40. Et ça continue encore et encore…
Hugo
Je raccroche et retourne dans la salle de réunion où j’ai laissé Robin avec Fabienne qui s’occupe de lui avec tendresse. Elle et moi sommes les deux seules personnes présentes à l’agence cet après-midi et ça tombe bien. Cela évitera que les histoires personnelles des Rosenthal soient partagées à tous les collègues et ça évitera de mettre en difficulté notre patron. Même si, personnellement, je pense qu’il le mérite un peu. Parce que vu ce que nous a appris Robin, Louis a encore fait des siennes et a énervé sa mère.
Je n’en reviens toujours pas de l’avoir vu débouler comme ça dans nos bureaux. J’ai d’abord cru qu’il était venu avec son père, mais ne voyant personne arriver après lui, je lui ai fait signe de me rejoindre dans mon bureau. Il a d’abord fait comme s’il ne me voyait pas et il a fallu que je me rende à l’accueil pour qu’il accepte de me suivre. Suite à l’interrogatoire que j’ai mené le plus tranquillement possible, j’ai compris qu’il était parti pendant une dispute de ses parents, se croyant responsable de leurs énervements respectifs. Et le seul endroit où il a pensé pouvoir se réfugier, c’est à l’agence car il en connaît le chemin et s’est dit que ça serait un bon endroit pour patienter jusqu’à ce que les choses se calment à la maison.
— Tu es prêt à rentrer, Robin ? Je peux te ramener ou tu veux qu’on parle encore un peu avant d’y aller ?
Il prend son ardoise et j’attends de voir ce qu’il m’écrit.
— Maman n’est pas fâchée ? Parce que si oui, je préfère rester encore un peu là.
— Pas du tout, elle est soulagée que je l’aie appelée et nous attend. Tu sais que tu n’y es pour rien dans les disputes entre ta mère et ton père ? Ce sont des problèmes de grands, même si ça te concerne indirectement.
— Je veux pas qu’ils se disputent à cause de moi. Ils sont toujours tristes ou en colère en ce moment.
Le voir écrire chacun de ces mots m’attriste énormément. C’est un peu étrange, cette conversation par ardoise interposée.
— Ecoute, on va aller les voir et on va leur dire ça, pour qu’ils comprennent qu’ils doivent te laisser en dehors de leurs histoires. D’accord ?
— Ils risquent de se fâcher si tu leur dis que je t’ai raconté tout ça.
— Ils sont déjà fâchés de toute façon, intervient Fabienne. Un peu plus, un peu moins, il faut qu’ils comprennent que toi, tu n’y es pour rien. Allez, les garçons, dépêchez-vous de rentrer, je suis sûre que ta mère meurt d’impatience de te retrouver, Petit Chenapan.
Elle lui fait un gros bisou sur la joue et nous pousse vers la sortie. Robin est venu à pied mais je préfère le ramener en voiture afin de ne plus faire attendre trop longtemps ses parents. Arrivés devant chez lui, j’ai à peine le temps d’ouvrir sa portière qu’Oriane déboule en courant vers nous et le prend dans ses bras, le couvrant de baisers.
— Mon Dieu, Robin, j’ai eu tellement peur ! lui dit-elle, ses mains sur les joues du petit. Ne me fais plus jamais ça, je t’en prie. Je suis désolée, Trésor…
Il essaie de lui signer une réponse mais elle est tellement en train de le serrer contre elle qu’il ne parvient pas à s’exprimer.
— Je peux te dire qu’il est très malin, ton fils. Aller à l’agence, c'était pas une mauvaise idée. Il s’est mis à l’abri comme un grand, et en même temps, il s’est protégé aussi de vous deux, on dirait. Comme je t’ai dit au téléphone, il est convaincu que c’est à cause de lui que vous vous disputiez, même si j’ai essayé de lui faire comprendre que ce n’était pas le cas.
— Bien sûr que non, ce n’est pas ta faute ! Tu sais bien que j’ai un caractère de cochon, mon Chéri.. Et puis, on ne peut pas être toujours d’accord avec les gens, tu sais ? Oui, Papa et moi ne sommes pas toujours d’accord, mais c’est nous, le problème, pas toi. Jamais toi, soupire Oriane alors que Louis sort à son tour de la maison.
Robin a l’air un peu rassuré et signe quelque chose à sa mère que je ne comprends pas avant que son père ne le prenne à son tour dans ses bras.
