50. Les “au revoir” du renouveau
Hugo
J'essaie de rester concentré sur la route mais c'est difficile de ne pas remarquer l'air goguenard et satisfait de David à mes côtés. Vu les suçons qu'il a sur le cou, sa nuit a encore été plus folle et sauvage que la mienne. Pas sûr qu’elle ait été plus intense par contre.
— Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? finis-je par lui lancer.
— Tu pourrais me remercier, quand même !
— Tu parles, tu n'y es pour rien ! C'est elle qui m'a sauté dessus alors que j'allais t'étriper ! Et je ne suis pas sûr que je vais survivre à ce coup d'un soir. Je ne suis pas comme toi, moi, j'ai du mal à m'en contenter.
— C’est parce que c’est meilleur quand tu les enchaînes ! Écoute, Hugo, tu avais besoin de voir que tu pouvais tourner la page… Aujourd’hui, tu le sais. Coups d’un soir ou petite amie, tu vas pouvoir te remettre réellement sur le marché.
— Là, j'ai plutôt l'impression d'avoir ouvert un livre super intéressant que la maîtresse m'a confisqué parce que la récréation est terminée, soupiré-je, un peu désespéré.
En tout cas, David n'a pas tout à fait tort. Pour la première fois depuis Valérie, j'ai réussi à l'oublier et à me lâcher totalement avec une autre femme. Et quelle femme ! Je ne peux retenir un sourire niais en repensant à la manière où elle m'a sauté dessus hier soir ou comment elle est venue me chevaucher ce matin. Quelle furie ! Elle, la mère de famille qui a l’air si sage et si raisonnable m'a fait découvrir toute sa sensualité et j'en redemande. Enfin, j'aimerais pouvoir en redemander si c'était possible.
— Techniquement parlant, c’est toi la maîtresse, dans l’équation, ricane-t-il en me regardant. C’était bien au moins ? T’as l’air sur ton petit nuage…
— Je crois que ça n'avait jamais été aussi bien ! indiqué-je sans avoir besoin d'y réfléchir. J'ai l'impression qu'on avait déjà fait l'amour des millions de fois avant et que tout était naturel. Magique, même. Oriane est juste sublime… et une amante incroyable !
Je m'arrête en le voyant se marrer en m'écoutant.
— Ben quoi ? J’ai dit une connerie ?
— Non, non, c’est juste que… merde, je ne pensais pas te retrouver dans cet état après avoir enfin trempé à nouveau ta nouille, mon pote. T’aurais dû te cantonner à une quasi inconnue, parce que là…
— Non, t’inquiète. Comme tu dis, ça faisait juste trop longtemps que je me contentais de ma main. Normal que ça me chamboule un peu, le rassuré-je en me disant que je suis un bon comédien. Je te dépose à la maison et on mange ensemble ce midi ? J’ai… une course à faire avant le déjeuner. Et tu me dois bien la préparation d’un repas, non ?
— Si tu veux, oui, mais tu es meilleur cuisinier que moi, te plains pas si ce n’est pas à ton goût.
— Que veux-tu, je suis meilleur que toi en tout ! Je suis sûr que si Andréa et Oriane sont en train de nous comparer, je gagne le défi haut la main !
— Peut-être, même si je doute que ta compagne d’une nuit se vante d’avoir couché avec toi, contrairement à la mienne.
Là-dessus, il a sûrement raison, mais je me garde de lui répondre, ne voulant pas remuer le couteau dans la plaie. Je le dépose chez nous avant de poursuivre mon chemin. Je sais que c’est un peu idiot, ce que je vais faire, mais j’en ai besoin. Psychologiquement, je ne peux pas me passer de cette étape.
Je me gare sur le parking du cimetière et je me dis que je n’ai pas remis les pieds ici depuis l’enterrement de Valérie. Je n’ai pas réussi et pourtant, pas un jour ou presque ne se passe sans que je repense à cette cérémonie. Que de monde pour l’accompagner dans ce dernier hommage. Et pour me soutenir aussi. J’ai fait bonne figure, je n’ai presque pas pleuré, j’ai tenu le coup, mais après, je me suis littéralement effondré et David m’a ramassé à la petite cuillère.
Je pénètre dans l’enceinte du lieu en silence et me demande si je ne suis pas en train de perdre un peu la tête, mais je préfère ne pas continuer ce train de pensées. Il faut que j’en passe par là. Même si ça fait deux ans que je ne suis pas venu, je trouve sans souci l’endroit où elle est enterrée. La tombe grise est bien là, avec le nom de Valérie gravé et la date de sa mort. Terrible réalité qui s’impose à moi encore plus durement que juste après la cérémonie.
Mécaniquement, je nettoie un peu les feuilles qui sont tombées sur la pierre tombale et je contemple un moment la plaque où figure sa photo. Elle était belle, blonde comme les blés, avec des pommettes hautes qui lui donnaient un air un peu slave. Et c’est en plongeant dans les yeux rieurs de cette photographie que je m’adresse à elle.
