Les affaires reprennent
Londres-Paris, 21 juillet 1978, 8h51
— Allo?... Allo ?
— Allo, Vendek ?
— C'est bien moi, Monsieur.
— Bien, bien... Vous allez reprendre du service, mon petit.
Ella fit la grimace, elle n'aimait pas cette façon condescendante avec laquelle Loogel affectait de traiter ses subordonnés. Tout, dans le personnage, lui déplaisait, anyway. Le chef de réseau lui renvoyait la teinte surannée des anciennes images d'actualité. Out of date, vraiment, ce nain triste enluminé de sépia.
Pour ce qui était de son efficacité, elle lui semblait de plus en plus limite. Le vieux se multipliait en pure perte, alors qu'il aurait mieux fait de déléguer un peu. Fin politique, maître ès complots, il l'avait été, bien sûr. C'était d'ailleurs le seul plaisir qu'on lui connût, subodorait-elle non sans finesse.
Cependant, la voix égrenait ses consignes.
— Demain, vous vous rendrez au 17 de la rue du Figuier, dans le 4eme arrondissement, avant 14 heures, votre arme munie d'un silencieux. Vous vous placerez dans l'immeuble, à l'endroit qui vous paraîtra le plus discret, si je puis dire. Dans la soupente du 17 aura pris position notre tireur d'élite. Il ne devra évidemment pas déceler votre arrivée, car, dès qu'il aura abattu notre client... vous l'effacerez à votre tour.
La jeune femme sifflota.
— Rien que ça ?
La voix devint alors éminemment désagréable.
— Nous ne vous payons pas des fortunes pour faire des commentaires ! Dois-je vous rappeler que vous avez déjà failli, en laissant filer Lilnorth ?
Les maxillaires d'Ella se crispèrent.
— Ce ne sera pas nécessaire, Monsieur.
Satisfait, Loogel poursuivit.
— Vous vous éclipserez en profitant de la pagaille que l'attentat aura provoquée et vous disposerez de deux minutes au mieux pour disparaître de la circulation. Ensuite, je ne veux plus entendre parler de vous jusqu'à début août. Au terme de cette décade, vous irez au point de rendez-vous usuel. Ai-je rendu la situation claire ?
— Limpide, Monsieur.
Elle écrasa sa colère et le combiné sur le socle.
Loogel prit une gomme qu'il commença à faire tournoyer sur ses doigts noueux. Le rattrapage probable de cette entreprise mal embarquée lui causait un plaisir considérable. Compte-tenu des circonstances, il avait judicieusement mené sa partie. Suprême délice : on allait envoyer ad Patres cet arrogant Mr Luck. Il en rêvait depuis l'affaire Brick in the Buk, la razzia sur le champ de course.
Tapi dans son fauteuil trop grand pour lui, il huma, pendant quelques moments fugaces, le fumet de sa délectable supériorité intellectuelle. La pimbêche Runnert, le prétentieux Mr Luck, l'impertinente Vendek... tous dans le même sac, tous des instruments interchangeables pour rhapsodie morbide... toutes ces fourmis qui se hâtaient et se télescopaient dans le creux de sa paume.
Ainsi ruminait le petit homme aux mornes lunettes d'écailles et aux paupières rétrécies, fomentant ses mesquines conspirations avec une méticulosité d'entomologiste. Qu'il suffise de rappeler que celui-ci était l'un des seuls mâles à ne pas subir la séduction vénéneuse d'une Mme Securia pour comprendre que ses préoccupations différaient pathétiquement de celles de monsieur tout le monde.
Et la gomme dansait toujours au bout des rameaux décharnés.
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