52. La colère du boss

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Hugo

Je suis content de la visite que je viens de faire avec les représentants d'une petite start up locale qui cherchait des bureaux. Pour établir leur légitimité, il fallait un bien très traditionnel et j'ai réussi à les convaincre, je crois, du fait que ce que je leur proposais pourrait leur apporter la respectabilité recherchée. Cela va me faire une belle petite prime si ça se concrétise !

Je suis prêt à partager la bonne nouvelle avec mes collègues mais la tête de Fabienne quand j'ouvre la porte refroidit tout de suite mon enthousiasme.

— Eh bien, tu en fais, une tronche ! Il se passe quoi ? Louis t'a encore engueulée pour une pacotille ?

— C’est à peu près ça. Je te conseille de l’éviter, il est insupportable et rien ne trouve grâce à ses yeux, aujourd’hui, grimace-t-elle après avoir vérifié que personne ne traînait dans le coin.

— Je n'ai pas trop le choix, il m'a demandé d'aller le voir quand je rentre… mais ça devrait aller, je pense que la start up va signer le compromis, ça devrait lui faire plaisir. Toi, tu as bientôt fini ta journée, non ? Tu vas pouvoir décompresser.

— Tu plaisantes ? Il m’a demandé de rester plus tard pour rédiger un bilan de je ne sais quoi que je n’ai jamais eu à faire avant aujourd’hui ! A mon avis, ça a dû chauffer sévère à la maison et il se venge sur nous, ouais, marmonne-t-elle avant de se couvrir la bouche, gênée. Bref, oublie ce que j’ai dit, mais il vient de s’engueuler avec Etienne, alors à ta place, j’attendrais un peu avant de monter.

— Pourquoi tu ne vas pas faire le rapport en télétravail ? Quand il est dans cet état, il s'enferme dans son bureau, il ne verra pas la différence.

Comme elle, je pense qu’il s'est passé quelque chose chez eux et je me demande si je n'en suis pas un peu responsable. Oriane maintient le silence radio total depuis son message d'adieu mais ça ne veut pas dire qu'elle ne lui a pas parlé de notre nuit. Et si c'est le cas, je peux dire au revoir à ma commission, je n'en verrai pas le début d'un euro.

— Oulah, non, là, il est en mode emmerdeur, murmure-t-elle. C’est encore pire. Il passe de bureau en bureau pour chercher des poux à tout le monde. Quant à moi, je dois lui montrer mon rapport terminé pour qu’on le corrige ensemble, donc pas d’autre choix que de rester. A ta place, je ferais demi-tour et lui enverrais un message en disant que la visite s’éternise et je rentrerais chez moi avant qu’il te voie !

— Non, je ne vais pas commencer à lui mentir parce qu'il est de mauvais poil…

Je le fais déjà assez en couchant avec sa femme. S'il l'a appris, il a toutes les raisons d'être de mauvais poil.

— Et tu as des nouvelles d’Oriane ? Tu parlais de ses problèmes personnels tout à l’heure.

Je me dis que ça ne coûte rien d’essayer d'avoir des infos avant d'aller affronter le monstre dans son repaire.

— Hum… non, ça fait un moment qu’elle n’est pas passée à l’agence et qu’elle n’a pas appelé. Tu es vraiment sûr de ne pas vouloir fuir ? Même moi qui le connais depuis des années, j’avoue que je flippe un peu, rit-elle nerveusement.

— Je vais mettre ma cape de super héros et tout va bien se passer. Bon courage pour ton rapport.

Je joue à l'homme fort mais je n'en mène pas large quand je frappe à la porte de son bureau et qu'il me répond par un grognement agressif pour me faire rentrer.

— Bonsoir Louis, je peux entrer ou tu préfères me crier dessus un peu plus tard ?

— Je me passerai de tes remarques, grommelle-t-il. Qu’est-ce que tu veux ?

— Eh bien, comme convenu, te faire un retour sur la visite des bureaux avec la start up.

— Et donc ? Accouche, je déteste le suspens !

— Eh bien, tout s'est merveilleusement bien passé, indiqué-je en essayant de garder mon enthousiasme. Ils ont vraiment aimé le mélange entre l'extérieur plus traditionnel et l'intérieur plus moderne. Et quand je leur ai dit qu'on leur faisait cinq pourcent de réduction s'ils répondaient avant la fin de la semaine, tu aurais dû voir leurs sourires ! C'est comme si c’était signé !

— Pourquoi tu leur as proposé une ristourne s’ils avaient l’air emballé ? C’était inutile, hormis si tu cherches à nous faire perdre de l’argent et à en faire perdre aux propriétaires !

Je savais qu'il était de mauvais poil mais de là à faire preuve d'autant de mauvaise foi, ça m'estomaque.

— Eh bien, pour citer un grand philosophe qui s'avère être le propriétaire de cette agence, une vente avec une ristourne vaut mieux qu'un vent, et aussi, il faut toujours assurer la prise quand le client est ferré. J'ai respecté les principes du Grand Manitou, non ?

— Serais-tu en train de te foutre de moi, là ? Parce que ce n’est absolument pas le jour de me chercher des noises, Hugo ! Je n’apprécie pas vraiment le ton que tu emploies avec moi. Si les clients semblaient convaincus ou presque, les mots auraient suffi, s’agace-t-il, haussant le ton.

