51. Le poids du péché

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Oriane

Je dépose un baiser sur les cheveux de mon fils et me retiens de grimacer quand il part en courant en direction de la baie vitrée pour rejoindre sa copine Julie. Il grandit vraiment trop vite, ça me désespère. Enfin, disons que je suis fière de lui, mais j’aimerais parfois retrouver mon petit bébé.

— N’hésitez pas à m’appeler s’il y a un problème, Caroline. Et merci pour l’invitation, ça lui a fait vraiment plaisir.

— Ne vous inquiétez pas, et puis, Julie adore Robin, c’est bien qu’ils passent du temps ensemble. On devrait se faire un dîner, un de ces jours, histoire d’apprendre à se connaître. Emmanuel aimerait beaucoup faire la connaissance de votre mari.

— C’est noté. On essaie de se caler une date, alors, souris-je poliment en me dirigeant vers la porte d’entrée, non sans jeter un dernier coup d’œil en direction de la cour.

— Vous pourriez rester ce soir ? Puisque vous venez récupérer Robin, autant faire d’une pierre, deux coups ?

Voilà le genre de choses inenvisageables à la maison. Déjà qu’en prévoyant à l’avance, Louis arrive à oublier, décommander, faire faux-bond, alors un petit repas à l’improviste, c’est peine perdue. Il y a quelques temps, j’aurais prétexté avoir déjà quelque chose de prévu pour ne pas reporter la faute sur mon époux, aujourd’hui, j’arrête de lui trouver des excuses.

— Un autre jour, avec plaisir, mais ce soir, ce sera compliqué. Louis passe sa vie à l’agence, il rentre tard, alors il va falloir anticiper pour qu’il puisse se dégager du temps.

— Oui, Julie m’a dit qu’il travaillait beaucoup. Au moins, ça vous permet, à vous, de vous consacrer à Robin.

Il ne semble pas y avoir une once de jugement dans son ton, mais je ne le prends pas bien pour autant. J’essaie de rester calme et souriante, agréable au possible, mais ça ne m’empêche pas de rétablir ma vérité.

— Louis travaille trop, il est incapable de déléguer. Quant à moi, je travaille aussi, maintenant que Robin a une bonne prise en charge. Bref, je discuterai avec Louis pour ce dîner, et on en reparlera. Bonne journée, Caroline, à ce soir.

Je sors de la maison rapidement et monte en voiture en soufflant. Je suis en train de totalement dérailler. Un coup d’œil à mon reflet dans le rétroviseur intérieur me rappelle que tout bon cache-cerne ne fera pas de miracle sur mon visage, que le manque de sommeil se lit sur mes traits et qu’il faut vraiment que je dorme. Et ça joue sur mon moral, mon humeur, bref, nous sommes jeudi, et depuis “cette nuit”, mon monde tourne à l’envers. Rien ne va plus dans ma tête, tout me déplaît dans ma petite vie. J’ai l’impression de faire une crise de la quarantaine avant l’heure, de me retourner sur mon existence et de ne voir que du vide ou presque. Pourtant, depuis la nuit de samedi à dimanche à Deauville, j’ai aussi ce sentiment de mal-être et de culpabilité. Je n’arrive plus à regarder Louis dans les yeux, pour le peu que je le vois, et je me dis qu’il ne mérite pas ça.

Bon sang, qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Je regrette sans regretter, je veux recommencer sans le vouloir, je veux couper les ponts avec Hugo sans parvenir à m’en convaincre… Une vraie girouette.

J’attrape mon téléphone et envoie un message à Rachel pour lui demander si je peux passer chez elle. J’ai l’impression que mon cerveau va imploser à force de réfléchir encore et toujours à tout ça. Je sais qu’elle bosse de chez elle le jeudi, et j’ai bon espoir qu’elle m’accorde un peu de temps pendant sa pause déjeuner. Et quand bien même elle n’aurait pas le temps, je ne doute pas qu’elle le fera… Après tout, elle a bien vu dimanche que j’étais toute tourneboulée. Et comment ne pas l’être ?

Je suis déjà en route pour son quartier quand je reçois une réponse positive de sa part, et j’ai tout de suite la sensation qu’un poids se retire de mes épaules. Je sais qu’avec elle, il n’y aura ni jugement, ni leçon de morale. Rach est comme ça, elle dit les choses telles qu’elle les pense, mais jamais elle ne se croit supérieure à quiconque. Je me demande encore aujourd’hui pourquoi je ne lui ai pas tout dit au sujet de mon mariage, d’ailleurs… Peut-être parce qu’elle avait un petit faible pour Louis, à l’époque ?

J’éclate de rire quand elle ouvre la porte. Rach est encore en pyjama et, à mon avis, ce n’est pas dans ce pull informe, dix fois trop grand pour elle et à moitié troué, qu’elle accueille son futur mari. Ses lunettes vissées sur le dessus de sa crinière à moitié en pétard, si je ne la connaissais pas, j’en viendrais à me demander si elle ne sort pas du lit après avoir un peu trop dormi.

