Chapitre 1 : Saburnià (2)
2ème partie :
Et c’est au Nord que se trouve le « Coin des Cérémonies » d’où jaillit, en face de la Grand-Place, un magnifique édifice qui brille au soleil. C’est le sanctuaire de Mamboà, le Dieu Cornu à tête de Cerf. La population est monothéiste et voue un véritable culte à ce Dieu qui est proche de la nature et des hommes. Les jours de fête, toute la population se réunit sur le parvis du temple, où sont animées par les prêtres et les prêtresses, les cérémonies à la gloire de Mamboà. Les mariages et les décès sont célébrés dans le sanctuaire, et tout autour, les herboristes et les apothicaires exécutent les gestes nécessaires pour soulager les malades dans une petite, mais agréable chaumière, transformée en clinique. Les guérisseurs fabriquent leurs potions et soignent aussi bien les hommes que les animaux. Les médecins sont vêtus de tuniques blanches cintrées à la taille croisée sur le devant, maintenues par un ceinturon garni d’un petit sac en cuir rouge qui contient les principaux remèdes aux premiers secours et des pantalons moulants pour ne pas entraver leurs mouvements. Les prêtres et prêtresses se différencient des médecins en portant des toges longues et immaculées, maintenues par une ceinture verte, ainsi qu’un écusson noir à l’effigie de Mamboà trône sur le cœur et lors des cérémonies une couronne de gui est posée sur leurs têtes. Chaque médecin se promène dans la ville, s’arrête parfois discuter avec quelques amis et se charge de soulager tous les maux et chaque religieux peut effectuer des messes ou autres tâches liturgiques sans distinction de situation financière ou de statut. La hauteur des plafonds du Temple amplifie les sons dès qu’on pénètre à l’intérieur et on peut entendre sur les sols en pierres taillées, chaque pas qui résonne. L’instant est solennel. L’intensité du monument pourrait paraître écrasante, mais au contraire, seul un sentiment de plénitude nous transporte dès le franchissement du seuil. Les murs garnis de rampes en bois poli, accrochés par des tasseaux de bois sculptés, permettent à tous de se mouvoir dans la sanctuaire. Au centre, des bancs en pierre sont alignés sur plusieurs rangs afin que les fidèles se reposent ou prient dans le calme. Entre les bancs, un magnifique tapis bleu turquoise recouvre le sol en pierre taillée et en traversant la pièce de la porte d’entrée jusqu’à l’autel, il apporte à l’édifice, une note de couleur éclatante dans la blancheur immaculée du temple. Un magnifique autel surplombe la pièce avec en son centre une statue à l’effigie de Mamboà, deux immenses chandeliers et deux paniers remplis de victuailles posés sur le voilage grège presque transparent qui recouvre la table et une musique douce et envoûtante se diffuse en continu créée par un sort magique. Au fond de l’église, une grande porte donne sur une antichambre, petite pièce simple et dépouillée de tout artifice avec seulement une table et quelques chaises et propose aux fidèles de s’isoler avec un prêtre.
À l’extérieur du temple, des lierres grimpants tapissent la façade Ouest et forment un tunnel végétal qui mène tout droit vers un jardin fabuleux où des légumes et plantes diverses se mélangent avec les arbres fruitiers. Une ambiance colorée et parfumée prédomine. Des abeilles bourdonnent et butinent autour des gens qui n’ont pas l’air de s’en plaindre. Le doux nectar qu’elles produisent enchante les petits comme les grands. La population adore se retrouver dans ce site en bonne compagnie, en se reposant sur les bancs et les mères y promènent leurs jeunes enfants. L’endroit contribue à la quiétude de tous. C’est le « Coin de Recueillement » et de repos de toute la population.
Juste derrière, en continuant vers le Nord, le cimetière est à lui seul une véritable attraction. La ferveur des vivants envers les morts est spectaculaire. Les jours de fêtes, on vénère les défunts en leur offrant des victuailles et du vin et on décore les sépultures de tapis de fleurs de couleurs vives. Les participants se réunissent alors au centre de la nécropole, mangent, boivent, rient et dansent toute la nuit à la lumière des chandelles. Lors de ces soirées animées, les défunts sont cités en exemple et on les remercie chaque fois avec un couvert posé toujours là au cas où il reviendrait d’entre les morts. Dès la dernière bougie éteinte, ils savent que leurs défunts ont entendu leurs prières et tout le monde rentre chez soi.
Sur la côte, au bord de la Mer de la Sacrifiée, il y a le Port où se croisent les barques des pêcheurs, les bateaux commerciaux et une fois par mois, une gabare vient mouiller l’ancre, emmenant des splendeurs des pays du Soleil Levant. Le monde est vaste et de temps en temps certaines flottes de pays lointains accostent toujours à la recherche de nouvelles routes commerciales. Une effervescence, des couleurs chatoyantes et des sons se rejoignent dans un brouhaha extraordinaire. Le Port a un accès à la ville basse où grouille une population hétéroclite, telle une fourmilière…
Lorsque le temps le permet, la poissonnière récupère le matin les poissons pêchés durant la nuit et va les revendre dans son local qui se situe un peu plus haut en direction de la ville et tout près de la teinturerie, les lavandières viennent par beau temps, laver le linge dans le grand lavoir tout contrebas, où une eau sale et malodorante sort des bassins et se jette dans le ruisseau : elle finit par se déverser dans la mer en formant un long ruban de saleté nauséabondes.
