14. L’espion qui a tout entendu

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Hugo

Je me frotte les yeux en cette fin de journée à l’agence. Louis m’a confié l’étude des clauses du marché avec la mairie et j’ai bien avancé sur mon rapport même si je ne l’ai pas terminé. Je relis ce que j’ai déjà écrit et me dis que ça devrait finir de le rassurer sur mes compétences et ma capacité à prendre de nouveaux clients. Je me suis enfermé dans mon bureau pour faire ce travail fastidieux mais important car il va nous permettre d’élaborer notre stratégie avec tous les tenants et les aboutissants. Je regarde l’heure et vois qu’il est déjà tard, qu’il vaudrait mieux que je rentre chez moi et finisse mon travail à la maison. Ou mieux encore, que je le termine demain, après une bonne nuit de sommeil. Je me lève après avoir refermé mon ordinateur mais me stoppe quand j’entends derrière la porte la voix de Louis qui discute avec quelqu’un. A priori, vu qu’il parle de moi, il doit croire que je suis rentré chez moi. Je tends l’oreille et entrouvre ma porte pour mieux comprendre ce qu’il raconte.

— Il est bien, le petit nouveau, il ne rechigne pas à la tâche ! Je crois qu’on pourra en faire quelque chose. Bon choix, Vianney !

— Je sais, je te l’avais dit. Il a du potentiel et aime vraiment le métier. Je me vois un peu en lui, y a quelques années, donc tu vois ce que ça peut donner ! Essaie juste de ne pas trop l’épuiser comme tu l’as fait avec moi !

— Oh, il est jeune, tu sais. Ça lui fait du bien de travailler un peu ! Et nous, ça nous donne un peu plus de temps. Tu sais que ma femme m’a fait un scandale parce que je bossais trop ? Il faut que je lève un peu le pied, sinon elle va me refaire la gueule.

— Faut dire que tu passes ta vie ici, Louis. Si j’étais là aussi souvent, ma femme m’aurait déjà étripé depuis longtemps.

— Je compatis. Tu ne sais pas ce que la mienne a fait ? Elle a osé me faire le coup de dormir dans la chambre d’amis ! Je peux te dire que j’ai ramé pour qu’elle retrouve un peu la raison. Je crois que ce sont ses hormones qui la font s’énerver comme ça…

— Ses hormones ? Attends, je croyais que vous n’arriviez pas à avoir un autre enfant ? Elle est enceinte ?

— Ah non, il n’y a pas de risque pour ça, vu que ça fait des semaines qu’elle ne me laissait plus la toucher. Enfin, ça c’était avant la nuit dernière ! Quelques mots doux, un petit bisou et hop, ça a été la fête ! Je peux te dire que ça valait le coup de jouer au romantique éperdu d’amour ! Purée, que j’ai pris mon pied !

— T’es chié, quand même, rit Vianney. Je sais que c’est compliqué entre vous, mais ta femme est une crème et vous formez une jolie petite famille. Tu devrais vraiment lâcher un peu du lest sur l’agence, on ne coulera pas pour autant.

— Tu parles que c’est une crème. Elle est collante, parfois… Elle croit qu’il n’y a qu’elle qui est importante… Elle ne se rend pas compte qu’ici, c’est notre avenir qui se joue ! Allez, viens, on va fêter ma nuit de folie. Je t’offre une bière au café d’en face ?

— Tu ne devrais pas plutôt rentrer chez toi ? Vite fait alors, la bière, contrairement à toi, apparemment, moi j’ai hâte de retrouver ma moitié.

Je les entends s’éloigner et peux enfin sortir de mon bureau. Je suis en rage contre Louis. Quelle ordure ! Se moquer d’une femme comme Oriane ! Tout ça pour qu’elle accepte de recoucher avec lui. N’importe quoi ! Durant leur conversation, à plusieurs reprises, j’ai failli sortir et lui gueuler dessus, lui dire qu’il est un gros con, mais je n’ai pas osé. J’ai besoin de ce boulot, je ne peux pas le quitter comme ça. Et puis, sur quel motif ? Ce qu’il fait avec sa femme ne devrait pas être important, si ? Ce qui compte, c’est qu’il gère bien sa boite et qu’il trouve que je fais du bon boulot… J’ai beau essayer de me raisonner, je n’y arrive pas et c’est dans un état d’énervement pas possible que j’arrive à l’appartement. Mon colocataire m’accueille alors que je claque la porte derrière moi.

— Oulah, vas-y mollo avec cette pauvre porte, elle ne t’a rien fait. Qu’est-ce qui t’arrive ?

— C’est mon patron, c’est un gros con ! J’en reviens pas de ce qu’il a fait ! J’ai l’impression de travailler pour une ordure, et tu me connais, ce n’est pas possible, ça !

— Je croyais que tu l’appréciais ? Que c’était un bon pro, impliqué, et tout le bla-bla qui m’a fait penser qu’il était passé sous ton bureau, rit-il. Quel est le problème ? Il t’a piqué un client ?

— Non, il traite sa femme comme une merde. Une femme comme elle ! Elle est belle et lui ne s’en rend même pas compte ! Pff, ça m’énerve !

Je me débarrasse de ma veste et la jette sur le canapé avant d’aller en cuisine me servir un grand verre de vin que je pose avec force sur la table.

