31 | Ceux d'en haut | Seb

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La montre à son poignet indiquait l’heure imminente du coucher. Et si la fatigue se faisait encore désirer, Seb s’arrêta à une station intermédiaire, complètement déserte. Un soupir soulagé s’échappa de ses lèvres ; au moins, il n’aurait pas à converser de « la pluie et du beau temps » comme les anciens disaient à une époque lointaine.

Le quai était miraculeusement encore ouvert. Des affiches éclairées à la lueur de falots suspendus à des chaînes rouillées s’éparpillaient sur les tableaux d’affichage, les parois des couloirs extérieurs et les poteaux d’acier. Toutes les portes avaient une serrure à clef, et donc, elles demeuraient ouvertes. Seb sauta sur les rails veillant à éviter les morceaux de verres oubliés, monta de l’autre côté de la plateforme et inspecta la lignée de capsules installées, datant d’après la Grande Hécatombe. Finalement, il décida de regarder à l’intérieur des bâtiments disposés de part et d’autre du quai. Aucune sphère de couchage ne lui convenait. Il s’éloigna de quelques mètres de la station, découvrit un coin aménagé par des voyageurs et s’y posa. Seb déploya une grande bâche, un plaid brodé par son père avant son départ, et enfin, il mit son lit de fortune sous une tente de dernière génération.

Le repas fut maigre à cause du manque flagrant de provision. Explorer les chemins inconnus, c’était risqué. Seb se sentait soulagé de n’avoir piper mot à quiconque de ses attentions de voyager au travers des endroits escarpés et quasiment abandonnés par l’humanité. Il ne voulait pas se contenter de la vie morose des gentilés de R’nescence, le canton où il était né et où il avait grandi. Pourtant, là-bas, on y trouvait de la nourriture en abondance, un marché intense, de nombreuses personnes. Là-bas, lui disait-on, c’était un semblant de vie d’avant, celle d’avant la chute. Sauf que personne ne se souvenait de ce temps-là ; cela faisait cinq siècles que l’humanité vivait cloîtrée sous terre, dans des immenses galeries qui liaient les nations d'autrefois. Seuls les livres d’histoire parlaient de l’époque dorée de l’humain, bien qu’il manquait une grosse partie de l’Histoire.

L’une de ses sœurs s’occupait en tant qu’historienne. Elle sillonnait les stations majeures comme mineures, apprenant les différents dialectes et les langues afin de comprendre leurs habitants, revenait parfois à R’nescence pour travailler un temps dans son cabinet avec des collègues. C’était un travail titanesque. Deux de ses frères tenaient une boutique, un autre était marchand, et ses trois autres sœurs débinaient dans les champs. Son père brodait et vendait ses produits. Sa mère distribuait le pain que sa tante produisait. Lui, Seb, voyageait. Et ce n’était pas au goût de sa famille. Pourtant, personne ne l’avait empêché de partir. Seb venait quasiment plus à R’nescence, refusant de subir les remontrances de ses proches et de ses amis, évitant de rencontrer quiconque sur le chemin. Rares étaient ceux qui approuvaient son mode de vie.

Seb s’allongea sur son duvet, le regard rivé sur le plafond englobé dans la noirceur de la station, rêvant d’un ciel bleu qu’il ne connaissait que des expositions de photos. Son esprit se calma peu à peu, l’emportant vers un sommeil profond. Les songes le poussèrent dans l’inconnu, l’invitèrent à espérer encore et le gardèrent loin de la réalité. Soudain, sa montre le réveilla : il éteignit l’alarme, se hâta pour ranger son matériel, dévora une pomme une dizaine de minutes plus tard. Seb fouilla la station à la recherche de denrées alimentaires, d’objets qu’il pourrait revendre à un marchand ambulant et d’armes abandonnées. Il n’eut qu’un tee-shirt roulé en boule, deux boîtes en converse couvertes de poussières et de l’alcool. Puis, il se mit en route dans un immense tunnel s’enfonçant dans la noirceur, à peine éclairé par une torche tous les kilomètres.