— Je disais à ta femme qu’il se croit responsable de vos disputes, Louis. C’est pour ça qu’il est parti. Il faudrait que vous arriviez à le préserver un peu, le pauvre petit.
— C’est gentil de nous l’avoir ramené, Hugo, et je compte sur ta discrétion au travail. Il ne faudrait pas que tout le monde connaisse tout de ma vie privée à l’Agence…
— Bon sang, t’es pas possible avec ta foutue agence ! Ça ne te pose pas question que Robin ait fui la maison ? Non, bien sûr que non, il n’y en a que pour les apparences, s’agace Oriane en le fusillant du regard. Revois tes priorités, t’es impossible !
— S’il a fui la maison, c’est qu’on ne le surveillait pas parce que tu n’étais pas raisonnable, l’attaque-t-il en reposant son fils à terre. Et donc, c’est une affaire privée qu’on va régler ensemble et pas devant un de mes salariés, s’il te plait.
— Oh arrête, je t’en prie ! Tu crois leurrer qui à jouer l’homme parfait, hein ? Tu les penses vraiment si aveugles que ça ? Tu crois qu’ils ne voient pas que tu passes ta vie au boulot et que tu délaisses ta famille ? Mon pauvre, c’est toi seul que tu leurres.
En constatant que le ton monte à nouveau entre ses parents qui visiblement ne peuvent s’empêcher de se crier dessus, Robin se dégage des bras de son père et vient se réfugier contre mes jambes qu’il enserre de ses petits bras. A mon tour, je sens la colère me monter au nez.
— On dirait que vous n’avez rien compris ! Vous ne savez pas vous tenir un peu ? Vous voulez quoi, le traumatiser plus qu’il ne l’est déjà ? Ce qu’il vient de faire ne vous a pas calmés ? Putain, on dirait deux marchands de tapis qui se livrent à une concurrence pour savoir qui a plus merdé que l’autre ! Un peu de tenue, voyons ! Et que je sois un collègue ou pas, ça ne change rien. Si vous voulez continuer à vous chamailler, j’emmène Robin chez moi et je vous le ramène quand vous serez calmés et en capacité de ne pas vous étriper devant lui !
— Non, non, c’est bon, souffle Oriane en approchant pour se mettre à hauteur de Robin. Excuse-moi, Trésor. Je te promets qu’on arrête, d’accord ? On a prévu de la pâtisserie, tous les deux, cet après-midi normalement, tu te rappelles ? J’ai juste envie qu’on cuisine, toi et moi. Ça te tente toujours ?
— Hugo, tu te rends compte de la façon dont tu te permets de parler à ton patron ? s’emporte Louis, toujours bien énervé. Alors, c’est gentil d’avoir ramené mon fils à la maison, mais là, on va rentrer tous les deux à l’Agence et on va discuter, toi et moi. Tu prends tes aises, on dirait, et ça ne me plait pas du tout. Quant à toi, Oriane, j’en ai pas fini non plus. Ce soir, quand le petit sera couché, puisqu’il faut soi-disant le protéger, il faudra qu’on parle, tonne-t-il comme s’il était le roi de l’Univers.
— Louis, le tempéré-je, je crois que tu n’as pas compris ce que j’ai dit et que ton fils voulait que je vous transmette à tous les deux. Il en a marre de te voir gueuler comme ça tout le temps. Alors, que tu sois énervé contre ta femme ou contre moi, c’est ton droit, mais là, l’important c’est de redescendre et de se calmer. De fait, non, je ne vais pas rentrer avec toi, je ne suis pas suicidaire, continué-je calmement mais fermement. Et si tu veux parler de ces histoires personnelles au boulot, pas de souci, mais sache que je ne me laisserai pas faire. Si tu m’attaques, je me défendrai. Par contre, si tout ça reste ici, tu peux me faire confiance, jamais je n’aborderai cette question au travail. Je ne mélange pas le personnel et le professionnel, tu peux en être assuré.
— Ouais, eh bien on verra ! lance-t-il à la volée avant de se diriger vers sa voiture sans plus un regard pour nous.
Je n’apprécie pas du tout ses menaces et je me demande comment ça va se passer quand je vais retourner à l’Agence. J’espère qu’il a entendu mon message mais, vu son énervement, rien n’est moins sûr. J’ai l’impression d’avoir affaire à une bête blessée et rien n’est plus dangereux pour ceux qui l’approchent. Une fois qu’il a disparu à l’angle de la rue, je me tourne vers Oriane et Robin et constate que tous les deux m’observent, l’une gênée et l’autre d’un air triste.
