23. La piscine aux surprises

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Oriane

J’enchaîne les longueurs de bassin depuis une dizaine de minutes en tentant de me vider la tête de tout ce trop-plein qui m’a empêchée de dormir une partie de la nuit. La piscine municipale n’est pas très jolie, il faut l’admettre, et pas non plus très aménagée. Oh, il y a l’essentiel : un bassin. Il n’y a pas beaucoup de monde aujourd’hui, il faut dire que le temps est agréable dehors et que beaucoup ont semble-t-il privilégié la plage. Parfait.

Du coin de l’œil, j’observe Robin, occupé à jouer à la balle avec Rachel. Lui est comme un poisson dans l’eau. Il adore nager et s’éclater, quand je reste méfiante de chaque vague, de chaque personne qui passe à mes côtés et pourrait me donner la sensation de ne plus maîtriser mes brasses, de couler. Oui, j’ai peur de l’eau, un comble pour une Normande qui vit en bord de mer. Le pire, c’est que j’aime nager. Si je pouvais privatiser la piscine, ce serait parfait, mais je fais avec et, aujourd’hui, j’ai besoin de ça.

Je n’arrête pas de repenser à ce que Hugo m’a dit, hier après-midi. Honnêtement, ce début de semaine est vraiment dingue. Entre mon réveil d’hier matin, familial et avec un Louis complètement surprenant, la visite de la maison avec Rachel et Mathieu et les mots échangés avec l’agent immobilier… sans parler du message de mon mari qui, à dix-huit heures tapantes, m’a prévenue qu’il rentrait et apportait le dîner… J’en suis vraiment à me questionner sur cette réalité parallèle. Le pire, dans tout ça, c’est que je n’ai même pas profité à cent pour cent de cette soirée d’hier. La culpabilité m’a rongée de l’intérieur. J’ai retrouvé mon Louis. Ordinateur au placard, téléphone posé toute la soirée dans un coin de la pièce, jeux de société avec Robin, sourires et rires… C’était totalement inespéré et ça n’a fait que renforcer mon malaise. Pendant que lui fait des efforts, moi je flirte avec son employé. Et quel employé… J’aurais pu craquer, hier, réellement. Je me suis fait peur, mais bon sang, j’ai eu la sensation que mon corps se réveillait d’une longue hibernation à proximité du sien. Et ce regard… Quand Hugo m’observe, je me sens belle, importante et digne d’intérêt, tout ce qui me manque ces derniers temps à la maison. Et il me plaît, vraiment. C’est là que c’est réellement dangereux.

Je ne rejoins Robin et Rachel que lorsque mes muscles deviennent douloureux d’avoir été trop sollicités. Nous jouons un petit moment tous les trois avant que mon fils décide d’aller profiter du couloir de nage, et Rach et moi nous adossons au bord de la piscine en battant des pieds.

— Alors, vous avez fait une offre pour la maison ? Elle est vraiment jolie, tu avais l’air sous le charme.

— On a juste appelé Hugo pour lui dire qu’on était très intéressés, mais on doit attendre le rendez-vous avec la banque après-demain, pour confirmer notre possibilité de faire une offre d’achat avec l’acceptation du prêt. C’est fou la paperasse qu’il faut pour ce genre de démarches…

— C’est vrai que ce n’est pas une mince affaire… J’ai un peu d’argent de côté avec mes contrats, si vous avez besoin, pour le mariage ou… j’en sais rien. Bref, n’hésite pas, autant qu’il serve à quelque chose. Je ne voudrais pas que vous passiez à côté de votre cocon pour quelques milliers d’euros. Quand Hugo a dit qu’elle était hors budget, j’imaginais que ce serait de plus que ça, honnêtement, et que ça freinerait carrément les choses. Mais pour si peu, ce serait dommage. Enfin, si peu par rapport au prix d’une maison, tu me comprends, ris-je.

— Non, ça va aller. Et Hugo est vraiment super, en plus d’être canon. Il a réussi à faire descendre le prix demandé par les propriétaires actuels. C’est vraiment un chouette type, je trouve.

— Oui, je trouve aussi, soupiré-je. Louis est rentré tôt, hier soir. Il a ramené le dîner et on a passé une soirée comme avant… Je crois que lundi soir lui a vraiment fait comprendre que j’étais à bout.

— Il serait temps qu’il se bouge un peu. Depuis que je te connais, tu n’as jamais été aussi à bout que ça. J’espère qu’il va continuer ses efforts et que tout ça ne va pas retomber comme un soufflet.