— Je ne me fous pas de toi mais je me permets de te dire que tu es imbuvable ! On est tes collègues, tu sais, pas tes souffre-douleur. Tu t'es peut-être levé du pied gauche ou tu as sûrement plein de soucis, ça ne justifie pas de nous traiter tous comme des chiens ! Alors, s'il te plaît, change de ton ou tu vas te retrouver à travailler tout seul dans cette agence !

J'ai moi aussi élevé le ton et je suis sûr que tous les collègues encore présents nous entendent.

— La porte est grande ouverte si l’ambiance ne te convient pas, ici. Je ne te retiens pas ! J’ai clairement autre chose à foutre que de gérer vos petits problèmes d’ego, OK ? J’ai une agence à faire tourner, et si j’ai pas mon mot à dire à la maison, ici, c’est moi le boss, merde !

— Oui, tu es le boss, c'est sûr, mais si tu dégoûtes tous tes collègues, tu vas faire comment ? Même Fabienne en a marre. Ça ne m'étonnerait pas qu'elle soit en train de chercher un autre boulot vu comment tu la traites ! Ou la maltraites plutôt !

— Ça suffit, Hugo ! crie-t-il en se levant. Tu dépasses les bornes, là, stop ! Rentre chez toi et fous-moi la paix ! Ou va bosser, mais sors d’ici ! Je te l’ai dit, ce n’est pas le jour !

Je ne sais pas trop comment réagir. S'il est clair qu'il a des soucis chez lui, il est aussi évident qu'il n'est pas au courant sur la nuit que j'ai passée avec sa femme. Et tant mieux, sinon je crois qu'il serait déjà en train de m'étrangler.

— Crier ne va rien arranger, dis-je plus calmement en me levant. Tout le monde sait ici que tu as des soucis avec Oriane, moi plus que les autres encore avec ce que j'ai appris de Robin. Tout le monde admire aussi tout ce que tu fais pour l'agence. Mais si tu continues comme ça, tu fonces dans le mur, Boss. Tu ferais mieux de rentrer chez toi et d'aller discuter avec Oriane plutôt que de nous crier dessus. Le boulot est fait, et plutôt bien fait ici.

— Rentrer chez moi ? Rentrer chez moi ? ricane-t-il sans joie. Elle m’a foutu à la porte de ma propre maison, putain ! Comment tu veux que je rentre chez moi ? C’est ici, mon chez-moi, maintenant.

Je m'arrête, interloqué par ce qu'il vient de me sortir. Elle l'a mis à la porte ? Je comprends qu'il soit en train de péter un plomb.

— Je suis désolé, Louis, je ne savais pas. Peut-être que ça va s'arranger ? Une petite coupure, des fois, ça permet de repartir sur de meilleures bases, non ? Et… si tu veux, on peut voir avec les collègues qui pourrait t'accueillir et t'héberger.

J'ai un peu hésité avant de faire cette proposition mais je ne me voyais pas ne pas la faire non plus.

— Une petite pause… ouais, génial. Une pause où je dois me remettre en question alors qu’elle vit sa meilleure vie chez moi, magnifique ! Je n’ai pas besoin qu’on m’héberge, j’ai tout ce qu’il me faut ici. A croire que je présageais déjà d’être foutu à la porte quand j’ai fait faire les travaux. Et ne t'en va pas raconter ça à tout le monde. Je n'aurais pas dû t'en parler et les autres n'ont pas à connaître ma vie privée.

Encore un secret sur sa vie personnelle que je suis le seul à partager… Mais là, s'il se met à dormir sur place, pas sûr qu'il parvienne à rester discret longtemps.

— Je ne dirai rien, Louis, tu peux compter sur moi. Je comprends que la situation te pèse, mais je te redis que nous n'y sommes pour rien. Il faut savoir séparer le perso et le professionnel.

Dit celui qui a couché avec sa femme et qui ne le regrette pas du tout. Tu parles que je ne suis pas responsable !

— Je sépare le pro du perso. J’ai bien le droit d’être de mauvaise humeur, non ? Et si je m’énerve, c’est parce que les choses ne tournent pas comme il faut ici ! Je suis peut-être de mauvais poil, mais pas injuste !

— Oui Chef. Je te laisse alors. Et quand tu seras calmé, n'hésite pas à nous dire comment nous améliorer alors.

— Sors de mon bureau, Loiseau, avant que je ne remonte dans les tours, marmonne-t-il.

Je n'insiste pas et m'échappe rapidement de son bureau. Fabienne m'adresse un regard compatissant alors que je hausse les épaules en signe d'impatience. J'ai au moins réussi à affronter la tornade et à en sortir indemne. Je dirais même que le combat n'a pas été inutile vu ce que j'y ai appris. Louis et Oriane font une pause. Est-ce que je suis triste pour eux ? Un peu, ce n’est jamais drôle de voir un couple se déchirer. Mais en même temps, je me dis que ça va me permettre d'en profiter, peut-être. Dans ce cas-là, pourquoi ne m'a-t-elle pas encore contacté ? On aurait là l'opportunité rêvée pour recommencer… J’hésite à faire le premier pas et me décide finalement à attendre un signe de sa part. Elle aussi ne doit pas être bien de toute façon. Si elle veut me voir, elle a mon numéro. A elle de décider ce qu'elle veut faire ou pas.

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