82. Les amoureux qui se bécotent en public
Hugo
Dans ma quête insensée de passer du temps avec Oriane ces derniers temps, j’ai émis l’idée lors d’une réunion d’équipe d’organiser un petit événement pour favoriser la cohésion entre tous les collègues. Marrant de la part d’un salarié qui rend son patron cocu, cela a beaucoup fait rire David. Mais bon, même si je ne la vois que de loin, que Louis joue le mari parfait auprès d’elle, au moins, je la verrai et je ne passerai pas tout ce dimanche loin d’elle à l’imaginer se faire tripoter par son époux. Et qui sait ? On arrivera peut-être à échanger quelques baisers ? C’est fou, ce besoin de toujours se retrouver et de prendre tous les risques pour partager quelques moments d’intimité. Mais elle m’aime. Et je l’aime. Et ça, ça n’a pas de prix, qu’importent les risques.
En tout cas, mon idée a été acceptée avec enthousiasme et c’est comme ça que nous nous retrouvons tous en ce dimanche matin devant l’entrée du Parc Festyland, en train de faire une photo de groupe à côté d’une grosse statue verte qui doit être un dinosaure avec un casque de viking. Magnifique. Mais bon, j’ai réussi à me positionner derrière Oriane et je passe mes mains sur ses fesses qu’elle appuie contre mon corps, le plus discrètement possible.
— Toujours aussi belle, chuchoté-je à son oreille alors que tout le monde s’est précipité autour de l’appareil photo qu’a récupéré Fabienne auprès de cette inconnue qui a accepté de nous photographier.
— Fais gaffe à ne pas bander toute la journée, Le Lord, ça risque de faire tâche sur les photos, me lance-t-elle en souriant, mutine.
J’ai envie de lui répondre, mais déjà Robin l’entraîne vers l’entrée et Louis, protecteur, prend l’autre main de son fils. En bonne équipe que nous sommes, nous suivons tous le chef. Robin est le plus jeune présent, mais Fabienne est venue avec ses deux ados et son mari Joseph, Vianney a la tenue du parfait touriste, jusqu’à la casquette du Tour de France alors que Stéphanie, sa femme, semble prête à courir un marathon vu la tenue sportive qu’elle a choisie. Etienne est avec sa nouvelle copine du moment, je n’ai même pas fait l’effort de retenir son prénom vu qu’elle ne sera sans doute que de passage. Et moi, je suis seul. J’ai pensé demander à David de se joindre à moi, mais ça aurait vraiment donné une mauvaise impression à mes collègues. Ils se seraient sûrement imaginés que je suis gay et que les deux mecs qui s’entretiennent vivent une parfaite relation de petit couple. S’ils savaient la vérité…
Nous entrons et commençons tous par le carrousel qui, étrangement, plaît toujours à tout le monde. Je m’arrange pour monter sur un magnifique cheval noir qui n’a attiré mon attention que parce qu’il se trouve sur la même ligne que le cygne sur lequel s’est installée ma jolie brune. Quand la musique se lance et que je commence à monter et descendre, nous profitons que Louis se soit mis sur la ligne devant sur un magnifique lion, symbole de sa toute puissance sûrement, pour échanger regards et sourires. Il faut vraiment que nous fassions attention car, dans ces conditions, il serait facile d’oublier que nous ne sommes pas venus ici que tous les deux.
Suite à cette première attraction, les deux ados de Fabienne expriment l’envie d’aller faire la queue pour une “vraie” attraction, avec des “vraies” sensations selon leurs mots. Louis est enthousiaste à cette idée.
— Ah oui, on va aller faire le Miol machin, c’est le truc le plus cool du parc ! lance-t-il, plein d’entrain. Qui m’aime me suive !
Je constate qu’Oriane, pour mon plus grand plaisir, lui tire sur la manche et lui montre le plan avec les attractions et semble refuser de le suivre. C’est clair qu’elle ne l’aime pas, me dis-je amusé en m’approchant pour voir de quoi ils discutent.
— Mais si, il est assez grand ! grogne Louis en essayant de trouver l’information sur la taille nécessaire pour faire le manège.
— Assez grand ou pas, il n’a pas envie de le faire, et moi non plus. On va plutôt aller sur le bateau, là-bas. On n’aura qu’à se rejoindre plus tard.
— Ah mais non, on est venus en famille, on va rester ensemble. Je ne vais pas vous abandonner, dit-il, clairement déçu, il faut que je reste avec vous… Tant pis pour le Miol Truc… Je le ferai la prochaine fois. Tu es sûr que tu ne veux pas le faire ? signe-t-il néanmoins en direction de Robin qui lui répond d’un non vigoureux de la tête.
— Eh Louis, si tu veux, je peux rester avec eux, comme ça, ils ne seront pas seuls. Et même s’il veut le faire, tu vois, il n’a pas eu le petit bracelet, c’est qu’il n’est pas assez grand pour y aller. Toi, comme ça, tu peux faire toutes les attractions à sensations, ce n’est pas trop mon truc de toute façon.
Je suis intervenu sur un coup de tête en me disant que ça pourrait me donner une nouvelle occasion de passer un peu de temps avec la femme que j’aime et j’espère juste cacher mon envie qu’il accepte ma proposition pour ne pas nous faire griller.
— Bon, très bien, marmonne Louis. C’est quand même dommage…
— Mais non. Va t’amuser avec les autres, on trouvera bien d’autres attractions à faire en famille. Faites-vous tous les manèges qu’on ne fera pas avec Robin et Hugo, on se retrouve devant les bouées ?
