18. L’exigence des clients heureux
Hugo
Je termine de traiter les mails arrivés pendant la soirée d’hier et la nuit. C’est fou à quelle heure certaines personnes vont se coucher. Moi, il ne me viendrait pas à l’esprit de me mettre sur le site d’une agence immobilière à deux heures du matin pour contacter les équipes afin de visiter un appartement. Il faut dormir, la nuit, mes cocos. Ou alors batifoler ! Enfin, je ne devrais pas me plaindre, c’est ça qui me donne du boulot. J’ai planifié pas mal de visites et je me dis qu’avec tout ça, je devrais bientôt réussir à faire ma première vente. La commission m’attend !
Je me décide à prendre une petite pause et je vais discuter avec Etienne, mon collègue, qui connaît tous les ragots de la boîte. Quand je veux savoir un truc, il suffit de tendre l’oreille et tôt ou tard, il me donne toutes les informations dont j’ai besoin. Une vraie commère !
— Ah, la, la, quelle matinée ! Je crois que ma tête va exploser ! Tout ça pour que les clients trouvent qu’il y a trop de blanc sur les murs ou que le quartier n’est pas calme car une mobylette passe dans la rue quand on fait la visite…
— Que veux-tu, le client est roi ! Et exigeant. D’un autre côté, vu le fric que coûte un bien immobilier, ils peuvent se le permettre, j’imagine. Tu t’en sors ?
— Oui, ça va, mais je n’ai pas encore réussi la grosse vente qui va tout lancer. On dirait que l’on ne me confie que les clients qui ont des problèmes !
— Oh, Louis et Vianney doivent te tester un peu, rien de bien méchant. J’ai pas mal galéré pour faire ma première grosse vente. Vianney m’avait collé ses parents comme clients, je crois qu’ils auraient pu faire carrière à Hollywood, je te jure. Des divas, douées pour bien m’enquiquiner, rit-il.
— Ses parents ? Il n’a pas voulu gérer l’affaire lui-même ?
— Surtout pas, je te l’ai dit, ils étaient chiants comme pas possible ! Comment peut-on trouver une pièce de vie trop lumineuse, Hugo, dis-moi ? Qu’ils aillent vivre dans une longère, s’ils sont des vampires, grimace-t-il.
— C’est clair ! ris-je. Bon, je ne vais pas t’embêter plus longtemps, je te laisse bosser. A plus tard.
Je n’ai pas réussi à amener le sujet d’Oriane sur le tapis, il faudra que je revienne à la charge. Ce n’est que partie remise parce que, si je manœuvre bien, il me dira tout ce qu’il sait sur comment va leur couple en ce moment ou leur dernière sortie. N’importe quelle information est bonne à prendre, tellement je suis obsédé par la jolie brune…
Je retourne à mon poste de travail et m’occupe de préparer les dossiers de visite en y incluant tous les documents pour les diagnostics énergétiques et autres. Je n’ai pas terminé que j’entends frapper à ma porte et je vois la tête de Louis apparaître dans l’embrasure.
— Il faut que je te voie quelques minutes, j’ai des clients à te confier… Plutôt me couper une jambe que de m’occuper d’eux, soupire-t-il en venant s’asseoir en face de moi.
— Ils sont là, en bas ? Ce ne sont pas tes parents, quand même ? ne puis-je me retenir de demander.
— Etienne est définitivement trop bavard, ricane-t-il. Non, il s’agit de la meilleure amie de ma femme. Une sacrée… nana. Insupportable à souhait. Elle ne m’apprécie guère et je le lui rends bien. Je ne sais même pas pourquoi elle veut passer par mon agence, mais ça confirme qu’elle est folle.
— Elle sait qu’on est les meilleurs ? tenté-je d’expliquer en faisant un peu mousser mon chef.
— Hum… Ou elle veut me pourrir la vie parce que ma femme doit pourrir la sienne à force de se plaindre de moi, marmonne-t-il.
Je préfère ne pas rebondir sur ce sujet trop piégeux à mon goût et lui repose la question à laquelle il n’a pas répondu.
— Et donc, ils sont là, en bas, ou il faut que je les appelle et prenne un rendez-vous ?
— Non, ils sont là. Ils t’attendent. Bon, je dramatise, ne prends pas peur, hein ? C’est juste que je dois supporter cette folle assez souvent comme ça.
— Eh bien, je vais aller les voir, je ne suis pas du genre à avoir peur, surtout des amis de ta femme ! Et puis, tu me surveilles et interviendras s’ils se mettent à me crier dessus, non ?
— Pas sûr, ça pourrait être drôle à voir, sourit-il.
Je descends avec lui et tombe sur un jeune couple dont la femme, une petite rousse bien énergique, bondit sur ses pieds à mon arrivée, entraînant avec elle son compagnon ou mari qui suit sans rechigner. Je vois tout de suite qui va être le décideur dans l’achat. Mon patron fait les présentations.
— Rachel, Mathieu, je vous présente Hugo. C’est lui qui va vous accompagner dans la recherche de votre nid douillet. Hugo, je te charge de les bichonner, trouve-leur un bien à la hauteur de leurs espérances, sans quoi je risque le dépeçage, et je ne sais pas si ce sera par ma femme ou sa meilleure amie.
