38. Meetic à la maison
Hugo
— Arrête de déprimer, mon Pote, on dirait que tu vas un enterrement, là !
Je regarde David et essaie de lui faire un sourire, mais le cœur n’y est pas. Depuis le déjeuner sur la plage avec Oriane, j’avoue que c’est compliqué pour moi. Peut-être que je m’étais trop projeté avec elle, mais en tout cas, le fait qu’elle m’ait dit que rien n’était possible entre nous et qu’elle ne pouvait me donner que de l’amitié n’a rien fait pour me booster. Heureusement que mes entraînements se passent bien, c’est bien la seule chose qui n’est pas en train de dérailler en ce moment.
— J’ai pas envie d’aller chez mes parents, je préfèrerais passer la soirée ici, tranquille. Ou au club pour t’admirer faire chavirer les cœurs de ces jeunes femmes en folie.
— Arrête, tes parents sont adorables ! Je te les échange contre les miens sans me poser de questions, je t’assure ! Tu me ramèneras une part de tarte ?
— Oui, bien sûr. Un repas chez eux où je reviens sans avoir pris dix kilos et ramené cinquante trucs à bouffer, ça ne serait pas normal. Je suis sûr que ma mère a fait une tarte au sucre, en plus, elle sait que tu adores ça. Tu es sûr que tu ne veux pas te faire remplacer au Lotus Club et venir avec moi ?
— Non, je peux pas. Si je veux m’acheter ma bécane, il faut que je bosse à fond, tu sais bien. Tu feras un gros bisou à ta mère, bien baveux, et tu lui rappelles que si elle veut quitter ton père, je l’accueille dans la seconde, me charrie-t-il en me tapotant l’épaule, le sourire aux lèvres.
— Ouais, c’est ça, futur beau-papa. A ce soir après ton show. Tu me raconteras !
— Compte sur moi, mon Bichon ! Amuse-toi bien !
Je récupère mes clés et file pour me rendre chez mes parents et arriver à l’heure, pour éviter qu’ils ne râlent trop. Et quand à dix-neuf heures pile, je me gare devant chez eux, je suis soulagé de voir que la soirée ne va pas commencer par des reproches. Lorsque ma mère ouvre la porte, je l’embrasse et la serre dans mes bras.
— Salut Maman, tu es toute en beauté, ce soir ! J’ai oublié un anniversaire ou une fête ?
— Parce que je ne suis pas toute en beauté d’habitude ? grimace-t-elle en me tirant l’oreille. Tu sais parler aux femmes, toi, ça fait peur !
— Tu es toujours magnifique, mais tu ne mets pas du rouge à lèvres à chaque fois que je viens te voir non plus ! me moqué-je en la suivant vers le salon.
— C’est parce que nous ne serons pas que tous les trois, ce soir, mon Chéri. La jolie Annabelle est de retour chez ses parents, et ils sont absents ce soir, alors je lui ai proposé de venir dîner avec nous.
Oh non, ça sent le traquenard, ça. La “jolie” Annabelle ? La dernière fois que je l’ai vue, elle devait avoir neuf ou dix ans. Elle ne doit pas avoir plus de vingt-deux ou vingt-trois ans aujourd’hui et, si elle est invitée, c’est qu’elle pourrait postuler au rôle de meilleure belle-fille. Vive la soirée galère.
— Elle était quand même un peu bouboule la dernière fois que je l’ai vue, commencé-je avant de me taire brusquement quand je vois qu’elle est déjà arrivée et installée sur le canapé.
Eh bien, ça commence bien, avec cette bourde et c’est tout rougissant que je m’approche d’elle. Elle n’est plus du tout enrobée et c’est même une charmante jeune femme qui se lève et me fait la bise.
— Désolé, Annabelle, tu as bien changé depuis l’école primaire.
— Oui, toi aussi. Tu étais quand même un peu maigrichon, la dernière fois que je t’ai vu… Dans mes souvenirs, tu avais aussi un appareil dentaire. Heureusement que les années nous filent parfois un coup de main, hein ? rit-elle.
— Oui, je confirme, soupiré-je en m’asseyant juste à côté d’elle après avoir embrassé mon père. J’espère que mes parents ne t’ont pas trop raconté d’histoires sur moi avant que j’arrive !
— Pourquoi, tu as des choses à cacher, Hugo ? J’ai juste eu droit au couplet des parents fiers, promis.
— Bien sûr qu’on est fiers ! On a quand même le plus beau fils du monde et le plus gentil aussi ! dit mon père, en rigolant. Tu ne pourrais pas trouver mieux ailleurs que ce grand dadais !
— Papa, je ne pense pas qu’Annabelle soit venue pour ça. Et moi non plus, d’ailleurs.
— Et alors, intervient ma mère en déposant des petits fours sur la table basse, les meilleures rencontres se font au hasard, mon grand ! Regarde, ton père et moi…
— Est-ce qu’on ose lui dire qu’il n’y a pas de hasard dans cette rencontre ? chuchote Annabelle à mon oreille.
— N’hésite pas, grommelé-je, pas ravi de la tournure des événements. J’ai horreur des coups montés comme ça, de toute façon.
— Une petite amie cachée que tu n’oses pas leur présenter ? souffle-t-elle. Ou alors… mauvaise orientation et tu n’oses pas leur avouer ?
