53. Le fils à sa Maman

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Oriane

Je débarrasse la table du petit déjeuner tandis que Robin monte s’habiller dans sa chambre. Louis n’est pas rentré hier soir, et je ne suis pas parvenue, depuis trois jours que c’est le cas, à en parler avec mon fils. D’un autre côté, vu les heures qu’il fait d’ordinaire, je crois que je pourrais mentir à Robin pendant un certain temps avant qu’il ne s’en rende réellement compte, mais nous sommes jeudi et le weekend approche. De ce fait, je sais qu’il va falloir que j’aborde le sujet, d’autant plus que c’est moi qui ai demandé à Louis de quitter la maison le temps de réfléchir à notre couple et à ce qu’il en attend.

J’ai l’impression d’être une vraie loque, depuis notre échange de dimanche soir. Ou notre dispute, puisque tout finit toujours en dispute entre nous. Je ne suis toujours pas au clair avec moi-même, je ne sais pas ce que je veux. Si je pense à Robin, j’aimerais retrouver notre cocon d’il y a quelques mois, ou quelques années, parce que, soyons honnêtes, il y a longtemps que notre couple ne respire plus le bonheur. Si je pense à Louis, je me dis que je ne peux pas laisser les choses dans cet état. Après tout ce qu’il a fait pour moi, pour nous, ce serait cruel d’en finir avec notre vie de couple. Mais si je veux penser à moi, plus j’analyse ma vie, plus je me rends compte que cette situation me rend malheureuse, ne m’épanouit pas, et me donne envie de remédier à la chose. J’ai consacré les dix dernières années de ma vie à mon fils et mon mari, une partie de moi a envie et besoin de penser autrement les choses.

Je sursaute en entendant Robin entrer dans la cuisine, me passe la main sur le visage en me rendant compte que j’ai, une nouvelle fois, totalement buggé. Je me fais couler un nouveau café avant de remplir le lave-vaisselle, et fronce les sourcils en constatant que mon fils est toujours planté dans l’embrasure de la porte.

— Un problème, Trésor ? signé-je, mal à l’aise face à son regard scrutateur.

— Je ne sais pas si c'est un problème, en fait… Je peux te poser une question sans que tu te fâches ?

— Bien sûr. Tu sais bien qu’il n’y a aucun sujet interdit, ici. On va se poser au salon ?

Peut-être que je trouverai le courage de lui parler de son père… à moins qu’il s’agisse déjà du sujet à aborder.

Robin acquiesce et fait demi-tour. Je le suis, ma tasse de café en main, et tente de calmer mon palpitant qui s’emballe. Je lui lance un sourire que j’espère rassurant une fois installée sur le canapé, à ses côtés, et lui fais signe de poser sa question en me cramponnant à mon café.

— Pourquoi Papa ne dort plus à la maison ? Il ne nous aime plus ? se lance-t-il après une courte hésitation.

Bon, ben voilà… Autant dire que si un adulte n’a pas le courage de lancer les hostilités, un enfant se charge naturellement de mettre les pieds dans le plat. Au moins, ce sera fait.

— Ça n’a rien à voir avec l’amour, Trésor. Ne doute jamais que ton père t’aime, Robin. Je t’assure que c’est le cas. C’est juste que… depuis quelque temps, Papa et moi, on se dispute beaucoup. Du coup, on a besoin de se poser chacun de notre côté avant de pouvoir discuter calmement après…

— Pourquoi vous vous disputez ? Ce n’est pas quelque chose que j’ai fait ? Papa est parti parce que je l’ai fâché ou c’est juste vous deux ?

— Ça n’a rien à voir avec toi, Robin, je te jure. C’est juste que… tu sais, ton père et moi on est ensemble depuis longtemps. Et en dix ans, on continue à grandir, à mûrir. Les goûts changent, les objectifs qu’on se fixe aussi. Des fois, ça éloigne les gens…

Robin réfléchit intensément, mordillant l’intérieur de sa joue comme je peux le faire dans ces conditions, avant de me répondre en signant de manière très posée.

