Chapitre 1 : Saburnià (1)

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1 ère partie :

Saburnià est la capitale de la Contrée. Elle se situe à l’extrême ouest du continent et borde la "Mer de la Sacrifiée". On l’appelle ainsi, car selon la légende, une jeune fille se serait donné la mort alors que son amoureux aurait péri noyé en poursuivant un monstre marin. Ne supportant pas la perte de son unique amour, la jeune femme l’aurait rejoint dans la mort, pour l’éternité.

Saburnià est une grande ville fortifiée et se caractérise par des richesses aurifères et diamantaires que l’on exploite dans la Montagne Écrasée au Nord-Est de la Cité : C’est la plus belle et la plus riche du continent.

Lorsque nous pénétrons dans la ville, les remparts sont percés par deux grandes portes cochères, une qui se situe au Nord de la ville qui donne vers la Montagne et la suivante, plus au Sud, vers la ville basse.

Les notables du centre-ville possèdent de très belles bâtisses imposantes en pierres de taille, style villa belle époque, construites sur deux niveaux. Les habitations possèdent des doubles fenêtres dont les carreaux en verre poli sont décorés de scènes de la vie courante. Un balcon au premier étage, permet aux propriétaires de pouvoir y déposer une petite table avec des chaises, pour admirer par jour de beau temps, la beauté de la Grand-Place, où règne toujours une belle effervescence. Les balcons en fer forgé sont étincelants de couleurs, garnis de géraniums ou autres pensées multicolores. La double porte est en bois, travaillée et sculptée par l’ébéniste de la ville, un orfèvre ! Et sur un des vantaux, une plaque en fer forgé, désigne la profession de son propriétaire. Les façades sont de couleur ocre dont les pigments sont importés de la Montagne Écrasée.

Une partie du toit des bâtisses est plate, garnie de volières où des colombophiles élèvent des pigeons de compétition. C’est un sport national, très populaire dans la Contrée et certaines familles dépensent beaucoup d’argent pour pouvoir détenir la plus belle écurie.

Mais la nouvelle mode depuis peu, est celle d’élever des aigles royaux. Alors, les familles les plus argentées possèdent les volières les plus imposantes. Cela crée, malgré tout, quelques tensions dans la ville, où les majestueux oiseaux attaquent sans vergogne, les basses-cours, les pigeonniers et autres petits mammifères pour se nourrir, car leurs maîtres sont incapables de les éduquer.

Les bâtisses sont disposées en grand arc de cercle autour de la Grand-Place. Une magnifique fontaine de granit blanc, surplombée d’un angelot d’où fuse une onde fraîche et pure, trône au milieu de celle-ci. Les petits oiseaux s’y posent et s’y désaltérent. Un concerto de pépiements mêlé à la frénésie de la population fait paraître la ville ravissante et étourdissante.

On aborde la Grand-Place, côté sud, par un grand axe central, bordé de chênes centenaires. Des jardins fabuleux ornés de magnifiques fleurs bigarrées et d’arbustes verdoyants enveloppent l’accès à la fontaine et accompagnent les habitants dans une allée de hêtres gigantesques qui mènent tout droit vers la ville haute.

Les rues sont toutes pavées au sol et les pierres sont usées par les roues des charrettes ainsi que les passages fréquents des animaux. Elles ne sont pas très larges mais la configuration de la cité est très bien conçue et très accessible. Des réverbères accrochés aux murs des façades illuminent la nuit, les allées d’un flux lumineux jauni. Seule, quelques ruelles étroites et sombres paraissent dangereuses, mais le taux de criminalité stagne malgré tout, car la nuit la maréchaussée fait des patrouilles régulières sur les chemins et avenues, et dissuade très souvent toutes velléités. Il n’y a aucune mendicité tolérée, chaque habitant est un travailleur acharné. La fourmilière est très prolifique.

Le jour, sur les murailles, les miliciens armés se promènent le long des remparts conférant une quiétude à la population. Ces murailles datent de plusieurs siècles, elles avaient été bâties lors des fameuses Guerres de Prospection, qui voyaient les Humains combattre les Mortofères, peuple de demi-humain à la tête de phacochère, depuis disparu. Les Monstres se sont cassés les défenses contre les murs, et, quand l’hiver fut venu, la maladie et le froid ont eu raison des assaillants qui n’avaient pas la capacité intellectuelle d’avancer ni de revenir en arrière.

Les portes cochères sont fermées tous les soirs à la tombée de la nuit, puis rouvertes dès l’aube, par la relève. Ces portes sont divinement sculptées et dorées à l’or fin. L’ébéniste a gravé sur les deux battants des ramures de cerf finement ciselées, représentant le Dieu Cornu à tête de Cerf.

