11. Mais où est la passion ?

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Oriane

— T'as vraiment fait ça, Ori ?

— Bien sûr que je l'ai fait ! Et lui, il était tranquillement en train de rire avec ses employés, coupe de Champagne à la main, s'il te plaît !

Je jette un coup d'œil à l'arrière, où Robin est concentré sur l'un de ses mangas. Il faut bien que sa surdité ait un avantage, et celui de pouvoir discuter au téléphone avec ma meilleure amie sans avoir peur qu'il entende l'est carrément. Oui, je sais, mère indigne… Mère indigne qui ne décolère pas depuis hier.

— C'était fourbe, j'adore ! glousse Rachel dans les baffles de la voiture. Comment il a réagi ?

— Oh, il est allé au tennis avec son fils. Il m'a reçue froidement, a dit qu'il n'avait pas vu l'heure et s'est barré avec ma voiture sans se soucier de comment j'allais rentrer. C'est Vianney qui m'a ramenée à la maison.

— Eh bien… c'est un peu les feux de l'amour, chez toi, ces derniers temps.

— Oui, je m'en serais bien passée… Surtout qu'après avoir plus ou moins joué le Papa concerné et désolé devant les autres, il a passé la soirée à faire la tête et m'a carrément engueulée une fois que Robin était au lit. Tu te rends compte, le traiter de la sorte devant ses salariés ?

— Hum… Vous n'allez pas vous en sortir si vous passez votre temps à vous en vouloir l'un l'autre, à vous disputer… C'est dommage, vous êtes tellement mignons, tous les deux.

— Dit la fille qui n'a absolument pas compris ce que je fichais avec Louis à l'époque…

Et pour cause… Si en plus elle connaissait toute l'histoire. Même elle n'est pas au courant de notre petit secret familial.

— Est-ce que je déconne, Rach ? Est-ce que je lui en demande trop, tu crois ? Je suis perdue… J'ai l'impression que… Je ne sais pas, il n'a jamais été très impliqué dans les rendez-vous médicaux et différentes prises en charge pour Robin, mais ces derniers temps, c'est comme si tout ce qui touchait à notre couple et notre famille lui passait au-dessus. C'est en tout cas mon ressenti… Et ça fait mal.

— Je crois que tu as raison, ma Puce. Franchement, si tu fais des enfants, il faut que tu t’en occupes ! Et pareil avec sa femme. J’en parlais encore hier avec mon Mathieu d’amour et je lui ai dit que s’il me faisait un coup comme ça, je le quittais tout de suite ! Non mais, c’est vrai, quoi, on n’est plus à l’époque où les femmes attendent bien sagement leur mari à la maison ! Le dildo a été inventé et la femme libérée, quand même !

— Mon dildo humain m'énerve plus qu'il m'excite, la machine libido est en panne chez moi… avec lui, en tout cas, soupiré-je. Je ne sais plus trop quoi faire, honnêtement, à part laisser passer l'orage et prier pour que ça s'arrange. Une vraie Desperate Housewife.

— Tu veux dire que ce que Mat me fait découvrir comme sensations extrêmes, ça ne va pas durer tout le temps ? Je te jure qu’il me fait grimper aux rideaux ! Ou au septième ciel ! Enfin, à tout ce que tu veux, quoi !

— J’en sais rien, Rach… Tu sais, ça n’a jamais non plus été explosif entre nous. Je veux dire… Le sexe est bon avec Louis, hein, mais… ce n’était pas non plus la passion qui te fait perdre la tête, même dans les débuts. Bref, je te souhaite que la passion perdure chez vous, mais y aura forcément des hauts et des bas, tout n’est pas rose avec le mariage.

— Eh bien, tu ne vends pas du rêve, toi ! Je peux t’assurer qu’avec Mat, il me fait perdre la tête ! To-Ta-Le-Ment !

— Profites-en tant qu’il ne te prend pas la tête, pouffé-je. Au moins, tu sais à quoi t’attendre si ça décline, et je serai là comme tu l’es pour moi. Faut que je te laisse, Rach, j’arrive chez mes beaux-parents, youhou ! Embrasse Mat de ma part et amusez-vous bien, les amoureux.

— Bon courage avec Belle-Maman ! Je ne vais pas me priver avec mon doudou d’amour. Bonne soirée !

Je raccroche en me garant et prends quelques secondes pour me recomposer un masque de sérénité que Maman Rosenthal va certainement fissurer facilement. Robin a déjà sauté de la voiture et je les rejoins dans le hall d’entrée. L’accueil est habituel : une bise du bout des lèvres de Christine, une accolade plus chaleureuse de Léon, une remarque sur le fait que Louis n’est pas avec nous et un apéritif à rallonge en attendant le petit prince. Robin baille comme pas possible, et moi je fatigue de devoir tenir la conversation avec Belle-Maman, qui a habitué son fils chéri à être bichonné et chouchouté, au point qu’il ne cuisine que des pâtes et ne le fait jamais à la maison.

— Au fait, Oriane, ça donne quoi pour l’AVS de Robin ? Il a été remplacé ?

— Si seulement… J’ai eu un rendez-vous en visio avec le rectorat cette semaine. Pas de moyens, comme d’habitude. Robin s’en sort plutôt bien, son institutrice fait ce qu’il faut pour qu’il ne décroche pas, même s’il fatigue davantage. Il fait avec, on va dire.

— Et l’association dont on avait donné les coordonnées, tu les as appelés ? Ils ne peuvent pas envoyer quelqu’un pour notre pauvre chéri ?

— Tout le monde est déjà overbooké. À trois mois de la fin d’année scolaire, c’est compliqué. Enfin, c’est compliqué tout le temps. Un vrai calvaire de garder son enfant en milieu ordinaire. Le type du rectorat m’a gentiment suggéré de le placer en institution spécialisée pour ne plus avoir ce genre de problèmes.