— Pardon, j’avais oublié à quoi tu ressemblais sans maquillage et en pleine journée de télétravail, gloussé-je alors qu’elle me tend son majeur.

— Eh bien, si c’est pour être aussi agréable que ça, tu peux retourner chez toi ! Si je peux me permettre, tu n’as pas vraiment meilleure allure que moi. Tu entres et tu es sympa ou je te mets dehors avant même que je ne te laisse entrer ?

— Tu n’oserais pas faire ça à ta meilleure amie, quand même ? Et ma tronche… c’est ta faute, je te signale. Si tu ne m’avais pas dit de me lâcher et de profiter de la vie, j’aurais toujours mon air coincé et ma tête de Desperate housewive. Laisse-moi entrer et offre-moi une pinte de café, pitié !

— Ma faute ? Oh la la… s’inquiète-t-elle immédiatement. Vas-y, entre vite et dis-moi tout. Tu veux vraiment un café ? Quelque chose de plus fort ?

— Non, non, le café me suffira, soupiré-je en m’installant à la table de la cuisine. Bien remise de ton weekend ?

— Oui, ça va. Je peux te dire que dimanche après-midi, ça a été la fiesta avec Mathieu. J’étais dans un état d’excitation, je te dis pas !

— Alors n’en dis pas plus, je n’ai aucune envie de savoir si ton cul s’est retrouvé sur cette table, ris-je avant de soupirer lourdement. Rach… tu sais, samedi soir, ou plutôt dans la nuit, après que tu es retournée dans ta chambre… figure-toi que j’ai eu l’occasion de croiser Hugo dans le couloir…

— Il est revenu te voir ? s’exclame-t-elle vraiment surprise. Ne me dis pas que vous avez… Non, tu l’as vraiment fait ?

— Il est venu chercher David, en fait… qui était sans doute en train de remettre le couvert avec Andréa. Hugo tapait à la porte de sa chambre et… je sais pas, je suis sortie pour lui dire de se calmer, sauf que… je l’ai vu, là, dans le couloir, et je me suis dit que c’était sans doute ma dernière opportunité de répondre à ce désir que nous partagions…

— Oh putain, j’y crois pas ! C’était comment ? Encore plus chaud que sur scène ? Et quand je pense que moi, je suis restée sage !

Je sens mes joues chauffer et détourne le regard sans pouvoir m’empêcher de sourire. Comment c’était ? Indescriptible…

— J’ai pas les mots, Rach… C’est comme si… J’en sais rien, comme si c’était à la fois une première fois et une habitude, une découverte autant qu’un moment familier, tu vois ? C’était… intense, sensuel, charnel, doux, fougueux… Merde, j’en ai des frissons rien que d’y repenser.

— Purée, tu me donnes chaud, là ! Tu vois que tu as bien fait de m’écouter et de te lâcher ! Mais… si tu es fatiguée, c’est que tu as recommencé avec lui tous les soirs, alors ? Il t’épuise à ce point-là ? Comment tu fais avec Louis dans les parages ?

— Non, Rach, si je suis fatiguée c’est parce que j’en perds le sommeil, bon sang, marmonné-je. Avec tes conneries, j’ai goûté au péché ! Résultat, si je m’écoutais, j’appellerais Hugo toutes les heures pour le supplier de venir me faire l’amour, et je suis incapable de regarder mon propre mari dans les yeux tellement je m’en veux de l’avoir fait cocu.

— Oh merde… Pourquoi tu ne m’as rien dit avant ? Je… je pensais que tu allais tirer ton coup et passer à autre chose, moi. Je suis désolée, ma Chérie… C’est à ce point-là ? Toutes les heures ?

— Rach, je vis avec un iceberg que j’ai foutu à la porte de notre chambre. Avec un mec qui préfère passer sa vie dans son agence plutôt que de rentrer passer du temps avec moi. Crois-moi, en dehors des moments que je passe à cuisiner ou à dessiner avec Robin, j’ai beaucoup de temps pour ruminer et me rappeler comme Hugo a été attentionné et passionné…

— Il est peut-être là, le problème. Si tu avais ce qu’il fallait à la maison, tu n’aurais sûrement pas envie de recommencer avec le beau stripteaseur… Tu ne peux pas continuer comme ça, c’est sûr ! affirme-t-elle en bougeant sa chaise pour venir se mettre à côté de moi et me serrer la main.

— Sauf que je ne peux pas briser ma famille comme ça, tu en as conscience ? Je veux dire… je sais que tout n’est pas au beau fixe avec Louis, mais Robin est dans l’équation. S’il n’y avait que nous deux… ce serait différent.

