard balaie fébrilement l'allée à gauche, puis à droite. Rien. Aucune âme qui vive, juste les étagères alignées comme des témoins muets de son malaise grandissant.

— Qui est là ? Demande-t-elle, une angoisse croissante dans la voix.

L'air se densifie autour d'elle, sa respiration devient un effort plus conscient, plus lourd. La rationalité lui crie que c'est son imagination, un vil jeu de son esprit déjà tendu par les événements précédents, mais l'instinct primitif de survie susurre une mise en garde contre un danger non identifié.

Soudain, son téléphone sonne. Le cœur d'Alison fait un sacré bond. "Inconnu" lit-elle sur l'écran de son iPhone, les lettres blanches sur fond noir crie une menace à peine voilée. Une hésitation, brève mais intense, précède sa décision de répondre. Le stress, palpable comme une entité vivante, enveloppe Alison alors qu'elle porte l'appareil à son oreille.

— Allô, c'est qui ?

Au début, il n'y a rien, juste le silence qui s'étire, un prélude inquiétant. Puis soudain, un bruit de respiration se fait entendre, grotesque et exagéré, son souffle est un coup de marteau contre sa tranquillité d'esprit.

C'est comme si l'inconnu de l'autre côté cherche à insuffler la peur par le simple son de sa respiration, un monstre invisible se délectant du malaise croissant de la jeune fille. Et tout aussi soudainement que cela a commencé, cela se termine. L'inconnu raccroche, laisse Alison avec le bourdonnement du silence dans l'oreille, lourd de questions sans réponse.

Secouée, Alison termine rapidement ses dernières emplettes, ses mains tremblantes saisissent machinalement les articles sans vraiment les voir. Elle se dirige vers les caisses, ses pas s'accélèrent par l'urgence de quitter cet espace devenu hostile. Les sons ambiants du supermarché deviennent sinistre, les chuchotements amplifient son désir de s'échapper.

Le passage en caisse est flou, un processus mécanique où les interactions humaines se réduisent à des échanges fonctionnels, dénués de la chaleur habituelle. Alison est ailleurs, son esprit englué dans les réminiscences de l'appel téléphonique, analysant et re-analysant chaque détail, chaque respiration entendue. Qui était cet inconnu ? Une mauvaise plaisanterie, ou quelque chose de plus sinistre ? Le tueur ? Les questions tournent dans sa tête, comme un carrousel ressassant de peurs, de spéculations.

— 120 dollars, dit la caissière.

Mais Addison ne semble pas entendre la quinquagénaire, toujours prisonnière de ce qui vient de lui arriver.

— Mademoiselle ! Insiste la caissière.

— Hein ?! Oui, pardon. Je... je paye par carte, merci. Répond Addison, toujours perturbée.

Lorsqu'elle quitte enfin le supermarché, le poids sur son cœur s'allège légèrement sous les caresses du soleil de fin d'après-midi.

***

Mardi 4 septembre 2019 | Commissariat d'Ashlow | 17h25

Le sheriff Lindsay Moon est assise à son bureau, perdue dans ses pensées, son regard fixé sur un point invisible au loin. Autour d'elle, les murs de son bureau rétrécissent, emplis des dossiers, des photos, des notes avec les détails des tragédies de Megan, Cassie et Jeff. Les éléments de preuve sont des fragments d'un puzzle macabre, un récit de vies arrachées brutalement, qui laissent derrière elles un vide incommensurable. Lindsay tente de recomposer l'histoire, de trouver un fil conducteur entre ces drames, mais les pistes qu'elle s'est mise à suivre s'effiloche entre ses doigts, comme du sable fin.

La lumière du jour filtre à travers les stores, des ombres mouvantes se dessinent sur le sol, les murs jouent sur les surfaces avec une indifférence qui contraste douloureusement avec le poids des réflexions de Lindsay. Le sheriff se lève, se déplace lentement autour de son bureau, touche du bout des doigts les preuves éparpillées, comme si ce contact physique pouvait lui apporter une compréhension soudaine, une étincelle d'intuition qui lui a jusqu'ici fait défaut. Mais il n'y a rien, juste le froid des papiers et la dureté des faits qui peinent à être assemblés en un raisonement cohérent.

Elle s'arrête devant les fenêtres, regarde au-delà des bâtiments de la ville d'Ashlow, vers le Rhody Lake, la grande forêt et les champs qui l'entourent. Lindsay se sent petite face à l'ampleur de sa tâche, une sentinelle solitaire dans la lutte contre un mal qui se dérobe chaque fois qu'elle pense l'avoir à portée de main.

— Le tueur est forcément un étudiant... ou peut-être s'en prend il qu'à des étudiants ? non je ne peut pas y croire. Merde ! Mais qui es-tu à la fin, enfoiré de tueur ?! dit-elle en tapant du poing sur son bureau.

La radio de police crache soudain des éclats de voix. Elle revient brusquement à la réalité de son métier. Lindsay écoute d'une oreille, prête à répondre à l'appel, mais c'est une routine banale. Lindsay se rappelle qu'ultérieurement à cette enquête, que la vie continue avec ses petits drames et ses joies quotidiennes pour les habitants d'Ashlow. Le sheriff se sent momentanément coupable, comme si son absorption dans cette affaire la détachait du flux de la vie autour d'elle.

Revenant à son bureau, Lindsay s'assoit de nouveau, ouvre le dossier du Lake Killer avec la résignation de celle qui connaît déjà son contenu par cœur mais espère toujours y trouver un détail manqué, une erreur de parcours qui ouvrirait une nouvelle voie d'investigation. Les rapports d'autopsie, les témoignages, les relevés de téléphone, tout est là, une multiplicité de données qui jusqu'à présent ne la mène nulle part.

Elle pense soudainement à sa fille. Elle se demande comment tout cela affecte Addison. La distance entre elles s'est accrue ces derniers temps. Depuis l'apparition de la vidéo du meurtre de Megan à Ashlow High', rien ne va plus entre elle et sa fille. Les jours s'echaînent, apportent son lot de non-dits, d'inquiétudes. Lindsay se sent tiraillée entre son rôle de mère et sa fonction de sheriff, les facettes de son être exigent une part d'elle-même qu'elle a du mal à concilier.

La fin de journée s'étire, les minutes s'accumulent en heures, tandis que Lindsay continue sa quête solitaire pour découvrir la vérité. Elle ne peut pas abandonner. Elle n'abandonnera pas. Pour la mémoire de Megan, Cassie et Jeff, ainsi que pour la paix de sa communauté. Elles dépendent de sa capacité à persévérer dans cette affaire plus que jamais délicate. Mais dans le silence de son bureau, entourée des ombres de la fin d'après-midi, elle se permet un moment de doute. Le téléphone sonne. Lindsay sort brusquement de ses réflexions pour répondre, prête à se plonger dans une autre crise à gérer.

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