06 Janvier 1996
Je constate que tu as décidé de découvrir mon parcours initiatique. Tu as bien fait. Je te prierais donc de rester attentif.
Tout comme toi, je venais d'avoir dix-huit ans depuis quelques semaines. J'étais donc déjà au courant de la suite de l'histoire. Enfin, à quelques détails près, car les vieilles archives de la bibliothèque familiale racontaient toutes des parcours merveilleux ; bien que ces bouquins furent composés de dix pages chacun. Ceci afin d'éviter aux futurs initiés comme moi d'anticiper les différentes méthodes de réussites, ce qui me créait une certaine frustration.
Cependant, ils terminaient tous de la même façon : un mariage consentit mutuellement. Bien que nous savions que cela cachait quelque chose, nous l'acceptions d'une certaine manière. Mais pourquoi ?
Samedi 6 janvier 1996.
Le soleil ne s'était levé que très tard dans la journée. La neige avait profité de toute la matinée pour répandre son épais manteau de poudreuse sur les rues de nos villes et de nos villages.
Pourtant, rien n'avait été aussi chatoyant, pas même l'ambiance qui régnait au sein de notre famille, car en ce jour, les rituels commençaient, et le trac nous gagnait.
Honton, Sam, Jim, Clément et moi-même ne savions pas ce qui nous attendait réellement depuis des lustres jusqu'à ce que Père entre dans la pièce. Il était habillé d'un costume rouge sang. Elle changeait de celle qu'il portait habituellement. Cela provoquait chez lui une certaine métamorphose, et ce, tout à fait compréhensible en vue des évènements.
Malgré ce changement, une seule chose ne dérogeait pas de sa personnalité : son sombre regard dans lequel se révélait un bleu de glace. Difficile donc de garder le contact visuel avec lui.
- Levez-vous, lança-t-il à nos égards, dois-je vous rappeler qu'aujourd'hui débute votre chemin au bout duquel vous attend votre statut d'homme ?
- Non, Père.
- Silence, Chris ! Je ne t'ai pas autorisé à répondre ! Cela en va de même pour vous autres, Messieurs Wenson.
Le ton employé fut tranchant et désenvoûtant. En cet instant, son rôle de père s'effaça au profit d'un individu austère. Je sus donc que le rituel était une épreuve sérieuse, d'autant plus pour lui, patriarche de notre clan.
Soudain, son légendaire claquement de doigts surgit avant qu'apparussent devant nous, les hommes de la famille : cousins, oncles, frères...ou autres. Ces hommes tenaient entre leurs mains leurs carnets d'apprentissage ornés d'une couverture dorée. Ce détail prouvait que leur propriétaire respectif avait réussi ce que j'appréhendais le plus, excepté pour l'un d'entre eux. Celui de Jeffrey Wenson, car lui, abordait une couleur argentée. Sa victoire avait été contée comme un exploit ; il avait terminé sa quête en seulement deux mois. Ce triomphe dépassait toutes les attentes du rituel qui en réclamait douze. En conséquent, cela faisait de lui le successeur de notre père.
Jeffrey était un génie en plus d'être mon frère. Il était un véritable exemple et une pression supplémentaire.
- Messieurs, face à vous se trouvent les réussites de notre famille. Je souhaiterais donc, non, j'exigerais de votre part de choisir à bon escient la personne qui deviendra de manière indirecte votre mentor. Il vous fera découvrir sa tâche lors de son apprentissage, et c'est lui qui décidera de votre épreuve.
- Père, veuillez m'excuser de cette interruption, mais puis-je ? demanda Jeffrey.
- Oui, mon fils ? Qu'as-tu à rajouter ?
- J'aimerais que nous puissions choisir le garçon qui recevra notre enseignement. Et je pense que Chris serait en mesure de réussir le mien !
Le regard de Père s'assombrit à l'énonciation de sa requête. Qu'espérait Jeffrey ? Réussir à changer les traditions pour ses idéaux ?
Il ne le pourrait pas. Il perdrait d'avance puisque Père avait toujours été un fervent serviteur de la perpétuation des rites et exécution de nos histoires. J'hallucinai cependant lorsqu'il accepta cette proposition. C'était dingue ! J'allais tenir entre mes mains le journal de mon aîné. J'allais donc suivre ce qu'il avait choisi pour moi, bien que je ne fusse pas réellement déçu. Il était celui que j'aurais pris dans un premier temps. Alors, c'était avec un désir enfouit que je me visse octroyer ce journal, et je préparais déjà sa fierté face à ma réussite de son épreuve. J'étais sûr de moi, sûr de vouloir lui ressembler.
Avais-je tort de penser cela ? Aucunement, car en tant que membre de la famille Wenson, il était de mon devoir de réussir et de prouver qu'il pouvait avoir une éternelle confiance en moi.
En revanche, une appréhension me prit largement au cou...
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