81. Confidences sur oreiller
Oriane
Il a raison, les galères arrivent à tout le monde. Sauf que je les ai accumulées, gamine, ado et jeune adulte. Ça blinde, mais ça laisse aussi des traces, des marques indélébiles. Je ne sais même pas pourquoi je ne lui ai jamais parlé de tout ça. La honte, peut-être ? Ou la peur qu’il me juge pour mes choix une fois adulte ?
Un nouveau soupir s’échappe de mes lèvres et je me redresse pour m’adosser contre la tête de lit. Hugo m’observe faire, perplexe, avant de rouler sur le ventre pour poser sa joue contre ma cuisse. Il est tellement mignon avec sa petite moue interrogative, que je lui souris en glissant ma main dans ses cheveux rendus humides par notre étreinte passionnée.
— Ma mère est tombée enceinte de moi jeune et je n’ai pas eu de père, me confié-je finalement. Et puis, on ne peut pas dire qu’elle avait un instinct maternel très développé. Tout le contraire de la tienne, de ce que tu m’en as raconté…
— C'est clair que la mienne ne m'a pas lâché ! Comment crois-tu que j'ai appris à être aussi poli avec les femmes plus âgées comme toi ? pouffe-t-il, fier de sa bêtise. Tu entends quoi par instinct maternel pas très développé ?
— Fais gaffe à ce que tu dis sur mon âge, gamin, sinon ça va barder pour ton joli petit derrière, ris-je. J’entends par là que je n’ai jamais été sa priorité. A six ans, il m’arrivait de passer deux ou trois jours seule chez moi parce qu’elle avait trouvé un nouveau mec et dormait chez lui, par exemple. Elle ne bossait pas et dépensait le peu d’aides qu’elle recevait autrement qu’en remplissant le frigo. Je n’ai jamais eu de rituel du soir, tu vois ? Des trucs comme ça…
— Trois jours seule à six ans ? Mais… tu faisais comment ?
Il a vraiment l'air surpris et il se redresse à son tour pour pouvoir passer son bras autour de mes épaules. Je sens sa main caresser mon bras dans un geste de tendresse qui me fait énormément de bien.
— Eh bien, j’ai appris sur le tas, je me suis débrouillée. Quand tu n’as pas le choix, tu te contentes d’essayer de faire comme font les adultes. J’imagine que mon attitude avec Robin vient de tout ça. Je sais que je le couve beaucoup, que je l’infantilise parfois trop, mais je ne veux pas qu’il ressente le désarroi auquel j’ai fait face, gamine, tu comprends ? Bref… j’ai fini par être retirée à ma mère après plusieurs signalements de mes enseignants et j’ai terminé en foyer.
— Tu n'as pas eu une enfance facile, dis donc. Robin a de la chance, il a une maman très forte après tout ce qui lui est arrivé. Je… je peux te dire que je t'admire sans que tu ne le prennes mal ?
— Tu risques de changer d’avis bientôt, grimacé-je, pour l’instant, je te conte la partie où je ne suis responsable de rien. Bon, j’étais un peu rebelle au foyer, même avec les deux familles d’accueil chez qui j’ai vécu. Ado, je sortais beaucoup, je faisais le mur… avec Rachel, et la bande de copains de Louis. Tu veux t’arrêter à l’admiration ?
— Non, non… Enfin, si, je vais rester admiratif mais tu peux continuer… Je… j'aime bien en apprendre plus sur toi. C'est comme quand je fais un striptease sur scène, tu es en train de te mettre à nu devant moi et je ne peux qu'admirer ton courage, quoi que tu puisses me dire, me répond-il avant de m'embrasser.
Je me raccroche à lui un petit moment, savourant sa tendresse et son ouverture d’esprit. Il y a bien longtemps que tout ça ne me touche plus. Du moins, plus autant qu’à l’adolescence, où je me cherchais, où je voulais comprendre, et surtout où j’en voulais à tout le monde. Même à Rachel, chaque fois qu’elle se plaignait de ses parents. Elle en avait, elle. La mienne ne venait même pas aux visites auxquelles nous avions droit ou presque, et elle n’a jamais demandé à récupérer ma garde.
— Il y avait ce garçon, dans le groupe, vraiment mignon et qui se tapait tout ce qui bouge. Tu sais, le Don Juan par excellence qui en profite outrageusement. Jusqu’à ce qu’il commence à me faire la cour. Il… Je sais pas, j’avais l’impression que c’était différent avec moi, et ça l’a été, en quelque sorte, parce que j’ai été plus qu’un coup d’un soir, on est sortis ensemble quelques semaines, jusqu’à ce que je le trouve dans une soirée de leur fac, avec une autre nana. Sauf qu’il m’avait laissé un petit cadeau en prime, et je ne m’en suis rendu compte qu’à quasiment quatre mois de grossesse. Comme quoi, le réflexe capote quand on est bourré, c’est du vent. Bref, ce type, c’était le meilleur ami de Louis à l’époque, Thomas. Et quand Thomas a appris pour ce bébé, il m’a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas s’impliquer et que je devais me débrouiller. Même schéma que ma mère, somme toute, tu vois ?
— Tu as fait quoi alors ? A quatre mois, on ne peut plus avorter, si ? Ne me dis pas que Robin… c'est le fils de Thomas et pas de Louis ? me demande-t-il, incrédule, sans sembler me juger pour cette grossesse non désirée.