— Eh bien, il faut que tu discutes avec ton mari ! Ça fait dix ans que vous êtes ensemble et il est en train de tout gâcher. Après une bonne discussion avec lui, vous pourrez repartir sur de bonnes bases, je pense. Tu lui avoues ton petit écart, tu lui dis que c’est de sa faute parce qu’il déconne, que tu l’aimes encore et que tu veux que tout redevienne comme avant. Chacun fait un pas vers l’autre et hop, Hugo restera juste un bon souvenir et vous, vous refaites un petit frère ou une petite sœur à Robin et roule la vie ! Enfin, je dis ça, ça a l’air facile comme ça, mais si tu ne l’as pas fait, c’est qu’il doit y avoir un blocage quelque part… Je me trompe ?

— Et si… si je n’étais pas sûre de l’aimer ? Enfin… pas comme je le devrais ? soufflé-je en repoussant ma tasse de café froid.

— Comment ça, tu ne l’aimes pas ? Bien sûr que tu l’aimes ! Tu l’as épousé ! Et ça fait dix ans que tu vis avec lui ! Tu ne peux pas dire qu’il n’y a rien entre vous après tout ça quand même ! D’accord, il te délaisse un peu en ce moment, mais c’est une mauvaise passe, c’est tout…

— Non, Rach. Entre Louis et moi, ça n’a jamais été passionné comme ça peut l’être entre Mathieu et toi. C’est… confortable, agréable, rassurant. Enfin, ça l’était, tout du moins. Louis et moi… Si je n’étais pas tombée enceinte, on ne se serait jamais mariés, soyons honnêtes.

— Oui, je sais que ce n’a jamais été la passion… mais quand même… Louis est un mec attirant, il a plein de qualités… Je ne sais pas, moi… Tu as vu dans quel état tu es ? Il faut faire quelque chose et ne pas continuer à ruminer… Cela va te paraître un peu dur, ce que je vais te dire, mais je pense que tu as le choix soit entre le quitter et assumer, soit faire des efforts et renouer le fil avec lui. Mais pas de statu quo ! Tu veux que j’aille lui parler à ton Louis, moi ?

— Tu parles, vous risqueriez de vous battre comme des chiffonniers. Vous ne vous supportez que parce que je ne vous en laisse pas le choix. Tu crois que ta parole aura plus de poids que la mienne ? Louis est dans sa bulle, Rach, il est incapable de se remettre en question, je t’assure, je ne le reconnais plus…

— Eh bien, fais un break avec lui, mais surtout, ne te mets pas avec Hugo ! Il faut qu’il réagisse et si la grève du sexe ne suffit pas, peut-être que la séparation, ça va le faire bouger ! Merde, il est en train de tout gâcher, là, tu parles que l’on va se battre si je le vois !

— Hum… donc Hugo doit rester l’histoire d’une nuit, selon toi ?

Cette idée me fait grimacer. J’ai beau lui avoir assuré que c’était mieux ainsi, je suis incapable de me le sortir de la tête… Je suis tombée sous son charme, c’est peu de le dire…

— Tant que tu n’as pas réglé ton histoire avec Louis, ça vaut mieux, non ? Avouer un dérapage d’une nuit, ça se comprend, mais si tu y retournes, tu ne peux plus parler d’accident… Tu vois ce que je veux dire ? ajoute-t-elle doucement en me caressant l’épaule affectueusement.

— Louis ne me pardonnera jamais d’être allée voir ailleurs, tu en as conscience, Rach ? Son ego ne le supportera pas…

— Eh bien, tant pis pour lui, alors, si c’est le cas, me répond-elle sèchement avant de s’adoucir un peu. Je pense qu’il est plus amoureux que tu ne le crois. Il va bouder un peu, c’est sûr… mais il t’aime vraiment et te pardonnera. Et s’il ne fait pas, il ne pourra s’en vouloir qu’à lui-même. Le plus dur dans tout ça sera de protéger Robin… Le pauvre… même si ce ne sera pas le premier petit garçon dont les parents se séparent.

Je soupire lourdement et me prends la tête entre les mains un instant. Cette situation est complètement dingue et je ne suis pas beaucoup plus avancée, à bien y réfléchir. Après tout, si Louis m’aimait vraiment tant que ça, il ferait déjà des efforts, non ? J’ai l’impression que nous sommes devenus des inconnus l’un pour l’autre, ces derniers temps. Comment a-t-on pu en arriver là ? Quant à Hugo… c’est à la fois tellement compliqué et tellement simple que ça ne m’aide pas davantage. La situation est complexe, mais notre entente, elle, tant d’un point de vue amical que physique, ne fait aucun doute… Bon sang, je dois avouer que, cette fois, Rachel ne m’est d’aucune aide.

— Je peux t’aider pour les derniers détails de ton mariage, au fait ?

Oui, mieux vaut que je change de sujet, parce que je sens déjà la migraine me gagner à force de cogiter. Et puis, rien ne sert de ruminer encore et encore, j’ai besoin de temps, besoin de me poser et de comprendre tout ce que je ressens. Et ça, je ne pourrai le faire que toute seule.

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