— Je comprends. C’est comme moi avec Thomas. Il aime trop les jeux vidéos et ne veut plus jouer aux Légos avec moi. Vous allez rester éloignés longtemps ? Moi, je veux continuer à voir Papa. Je ne me suis pas disputé avec lui.

— Tu vas continuer à le voir, Trésor. Ce soir, vous allez manger ensemble, il doit t’emmener à la plage vu qu’il n’y a plus Tennis. Et puis, il va chez Papy et Mamie vendredi soir, comme d’habitude. Je sais que c’est compliqué pour toi, mais l’ambiance à la maison aussi l’était. Il faut que Papa et moi réfléchissions à tout ça, parce qu’on ne veut pas que nos disputes te fassent de la peine.

— Oui, je n’aime pas vous voir tristes. Tu sais, Papa, même s’il travaille beaucoup, il t’aime, il me l’a déjà dit. Je lui dirai de te faire des bisous pour que tu arrêtes de te disputer avec lui. Et puis, si vous ne vous réconciliez pas, j’aurai deux maisons. Comme Max à l’école. C’est ça, non ?

J’acquiesce en ébouriffant ses cheveux et caresse sa joue avec tendresse. Sa maturité m’étonnera toujours, et je me demande si sa surdité ne lui a pas permis de développer bien plus d’empathie et de sens de “l’écoute” que les autres enfants de son âge.

— Quoi qu’il arrive, Papa et moi t’aimons et ne voulons que ton bonheur. Même s’il y a deux maisons, tu resteras toujours ma priorité. Mais ce qui se passe à la maison ne peut pas durer, mon Ange, tout le monde est triste et ce n’est pas ce que nous voulons. Moi, je veux te voir sourire et rire, heureux. Et je veux l’être aussi.

— Moi aussi, je veux te voir sourire ! Tu es belle quand tu souris. Et je vais dire à Papa de moins travailler, d'accord ?

— Je t’aime tellement, si tu savais, signé-je avant de le serrer contre moi quelques secondes. Mais tout ça, c’est entre ton père et moi, d’accord ? Personne ne te demande de choisir entre lui et moi, ni de prendre le parti de l’un ou de l’autre. Tout ce que nous voulons, c’est que tu nous parles si toi, tu ne vas pas bien, si c’est compliqué à vivre ou… peu importe la raison.

— Moi, ça va aller. Je suis déjà grand et je comprends bien les grands. Pas tout, mais beaucoup. Et je vous aime tous les deux. Toi et Papa. A deux, c'est mieux mais un à la fois, ça va aussi.

J’espère seulement que Louis ne va pas lui faire faux-bond. Il m’a dit qu’il s’était installé à l’agence, et j’espère qu’il va au moins rester chez ses parents pour le weekend, histoire qu’ils puissent tous les deux partager de bons moments ensemble. En revanche, j’avoue que j’angoisse un peu de ce qu’il pourrait dire à Robin à mon propos… Et je tente de me convaincre que sa colère envers moi ne lui fera pas perdre son bon sens.

— C’est moi qui ai demandé à Papa cette pause. Je préfère être honnête avec toi, signé-je après un instant de réflexion. Mais ça ne veut pas dire qu’on va se séparer, d’accord ? Parfois, on a juste besoin de temps pour se rendre compte que tout n’est pas acquis, ou qu’on est malheureux l’un sans l’autre…

— Tu veux un câlin ? me demande-t-il en ouvrant les bras. Quand ça ne va pas, tu m’as dit qu’un câlin, ça soignait tout.