Plusieurs quartiers, tous aussi populaires les uns que les autres se situent à la périphérie de la ville Ouest. Il y a le « Coin des échoppes », nommé communément « la ville basse » : C’est un quartier très peuplé et très vivant. Les boutiques sont composées d’une auberge reconnue pour sa bonne table, d’un forgeron qui forme son fils pour qu’il prenne la relève, d’un maréchal ferrant dont l’atelier jouxte l’écurie, d’un barbier-coiffeur, un boulanger et son four à pain qui sent bon le levain, un tailleur affichant en vitrine ses dernières créations, une bergère et un épicier et, pour couronner le tout, d’un vigneron qui aime sa vigne plus que ses propres congénères !

En descendant vers le Port, la boucherie, la cordonnerie, la poissonnerie ainsi que la tannerie composent le « Coin des puanteurs », où les odeurs pestilentielles se mêlent dans toute l’allée.

Les boutiques sont généralement bâties en bois, sauf celles du forgeron et du maréchal ferrant qui sont en pierres et sont réparties en deux quartiers distincts : celui des artisans sur la droite et celui des boutiquiers sur la gauche.

Leurs étals sont sortis tous les jours, exposant sous les yeux des passants, leurs alléchantes marchandises.

Une fois par semaine des saltimbanques, camelots et vendeurs en tout genre, arrivent de tous les coins du monde par bateaux ou par voie terrestre. Ils se regroupent alors sur la Grand-Place de la ville, là où la population se mêle avec bonheur à toute cette agitation. Pour se confectionner de belles robes, les femmes achètent de nouvelles étoffes tandis que les hommes recherchent de nouveaux outils ou profitent de retrouver quelques amis pour boire un coup chez Tarbeà, l’unique aubergiste de la ville basse.

L’aubergiste est un homme affable et son épouse Sardà est une femme replète qui a toujours le sourire. Tous deux aiment les gens, et d’ailleurs, les gens le leur rendent bien. Ils sont surtout reconnus dans la Contrée, pour proposer une excellente carte à leurs clients.

Tarbéà est aussi grand qu’est petite Sardà.

L’homme a pris de l’embonpoint depuis qu’il est devenu sédentaire et la bonne cuisine de sa compagne comble sa gourmandise. Il a une quarantaine d’années et ses tempes commencent à devenir grisonnantes. Son visage rond est couvert d’une grosse barbe rousse bien fournie, qui jure avec le poivre et sel de sa tignasse. Sa stature imposante impressionne toujours lorsqu’on le rencontre la première fois et il joue de sa grosse voix de stentor pour effrayer les plus timides. Mais ses petits yeux malicieux et pétillants sourient tandis que Sardà le gronde alors qu’il fait peur à un jeune enfant.

Sardà est très menue, mais elle mène son monde à la baguette. Tarbéà obtempère toujours dès que son épouse lui donne une tâche à réaliser. Leur bonhomie et leur gentillesse font l’unanimité auprès de toute la population.

Tarbéà est issu d’un petit village du Sud de la Contrée et il rencontra sa belle alors qu’il livrait des marchandises aux parents de Sardà, alors propriétaires de la pension. Ce fût un véritable coup de foudre et Tarbéà abandonna tout naturellement sa vie de nomade pour épouser la femme de sa vie et repris la pension au décès des parents. Ils sont aujourd’hui d’heureux parents de trois beaux enfants.

Lorsqu’on veut le rencontrer, l’aubergiste se trouve généralement derrière son comptoir en bois de chêne. Une frise ciselée et teintée de rouge, donne une touche décorative à la simplicité du meuble. Le commerce n’est pas très grand, la salle de restaurant se trouve du côté de la grande cheminée d’où crépitent des braises, prêtes à griller viandes et poissons. Les tables sont recouvertes de nappes rouges et les fenêtres sont habillées de rideaux fleuris. À droite, une porte donne sur la cuisine. Les saveurs et les bonnes odeurs s’en échappent et se diffusent dans l’auberge jusque dans la ruelle. D’une invitation de la main, l’aubergiste accueille ses clients avec un sourire éclatant. Il leur propose toujours un verre de sa cuvée spéciale, un vin doux préparé avec amour par sa femme.

Sardà recueille ses baies sauvages dans un site connu que par elle-même, héritage de famille depuis de nombreuses générations. Ses petits fruits sont extraordinaires et tous ceux qui se sont amusés à contrefaire le doux breuvage, s’y sont cassés les dents ! C’est un breuvage digne des Dieux et l’auberge se transforme parfois en cabaret où tous les clients chantent à tue-tête et dansent jusqu’à l’aube.

