39. La victime collatérale

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Oriane

— Va jouer au salon, Trésor, s’il te plaît, signé-je avant d’ébouriffer ses cheveux. Tu peux jouer à la console.

Robin m’observe, perplexe, et je donne le change en lui souriant alors que Louis a le visage fermé face à lui. Évidemment, jouer la comédie pour me coller dans son lit ne lui pose pas de problème, mais ce n’est pas la même chose lorsqu’il s’agit de sauver les apparences devant notre fils. Bon sang, j’ai envie de lui choper les testicules pour les lui broyer, qu’il fasse la tronche pour une bonne raison.

— Maman, j’ai pas envie que vous vous disputiez. Je suis grand, je pourrai me garder tout seul.

Pourquoi est-ce que j’ai tant insisté pour qu’il apprenne à lire sur les lèvres ? Bon sang, ce gosse est trop perspicace !

— Tu as neuf ans. On ne se garde pas tout seul à cet âge. Papa et moi allons juste discuter. Va jouer, s’il te plaît.

Il nous lance tour à tour un dernier coup d’œil, soupire lourdement, et saute du tabouret pour gagner le salon. Je l’observe allumer la télévision et récupérer la manette de sa console, j’hésite à fermer la porte de la cuisine, mais ça ne ferait qu’envenimer les choses. J’essaie de retrouver mon calme et commence à débarrasser la table du déjeuner. Si j’avais su qu’un retour de Monsieur Rosenthal pour le déjeuner avant de repartir travailler finirait aussi mal, j’aurais prétendu que Robin et moi mangions chez Rachel en ce mercredi midi.

— Louis, je te rappelle que j’ai repris une activité professionnelle et que je ne compte pas tout mettre en pause pendant les grandes vacances. Donc, il faut trouver une solution pour Robin. Ce serait trop te demander que de t’arranger pour avoir un après-midi ou deux par semaine pour lui, vraiment ?

— Oui, c’est trop me demander ! Tu sais que j’ai déjà sacrifié beaucoup pour lui, mais là, je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas le mettre en centre aéré ou demander à une nounou de venir. Et peut-être qu’il a raison, il peut se garder tout seul à son âge !

— Je te rappelle que TU as choisi de t’impliquer dans sa vie, Louis ! C’était ton choix, merde ! Pourquoi tu lâches l’affaire maintenant ? Tu te rends compte de ce que ça peut lui faire, à lui ? Pourquoi ? Bon sang, pourquoi est-ce que tu t’éloignes comme ça de lui ? Il n’y est pour rien dans ce qui se passe entre nous !

— Je ne m’éloigne pas de lui et je ne lâche pas l’affaire. Tu peux m’en vouloir pour plein de choses, mais Robin est mon fils, je suis son père et je ne l’abandonne pas ! Je trouve juste qu’il faut arrêter de le materner comme tu le fais. Il grandit, il faut lui laisser un peu d’autonomie ! Il n’a plus besoin de nous comme avant !

— Il a dix ans, Louis. On ne laisse pas un enfant de dix ans seul, enfin ! Je veux bien qu’il soit autonome et débrouillard, mais faut pas pousser ! C’est un coup à se retrouver avec l’ASE sur le dos, je te le garantis !

Et je sais de quoi je parle. Bien que je sois loin du comportement de ma mère, j’ai vécu ça, moi, et hors de question que mon fils se retrouve seul et délaissé.

— Et pourquoi tu me demandes à moi de venir m’en occuper deux après-midis par semaine alors que tu sais que c’est une période cruciale pour l’agence ? Tu le fais exprès pour me mettre en porte-à-faux ? C’est ça que tu veux ? Que je sois responsable de cette dispute et que tout soit encore de ma faute ?

Je souffle lourdement et dépose brusquement la pile de vaisselle sur le plan de travail, retenant de peu les couverts qui ont semble-t-il décidé de fuir la dispute.