— Peut-être que ça pourrait être une solution, dit ma belle-mère. Je sais que tu y es opposée, mais il faudrait y réfléchir, non ?

— C’est tout réfléchi, Christine. La vie n’est pas une institution spécialisée. Robin a de bons résultats à l’école, il a sa place dans le circuit classique. S’il me disait qu’il ne veut plus aller à l’école avec des enfants qui n’ont pas de handicap, je pourrais changer d’avis, mais ce n’est pas le cas. Et Louis est entièrement d’accord avec moi avec ça.

— On parle de moi ?

Tiens donc, si j’avais su qu’il suffisait de parler de lui pour qu’il débarque, je n’aurais peut-être pas évité le sujet. Le petit prince embrasse sa mère comme s’il ne l’avait pas vue il y a une semaine, salue son père plus virilement et attrape Robin, assis sur la table basse, pour le chatouiller.

— Je meurs de faim, qu’est-ce que tu nous as fait de bon, Maman ? poursuit-il en venant déposer un rapide baiser sur mon front sans même me regarder.

— J’ai fait des lasagnes avec une salade du jardin. Ça te va ? Sinon, je peux sortir un peu de gratin de ce midi.

— À quoi, le gratin ? Je pourrais me laisser tenter !

Je me retiens de lever les yeux au ciel alors que nous nous installons à table. Il n’a pas volé ce petit surnom dont je l’affuble mentalement chaque fois que nous sommes ici, loin de là. Et le pire, c’est que belle-maman fait la même chose avec Robin. Desservir la table ? Quelle idée ! Participer à la préparation du repas ? Hors de question. Le plus contrariant, c’est qu’il adore ça, d’ordinaire, mais jamais il ne le fait ici. Deux petits pachas… Pour preuve, Christine ne répond même pas à Louis en filant à la cuisine et revient en déposant les plats, gratin de courgettes réchauffé en prime.

— Alors, Loulou, comment ça se passe à l’agence en ce moment ? Tu travailles trop, je suis sûre, tu as l’air épuisé. J’espère que tu t’occupes bien de lui, Oriane.

— À l’agence, tout va bien, avec le contrat de la mairie, on peut voir venir. Quant à Oriane, on ne peut pas dire que ça lui fasse super plaisir, tout ça, et qu’elle soit vraiment derrière moi pour me soutenir.

Quel fourbe… Il faut toujours qu’il lave notre linge sale devant ses parents, ça m’agace. Surtout qu’on a affaire à deux psychologues pour couple, apparemment. L’un qui tente de ne pas prendre parti, quand l’autre…

— Oriane a peut-être elle aussi besoin de soutien et n’en voit pas la couleur, soufflé-je en lui passant le saladier. Il faut vraiment qu’on parle de ça maintenant, devant tes parents et notre fils ?

— Vous savez, la communication, il n’y a que ça de vrai, nous assène Léon de son ton professoral. Mais effectivement, à table, ce n’est pas forcément le meilleur endroit. J’espère que vous n’attendrez pas trop longtemps pour vous dire ce qu’il faut pour qu’on retrouve le joli petit couple que vous formez habituellement.

— Je suis très fière de Louis, évidemment, et je pense t’avoir soutenu jusqu’à présent, mais je ne peux pas le faire quand ça a un impact sur Robin. Nous sommes parents, ça a des conséquences, et ces derniers temps, l’agence prend trop de place dans notre vie de famille. Je te l’ai déjà dit et redit, je comprends ta volonté de faire évoluer ton entreprise et c’est tout à ton honneur.

— J’ai toujours été là pour Robin et tu le sais. Là, c’est juste l’affaire de quelques mois et ça ira mieux. Bref, on ne va pas se disputer devant tout le monde, en effet, répond-il froidement.

L’affaire de quelques mois… Comme si notre vie à nous pouvait s’arrêter le temps qu’il mène son affaire tranquillement. La vie continue autour de lui, mais il semblerait qu’il préfère en être spectateur. Quoiqu’il faudrait qu’il s’y intéresse vraiment pour avoir ce rôle-là. Et puis, il y a toujours quelque chose qui vient s’ajouter. Il y a une semaine il me disait qu’une fois son nouvel agent immobilier embauché, il aurait plus de temps pour nous. Aujourd’hui il faut attendre plusieurs mois. Ce sera quoi, après ?

Je ne veux pas le détester. Pas après ces dix dernières années, mais son absence me fait mal et son désintérêt pour notre vie de famille est vraiment blessant. Se rend-il seulement compte de ce qu’il manque auprès de Robin ? De ce que ça peut lui faire à lui, de ne plus voir son père autant qu’avant ?

Le silence s’installe un petit moment à table, et j’ai presque envie de remercier Christine de ne pas en rajouter une couche. Je suis pourtant certaine que ce n’est pas l’envie qui lui manque. Et moi, je n’ai qu’une hâte, remonter dans ma voiture et me retrouver seule un moment pour pouvoir évacuer ce trop-plein d’émotions qui m’a gagnée et que j’essaie de dissimuler à table. Aussi, je ne traîne pas une fois le dessert avalé. Je prends quelques minutes pour câliner mon fils, remercie mes beaux-parents pour l’accueil, reste polie en m’excusant pour l’ambiance à table, prenant encore sur moi, et pars alors que Louis est installé devant un café. Autant dire qu’il ne me trouvera pas dans notre lit ce soir. Je veux bien faire des efforts, mais j’en ai marre de m’écraser et de subir. Espérons qu’on fera mieux demain, parce que je ne donne pas cher de mon couple s’il ne fait aucun effort.

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