Prompt 6
Vidéo : https://youtu.be/hCrtcVDgCGw
Prompt : Alexis tente de faire retrouver les souvenirs de leur couple à Tom, devenu amnésique.
***
Ces murs blancs qui lui donnaient mal à la tête, cette odeur aseptisée qui lui filait la gerbe, ces gens qui déambulaient dans les couloirs tels des zombies, Alexis n’en pouvait plus. C’était la même chose, jour après jour. Rien n’avait changé depuis qu’il venait ici. Tous les jours, il entrait par les portes automatiques, il passait tout outre, sans saluer la réceptionniste à l’accueil, il longeait un couloir, prenait un ascenseur jusqu’au troisième étage, pour relonger encore un couloir qui ressemblait à tous les autres et, enfin arrivé devant la chambre qui portait le numéro 356, il toquait et poussait la porte sans même attendre de réponse. À chaque fois, il était accueilli par une lumière aveuglante qui l’obligeait à plisser ses yeux, vides et injectés de sang, qui donnaient un peu de couleur à son teint pâle – si, jusqu’à présent, il avait refoulé l’idée d’appartenir à la race des vampires, aujourd’hui il était persuadé d’en être un. Enfin, il lui suffisait de faire quelques pas pour se retrouver en face d’un lit aux draps aussi blancs que l’hôpital en lui-même. Ce même lit où il crevait d’envie de s’y faufiler et de se caler contre son occupant. Le serrer dans ses bras, toucher sa peau, humer son parfum, enfouir son visage dans son cou et se laisser aller. Pleurer.
Pour autant qu’il lui restait des larmes.
Mais au lieu de ça, il prenait place sur une chaise inconfortable, qu’il tirait juste à côté, dans un bruit étouffé par le sol en caoutchouc. Assis nonchalamment, il contemplait son homme, comme s’il le rencontrait pour la première fois – quelle putain d’ironie ! – et pendant quelques secondes, il ne disait rien. Pour être franc, il avait peur d’entamer la conversation. Il était complétement terrorisé de ce qu’il pouvait entendre : des questions, des réponses, des incompréhensions. Aujourd’hui, il était conscient que les mots étaient bien plus dévastateurs que les gestes. Qu’à n’importe quel moment, ces putains de mots pouvaient lui broyer le cœur, lui enfoncer des couteaux acérés jusqu’à lui perforer ses entrailles et l’empêcher de respirer convenablement. Il était certain que ça lui ferait beaucoup moins mal si ça se passait réellement ainsi.
Aujourd’hui, Alexis fit exactement le même procédé que les autres jours, le même chemin, comme une routine. Il n’oublia pas non plus de triturer l’alliance autour de son annuaire pour se donner le courage qu’il n’avait plus. C’était tout juste s’il lui restait la force de se déplacer jusqu’ici. Il regarda Tom, qui lui souriait faiblement. Même avec un petit sourire, il était toujours aussi beau, malgré les égratignures que son accident de voiture avait laissé sur son visage.
– Hey…
– Salut.
– Comment tu te sens ? Ça va ta jambe, tes côtes ?
– Mieux. L’infirmière a dit que je pourrai bientôt sortir d’ici !
– Cool, c’est une bonne nouvelle ça.
Il hésita quelques instants avant de poser cette question douloureuse. La peur de sa réponse le prenait aux tripes, si bien qu’il avait envie de vomir. Ses doigts tremblaient – pire que la fois où il avait gravit une échelle pour le rejoindre discrètement dans sa chambre. Sa voix aussi.
– Et… ta mémoire… ?
Tom secoua tristement la tête et Alexis se sentit défaillir.
– Toujours pas d’améliorations...
Il se sentit tellement désolé. Il aurait aimé apporter une autre bonne nouvelle à celui qui lui rendait visite tous les jours, lui dire que les souvenirs qui l’englobaient, lui, eux et leur vie ensemble, avaient refait surface pendant la nuit. Mais c’était impossible. Pourtant, Alexis lui avait raconté tant de choses sur leur couple : des histoires, belles, drôles, romantiques, mais aussi maladroites, tristes et chaotiques. Tom avait essayé, vraiment. Il échouait à chaque fois et ça lui faisait tout aussi mal de voir la lueur dans les yeux de son… conjoint s’assombrir encore plus et des larmes naître au bord de ses paupières.
Alexis s’interdit de pleurer. Pas déjà, pas maintenant. Il ne pouvait pas, il se l’était promis. Il se racla la gorge et s’humecta les lèvres. Normalement, Tom se faisait toujours un plaisir d’y coller les siennes, prenant ça comme une invitation à l’embrasser. Mais aujourd’hui, ça n’avait plus le même effet. Il se mordit alors furieusement la lèvre inférieure.
— Ils ont… terminé la façade de la maison. Tu veux voir ? J’ai des photos.
— Ouais, carrément.
Son téléphone dans les mains, Alexis fit défiler les photos sous les yeux de Tom qui les analysa avec attention. Les jours précédents, il avait appris qu’ils avaient rénové une maison, bientôt prête à les accueillir.
— Ça nous a pris pas mal de temps pour nous mettre d’accord sur la couleur. Tu voulais du jaune alors que je trouvais ça affreux. Pour finir, on s’est dit que le taupe passerait bien.
— Du jaune ? Vraiment ?
Un sourire amusé illumina son visage.
— Je te jure. Tu voulais qu’on reconnaisse facilement notre maison, au cas où. « Même quand il fait nuit. »
Tom fronça un sourcil et haussa l’autre, est-ce qu’il avait vraiment tenu de tels propos ? Quel idiot… Alors, Alexis lui raconta toute la petite histoire, n’omettant aucun détail susceptible de lui rappeler quoi que ce soit. La discussion dura plusieurs heures qui ne suffirent malheureusement pas à lui rafraîchir la mémoire. C’était horrible, cette sensation de ne pas avancer malgré tous les efforts de chacun. Mais pour une fois, Alexis se montrait patient, persévérant, avec un calme pacifique. Si Tom ne recouvrait pas la mémoire aujourd’hui, elle lui reviendrait peut-être demain, avec de la chance. Ou après-demain. Peu importait. Il prendrait le temps qu’il faudra. Même si ça devait durer une éternité. Après tout, il lui avait promis de l'aimer fidèlement, dans le bonheur et dans les épreuves tout au long de leur vie. Et cette épreuve, il n’était pas prêt à l’abandonner, pas comme la fameuse fois où il avait tenté de lui apprendre à jouer du piano.
La nuit tombait déjà. L’heure des visites touchait à sa fin. Avant de quitter la pièce, sans même un baiser d’aurevoir, Tom l’apostropha.
— Alexis ?
— Ouais ?
— Taupe, c’est parfait. Pour la maison.
Alexis sourit. Il y avait longtemps qu’il n’avait plus osé sourire comme ça. Ça faisait un bien fou et même son cœur se réchauffa. Puis, il s’effondra en larmes une fois la porte refermée derrière lui.
Annotations