— Un travail d’équipe, assurément, tu connais ça toi, non ? Enfin, à l’agence au moins, lui lance Rachel avant de me tendre la main. Enchantée, Hugo, et merci de vous occuper de nous.
— Ce sera avec plaisir. Vous venez m’expliquer un peu votre projet ? demandé-je en les attirant vers le bureau d’accueil. Je suis sûr qu’on va trouver la perle rare pour vous rendre heureux ! Un petit nid d’amour et de confort.
— Oh, ce n’est pas bien compliqué, vous savez. Nous cherchons une petite maison en centre-ville, quatre chambres dans l’idéal, ou avec un bureau que l’on pourrait transformer en petite chambre. Un jardin, une grande pièce de vie, pas de bar dans la rue ou de restaurant. On évite le port, surtout, du coup. Quelque chose de propre, au moins en ce qui concerne l’isolation. Double vitrage, quoi. Mathieu ne rechigne pas à faire des travaux, mais on aimerait autant éviter un gros chantier.
Je souris en entendant la liste et m’amuse de voir le regard résigné de son compagnon.
— Et pour le prix, c’est quoi votre budget pour cette maison idéale digne de figurer dans une revue immobilière ?
— Cinq-cent-mille, ce qui va certainement nous obliger à réduire les critères, intervient Mathieu. Mais elle est têtue, alors je vous souhaite bien du courage.
— Mais non, mon Lapin, je suis sûre que c’est faisable !
— Sinon, nous sommes prêts à nous éloigner du centre-ville, à avoir une grande cour, pas de voisins mitoyens, pas de voitures sous notre fenêtre aussi…
— En dernier recours, soupire Rachel. Je veux rester près d’Oriane et Robin, tu le sais.
— Au moins, vous savez ce que vous voulez ! ris-je. Et votre budget n’est pas déconnant, même si trouver la perle rare ne va pas être chose facile. Vous voulez voir ce qu’on a en stock et essayer de trouver une résidence qui pourrait vous faire envie ?
— Allez, sourit-elle en se redressant, affichant clairement son excitation. Et, si je peux me permettre, Hugo, Robin a raison, vous êtes beau garçon.
— Beau garçon ? ricane Mathieu. Tu parles comme ma grand-mère, ma Puce.
— Je reprends les mots de mon filleul. Chez moi, ça donnerait : vous êtes un putain de canon, merde !
— Rach…
— Ta faute, mon Lapin ! Bon, on regarde ces maisons ?
— Je sens qu’on va bien s’entendre, si vous me donnez de jolis surnoms comme ça ! Mais vous savez, je ne suis que l’intermédiaire, ce n’est pas moi qui fixe les prix ! Cela ne suffira pas dans vos négociations avec les propriétaires actuels !
— Oh, je suis sûre que vous pourrez jouer de vos charmes pour nous avoir une petite ristourne, minaude-t-elle.
— C’est gênant, Rach, soupire son compagnon. Je suis désolé, elle raconte beaucoup d’âneries, mais elle est adorable et bourrée de qualités.
Ah s'il savait comme je sais bien jouer de mes charmes, il serait peut-être d’accord avec sa femme.
— Ce genre d’âneries ne me dérange pas du tout, rétorqué-je en leur offrant mon meilleur sourire avant de tourner l’écran d’ordinateur vers eux. Je suppose que vous avez déjà vu toutes les maisons que nous avons en ligne et que vous n’avez pas trouvé votre bonheur ? Parce que j’ai là une proposition que nous n’avons pas encore mise sur le site Internet mais qui semble être un vrai petit bijou qui pourrait bien vous plaire !
— Il manque les colombages, soupire Rachel.
— Ah oui ! Elle a oublié les colombages dans sa liste, soupire Mathieu en me lançant un regard désolé. Nous vivons en Normandie, il faut une maison bourrée de charme, bla-bla-bla.
— Mathieu ! Arrête de te moquer !
— Ecoutez, je vous propose de prendre un rendez-vous pour voir cette belle demeure dont je vais retarder la publication sur Internet pour vous laisser une chance, et moi, de mon côté, je vais faire mon travail et prospecter pour trouver l’endroit de vos rêves.
— Non, non, je veux des colombages, gémit-elle.
— Bon sang, Rach, fais un effort, elle est jolie, cette maison. Certaines dans le style typique le sont moins. Je comprends pourquoi Ori rechignait à t’accompagner trouver ta robe !
— Et puis, je ne vous demande pas de l’acheter, mais ça vous servira à avoir des idées, à affiner votre projet et moi, je pourrai mieux comprendre vos besoins. Ce ne sera pas du temps perdu, croyez-moi, même si vous ne la prenez pas !
— Bon, bon, d’accord… Si ça avait été une proposition de Louis, il aurait pu se la mettre où je pense, mais… je vous fais confiance.
Eh bien, mon patron n’a pas l’air en odeur de sainteté avec elle. J’adore son caractère en tout cas et je souhaite bien du courage à Mathieu qui doit la supporter au quotidien. Elle est adorable, vraiment sympathique, mais ça ne doit pas être de tout repos de vivre avec elle. Il faut vraiment que je leur trouve la belle maison de leurs rêves, non seulement parce que c’est mon travail et que j’adore rendre heureux les clients qui me font confiance, mais aussi parce que cela lui permettra de raconter à Oriane à quel point je suis compétent. C’est une situation où tout le monde sera gagnant, il ne faut plus que je perde de temps !
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