— J’espère aussi. Robin était aux anges, hier, je n’ai pas envie qu’il soit déçu. L’ambiance était trop pesante à la maison, il le ressentait et je déteste ça… Il t’en a parlé ? Je sais qu’il se confie à toi, parfois…

— Il m’a dit que vous étiez tristes tous les deux, mais sans plus. Tu sais qu’il est pudique et réservé sur ces questions, même avec moi.

— Hum… Ne fais pas d’enfant, Rach, c’est carrément trop angoissant. Je passe mon temps à m’inquiéter pour lui, et je risque de finir en prison avant sa majorité. J’aurais pu lui faire manger ses dents, à la directrice, sérieusement. Et j’ai envie de castrer Louis chaque fois que Robin est triste à cause de son attitude. J’ai l’impression d’être folle chaque fois qu’il s’agit de lui.

— Oui, tu es vraiment folle, je confirme ! Je ne vais pas acheter une grande maison et la laisser vide ! Je veux des enfants, surtout s’ils sont aussi mignons que ton Robin !

Je souris et observe mon fils avec, je le sais, un air niais. J’ai tellement paniqué lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai eu si peur d’être aussi défaillante que ma mère, incapable de m’occuper de mon enfant, de lui apporter la stabilité d’une famille ou d’un environnement sain… Alors oui, peut-être que je suis dans l’extrême, à l’opposé total de ma génitrice, mais je crois que c’est préférable à ce que j’ai vécu. Évidemment, son handicap m’a poussée à le protéger et le couver plus que je ne l’aurais sans doute fait. Quoique… Je ne m’imaginais pas mère, j’avais trop peur de reproduire les erreurs de la mienne, mais il n’était même pas encore dans mes bras que je savais que ça ne serait pas le cas. J’ai tout sacrifié pour lui, sans aucun regret. Pour lui offrir cette famille, pour qu’il ait les meilleures chances de grandir comme un enfant “ordinaire”, comme ils disent. Et aujourd’hui… j’ai eu envie de penser à moi avant tout, et ça me fait peur.

— Rach… Je… j’ai embrassé un autre homme, soufflé-je après un moment de ce silence confortable dont nous avons l’habitude quand elle n’est pas un moulin à paroles excité.

— Comment ça, embrasser ? Genre sur la bouche ? Avec la langue et le pelotage en règle ? Et tu as fait ça quand ? Avec qui ? me bombarde-t-elle de questions en haussant les sourcils.

— Je suis sortie le soir de l’exclusion de Robin, la semaine dernière. Louis venait de me dire qu’il ne pouvait pas se libérer vendredi, ça m’a mise hors de moi et j’ai eu besoin de prendre l’air. Je l’ai croisé sur le port, il m’a invitée à boire un verre et m’a raccompagnée à la maison… Ça faisait longtemps que je n’avais pas écouté mes hormones, disons qu’elles se sont bien réveillées en sa présence, soupiré-je. Le problème, c’est que je le vois trop souvent pour juste me dire que je peux passer outre… Il me plaît, Rach, vraiment.

Je sais que je peux lui faire confiance, déjà parce que Rachel n’est pas fan de Louis, mais aussi parce qu’on se connaît depuis si longtemps qu’elle est au courant de presque toute ma vie. Elle sait d’où je viens, ce qui m’est arrivé. Elle sait que Robin est un accident, elle a été là pour moi. Il n’y a que notre petit secret familial qui lui est inconnu, parce que j’avais honte, et aussi parce que j’étais sûre, à l’époque, qu’elle m’aurait dissuadée de le faire. Jusqu’à Mathieu, Rach a toujours été une femme indépendante. Une mère célibataire ? Elle n’aurait pas vu de problème à ça. Moi, quand j’ai entendu le médecin me dire que mon fils était sourd, j’ai su que j’avais pris la bonne décision.

— Tu le vois trop souvent ? Mais c'est qui ? Ce n'est quand même pas le boulanger ! Tu as vu son ventre ? Et il te plaît au point de tout quitter ?

— Si je te dis que tu m’as obligée à le voir hier en m’embarquant avec toi pour la visite, tu vois de qui il s’agit ? grimacé-je alors qu’elle ouvre grand la bouche, prête à gober les mouches.

— Oh putain, tu as craqué sur le beau gosse ? J'en reviens pas ! Et alors, il embrasse bien ? Ça vaut le coup d'essayer ?

— Quoi ? Mais… je ne vais pas tromper Louis, t’es folle ! Je… Merde, Rach, me dis pas ça, j’ai déjà le cerveau dans tous les sens, j’ai besoin de toi pour ne pas flancher.

— Ah, parce que ce n'était pas qu'un bisou ? Si Louis redevient comme avant, ça devrait t'aider à tenir, non ?