— Quand Louis l’a appris, il était furax. Thomas a dû prendre la soufflante de sa vie. Je vivais dans un minuscule appartement avec Rachel à l’époque, je bossais dans un Fast food après mes cours et les weekends, on galérait à payer les charges, bref… c’était déjà compliqué à deux, soupiré-je en me remémorant nos soirées à faire les comptes, assises sur le canapé qui me servait de lit. Louis, lui, il… je crois qu’il en pinçait déjà pour moi à l’époque, et il a été là pour moi. Parce que j’ai clairement paniqué. Déjà, j’étais persuadée que je serais une mère minable. Comment j’aurais pu être différente de la mienne, après son exemple ? Lui m’a rassurée, et puis… il m’a proposé la sécurité… Mariage, soutien, un père pour mon fils. J’étais totalement paumée, tu comprends ? Sans Louis, j’aurais fini par abandonner Robin, ou atterrir en foyer mère-enfant, dans un appartement glauque comme celui dans lequel j’avais grandi, dépressive comme ma génitrice, j’en sais rien…
— Pas étonnant que tu ne veuilles pas le quitter… murmure Hugo à mes côtés. Quoique, un fils mignon comme Robin comme prix à payer pour une femme comme toi, c'est une bonne affaire. Il a quand même eu l'élégance de te proposer une autre vie, on ne peut pas lui retirer ça…
— Il ne m’a demandé aucune contrepartie, tu sais ? Je veux dire… il était là, c’est tout. Jamais il n’a cherché à profiter de la situation, entre nous, ça s’est fait naturellement… Oh, ça n’a jamais été le grand amour, je me demande même si j’ai un jour vraiment été amoureuse de lui. Il y a de l’attachement, c’est indéniable… mais cette passion qu’on partage, toi et moi, je ne l’ai jamais connue avant que tu déboules dans ma vie et me fasses tout remettre en question.
— Tu me racontes tout ça parce que tu veux que je te laisse tranquille ? me demande-t-il sérieusement. Je comprendrais, tu sais. Et encore plus maintenant que je connais votre histoire. Je suis désolé d'être venu tout gâcher entre vous… Ce n'était pas mon intention… C'est juste que ce que j'éprouve pour toi, c'est tellement fort…
— Non, Hugo, je t’explique tout ça pour que tu comprennes combien il m’est difficile d’imaginer le quitter alors que lui a vraiment développé des sentiments pour moi, après m’avoir sortie d’une situation qui me semblait inextricable. Je… j’ai conscience que je ne suis pas heureuse avec lui, que je me suis totalement oubliée pour Robin et lui. Jamais je n’aurais dû me servir de Louis pour m’en sortir. Aujourd’hui, j’aimerais que les choses soient différentes, mais les faits sont là : Louis a gaspillé dix ans de sa vie pour moi, et moi je suis tombée amoureuse d’un autre homme que lui.
— Tu as dit quoi, là ? Je… Est-ce que tu le penses vraiment ? Parce que… en fait, je crois que je suis amoureux de toi depuis la première fois que je t'ai vue, aux Restos du Cœur, même si jamais je ne l'avouerai. Personne ne croit aux coups de foudre… mais c'est pour ça que je n'arrive pas à te laisser pour Louis, malgré tout ce qu'il a fait pour toi…
Je souris et observe nos mains nouées sur ma cuisse avec tendresse. Je ne sais pas si j’ai eu le coup de foudre, mais il a attiré mon attention et mon regard dès notre rencontre. Difficile de rester de marbre devant cet homme à l’œil aussi pétillant que bienveillant, au sourire charmeur et au corps… sculpté pour me faire baver, assurément.
— Bien sûr que je le pense vraiment. Je n’aurais jamais mis mon mariage en péril seulement pour du sexe, aussi agréable soit-il. J’ai l’impression d’enfin vivre un peu pour moi quand je suis avec toi, je… évidemment que je t’aime, soufflé-je avant de poser mes lèvres sur les siennes.
Il répond à mon baiser avant de se lever brusquement et, à ma grande surprise, il se met à frétiller tout nu et à onduler des hanches dans une danse folle en criant :
— Miss Normandie est amoureuse de moi ! Je l'aime et elle m'aime ! C'est le plus beau jour de ma vie ! Je t'aime ! Je t'aime ! Je t'aime ! chantonne-t-il en reprenant place au-dessus de moi, plus calme.
Je tente difficilement de calmer le fou rire qui m’a pris en le voyant danser à poil autour de son lit alors qu’il m’observe, un sourire en coin, mais ses yeux bleus assombris par l’intensité du moment.
— Je suis fou mais je t'aime, ma Douce, conclut-il avant de m'embrasser avec passion.
Je réponds à son baiser avec ferveur et sens tout mon corps se réveiller au contact du sien. Le soulagement m’étreint lorsque je réalise qu’Hugo ne juge pas mes choix de vie, et qu’il tient compte de la difficulté que j’ai à prendre la décision de quitter Louis après toutes ces années. Je sais que je vais devoir prendre une décision, autant pour l’un que pour l’autre. Cette situation est injuste pour les deux hommes qui partagent ma vie.
Évidemment, notre baiser se charge vite d’une envie plus profonde qui prend naissance au creux de nos reins. Je vais rentrer en retard à la maison, mais à cet instant, je choisis l’égoïsme et le besoin que j’ai de fusionner avec cet homme qui m’a totalement chamboulée et m’amène à envisager la vie autrement.
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