— Je peux savoir quelle période n’est pas cruciale pour ta foutue agence ? Je ne cherche pas à te mettre en porte-à-faux, je veux juste que mon fils passe du temps avec son père. Mais ça semble être trop te demander, bien. Ne t’inquiète pas, je prends sur moi la responsabilité de cette dispute, Louis, j’ai bêtement pensé qu’il te restait une pincée d’instinct paternel et d’amour pour ta famille. Quelle conne je suis !

Je ne m’étais même pas rendu compte que nous étions à présent debout l’un face à l’autre, mais je recule d’un pas quand je le constate et détends mes poings qui étaient serrés contre mes cuisses. Je fais volte face pour quitter la cuisine et m’arrête devant la porte du salon en constatant que Robin n’est plus là. Mon premier réflexe, stupide, est de l’appeler pour savoir où il se trouve, après quoi je monte au premier pour le rejoindre dans sa chambre. Chambre où il ne se trouve pas. Je file dans la nôtre sans grande conviction, puis monte dans mon bureau, où il aime bien se réfugier pour dessiner, quitte à me voler ma tablette et à le faire sur mon projet en cours. Sauf qu’il n’y a personne, une fois encore.

Je fais le tour des pièces de l’étage en sentant mon cœur s’affoler. C’est stupide, il doit être dans la cour, ou dans la véranda, il ne peut de toute façon pas être bien loin !

La porte de la maison se ferme lorsque j’arrive en bas des escaliers que j’ai dévalés, et je me précipite à l’extérieur pour interpeller mon mari en colère.

— Louis, attends ! Tu as vu Robin ? Il n’est pas là-haut !

— Où veux-tu qu’il soit ? Il a dû se cacher sous un lit ou peut-être qu’il est aux toilettes, non ?

Oui, sans doute. Enfin, non, pourquoi est-ce qu’il serait sous un lit ? Mince, j’ai l’impression de perdre la tête, et la boule dans mon estomac grandit dangereusement.

— Que veux-tu qu’il fiche sous un lit, bon sang ! Je… Laisse tomber, retourne bosser, je me débrouille, comme toujours, marmonné-je en faisant demi-tour.

— Attends, je vais le chercher avec toi, indique-t-il en me suivant, comprenant enfin mon inquiétude. Robin, où es-tu ? crie-t-il alors que c’est inutile.

Dans un autre contexte, j’en rirais presque. A vrai dire, j’en ai déjà ri quand, il y a quelques années, nous jouions à cache-cache et que Louis et moi ne pouvions nous empêcher de poser ce genre de questions. Aujourd’hui, l’ambiance à la maison est beaucoup moins agréable et il serait difficile de ne pas remarquer que cela perturbe parfois Robin, alors j’ai un fichu mauvais pressentiment et j’espère me tromper comme jamais.

Je traverse le salon et la véranda pour sortir dans la cour, fouillant les lieux des yeux sans parvenir à tomber sur la bouille de mon fils. En rentrant, j’entends Louis claquer les portes à l’étage, et je refais le tour du rez-de-chaussée, allant jusqu’à ouvrir le placard sous l’escalier, des fois qu’il aurait voulu s’amuser à jouer à Harry Potter… Malheureusement, personne ne s’y cache, Robin manque à l’appel, tout comme…

— Louis ? Je crois que Robin est parti, m’affolé-je. Ses baskets ne sont plus là !

— Parti ? Mais où… Il faut qu’on le retrouve ! Il ne peut pas être bien loin !

Ben voyons… Combien de temps a-t-on passé à se disputer sans se préoccuper de lui ? Il peut être arrivé sur le port comme il peut avoir pris n’importe quelle petite ruelle dans les parages.

— Ose encore me dire qu’il peut rester seul après ça, sifflé-je en récupérant mon portable avant de sortir de la maison au pas de course.

Après vingt minutes de recherches infructueuses, je suis au beau milieu d’une rue en train de composer le numéro du commissariat de police de la ville, en panique totale. Louis ne l’a pas trouvé de son côté, et je suis perdue, je ne sais plus si je dois rentrer à la maison ou continuer à chercher, prendre ma voiture ou rester à pied. La seule chose qui est certaine, c’est que je pleure comme jamais je n’ai pleuré et que je peine à expliquer à l’agent qui décroche ce qui se passe.

