Seconde 40
Cher.e Ami.e,
Que s'est-il passé ?
En cette nuit, grands dieux ! ma vie de narrateur a oscillé sur un frêle fil. Combien de bras auras-tu chassés cette fois ? Je n'ai pu compter mais s'il n'y avait pas eu ces quelques minutes de temps tatouées à même mes aiguilles sur lesquelles j'ai peu de prise, je serais restée. Et si j'étais restée, j'aurais observé, tout observé, tout englouti. Oh, sois sûr.e que je t'aurais observé.e, toute englouti.e, de la prose gloutonne de ton corps à la poésie artificieuse de ton cœur car j'ai trouvé en toi l'inspiration d'une vie. Il suffit d'être à tes côtés pour ressentir par procuration. J'inhale ce que je peux, je fais de mon mieux.
Alors, Ami.e, que s'est-il passé, pourquoi tes mots, pourquoi ces plaies, me serais-je brûlée ?
Ton homme, et tout homme, et toute femme, et tout autre, tous ceux de la terre sont entre de bonnes mains, entre mes bons doigts, et je n'en ferai que ce que je sais faire : des histoires, que des mots. Aucune peau ne sera laissée nue, je recouvrirai tout une fois goûté. Ensuite, tu mangeras ce que tu veux. Tu pourras tous les baiser, si c'est ton souhait.
Alors, Ami.e, que t'est-il arrivé ?
Dans des temps fort anciens, très reculés, on pouvait me faire rougir d'un "tu fleuris". Ce matin, on peine à apprécier ma matérialité. Il m'aurait à peine effleurée qu'il aurait frissonné. Alors qu'as-tu craint, au lever du soleil, Amie, aurait-ce été mon vide ? Il est vrai que je t'ai avoué trop de fois vouloir qu'on regraine ma peau. Pourtant, au marché des sentiments, sur les éventaires de culs et de cuisses, des cœurs sur des plateaux, tu serais dernière arrivée mais première servie et moi, j'attendrais. Je suis l'ombre sur le parquet. Je gratte, gratte, gratte les échardes, tente de rendre les surfaces lisses.
[…]
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