— Valérie, tu vois, je te l’avais promis, je suis revenu. Je crois que je suis enfin prêt à te dire adieu, à te laisser partir. Je suis désolé de n’être pas venu plus tôt… Je ne pouvais pas… Tout me manquait et venir ici aurait été trop douloureux… Ton départ a créé un vide que je n’arrivais pas à combler et… depuis quelques semaines, je vais mieux. Oui, je sais ce que tu me dirais si tu étais là. J’ai tiré mon coup et je me crois sevré de ton absence. C’est pas faux. C’est vrai que j’ai enfin réussi à faire l’amour à nouveau. Bon, j’ai pas forcément choisi le bon numéro en prenant une femme mariée, mais c’était magique. Et c’est ce qu’il me fallait pour tourner la page. Sache que je ne t’oublie pas, que tu feras toujours partie de moi. Comme dans tout livre, les premières pages sont aussi importantes que les dernières même si le souvenir du début du roman s’estompe au fur et à mesure de la lecture. Je t’aime. Je crois que je t’aimerai toujours. Mais j’ai compris, après cette nuit, qu’il y avait la place dans mon cœur pour de nouvelles aventures. Je crois qu’avec Oriane, ça n’ira pas très loin, malheureusement, mais je ferai le deuil de cette relation comme je suis en train de faire le deuil de la nôtre. Lentement, mais sûrement. Alors, souhaite-moi bonne chance, Valérie. Je pense que je vais en avoir besoin.
Comme dans les films, j’attends un geste, un signe, quelque chose qui pourrait me faire croire que mon message a été transmis, qu’il est bien arrivé à destination. Mais seul le silence me répond. Le vent ne se lève pas, le soleil ne se cache pas derrière les nuages. Rien. A part mon téléphone qui vibre dans ma poche et me ramène à la réalité des choses. Et à la puérilité de ma démarche. Oui, j’ai parlé à une photo sur une pierre tombale. Non, je n’avouerai jamais ça à personne. Et je ne crois pas que la petite vieille aux cheveux blancs qui se recueille un peu plus loin me dénoncera non plus. Elle doit être soumise au secret confessionnel, non ?
Je soupire et me dis que le manque de sommeil ne me réussit pas. Je regarde l’heure et me rends compte que la matinée est déjà presque terminée. Il faut que je rentre. Je me retiens de dire à haute voix “au revoir” à Valérie mais le pense fortement et retourne lentement à ma voiture en lisant les noms des défunts et surtout en faisant le calcul de leur âge au moment de leur décès. Je me fais la réflexion qu’elle est vraiment partie trop tôt par rapport à toutes ces personnes qui ont eu le temps de vraiment expérimenter avant de mourir. Cela me ramène aussi à ma propre vie et je me dis qu’il faut profiter de chaque instant car il se pourrait que ce soit le dernier.
Une fois assis dans mon véhicule, je sors mon téléphone de ma poche et constate que c’est Oriane qui m’a envoyé un message. Est-ce qu’elle veut déjà qu’on se revoie ? Je l’ouvre et déchante rapidement.
— Tout a été un peu trop vite, ce matin… J’espère que tu es bien rentré. Je voulais te remercier pour cette nuit. J’ai adoré cette bulle dans laquelle tu m’as enfermée, j’aurais aimé que les choses soient différentes, malheureusement le retour à la vraie vie est inévitable. Je te souhaite de trouver quelqu’un qui pourra te donner tout ce que tu mérites, et toi et moi savons que je ne suis pas cette personne. Prends soin de toi, beau Lord.
Je soupire car ce message ressemble à un adieu. Le retour à la vraie vie dont elle parle ne m’intéresse pas. De toute façon, moi, je parle à des tombes, alors, qu’est-ce que je peux bien mériter ? Une infirmière dans un hôpital psychiatrique ? Un médecin dans une maison de repos ? J’hésite un instant mais me dis que je lui dois bien une réponse.
— Tout a été vite, mais j’ai l’impression que ça a duré une éternité tellement c’était intense. Je ne regrette aucune des secondes passées en ta compagnie, elles ont toutes été plus magiques les unes que les autres. Dommage que la bulle ait éclaté, j’y serais bien resté pour ne jamais en sortir. La vraie vie est là, comme tu dis. Et sache que personne ne sait ce que le futur nous réserve. Demain, on peut ne plus exister. En attendant, dans cette vie ou dans une autre, j’espère qu’on pourra se retrouver. Je ne serais pas contre un “encore une fois” et peut-être même à plus. A bientôt, j’espère.
Je sais que ce n’est pas le genre de réponse que j’aurais dû faire. J’aurais dû accepter son adieu et la laisser tranquille, mais je n’arrive pas à m’y résoudre. Et je pense que je ne lui mets pas la pression non plus. J’ai juste exprimé ce que je ressentais, sans faire de fausses promesses mais sans non plus m’effacer. Je crois que je vais laisser le temps faire son travail et je suis prêt à accepter tout ce que le destin m’apportera. Un jour à la fois, je pense que j’ai trouvé ma nouvelle philosophie.
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