Ça devrait… Techniquement, oui. Sauf que… mon corps ne s’est jamais autant emballé pour Louis. J’ai eu l’impression de redevenir une ado, hier, avec les hormones en ébullition et l’attrait de l’interdit. Oui, clairement, l’attention de Hugo me fait quelque chose.

— Sans doute, tu as raison. Le problème, c’est que Hugo m’a clairement dit qu’il était prêt à prendre le risque, et qu’il pouvait attendre. Que je pouvais compter sur lui en tant qu’ami, mais que si je voulais plus… je n’avais qu’un mot à dire. Merde, Rach, me retrouver dans ses bras m’a totalement chamboulée.

— Il t'a dit tout ça ? Mais… il se rend compte de la situation dans laquelle il te met ? Tu veux que j'aille lui parler et lui demander de te laisser tranquille ?

— Non, non ! Ne fais pas ça, t’es dingue ! Je… je sais me tenir, ça va le faire, c’est juste que… Bon sang, ça fait du bien de se sentir désirée et considérée, tu comprends ? Ces derniers temps, Louis ne pense plus qu’à l’agence, alors, forcément, un homme qui me considère avec intérêt… J’imagine que ça biaise totalement mes émotions, tu vois ?

— Tu voudrais que je fasse quoi pour t'aider, ma biche ? J'offre un petit cours de sexe tantrique à ton mari pour raviver la flamme ?

J’ai l’impression d’avoir une hallucination à cet instant. Comme si parler de Louis l’avait fait apparaître de l’autre côté du bassin, dans son petit slip de bain noir moulant tout ce qui peut l’être. Sauf que c’est tout sauf une hallucination, il est bien là. Il a fait un effort supplémentaire, il s’est dégagé du temps pour venir partager ce moment avec Robin et moi… Mon dieu, je suis une épouse effroyable.

— Louis est là, soufflé-je à mon amie alors que mon mari plonge dans le bassin. Je veux que tu me rappelles que je suis mariée et que je ne dois pas flancher si je te dis que je suis à deux doigts de le faire. Juste ça… Je ne peux pas faire ça à Louis, pas après toutes ces années.

Rach n’a pas le temps de me répondre que ma moitié sort la tête de l’eau à quelques centimètres de moi. Il me lance ce petit sourire bright qui faisait fondre toutes les filles quand nous étions ados, et qui doit encore bien fonctionner aujourd’hui, hoche la tête en direction de ma meilleure amie pour la saluer tout en m’emprisonnant entre ses bras. Nos corps se pressent l’un contre l’autre en même temps que sa bouche prend d’assaut la mienne, pour un baiser qui se veut tendre, mais a un goût d’urgence. C’est agréable, très agréable, même… et pourtant, ça ne me fait pas l’effet escompté, à mon avis.

— Qu’est-ce que tu fais là ? souris-je en passant ma main dans ses cheveux dégoulinants pour les ramener vers l’arrière alors qu’il reste contre moi.

— Je me suis dit que ça vous ferait plaisir de me voir, alors me voilà ! Tout simplement ! J’essaie de respecter mes bonnes résolutions, tu vois ?

Je souris. Impossible de faire autrement, surtout que je viens de voir Robin repérer son père et se précipiter dans notre direction, dans un crawl bien plus maîtrisé que je n’en serai jamais capable.

— Tu viens de faire un heureux, et fais attention, il arrive et il a l’air déterminé à profiter de ce moment, ris-je. Merci, Chéri…

— J’espère que ça te fait plaisir aussi, répond-il en se tournant vers Robin qui s’accroche à son cou à peine arrivé à notre hauteur.

Est-ce que ça me rend heureuse ? Bien évidemment. Ces moments en famille me font un bien fou, et voir le sourire de Robin me comble de bonheur. C’est tellement agréable de les voir jouer tous les deux que je me nourris de ces images.

— Tu vois, Rach, je te demande juste de m’aider à conserver ça intact, soufflé-je finalement. Même si c’est compliqué entre Louis et moi, j’ai besoin que Robin vive entouré de ses deux parents… Le reste… ce n’est pas très important.

— Si tu crois que ça peut te suffire, je vais faire mon possible pour t’aider, oui. Mais essaie de ne pas trop t’oublier quand même.

M’oublier ? Je crois que ça fait un moment que mes pensées sont essentiellement centrées sur Robin et Louis. J’ai recommencé à penser à moi quand j’ai décidé de reprendre le graphisme. Je l’ai dit, je fais sans doute tout dans l’extrême, et le contraire total de ce que j’ai vécu avec ma mère. Mon exemple est tellement merdique qu’il m’a appris tout ce que je ne devais pas faire. Ce qui veut dire penser à Robin avant tout. Et moi… on verra plus tard, non ?

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