006 Puits II
Le cheval noir parcourait à grande vitesse la forêt. Il contournait le lac sous la lumière éblouissante de la lune. Sur son dos, Namid gardait un œil rivé sur les immenses montagnes du nord, là où l’épreuve l’attendait. La boussole dans sa main droite pointait la direction à suivre. L’animal se faufilait entre les arbres dont la frondaison se colorait chaudement sous la lumière matinale du matin. Le soleil se dessinait sur la ligne d’horizon.
Namid touchait du doigt son rêve.
Sa famille lui avait maintes fois répété que ce n’était qu’une fantaisie réservée aux plus chanceux. Sa mère lui rappelait sans cesse son devoir envers leur nation et son père, lui, disait qu’il n’y avait pas de places pour les rêves dans l’avenir. Ses frères et sœurs, eux, n’avaient aucune opinion, cependant, ils étaient du côté de leurs parents. Ainsi, Namid avait arrêté d’en parler autour d’elle. Elle avait préparé son départ pendant de nombreuses semaines, faisant mine de se plier aux exigences de ses proches puis, quand la nouvelle année avait pointé le bout de nez, elle s’était envolée en pleine nuit.
Namid songeait qu’elle ne reviendrait sans doute jamais, qu’il fallait mieux que sa famille l’oublie au lieu d’espérer qu’elle revienne.
Son destrier ne s’arrêtait quasiment jamais. Lui qui ressentait toutes ses émotions savait à quel point ce voyage était important pour sa cavalière. Il poussait ses limites jusqu’au sommet de l’une des montagnes où il sentait que quelque chose intéressait Namid.
— Merci, Anubis, chuchota Namid à son cheval, caressant sa crinière avec affection.
Le soleil se dissimulait derrière les nuages qui devenaient peu à peu gris au fil des heures, comme si une tempête se préparait. Un frisson parcourut l’échine de l’enfant. Elle descendit de son fidèle compagnon parcourant ainsi les derniers mètres qui la séparaient du sommet. Elle déposa ses affaires à l’intérieur d’une petite grotte au pied d’un immense cerisier. Anubis se dirigea vers la petite étendue d’eau à droite de la caverne.
Derrière le tronc de l’arbre rose se tenait l’entrée d’un sanctuaire. C’était une porte d’une petite taille, décorée d’un phénix étincelant et d’un mamba noir. Au dessus de ces deux célèbres animaux se trouvaient une inscription que Namid eut dû mal à déchiffrer :
Je suis ta rage et ton désespoir,
l’espoir et ta joie ;
je suis ton ambition.
Namid cligna des yeux. Avait-elle mal traduit ? Un soupir s’échappa de ses lèvres. Elle n’avait pas à s’en soucier. La jeune fille vérifia si ses armes étaient toujours présentes avant de mettre sa main sur la clenche de la porte. Son regard se porta sur son environnement. L’ambiance s’était assombrie. Il ne restait qu’une pâle lumière dans les cieux. L’estomac noué, la jeune fille pénétra à l’intérieur du sanctuaire.
Il faisait noir, cependant au bout d’un long couloir, des flammes éclairaient le fond. Pas à pas, Namid se fraya un chemin au travers de gravats et de trous traîtres. Elle se retrouva rapidement en face d’un grand escalier où des oupilles étaient accrochées au mur. Namid descendit les marches avec prudence arrivant dans une grande salle circulaire. Il n’y avait rien à part des toiles, des parchemins entassés dans un coin et des armes. Son regard se porta sur un nouveau passage.
— Le savoir est un pouvoir que tu apprendras à manier si tu réussis à atteindre l’autre côté du sanctuaire. Prends garde à ce qu’il se cache, lut avec attention la jeune voyageuse.
La nouvelle salle était petite et donnait sur une porte en bois. Des bougies illuminaient la pièce. Il y avait un pot de chambre où l’on pouvait uriner et déféquer. Il n’y avait pas d’odeur, ce qui laissait à penser que quelqu’un l’avait nettoyé récemment. En jetant un œil, Namid ne vit aucune tache confirmant ainsi sa théorie. Un labyrinthe se révéla derrière cette nouvelle issue.
De grands couloirs se rencontraient et s’éloignaient dans l’obscurité. Des toiles ornaient les murs et les yeux des portraits semblaient suivre Namid à son passage. Des statues lui provoquaient des sursauts et des cris étouffés. Des miroirs l’induisaient en erreur. Des poupées pendaient parfois aux plafonds.
« Si jamais tu te retrouves dans un dédale, va toujours à gauche quand tu en as la possibilité. Les autres te diront d’aller à droite, seulement c’est dans cette direction que tu te retrouveras dans le merdier. »
Les paroles d’Ahanu, l’un de ses quatre frères, résonnaient dans son esprit. Un sourire naquit sur ses lèvres alors qu’elle continuait d’avancer, s’arrêtant parfois pour contempler les objets anciens qui peuplaient le labyrinthe. Sa famille lui manquait, toutefois, cela ne l’empêchait pas de poursuivre son chemin au travers de l’inconnu. Finalement, au bout de trois bonnes heures dans le dédale, Namid arriva de l’autre côté du sanctuaire.
Il y avait un nouvel escalier à emprunter. L’enfant arriva dans une pièce ronde où en son centre se trouvait un autel. Namid sursauta quand la lumière jaillit des flambeaux au travers de la salle. Une main se posa sur son épaule droite et une lame toucha son cou.
— Je t’ai retrouvé… Namid ! chantonna joyeusement une voix qu’elle connaissait que trop bien.
Son sang ne fit qu’un tour. La personne la força à avancer jusqu’à l’autel puis poussa Namid à genoux.
— Chogan.. ? bafouilla Namid, n’osant pas se retourner.
— Pensais-tu pouvoir m’échapper aussi aisément ?
— N… non, s’il te plaît, bredouilla la jeune fille.
— Oh ?
Namid n’en croyait pas ses oreilles. Chogan était censé avoir succomber à ses blessures au Temple du Sacrifice. Pourtant, l’homme se mouvait autour d’elle tel un prédateur comme s’il n’avait rien eu. Coiffé de son chapeau marron, il s’agenouilla en face d’elle, un sourire mauvais apparaissant sur son visage.
— Tu me disais que j’étais cinglé, ricana-t-il. Regarde toi !
Il lui asséna un coup dans le ventre. Namid lâcha un gémissement et tenta de ramper loin de l’homme mais il lui saisit la cheville pour la tirer vers lui. Son couteau vint se planter dans la jambe gauche lui arrachant un cri de douleur. Chogan la retourna de force. Il lui donna un coup de poing dans la tête.
— Suis-je l’aliéné dans l’histoire, Namid ? demanda-t-il d’un air chantant. Ne suis-pas un fragment dans ton esprit ?
Namid cligna des yeux.
Ne faisait-il pas partie de son imagination ?
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