Cela descendait, nota-t-il assez rapidement, en faisant attention à là où il mettait ses pieds. Seb regretta un instant de n’avoir pas chargé ses lampes frontales. Même s’il disposait d’une batterie rechargeable à l’énergie solaire — du moins, c’était que Derrick lui avait dit — il n’avait quasiment plus rien. Les heures passaient lentement, et peu à peu Seb se disait que de la compagnie serait idéale. Le chemin ne s'arrêtait pas, et il ne partait pas dans tous les sens, seule une ligne se dessinait dans la pénombre. Plus que Seb avançait, plus il se sentait mal à l’aise. Une atmosphère lourde accompagnait ses pas. Il douta ; et si rien ne se trouvait à la fin comme les tunnels d’Ariane ? Toutefois, il chassa rapidement cette pensée.

Une fringale le stoppa. Il avala un quart de pomme, une gorgée d’eau et un bout de pain rassi. Seb poursuivit sa route arrivant finalement à une sorte d’avant-poste. C’était une plateforme construite par les premiers habitants du souterrain, assez petite, qui permettait à quiconque de s’y arrêter une « nuit ». Seb n’y comprenait rien : ses professeurs, n’ayant pas connu l’époque dorée de l’humanité, avaient eu dû mal à aborder ce sujet. Seb retenait seulement qu’autrefois il existait une distinction entre le jour et la nuit, une pendule de vingt-quatre heures et que les gens dormaient généralement durant la nuit.

Plus bas, les plateformes se succédaient. Elles paraissaient de plus en plus anciennes, de moins belles qualités et présentaient de sévères détériorations. Seb retrouvait certains écrits d’avant, ne comprenait rien aux mots employés et à leurs orthographes. Mais il se contenta de les inscrire dans un carnet. Il saisit un appareil afin de capturer une image de ses trouvailles, continua de dessiner ce qu’il découvrait, puis il s’arrêta pendant huit heures. Il reprit son chemin le lendemain, arrivant au fond au bout de quatre heures de marche. Seb y vit trois possibles directions dont l’une était barricadée, un panneau d’affichage des années 2054, figé dans le temps.

Un tunnel menait à un cul de sac. Il n’y avait que des gravats et un plan jauni au beau milieu d’outils abandonnés. Un second se rendait à une station à peine habitée. Seb sembla être pour ces malheureux habitants une sorte d’attraction, d’une part son apparence intriguait et son langage fascinait, et d’autre part, son ignorance amusait. Une centaine d’individus vivaient terrés dans ce lieu, à première vue, exiguë. Il apprit en baragouinant dans les dialectes qu’il connaissait d’étonnantes informations. Ces gens prétendaient se rendre de temps à temps à la surface, rencontraient les descendants de ceux qui étaient restés là-haut, des voyageurs qui s’aventuraient en bas de temps à autre, et ils commerçaient avec l’Alliance des Normands. Seb ne savait pas quoi en penser. Son air dubitatif suffisait aux doyens pour l’emmener à l’auberge du coin, une bâtisse disposant de chambres au lieu des typiques capsules de couchage, où il fut invité à boire de l’hydromel et à manger un repas consistant. Seb fut régalé par d'histoires insolites. Peu à peu, il éprouvait l’envie de les croire.

Seb ne resta guère longtemps à la station. Il revint à son point de départ, l’esprit embué par les histoires de ses congénères. Il emprunta le tunnel barricadé, passant les grillages avec aisance, ne s’attardant jamais sur les affiches jaunies collées aux parois. Ses yeux, cependant, s’arrêtaient sur les dates, les messages, les dessins et les photos laissés par ceux qui empruntaient ce chemin. Ses pieds le menèrent à la base d'un escalier de pierre dont il ne voyait pas la fin. Son estomac se nouait. Seb prit une longue inspiration, expira, et recommença jusqu’à se calmer. Puis, il commença son ascension.