— Non, rien de tout ça. Je suis célibataire. Je n’ai juste pas trouvé chaussure à mon pied depuis ma dernière relation. Peut-être que je suis trop exigeant ?
Ou peut-être que celle pour qui j’aurais pu flancher est mariée ? Parce que c’est clair qu’avec Oriane, j’avais réussi à l’oublier, ma Valérie, mais là, depuis que je sais que rien ne sera possible, je me dis que je suis maudit dans mes relations et que je ferais mieux de me faire moine.
— Regarde comme ils sont mignons, glousse ma mère en direction de mon père. Déjà à se faire des confidences.
— Fiche leur la paix, Chérie. Je peux t’assurer que ce qu’ils se disent n’est pas du tout romantique.
— C’est pas possible, Hugo, fais un effort ! me sermonne ma mère.
— Oh, ça va, hein ? Je ne suis pas venu ici pour conter fleurette, non plus. Et je reste sympathique avec notre invitée, n’est-ce pas, Annabelle ?
— Bien sûr ! Une fois qu’il a arrêté de me traiter de boulotte, votre fils est devenu une crème !
— Je sais être poli, quand même. Je n’ai pas tous les défauts.
— Bien sûr que non, mon Chéri, ce n’est pas ce que je veux dire. Mais il va bien falloir que tu ouvres ton petit cœur à une autre femme, un jour ! Valérie était géniale, mais tu ne peux pas te punir bêtement toute ta vie. Tu mérites d’être choyé et aimé.
— Ta mère a raison, Fils. Ce n’est pas la trahir que de tourner la page.
— Arrêtez donc de parler d’elle ! Ce n’est ni le moment, ni l’endroit ! m’énervé-je.
— Qui était Valérie ? demande ingénument Annabelle.
— Sa petite amie, répond ma mère avec un sourire triste. Une gentille fille qui a malheureusement perdu la vie dans un accident de voiture. Hugo a été dévasté…
— Non mais ce n’est pas bientôt fini de parler comme ça de ma vie privée ? Elle est morte, laissons la tranquille ! Et moi aussi, laissez-moi tranquille ! C’est normal d’être touché par la mort de la femme qu’on aime, non ?
Dans mon énervement, je me suis levé et je fais un effort sur moi-même pour arrêter de gesticuler dans le salon de mes parents. J’essaie de retrouver mon calme et apaiser ma colère, mais c’est compliqué.
— Tu as raison, Fils, c’est tout à fait normal. Mais ça commence à faire un moment, et il serait grand temps que tu te laisses à nouveau approcher par une femme, non ?
— Mais oui, soupire ma mère. Tu mérites qu’on prenne soin de toi, enfin !
— Mais des femmes, j’en ai des dizaines qui s’approchent de moi toutes les semaines ! Si je veux, tous les soirs, je peux être dans un lit différent ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que j’ai besoin de vous pour me trouver une nana ? Que j’attends Papa, Maman pour refaire ma vie ? Non mais, je rêve, là ! Désolé, Annabelle, je n’ai rien contre toi et surtout, ne change rien à ta façon d’être. Tu es mignonne, n’en doute pas, mais je ne suis pas intéressé. Alors, je vais te souhaiter une bonne continuation et bonne chance dans la vie. Papa, Maman, bonne soirée, je m’en vais avant de dire plus de méchancetés que j’en ai déjà dit. A la semaine prochaine.
J’ai sorti ma tirade dans un souffle en allant récupérer mes clés de voiture alors que tout le monde reste figé à m’observer. Je crois que je sur-réagis mais impossible de me calmer. Quand j’ouvre la porte d’entrée, ma mère, affolée, se lève et vient me retrouver avant que je ne sorte.
— Hugo, ne conduis pas dans cet état, Chéri, calme-toi avant de partir. Je… je suis désolée, d’accord ? Je m’inquiète pour toi, c’est tout. Ton père et moi, on ne sera pas éternels, j’ai tellement peur que tu te retrouves seul et malheureux…
— Ne vous inquiétez pas pour moi, je ne suis pas malheureux. Et tu vois, je suis calmé, je suis tout à fait en état de conduire. Merci de votre sollicitude. Moi aussi, je vous aime.
J’embrasse ma mère que je serre dans mes bras et fais de même avec mon père qui nous a rejoints à l’entrée, mais je reste sur ma décision de m’éloigner et de rentrer chez moi. J’ai besoin d’être seul et surtout pas en présence d’une éventuelle prétendante au poste de copine validée par mes parents. Durant le trajet, je n’arrête pas de repenser aux derniers mots de ma mère qui résonnent en mois avec un écho profond. Après le décès de Valérie, c’est vrai que j’étais dévasté et je n’étais pas prêt à une nouvelle relation, mais je n’étais pas dans le même état d’esprit qu’aujourd’hui. Je crois que je m’étais fait à l’idée que jamais plus je ne pourrais aimer quelqu’un avec autant de force et je faisais avec. Mais là, après le rejet d’Oriane, je crois que ma mère a visé juste. Je me sens seul et malheureux. Peut-être que j’aurais dû donner une chance à Annabelle ? Ou alors, peut-être faut-il que j’insiste auprès d’Oriane ?
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