Paris, 21 Juillet 1978, 12h35

Depuis leur retour à Paris, Grant n'avait eu de cesse, on l'a vu, de questionner sa compagne, selon la méthode de harcèlement qui lui avait si bien réussi au Northwest Café de Munich. Ayant foncièrement enrichi son vécu les jours précédents, doux euphémisme, il avait acquis une assurance insoupçonnée. Fort de cette surprenante sensation, et de leur intimité, il s'était mis à tutoyer Ella, cette dernière restant sur la réserve.

— Les assassins de Tania, pourquoi les appelles-tu des MS ?

Ce sont les initiales inversées de Securia Mercenaries, avait-elle expliqué. Ils n'appartiennent pas à sa garde rapprochée. Beaucoup d'entre eux ne l'ont même jamais vu. Des personnes de confiance de son entourage ont simplement constitué un réseau de guns for hire.

— Tueurs à gages.

— C'est exactement ça. C'est à dire qu'ils ne travaillent pas en exclusivité pour Securia. Ils honorent, un peu comme nous, des contrats avec diverses organisations. Aujourd'hui, ils s'intitulent MS, demain, ils changent d'étiquette et vont travailler en Amérique du Sud ou en Extrême-Orient, que sais-je...

En fait, ils bossent aussi bien pour des institutions mafieuses ou du grand banditisme que pour certains gouvernements. Ils sont devenus des tueurs de haut vol, souvent de nationalités très différentes. Il y a des Américains, des Anglais, des Chiliens, des Afghans, ou encore des Japonais...

L'ensemble ne constitue pas un système bien géré, comme le nôtre. Ils ne bénéficient d'aucune formation, apprennent à se connaître sur le terrain, car ils fonctionnent par groupes de trois ou quatre. Ce sont des pièces rapportées à une sorte de gigantesque puzzle du crime.

Bien entendu, ils ont toujours affaire à des intermédiaires, ceux-là-même qui les ont recrutés dans les bas-fonds des grandes métropoles. Ces tueurs proviennent directement d'une faune locale, et, soudain, ils accèdent à l'échelon supérieur, celui des missions internationales. Ils sortent d'un cloaque. Ça explique qu'ils aient souvent du mal à se départir de leurs habitudes de voyous, ce qui ne nuit nullement à leur efficacité. Ils sont rodés, confrontés à la violence depuis toujours, et frappent par conséquent sans états d'âme. C'est la main d' œuvre idéale, pratique, mobile, cruelle, et, ce qui ne gâte rien, ignorant tout de ses véritables commanditaires.

Mais là où ça devient difficilement concevable, c'est quand les intermédiaires dont je parlais à l'instant se muent en imprésarios : ils prennent une ou deux canailles dans leur 'écurie', ensuite, ils vont démarcher un peu partout pour tenter de vendre les services de leurs 'poulains' au plus offrant, avec un succès considérable. Le business s'est révélé florissant, ces derniers temps. À la longue, les tueurs obtiennent même une cote officieuse qui conditionne le montant de leurs primes. L'imprésario se sucre aussi joyeusement au passage. Et voilà tout ce petit monde qui se salit les mains en lieu et place de dignitaires argentés ou de caïds de la pègre.

— Tu vas m'en vouloir, mais je ne vois pas trop la différence avec vos agissements.

— Vous m'insultez, Grant ! Ces crapules sont la lie de la terre, la cour des miracles de notre profession.

— Pardonne-moi. J'ignorais qu'il y eût une différence entre tuer et tuer. Je suis un peu vieux-jeu. Vous seriez donc les aristocrates du meurtre ?

— Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Nous nous attaquons à des causes valables, comme l'élimination de Securia. Cette ordure mérite d'être supprimée. Même payés grassement, nous n'accepterions pas d'accomplir un dixième de la besogne effectuée par les MS. Ils n'ont pas de code de l'honneur. Tous les contrats sont bons à prendre pour eux. Ils massacreraient n'importe qui, même Securia, si on leur offrait davantage que ce qu'ils touchent de sa part.

On ne peut pas nous comparer à ces déments. Prenez Lookuir, par exemple. Elle n'est pas normale. Elle éprouve de la jouissance à tuer, j'en suis sûre. Je parierais qu'elle serait prête à tuer à l'œil , just like that ! Autant Sanders et surtout Nycron, qui ne sont pas précisément des poètes, semblent considérer ce boulot spécial presque comme un autre, autant Lookuir y trouve du plaisir. D'ailleurs, dans le milieu, elle est surnommée L'hyène.

— Tu as l'air d'en connaître un rayon sur les MS.

— J'ai déjà croisé leur chemin à plusieurs reprises. Ça s'était mieux passé, alors. Ces trois-là appartiennent au gratin des guns for hire. Leur tarif en atteste. La paire Sanders-Nycron coûte en gros 15 000 dollars le contrat, et Lookuir en vaut facilement le double à elle seule.

Grant ne s'était pas étonné des sinistres révélations d'Ella. Depuis la mort de Tania...