À l’intersection entre l’accès à la ville haute et le chemin du Port, on entend le forgeron taper avec son marteau et donner à une pièce rougie, une forme plus ou moins cylindrique, pour créer ou réparer les outils de ses clients. Ainsi, la pièce forgée se découvre peu à peu et lorsqu’elle est plongée dans l’eau, un nuage de fumée ainsi qu’un bruissement se font entendre. Seul le forgeron sait, grâce au son fourni et à son oreille fine, que son travail est achevé. La chaleur de la pièce, attisée par chaque mouvement du soufflet, provoque à l’orfèvre de la sueur au front. C’est un homme soucieux de bien faire son travail et il éduque son fils pour lui transmettre la forge en héritage. Dans la famille, ils sont forgerons de père en fils, et il est très fier qu’un de ses enfants reprenne le flambeau.

Entre l’étable du forgeron et l’auberge de Tarbéà, se trouve l’atelier du maréchal-ferrant. C’est un homme vaillant, aux bras très musclés, aux mains très calleuses et son torse est recouvert de larges cicatrices. Longtemps les gens se sont demandés ce qu’il pouvait avoir subi pour être si balafré. Il aime raconter que dans sa jeunesse il a combattu dans les arènes, tel un gladiateur pour gagner son indépendance. Ensuite lorsque son maître l’a enfin libéré, il est parti voir le Monde et a rencontré un vieil homme célibataire qui lui a tout appris comme à son propre fils. À la mort de celui-ci, il a tout naturellement repris le commerce et s’est définitivement installé dans la ville. Les bras de cet homme vibrent à chaque coup de marteau qui cogne l’enclume en un bruit fracassant et l’odeur de sa sueur mêlée à celle de l’animal se mélange en fragrance âcre et musquées presque nauséabondes. C’est à la fin de la semaine que cet homme a le plus de travail. Les paysans crottés sortent des champs, viennent en ville pour se ravitailler, faire réparer les outils et changer les fers aux animaux.

Non loin sur la droite, on aperçoit la bergère traire matin et soir ses brebis. C’est une belle femme encore jeune, aux cheveux bruns et aux yeux couleur noisette. Toujours célibataire à trente ans, elle est convoitée par de nombreux jeunes hommes de la ville qui voudraient bien la prendre pour femme, mais malheureusement, elle a perdu l’amour de sa vie, son ami d’enfance il y a bientôt dix ans… Le jeune fiancé, en reprenant le commerce de Tarbeà, a péri désarçonné par un cheval en tombant sur un rocher, le laissant mort sur le coup. Comme toutes les mamans, la mère se languissait de voir sa fille sans amoureux mais aussi et surtout de ne jamais devenir à son tour une grand-mère attentionnée et aimante. Elle savait que sa fille était douce, joyeuse et combattante : c’était son rayon de soleil. Malgré ce malheur elle ne désespérait pas de la voir enfin heureuse. La vieille dame savait que le boulanger d’à-côté, amoureux transi depuis toujours, était désireux de prendre sa petite pour épouse. Alors elle laissait faire le temps de la jeunesse, sachant que pour sa fille, le boulanger serait le meilleur des partis. D’ailleurs celui-ci la comblait quotidiennement de bons petits pains et de petits cadeaux : de cette manière, attirerait-il auprès de sa fille peut être un jour ses faveurs ? Et même s’il est d’un genre discret, selon elle, l’homme n’est pas dépourvu de charme avec sa petite fossette au menton ! Cependant, sa fille avait-elle déjà remarqué ces précieux détails ?

Notre bergère est fière de son troupeau de près de trente têtes qu’elle couve comme une mère ! Il faut dire que ses bêtes sont sa seule richesse et la plus belle des périodes est pour elle celle de l’agnelage. Parfois il arrive que des brebis meurent en couche ou rejettent leurs agneaux, alors notre bergère fait téter ces orphelins avec patience et le temps que les autres bêtes mangent leur fourrage, elle observe les autres petits sauter partout autour d’elle jusqu’à la barrière. Sa brebis « Chouchou » s’approche d’elle pour quémander quelques caresses et avec application croque quelques grains d’orge délicieux que notre bergère a délicatement sélectionnés pour elle. Telle une sorte de rituel, la bergère se sent alors envahie de joies simples, une vie qui lui convient parfaitement. Puis elle rejoint sa laiterie afin de préparer de bonnes crèmes ainsi que la fabrication de son fromage et il lui semble que sa vie est ainsi entièrement comblée.