Je reprends le chemin de la maison, comme demandé par le policier, dans un brouillard pas possible. Il a beau faire chaud, je suis frigorifiée de l’intérieur et je m’imagine déjà mille-et-un scénarios catastrophes allant de l’enlèvement à une chute dans le port, pour ratisser large. Jamais Robin n’aurait pu partir de la maison comme ça. Du moins, jamais il ne l’aurait envisagé avant de nous voir nous déchirer quotidiennement ou presque, et ça me brise le cœur de l’imaginer malheureux et perdu à cause de nous… Je me sens terriblement coupable, c’est une horreur.

Je me retrouve prostrée dans le canapé alors qu’un agent débarque à la maison. Louis gère, je pourrais l’en remercier s’il n’était pas la moitié du problème, mais tout ce à quoi je pense, c’est mon bébé tout seul dans les rues, sans doute triste, peut-être même en colère contre nous. Est-ce qu’il a essayé d’attirer notre attention avant de quitter la maison ? Est-ce que nous l’avons ignoré ? Je m’en veux tellement.

— Oriane. ORIANE ! Ton portable !

Je sors de ma transe en fronçant les sourcils et récupère mon téléphone dans la poche arrière de mon jean. La sonnerie se coupe alors que j’ai tout juste le temps d’apercevoir le prénom qui s’affiche. Je me lève, tremblante, et sors dans la cour en rappelant Hugo, me demandant ce qu’il peut bien vouloir.

— Hugo, je suis désolée, mais je n’ai pas le temps. Robin… articulé-je difficilement, des trémolos dans la voix.

— Attends, Oriane, c’est pour ça que j’appelle. Il est là, avec moi, à l’agence, énonce-t-il rapidement, comme s’il avait peur que je lui raccroche au nez.

— Qu… Quoi ? Mais… Oh bon sang, soufflé-je en fondant à nouveau en larmes. J’ai eu tellement peur !

— Oui, il a débarqué en pleurs à l’agence. Il vient tout juste de se calmer et il m’a dit… enfin, il m’a écrit que vous vous disputiez à cause de lui et qu’il était parti pour que vous arrêtiez, énonce lentement Hugo comme s’il craignait ma réaction à ses dires.

Je me laisse tomber sur une chaise en soufflant. Evidemment que c’est notre faute. Pour quelle autre raison serait-il parti ? Mon dieu, j’ai tellement honte.

— D’accord… Je… Dis-lui que j’arrive, s’il te plaît. Je me mets en route.

Du moins, j’essaie. J’ai l’impression que mon corps pèse une tonne quand je tente de me relever et j’ai du mal à calmer mon palpitant.

— Non, ça ne sert à rien de te mettre en route, il veut que je le ramène moi-même chez vous. J’arrive tout de suite. Et comme ça, tu as le temps de prévenir Louis, aussi. J’espère que vous saurez vous retenir un peu quand nous serons là, indique-t-il et je crois deviner un soupçon de reproche dans sa voix.

— J’aimerais bien… mais tout le monde n’a pas affaire à la version patron souriant et accessible, murmuré-je, la gorge nouée avant d’inspirer et de me reprendre. Merci de le ramener. Je vous attends.

— Je sais, Oriane, précise-t-il doucement. Il faut juste que Robin ne subisse pas trop vos mésententes. Là, il n'était vraiment pas bien… Je fais au plus vite et je vous ramène votre fils. A tout de suite.

Je raccroche sans bien savoir si c’est contre lui, qui me rappelle à quel point nous merdons avec Robin, ou contre moi, que je suis en colère. Pourquoi est-ce que tout part en sucette en ce moment ? Est-ce qu’on pourrait revenir quelques années en arrière ? Juste pour vivre une journée de calme, loin des disputes, des reproches… Finalement, Louis a peut-être raison sur un point. Quand je ne pensais qu’à Robin et lui, tout allait bien à la maison. Il faut que j’arrive à trouver un juste milieu dans tout ça… Et vite.

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