— Ne vous inquiétez donc pas pour moi. Louis est certes impulsif mais il reste avant tout professionnel. Une fois qu’il sera calmé, il verra que j’ai raison. Tout ira bien. Et au moins, j’ai arrêté la dispute ici, non ?
— Tu viens boire un café ? Ou autre chose, peu importe… Je crois que tu mérites largement de piquer dans les cookies que nous avons faits avant-hier. Le temps que Louis se calme, oui.
— Je ne sais pas… Je crois que Robin a besoin de temps avec toi pour se remettre de ses émotions. Tu en penses quoi, mon Grand ?
— Il en pense qu’il veut t’offrir un cookie, sourit Oriane alors que son fils signe. Allez, entre, tu veux ?
— D’accord alors, même si tu peux être en train d’inventer tout ce que tu veux parce que je ne comprends toujours pas la langue des signes, rigolé-je en les suivant à l’intérieur. Et Oriane… je suis désolé, vraiment, je ne voulais pas me mêler ainsi de votre vie privée.
— Ne t’excuse pas, c’est notre vie privée qui vient toujours à toi, apparemment. C’est moi qui suis désolée que tu aies assisté à ça. Et je te remercie sincèrement de t’être occupé de Robin. J’ai totalement foiré, ces derniers temps, mais le comportement de son père m’insupporte tellement que je n’arrive plus à m’écraser…
Apparemment, elle ne m’a pas menti car Robin me rapporte effectivement un cookie et je le remercie en signant, ce qui le fait enfin sourire. Je crois qu’il est content que les choses soient apaisées. Il se tourne ensuite vers sa mère et les deux échangent en silence avec leurs mains avant qu’il ne s’éloigne et s’installe à la table de la cuisine.
— Il va bien ? Je n’aime pas ne pas comprendre ce que vous vous dites, j’ai l’impression un peu bête d’être stupide.
— Je crois qu’il a besoin d’être un peu seul. C’est un petit garçon plutôt solitaire, par la force des choses, et il a prévu de t’en mettre plein la vue en te faisant un dessin pour te remercier de l’avoir écouté. Il va falloir mettre les bouchées doubles sur la LSF si tu veux nous comprendre, sourit Oriane.
— C’est clair qu’il va falloir que je fasse un effort, parce que l’ardoise, c’est bien, mais c’est un peu lent. Ça fait plaisir de te voir sourire un peu, tu dois être soulagée après la peur qu’il vous a faite, non ?
— Oui, enfin, je me sens surtout très coupable. S’il y a bien une chose que je veux éviter, c’est que Robin souffre de la situation, mais Louis… Tu n’as pas idée de son comportement, ces derniers temps, que ce soit avec moi ou avec Robin, ça me tue, je n’arrive plus à me taire.
— Je te comprends mais Robin en souffre beaucoup… Ce n’est jamais marrant pour les enfants quand leurs parents se déchirent… Si je peux faire autre chose pour aider, n’hésite pas… Enfin, je ne sais pas si c’est une bonne idée, je ne veux pas rajouter des problèmes à ta situation non plus.
— Si tu pouvais éventuellement nous kidnapper et nous faire oublier tous nos problèmes, ça m’arrangerait. Mais nous ne sommes pas dans un Marvel, alors… Tu fais déjà beaucoup, Hugo, merci. Pour Robin, mais pour moi aussi. Je sais que la situation est compliquée. Entre nous, je veux dire… Et pourtant, tu es là, encore à m’écouter me plaindre de mon mariage…
— Je t’ai dit, si tu as besoin, tu peux compter sur moi. Merci pour le cookie, je vais vous laisser tous les deux. Je crois que Robin a besoin de sa maman après toutes ses aventures.
Je n’ai pas le temps de me retourner qu’Oriane me saute dans les bras et se love contre mon torse, sa tête contre ma poitrine. J’hésite un instant avant de l’enlacer à mon tour. J’essaie de lui transmettre un peu de sérénité et je profite un peu de la situation alors que Robin, installé dans la salle à manger, m’adresse un grand sourire, content de voir que je réconforte aussi sa maman, sûrement. J’aimerais tellement que la situation soit plus simple, qu’ils soient heureux, mais, en même temps, la partie moins charitable de mon esprit se dit que si c’était le cas, je ne serais pas à cet endroit précis en ce moment. Finalement, je ne suis pas si chevaleresque que je ne le laisse voir.
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