Une crise de panique le força à s’installer à un avant-poste. Il s’allongea sur son duvet, le ventre vide, et son esprit s’éteignit abruptement. Une peur irrationnelle le poussait à abandonner sa besogne, à revenir sur ses pas, à courir dans les bras des siens. Seb avait entendu tant d’horreurs au sujet de la surface.

Un prédateur, sorti de nulle part, avait forcé l’humanité à se terrer. Les chanceux avaient construit un semblant de société dans un dédale qui reliait les anciennes nations. On disait qu’il n’y avait plus d’humains à la surface, qu’il y était impossible d’y survivre, et pourtant, les histoires que Seb entendait maintenant ne coïncidaient pas avec celles que la génération de ses parents lui avait inculqué.

Seb était apeuré par ce qu’il pourrait trouver là-haut. Il refusa de bouger, s’enterra dans ses pensées et le passé, nota son voyage dans son journal et s’interrogea sur son dilemme. Finalement, la curiosité gagna. Quelques repos lui suffirent à se décider. Seb usa de son courage pour gravir l’escalier menant à la surface. Chaque pas lui semblait lourd et lent. Il s’arrêtait toutes les heures pour reprendre son souffle, pour calmer la danse frénétique de son cœur. Des plateformes, anciennes et rouillées, défilaient. Enfin, quand sa montre sonna à l’heure du coucher, au troisième jour, il arriva au dernier palier.

La frontière ultime se dressait devant lui. Il n’y avait pas de porte ni même de portail. Seb demeura bouche bée, son regard balayant la pièce dans laquelle il se trouvait, s’attardant sur des objets dont il ne connaissait même pas la nature. L’accès vers la surface se dévoilait par un escalier d’une dizaine de marches, en acier, marqué par des bandes lumineuses. Avant de l’emprunter, Seb s’aperçut qu’un panneau affichait le plan des Cantons de Rose. Il nota la présence d’un texte écrit en gros, cependant, il ne reconnaissait pas la langue.

Dehors, un monde étranger se dessinait dans son champ de vision. L’entrée du bunker se treuvait dans une immense plaine, habitée par des huttes par centaine, disposées de sorte à former un tourbillon autour d’un espace où un feu était constamment alimenté. Oubliant toute appréhension de l’extérieur, Seb s’avança. Immédiatement, la lourde atmosphère le fit tomber à genoux. Il grimaça, le cœur sifflant, la respiration compliquée. Cependant, Seb se força à se relever, à continuer d’explorer la surface. Il tenta de rester à distance des huttes, en vain. À chaque fois qu’il tournait la tête, il voyait d’autres tourbillons d’habitations. Peu à peu, il réalisa que le passage vers le dédale souterrain était entouré par ces drôles de maisons.

Le ciel attira son regard. Seb se perdit dans le ballet de couleurs, ses nuances et ses formes, les planètes à moitié visibles et pleines, plongé dans une nuit étrange.

Un hurlement le sortit de sa contemplation. Ses yeux s’écarquillèrent quand une créature jaillit dans son champ de vision. D’autres suivirent, imposantes et à demi-humanoïdes, chevauchant des équidés et d’autres animaux Seb ne sût guère reconnaître. Il attrapa sa gourde d’eau, avala une gorgée pour chasser la sensation de sécheresse, inspira et expira, essayant de calmer de nouveau sa respiration. Celle-ci ne cessait d’osciller, comme si l’atmosphère étouffante de la surface avait un effet sur lui. Ses genoux se dérobèrent sous lui. Il tomba sur ses avant-bras. La tête tournait. Une nausée le saisissait. Seb ferma les yeux.

Quelqu’un le saisit par les épaules. Il fut jeté sur le cul d’un cheval. Une créature lui passa un foulard autour de la bouche, le serra délicatement comme si elle était effrayée de lui briser quelque chose, puis, elle l’attacha à l’animal.

La montre à son poignet émit un cri bref.

Quelque chose le piqua. Son corps devint raide. Sa vision devint noire au bout de quelques secondes. Son monde s’écroula. Seb tomba dans un profond sommeil.

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