23 | Laboratoire V
Une alarme stridente résonne. La respiration haletante, le teint anormalement pâle, la sueur dégoulinante et le cœur martelant, Kuma émerge abruptement. Le cauchemar s’estompe. Le silence de la pièce revient. Le cadran au-dessus de la porte affiche seulement 7h15. Son regard balaye son environnement. Immobile sur le lit dans lequel elle dort depuis des années, elle attend patiemment que l’infirmier en charge des repas se pointe. Elle fixe l’heure, réalise au bout de quelque temps qu’elle ne bouge pas et a le brusque sentiment que quelque chose est différent.
Kuma se rassure naturellement. Impossible que les choses prennent une autre tournure de celles qu’elle connaissait. Elle se lève. Ses pieds nus touchent le sol glacial. Des frissons parcourent son corps en conséquence. Il n’y a rien d’intéressant dans la chambre : un coin pour dessiner ou s’instruire bien qu’on ne lui apporte que peu d’ouvrages sur le monde extérieur, une porte mène à un vestibule reconverti en toilette que quelqu’un vient nettoyer toutes les semaines ainsi qu’un porte manteau au niveau de la sortie. Son cœur rate un battement à cette pensée intrusive. Il ne faut pas y penser. La moindre envie de délaisser sa zone de confort procure des palpitations, des rêves insoutenables et la plupart du temps, des cauchemars.
L’heure est restée la même. Elle marche encore et encore, se noyant dans l’angoisse et espérant que les employés du Laboratoire reviennent. Pourtant, le temps passe et rien n’arrive. La faim se creuse, la soif apparaît, et la flamme s’éteint peu à peu. Kuma ne veut pas mourir ; elle ne veut pas souffrir des conséquences de ses actions, or si elle ne fait rien, cela sera la fin. Ses pieds s’arrêtent devant la porte. Le corps tremblant, elle se penche vers la clenche et l’actionne au bout de quelques minutes. L’extérieur se dévoile familièrement : un long couloir plongé dans une lumière vive. C’est comme si le temps s’est figé, constate Kuma en s’aventurant dedans après quelques hésitations.
Le sang teint les murs ainsi que les divers meubles. Quelques organes pendent. Des corps brûlés s’entassent dans un coin. Quelques pièces sont renversées. Des documents sont éparpillés sur le sol. Son regard se pose sur l’une des feuilles qui parle de son cas sauf que les noms scientifiques sont incompréhensibles.
Elle ne croise personne. Enfin si, mais peut-elle considérer des cadavres comme des gens ? Les pièces dont elle a quelques souvenirs se révèlent être intéressantes mais toutes ont les mêmes facultés. Ses pas l'amènent dans une partie inconnue, un peu plus chaleureuse. Les portes sont toutes grandes ouvertes. Les couleurs viennent et partent. L’inconnu la submerge peu à peu. Finalement, elle s’arrête abruptement dans un grand hall. Une silhouette monstrueuse est en train de nourrir d’un corps inerte. Du sang s’écoule de sa mâchoire. Kuma ne peut détacher ses yeux des organes éparpillés sur le sol. La curiosité s’estompe. La mort a été semé, et donc plus personne ne s’occupera d’elle. Kuma se détourne de la sortie, secouée par cette pensée, puis retrace le chemin jusqu’à sa chambre.
Il est encore 7h15. Kuma fait attention à bien refermer la porte. Elle s’allonge dans son lit, se borde correctement puis ferme les yeux. Peut-être que si elle dort, alors le cauchemar extérieur disparaîtra.
Quelqu’un entre. Ce n’est pas de l’aide, non. Ce n’est pas des renforts quelconque de l’Agence, non plus. C’est l’immonde créature aperçue dans le hall. Elle se dresse dans le sang de ses victimes. Sa gueule affreuse fixe Kuma. Celle-ci le regarde à son tour. Elle songe que la faute revient à ce mystérieux personnage. Et si d’ordinaires, elle ne ressent presque rien, là, une haine immense bouillonne à l’encontre de cette odieuse personne. D’un air absent, Kuma réalise qu’un tel terme, « personne », ne peut pas vraiment être utilisé.
L’heure n’a pas bougé. Le souffle putride de la créature la résolut à penser que tout n’est pas un cauchemar. L’immondice se met à baver. Kuma bondit hors de son lit quand l’être se jette sur elle. Un râle perce le silence. Kuma grimace. La chose l’attrape avec ses longs bras et l’approche de sa gueule dont l’haleine la répugne. Kuma agit avant même que son crâne passe sous les dents acérées. Son corps bouge à la vitesse de la lumière : s’échappe des griffes de la créature et ses bras transpercent la chair pourrie de l’être comme si ce n’est que du papier. Les expériences scientifiques qui alimentent la vie de Kuma depuis sa naissance servent enfin à quelque chose. Les résultats obtenus lui donnent un avantage conséquent sur le personnage immonde.
Les mains de Kuma sont aussi fatales que des couteaux. Des membres s’affaissent et se réduisent en bouillie sur le sol immaculé de blanc sous les rugissements de la chose. Il est encore 7h15 quand Kuma s’éloigne de la créature inerte. Il ne reste que des amas de chair, un crâne explosé en mille morceaux et un vêtement familier. Ses facultés ne sont pas terrifiantes, contrairement à ce pur produit de folie humaine. Kuma se recule, soudainement horrifiée, et se précipite hors de sa chambre. Elle court pendant quelques minutes dans les couloirs déserts jusqu’à se calmer peu à peu.
Il faut un temps, de longues semaines, avant que l’Agence pénètre le Laboratoire V, complètement désert si ce n’est pour Kuma.
— Je n’aurais jamais dû ouvrir cette porte, a été la seule phrase écrite de Kuma à leur attention.
Le silence, dans le Laboratoire V, est une règle d’or. Ainsi les secrets sont bien gardés par les victimes de la folie humaine au sein de l’organisation.
Or, l’Agence n’a qu’une hâte : briser la pyramide d’horreur.
Kuma
Prénom mixte
Il signifie : ours, jeunesse, prince, être silencieux et être tranquille.
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