En face de la bergerie, la petite boutique du tailleur offre en vitrine ses belles créations. C’est un homme très âgé et plein d’expérience. Ses cheveux devenus blancs, ses magnifiques yeux bleus et un petit accent qui charme ses dames dévoilent ses origines nordiques. Ses conceptions uniques sont toujours superbes, les femmes se le disputent pour obtenir les plus beaux modèles et parce qu’il est toujours de bons conseils. C’est un « Magicien de la Couture » et il a l’art de sublimer n’importe quelle morphologie. Quand on le cherche, l’orfèvre est le plus clair de son temps dissimulé dans son atelier où règne une confusion de tissus multicolores.

Le coiffeur-barbier est le frère du tailleur. Autant le tailleur est petit, autant le coiffeur est grand avec le front dégarni. Mais ils ont le même regard bleu, plein de douceur. Le créateur sublime sa clientèle en créant des coiffures majestueuses sur les cheveux longs de ses dames mais aussi rase et dessine les contours des barbes des messieurs.

Les deux hommes sont doués de leurs mains et chacun apporte sa touche personnelle avec une dextérité digne d’un « Enchanteur ».

En se promenant le matin, Sardà passe chez le viticulteur, récupère ces bouteilles de vin pour le proposer à sa clientèle. C’est un homme plutôt renfermé, qui n’aime « pas causer » et il se cache régulièrement dans sa cave ou dans son vignoble. Sa stature lourde et courbée lui donne une allure renfrognée, exagérée par des sourcils broussailleux. Il voue un véritable amour à la terre et sa vigne est son plus beau trésor. Il est tellement doué, que lui seul a su apprivoiser cette terre ingrate pour produire un nectar digne des Dieux. Le « bon » vin du vigneron vieillit savamment dans des fûts de chêne et son rouge est grandement apprécié par la grande noblesse, qui passe le plus clair de son temps à s’enivrer lors de ses soirées mondaines.

Quand elle a récupéré ses bouteilles de vin, Sardà se dirige vers l’épicerie pour acheter ses herbes aromatiques. L’épicier se ravitaille en ingrédients, lorsque une gabare venant de l’Extrême Orient, vient mouiller l’ancre au Port. À quelques mètres de là, son petit jardin produit des plantes divines : Ail des ours, basilic, estragon, oseille et tant d’autres encore qui poussent anarchiquement et pour contenter sa clientèle, il adore aller les récolter bien fraîche. Une multitude d’arômes embaument sa boutique et, si on a un nez sensible, un mal de crâne peut vite apparaître ! Il règne dans cette échoppe un cafouillis indescriptible où seulement lui, est capable de vous trouver la perle rare malgré un désordre évident !

« L’Ordre dans le Désordre » telle est sa devise.

La plus grande manufacture de la ville, qui se situe plus au Sud près du Port, appartient au maître-ébéniste. L’artisan est accompagné de plusieurs compagnons qu’il a formés lui-même au cours de ces longues années. Grâce à son excellent travail, les gens se l’arrachent, aussi il recherche toujours un nouvel apprenti pour le former à sa technique. L’homme commence à prendre de l’âge et a tellement voyagé, qu’il n’a pas eu le temps de se marier et d’avoir des enfants. Maintenant c’est trop tard et ce dernier a pris en affection un jeune orphelin qu’il considère aujourd’hui comme son propre fils. Cet homme est issu d’une grande lignée de Maître Ouvrier et c’est l’un de ces ancêtres qui a créé à l’origine les portes de la ville.

En descendant plus bas, les derniers artisans qui complètent l’effervescence de ce quartier sont : Les bouchers qui effectuent la première tâche dès l’abattage de la bête. Ils font très attention à préserver l’enveloppe de l’animal ; Les tanneurs qui ont la peau aussi tannée que les peaux qu’ils travaillent et leurs muscles bandés raclent la toile jusqu’à l’obtention d’une fine peau aussi douce que la peau d’un bébé ; Pour finir, les cordonniers se servent des plus belles pièces, pour fabriquer des chausses, des chaussures et des harnais.

Dans tous les quartiers, une frénésie s’empare des habitants les jours de marché, avec la venue des colporteurs des quatre coins du monde et il règne dans la ville, une atmosphère joyeuse et bouillonnante. Les tissus bariolés donnent une note colorée et joyeuse, les saveurs des épices embaument les places et l’animation se répercute sur tous les quartiers de la ville. Les enfants piaillent, crient entre les jambes des adultes. On se croirait dans la cour d’une école, lors des récréations. Le temps est magnifique, il fait chaud et la joie est dans la cité. Même les religieux et les médecins viennent acheter certaines plantes rares pour compléter leur pharmacopée.

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