Seconde 62
Je souhaiterais t'emmener dans mon soir. Là, le crépuscule tel que je le perçois s'étirerait pour t'y laisser entrer. Tends ta main au bleu de l'été. Vois comme il rougit quand tu le caresses. Sens comme il se tord sous la pulpe sensible de tes doigts, elle que tu as si peu habituée à apprécier l'inconnu sans crainte.
Veux-tu mon soir ? Pénétrer l'heure creuse de silence où la ville se trémousse au loin mais l'on n'en discerne qu'un faible ressac, une partition assourdie de violons clouteux qui imitent les vélos et voitures valdinguant sur les routes en un compte-goutte désinhibé, le veux-tu ?
On resterait pour l'un et l'autre rien qu'une présence, un œil près du mur qui regarde l'ombre de l'autre côté de la pièce jouer avec le briquet du réverbère. La nuit et le jour font un damier au plafond, puis s'effacent et nous reluquent.
Je souhaiterais te faire goûter la peau de ma hanche et te refuser tout autre centimètre. Tout arrêter. Te dire qu'il faut s'extasier des lendemains ; les cattleyas fleurissent en temps et en mois.
L'année passe, l'hiver est loin, tu y étais. Mais le soir est las. Que fais-tu du bleu de juillet, quand il s'agite, s'il égorge le vide à pleines dents et laisse perler au coin de ses babines une ambre juteuse et fertile ?
Là, le crépuscule tel que je le perçois s'allongerait dans mon lit dans lequel tu serais déjà figure cireuse, statufié par l'idée qu'il s'agit probablement d'un bonheur nocturne que ton sommeil profond pourrait emporter. Alors, je te dirais d'apaiser ce cœur concupiscent qui se voile au moindre écart du réel comme si le soir était fait de certitudes. Tends ta main au jeu de l'été et vois comme il esquive ton toucher pour revenir incessamment tout contre toi.
L'année passe, l'hiver est loin, tu y étais. Mais mon soir est là et je souhaiterais t'y égarer.
[Pour N.]
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