— Elle est… belle ? ricane-t-il. Parce que si elle était moche, ça changerait quelque chose ? Attends, tu parles de la nana qu’on a croisée l’autre jour, c’est ça ?

— Oui, la jolie brune qui était au café. Tu es d’accord, elle est vraiment jolie, non ? Et lui, tout ce qu’il pense, c’est lui mentir pour la mettre dans son lit !

— Ouais, ouais, je confirme qu’elle est jolie, faudrait être difficile pour dire le contraire. T’as jamais menti à une nana pour la coller dans ton lit, toi ? Et puis, t’es pas dans leur couple, si ça se trouve, c’est la reine des emmerdeuses et c’est pas lui le gros con.

— Attends, le coupé-je. C’est lui qui a dit à Vianney qu’il avait joué au romantique pour la calmer. Et elle, elle n’y a vu que du feu. La pauvre. Tu imagines si elle apprend ça ? Peut-être qu’il faudrait que je lui dise, non ? Que quelqu’un soit enfin honnête avec elle.

— Wow, mais ça va pas ? Tu veux te faire virer avant la fin de ta période d’essai ou quoi ? Et puis, pourquoi tu veux te mêler de tout ça ? Ça ne te regarde pas, Hugo, fais pas n’importe quoi.

— Mais Oriane… Tu te rends compte ? Elle est si innocente… Ce n’est pas juste… commencé-je avant de m’arrêter devant son air goguenard. Quoi ? l’attaqué-je. Si tu as quelque chose à dire, dis-le !

— T’as flashé sur la femme du patron, toi ! ricane-t-il. T’as les yeux qui pétillent comme une gonzesse devant un stripteaser sapé en flic, menottes à la main !

— Mais non, n’importe quoi, grogné-je en allant m’affaler dans le canapé. Pourquoi tu dis ça ?

— Allez, pas à moi, Hugo ! Tu peux leurrer qui tu veux, je te connais. Si t’es pas intéressé, ça veut dire que je peux tenter ma chance, moi ? J’irais bien traîner à ton agence histoire de la recroiser.

— Non ! crié-je presque avant de m’interrompre et d’éclater de rire avec lui. Bon, d’accord, peut-être que j’ai un peu flashé sur elle… Mais elle est mariée, il faut que je sois raisonnable.

— Tu devrais, ouais… Mais bon, d’après toi, elle est mariée à un gros con, non ?

— Oui, ça, c’est sûr, mais bon, ce n’est pas à moi de juger… Je n’ai pas à m’immiscer dans leurs histoires de couple…

— Non, c’est clair. Surtout si tu veux garder ton job. Ils ont un gosse en plus, tu te retrouverais beau-père, pouffe-t-il, la blague.

Je ne réponds pas mais réfléchis effectivement à la situation. Je crois que je suis dans la merde, là. Parce que j’ai beau y réfléchir, ça ne me dérangerait peut-être pas tant que ça d’être beau-père si la mère est aussi attirante… Il faut que je me calme, en tout cas. Je fais quoi si Louis me capte en train de reluquer son épouse ? Ou s’il me demande pourquoi je suis aussi tendu avec lui ? Je ne peux quand même pas lui dire que j’ai écouté et tout entendu ce qu’il a dit à notre collègue ! Bien que sa façon de voir les femmes et son manque de respect envers elles soient horribles. Franchement, même si ce n’était pas Oriane, je crois que ça m’énerverait autant. Je vais devoir faire un effort surhumain pour ne pas lui faire un petit cours de féminisme…

— Tu me conseilles quoi, alors ? demandé-je doucement. J’arrête d’y penser en claquant des doigts ?

— Bon dieu, t’es vraiment en train de réfléchir à la chose ? Qu’est-ce que tu sais d’elle, Hugo ? A part qu’effectivement, elle est canon et que la voir à poil te plairait bien. Tu veux quoi, la dévergonder en tirant un coup ? Ou t’es frappé au point d’imaginer un truc plus sérieux avec une femme mariée ?

— Non, je ne réfléchis pas. Ça ne sert à rien de fantasmer. Je vais plutôt appeler Rebecca et voir si elle est toujours intéressée par un petit rendez-vous. Ça me changera les idées, au moins.

— Ah ouais ? Tu vas te remettre en selle au pieu avec ta responsable aux Restos, en pensant à la femme du patron ? T’es tordu, mec, rit David. Pas sûr que ce soit la meilleure façon de faire.

— Mais non, je vais lui donner une chance, elle en pince pour moi. Peut-être que ça va le faire.

— Hum… Comme tu veux. Donc, tu claques des doigts et tu arrêtes de penser à la jolie mère de famille. Bien joué, t’es fort ! Tu me diras si ça marche.

Je ne sais pas si ça va marcher, mais ça vaut le coup d’essayer. Je prends mon téléphone et envoie un petit message à la jolie blonde des Restos pour l’inviter. Elle ne tarde pas à me répondre qu’elle reste intéressée mais qu’on en discutera à mon prochain passage au magasin. Elle termine son message avec plein de bisous. Dans d’autres circonstances, je crois que cela aurait pu m’exciter et me lancer dans des messages un peu plus osés. Là, je me contente de reposer mon téléphone et de penser à Oriane. La femme de mon patron. Si belle et si inaccessible. Putain de vie mal faite.

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