Je lui souris et l’attire contre moi, nichant mon nez dans son petit cou, et nous restons ainsi un petit moment. Je ne sais pas si c’est moi qui en ai besoin à ce point, ou lui qui cherche à se rassurer, mais aucun de nous ne rompt le contact. Mon petit gars qui rechigne de plus en plus à ce genre de moments ne moufte pas, il glisse même sa main dans mes cheveux comme il le faisait, tout petit, et c’est le genre de souvenir qui me fait monter les larmes aux yeux. Bon sang, comment puis-je me raccrocher à ce point à mon fils ? Je doute que ce soit très sain…

Je finis par reculer de façon à ce qu’il puisse me voir signer, ébouriffe ses cheveux, le faisant grogner alors qu’il tente de se recoiffer.

— Et si on préparait un petit marbré pour le goûter ?

— C’est quoi le mot que tu as dit parce que tu as signé gâteau et dit autre chose ?

— Surprise ! Bon, non… Disons le premier gâteau qu’on a fait tous les deux. Tu te souviens ?

— Oui ! C’était trop bon ! Même que tu as mis du chocolat dans mes cheveux !

Je ris en l’entraînant à la cuisine. C’est vrai que notre premier atelier pâtisserie a viré à l’affrontement à coups de chocolat. J’ai toujours aimé faire l’andouille avec lui. Je ferais n’importe quoi pour un sourire de mon fils. Nous avions fini par marbrer la pâte nature avec nos doigts, bien plus rigolo qu’en versant simplement la pâte chocolatée.

J’attrape le vieux livre de recettes et le feuillette pendant que Robin sort les ingrédients de base et la vaisselle. Après des années à pâtisser tous les deux, nous avons nos petites habitudes et, une fois parés de nos tabliers, nous nous mettons rapidement à la tâche. J’adore le voir faire, se concentrer sur la pesée de la farine alors qu’il pince les lèvres, casser les œufs avec application parce qu’il déteste en avoir sur les doigts, mettre le chocolat à fondre et attendre que j’ai le dos tourné pour en piquer un morceau en douce, pensant que je ne le repère pas… Oui, je ne m’ennuierai jamais de le voir faire, de sentir mon cœur se gonfler d’amour pour cet être inattendu qui a bouleversé ma vie en bien, tout en me ramenant à questionner ma propre enfance. Quand j’ai eu Robin, je me suis demandé où j’avais foiré, gamine, pour que ma propre mère ne se batte pas pour moi, parce que, soyons clairs, je serais capable de tout pour mon fils.

— Chocolat ou farine ? signé-je après avoir attiré son attention.

— Chocolat ! répond-il avec enthousiasme.

Je soupire pour la forme et lui fais la grimace en plongeant mon doigt dans la préparation, avant de le faire glisser le long de sa joue, le faisant rire. Robin manque de basculer du tabouret et je le rattrape d’une main. Ce petit monstre en profite pour plonger sa petite paluche dans le sac de farine avant de souffler dessus pour m’en tartiner. Je tousse et grimace puis éclate de rire en constatant qu’il s’en est également collé je ne sais comment plein le visage, ce qui ne l’empêche pas de récupérer le chocolat qu’il a sur la joue pour lécher son doigt avec le sourire.

Voilà ce que j’aime. Je pourrais passer ma vie à faire n’importe quoi pour ça. Et il le sait, j’en suis persuadée.

— Tu devrais avoir honte d’attaquer ta propre mère, signé-je, la mine sérieuse.

— Je t’aime, Maman, me répond-il tout simplement.

Mon petit cœur de Maman fond comme neige au soleil alors que je lui dis que je l’aime aussi, et je le surprends pour un nouveau câlin plein de farine, cette fois, ce qui le fait rire et grimacer. Et moi, je me rends compte, avec horreur, que l’absence de Louis ne me peine pas tant que ça, tant que mon fils est là. C’est un constat qui m’effraie, mais me rappelle que tout ce que j’ai fait, jusqu’à présent, c’est pour Robin. Et c’est tout ce qui est censé compter. Alors, pourquoi je me mets à penser à Hugo ?

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