Sur le littoral, une grosse infrastructure accueille les navires venus de tous les coins de la Terre. Les manutentionnaires se pressent de vider les navires, pour effectuer la réception des autres bateaux, stockent les marchandises dans l’entrepôt et remplissent les silos de céréales.
Si on longe la côte vers le Nord, l’on peut apercevoir une magnifique dune de sable, haute de plusieurs mètres, nommée la « Dune des Amoureux ». Cette étendue est remarquable, d’une beauté extraordinaire. C’est ici que les amoureux viennent se retrouver la nuit à l’abri de tout regard. D’ailleurs bon nombre d’enfants ont été conçus dans ce paysage féerique ! L’endroit est béni par les Dieux et sacré pour les prêtres : On donne à la Dune un pouvoir de fertilité.
À l’opposé de cette Dune, une famille de paludiers exploite les marais salants. Ils produisent assez de sel pour toute la Contrée et arrivent même à l’exporter. Les Tazkà, sont les descendants d’une longue lignée de sauniers avant eux. Le père et le fils perpétuent les gestes ancestraux, qui font d’eux, les seuls et uniques producteurs du monde entier et personne, à ce jour, n’a pu rivaliser avec eux. On suppose que le site de production est unique de par ses marées. Son accès est fermé lors de la récolte de la fleur de sel appelée l’Or blanc. La carte postale est superbe, car juste avant la récolte, la côte prend cette splendide couleur rosée qui contraste avec le bleu du ciel.
Il fait bon vivre à Saburnià et tout le monde rêve de pouvoir y résider et y travailler.
Alors que Torbor, dans sa cruauté, désire se venger de son enfance misérable, il jette son dévolu sur Saburnià, ville riche et magnifique pour prendre le pouvoir et faire valoir sa puissance. Le tyran, secondé d’un Grand Sorcier nommé Partàgon, va envahir, piller, fracasser et ruiner la riche cité. La citadelle et les idoles sont tombées et la ville vit sous le joug de ce despote depuis plus d’un millier d’années. Torbor s’est installé dans la Tour Féodale construite sur les ruines encore fumantes du temple de Mamboà, où des sorciers renégats, dirigés par le Grand Sorcier Partàgon, transforment les minerais en potion d’éternité.
A la cime du donjon, « l’Œil » scrute l’immensité. Cet artefact a été conçu pour empêcher la Nature de se développer. Depuis sa construction, la Nature s’est éteinte, les champs sont devenus stériles, les ruisseaux et les rivières sont désormais à sec et le paysage est devenu désertique. La population est aujourd’hui soumise, peuplée de paysans et de mineurs pauvres, les artisans ont tous disparu, les magasins sont livrés aux quatre vents et plus aucun bateau accoste au Port.
Les beaux bâtiments de jadis sont habités dorénavant par les hommes de Torbor poussant le reste des habitants à fuir ou à se réfugier dans les bas-fonds de la ville. La cité n’est plus qu’un ramassis de ruines. Des cadavres et des squelettes jonchent les sols au milieu des vestiges et des relents de puanteur émanent de tous les coins de la cité. Des corps de suppliciés qui agonisent pendant parfois plusieurs jours, pendent le long des potences au beau milieu de l’ancienne Grand-Place où seule la mort les délivre enfin de la souffrance. Les miliciens dédaignent les corps en décomposition, jetés par la suite dans des fosses à ciel ouvert où les charognards se repaissent de cette « nourriture appétissante ».
Les citadins sont des esclaves au service de Torbor qui les exploite jusqu’à la mort ou alors ils sont envoyés régulièrement dans les mines pour finir leur triste vie. Les femmes sont utilisées dans les travaux difficiles : enfin si elles sont vieilles et moches. Pour les autres, si elles ont le « malheur » d’être belles, elles sont enlevées et complètent le harem où les hommes de Torbor ont le loisir de se servir allègrement. Toutes les mères savent que plus jamais, elles ne reverront leurs filles. Les saburniens se nourrissent comme ils peuvent, de racines et de petits insectes qu’ils trouvent en creusant les sols asséchés, mais grâce à Dieu, certains arrivent à vivre de petits larcins et à se servir dans les magasins de la ville.
« Un pirate détroussé par des Pirates, c’est le comble du tyran ».
Cette phrase est devenue la devise de la résistance. Une économie parallèle s’est mise en place grâce à une magie et alimente une réserve naturelle indétectable par les vauriens dans une région de la Contrée. Dès que le mot passe de chaumière en chaumière, la population rejoint un local réservé dans les bas-fonds de la ville et se procure quelques victuailles récupérées plus tôt.
À son accession au pouvoir et en démolissant le culte de Mamboà, Torbor a alors entendu la fameuse prophétie prononcée par le Dieu déchu qui disait :
À la Lune Bleue,
lié à quatre Âmes Jumelles, le Sauveur Vertueux
Apparaîtra sur la Terre Sacrée
Et délivrera le Monde de la Calamité.
Le tyran sera anéanti,
Viendra alors la Paix et l’Harmonie.
Une légende est née et la prophétie va traverser les siècles sans qu’elle ne se réalise.
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