« La fosse n’est jamais loin si vous persistez à perturber la tranquillité. »

Piscine municipale Le Kraken, 4 Rue de la Fosse, Feaux.

21 h 21

D’ordinaire, Barbossa n’accueillait pas d'auteurs étrangers. Elle préférait contribuer à la culture locale en invitant artistes, écrivains et divers personnages passionnants dont son public raffolait. Or, l’étonnante proposition d’une autrice locale, qui refusait de quitter sa tanière à chaque fois que Barbossa l’invitait, l’avait décidé à convier Thierry Tescon, un belge. Il fut d’abord un rapin à Bruxelles. Ayant obtenu son diplôme, il se lança à cœur perdu dans l’écriture. Auteur d’un recueil de poésie, Les merveilles de Madame, ainsi qu’un essai sur la condition humaine, l’homme se distinguait surtout grâce à son livre à succès, Les bimbeloteries de Madame, qui était sur toutes les lèvres depuis sa sortie en janvier dernier.

La piscine municipale attirait la curiosité des visiteurs, d’abord par son infrastructure unique et ensuite par ses activités insolites. L’accueil se faisait au rez-de-chaussé d’un édifice de la bourgeoisie. L’étage était réservé pour le personnel de l’établissement. Il fallait descendre au sous-sol par l’intermédiaire de longs escaliers. Les hommes comme les femmes empruntaient le même couloir pour atteindre les vestiaires : une vaste pièce élégamment séparée par un rideau de miroirs, cabines et casiers, et des murs blancs qui se constrastaient avec le plafond et le carrelage de couleur noire. La plupart des bassins se situaient dans le souterrain, là où les anciens y avaient bâti un bunker.

Barbossa posa son regard sur les horaires affichées sur une pancarte à l’entrée.

Fermé le weekend et les jours fériés.

Du lundi au vendredi :

8h - 18h

Célébrations de Feaux, Journée du Kraken, Célébrations du 1er juillet:

10h à 18h

D’habitude, Barbossa n’ouvrait pas la nuit. Cependant, le projet de grande envergure de Hel Lium, l’autrice locale, lui plaisait énormément. Il ne pouvait qu’accroître la réputation de Feaux. Thierry Tescon, fan incontesté de l’extraordinaire, s'intéressait aux étrangetés dont les internautes avaient été témoins. Au travers d’un forum, il avait eu l’opportunité de parler avec Hel Lium qui, de fil en aiguille, l’avait embarqué dans son univers.

Tescon apparut serein à l’idée de pénétrer dans l’inconnu. Chapeauté d’un béret de l’ancienne époque, habillé sobrement, il avait l’air de sortir d’un carnaval. L’odeur familière des frites assassina le nez de toutes les personnes présentes. Déterminé à prouver que tout n’était que faribole, Tescon apportait avec lui un attirail de chasseurs de fantômes ainsi qu’une tablette. Barbossa le laissa, ensuite, l’établissement. Elle monta à l’étage et s’installa dans la salle de surveillance afin d’observer ses moindres faits et gestes.

Son exploration commençait par l’accueil. Il ne prêta aucune attention à l’agencement préférant se concentrer sur les tableaux qui ornaient les murs. Il commentait leur esthétisme et leur étrangeté et s’attardait sur les phrases placées sous chacune des toiles. Son incompréhension et ses théories amusaient grandement Barbossa. Tescon prenait des notes sur sa tablette. Il passa les portiques de sécurité grâce à une carte que Barbossa lui avait fourni. Il s’engagea dans les escaliers, son regard balayant l'environnement austère ; l’homme cherchait quelque chose. Tesco arriva aux abords des vestiaires, tourna vers le côté homme, immergea du côté femme tout en veillant à bien filmer les lieux.

22 h 22

Thierry inspirait à une œuvre pour mettre la lumière sur Feaux. Cette exploration était simplement le commencement. Avec cette idée bien précise en tête, il se voyait déjà être au top des ventes dans la littérature francophone. Il se pourrait même que son livre devienne un franc succès dans les pays étrangers.

Debout, près des casiers, il ne cessait de dessiner l’agencement particulier de la pièce. Si les mirroirs agissaient comme rideau, rien n’indiquait où un homme ou une femme devait se rendre, comme si tout n’était qu’une illusion. Les cabines formaient un carré autour des compartiments. Le fonctionnement de celui-ci indiquait l’utilisation d’une obole. Par miracle, ou malheur, il en trouva tout près d’une case à l’apparence décrépie où l’on pouvait voir à sa porte une affiche écrite dans un langage inconnu. En se baissant pour la ramasser, quelque chose apparut dans son champ de vision. Son sang ne fit qu’un tour.

Livide, il recula. Il entendit la créature parler bien qu’il ne comprenait pas le sens du propos. Thierry ne pouvait pas détacher son regard de l’être oblongue serpentant dans sa direction. Celui-ci ne cessait de prononcer des paroles incompréhensibles. L’auteur belge fit demi-tour et se précipita vers la sortie, la chose sur ses talons. Quelque chose vint s’enrouler autour de ses jambes. Il s’écroula sur le sol ravalant un cri de surprise. Il fut tiré sans ménagement jusqu’à une pièce regroupant trois bassins.

— T’en fais une tête, Tescon, ricana une voix qu’il connaissait bien.

— Lium ? bredouilla-t-il. Aide—

— T’inquiètes, ils te feront pas de mal, à moins que tu décides de les attaquer. Dans ce cas-là, tu finiras à la fosse.

Hel Lium se tenait à quelques mètres d’une piscine à moitié vide. Il y a avait à l’intérieur une masse sinistre. D’autres créatures semblables à des serpents géants se mouvaient autour des bassins. Elle vint l’aider à se relever. Thierry contempla son environnement dubitatif. Il jeta un œil dans la direction des étranges créatures.

— Bon, je te laisse, Tescon, pour l’interview que tu voulais faire.

Perplexe, Thierry observa l’autrice disparaître dans l’obscurité. Connaissait-elle son but ? Il déglutit à cette pensée.

Un bruit attira son attention. Ses yeux s’écarquillèrent. Un hurlement mourut étouffé.

Son esprit fut violé. Ses intentions furent mises à nues. Son monde s’effondra.

Un cri retentit.

Silence.