Seconde 21

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Il est des baignoires où il n'est d'autre choix que de se doucher debout. Celle de mes parents est ainsi. Elle fait face à une vasque, ni vieille ni neuve mais qui s'encrasse régulièrement de calcaire, surmontée d'un large miroir masquant l'étagère où mes sœur rangent leurs soins d'hygiène et de beauté. Le carrelage n'a pas été modifié depuis que la maison a changé de propriétaire, contrairement à tant de choses depuis que mon père s'est investi de la complexe mission de rendre la maison à l'image de notre famille : douce, minimaliste et, parfois, insidieusement oppressante.

La plupart des carreaux s'interrogent timidement de ce qui leur siérait le mieux entre le blanc, le gris pâle et des lueurs bleutées, tandis que d'autres, plus rares, se parent de gerbes de fleurs aux couleurs tout aussi monotones. Cette salle de bain est finalement d'une sobriété qui frôle l'impersonnalité. Les odeurs sont fugaces et si je n'avais pas l'habitude du sucre léger du lait pour le corps sans parfum que ma mère achète pour toute la famille, je me croirais probablement anosmique.

Il est tôt ce matin, je suis la seule éveillée mais le jour passe déjà à travers les interstices des volets. L'église en contrebas sonnera d'ici deux bonnes heures, la boulangerie fermera bien trop tôt et les chiens seront de sortie, avec leurs maîtres, sur tous les chemins de campagne praticables. En d'autres mots, c'est dimanche.

Le store est ouvert, il laisse passer toute la lumière pâle que la fin de l'automne est capable de produire pour honorer l'aurore. Le reflet que me renvoie le miroir s'étend de la racine de mes cuisses à quelques centimètres de carrelage, au-dessus de la dernière de mes mèches de cheveux opiniâtres - ma chevelure n'est pas une grande matinale. Je me tiens bien droite, ni fière ni frêle. Il n'y a vraiment que lorsque je me sais susceptible d'être reluquée que mon dos se voûte. Mais ce matin, seule dans la salle-de-bain, seule dans la fraicheur de novembre qui me caresse délicatement l'épiderme... ce matin, j'apparais sans artifice et j'aime mon reflet car il est empreint de neutralité. Le présent n'est plus un questionnement de frontières, je me semble entière. J'admire la douceur du beige de ma peau se colorer, ici, du rose de mon nez et de mes joues ; ici, d'une marque de naissance et là, d'une marque d'élégance. Sourire serait dénaturer le tableau que je m'accorde. Je ne suis ni heureuse, ni triste, ni anxieuse : le calme et la curiosité, face à l'enveloppe qui renferme cette chose que je suis et qui n'est peut-être pas foncièrement un monstre, sont les deux mots d'ordre de cet instant. Je n'ai pas non plus le mauvais goût de me fantasmer précieuse, désirable ou désireuse, il faut laisser tout cela aux regards de dehors, ceux qui nous déshabillent de nos couches de vêtements les plus épaisses sans pour autant tenter de nous découvrir l'âme de ses couches de secrets les plus nébuleux.

Il est des baignoires où il n'est d'autre choix que de se doucher debout. Celle de mes parents est ainsi. Elle fait face à un miroir qui me renvoie le passage du temps : mes yeux ne sont plus tout à fait pareil, ils ont perdu leur rage, je crois, gagné en mélancolie. À l'inverse, mes seins n'ont pas changé. Je n'ai que vingt-deux ans.

[Sentimental - SYML]

[Hidden Angel - James Heather]

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