— Oui, insisté-je, l’important est qu’on s’amuse tous ici. On peut dire que ce matin, vous faites tout ce qui bouge bien, et cet après-midi, programme plus familial. Je suis sûr que Robin ne dira pas non à refaire certains manèges si besoin. Allez vous amuser et on se retrouve pour manger ce midi.
Là, je pousse un peu ma chance mais je me dis que plus je peux négocier de temps tranquille avec Oriane, même si Robin est là, ce sera toujours ça de gagné.
— C’est bon, j’ai compris, j’ai compris. Pas de manèges à sensations pour vous, les petites natures, soupire-t-il avant de déposer un baiser sur la joue d’Oriane et d’ébouriffer les cheveux de Robin. A tout à l’heure.
Incroyable. Je n’ai pas le temps de vraiment réfléchir à l’opportunité qu’il nous donne car Robin, tout excité, nous emmène vers un bateau qui a juste l’air de secouer un peu ses passagers. Ce qui est bien avec ces attractions, c’est qu’il y a peu de queue et qu’on arrive directement ou presque sur le manège. Robin est entre nous mais je passe mon bras au-dessus de lui et caresse l’épaule et le cou de mon amante qui sourit, aux anges. Le petit, lui, s’extasie dès que le bateau commence à bouger.
Je suis moi aussi ravi de cette sortie qui remplit tous ses objectifs à part les baisers, pour l’instant. Dès que nous sortons du navire, Robin nous entraîne vers une sorte de petit Karting.
— Eh, Robin, signé-je sans plus réfléchir que ça, tu es grand, pourquoi tu ne conduis pas tout seul et nous, on te regarde.
Lorsque je vois son air ébahi ainsi que celui de sa mère, je me rends compte que j’ai peut-être dévoilé mes cartes sans le vouloir.
— Tu signes, toi, maintenant ? Enfin, je veux dire… autre chose que les gros mots que Robin t’a appris ? Je… Wow, ça a dû te prendre un temps monstre !
— Tu es trop fort, me signe le petit en souriant en grand.
— Eh bien, j’en avais marre de vous voir signer du mal de moi alors que je ne comprenais rien. Et je ne parle pas vraiment, je ne connais que les bases. Assez pour dire l’essentiel, je dirais. Mais il faut que ça reste notre secret, sinon les autres vont se moquer de moi. D’accord ? Champion, tu es prêt à aller conduire la voiture pendant qu’on te regarde ?
— On ne dit pas de mal de toi, rit Robin en lançant un regard complice à sa mère. Je peux y aller, Maman ?
— Bien sûr, file ! On s’installe là-bas, à la table de pique-nique. Amuse-toi bien.
Il ne se fait pas prier et fonce faire la petite queue pour conduire le véhicule. Régulièrement, il jette des regards vers nous mais son attention est assez prise par les voitures pour que je me permette de voler un bisou à Oriane avant de m’asseoir à la table et de signer, après m’être assuré qu’il ne nous regarde pas :
— Je t’aime.
— Bon sang, Hugo… Je n’arrive pas à croire que tu apprennes la LSF, souffle-t-elle, un léger sourire aux lèvres. Tu n’imagines même pas à quel point ça me touche et… aussi bizarre que ça puisse être, je crois bien que ça m’excite, aussi.
— Pour ce qui est du temps, j’ai commencé quand… tu m’as dit que c’était fini la première fois. Ça a été un peu ma façon de rester en contact avec toi malgré la séparation. Et c’est très bien pour occuper les cerveaux torturés. Mais, je suis désolé de te le dire, je n’ai pas encore appris à dire que je bande pour toi. Ce n’était pas dans la méthode que j’utilise !
Robin est monté dans sa petite voiture et il a l’air de se concentrer énormément pour maintenir le véhicule sur le parcours, ne se rendant pas compte qu’il y a un rail qui l’empêche de dévier de la route tracée. Je me demande si ce n’est pas un peu pareil entre moi et Oriane. On ne s’en rend pas compte, mais c’est un peu comme si le rail invisible du destin nous emmenait à destination. J’espère juste que, contrairement au petit, on ne va pas juste faire un tour et revenir au point de départ.
— Il va falloir élargir ton vocabulaire alors, mais le “je t’aime” était parfait, murmure-t-elle en attrapant ma main sous la table.
— C’est toi qui es parfaite, ma Douce.
J’adore quand nos doigts s’entrelacent comme ça, mais ça ne dure pas assez longtemps car elle interrompt notre petit moment pour aller retrouver Robin qu’elle prend en photo au volant de sa jolie voiture. Je les vois signer ensemble, et, pour la première fois, je comprends ce qu’ils se disent, ou en tout cas, je comprends assez pour suivre leurs échanges. Il veut aller faire un manège où l’on se retrouve dans un baquet en bois qui tourne sur lui-même. Clairement, ce n’est pas mon truc, mais je les suis. Robin est tellement pris par tout ce qui l’entoure que ça me donne plein d’occasions de contacts avec la plus belle des femmes du parc. J’ai l’impression que Miss Normandie est toute à moi, ce matin, et je suis le plus heureux des hommes. Alors, même si je n’ai pas besoin d’un manège pour qu’elle me fasse tourner la tête, je la suis sans me plaindre quand elle monte derrière son fils dans le baquet. En voiture, Simone ! En route pour l’aventure !
Le reste de la matinée passe dans la même euphorie et le moment du déjeuner arrive malheureusement trop vite. Nous retrouvons le reste du groupe avec un Robin surexcité qui se précipite vers son père pour lui raconter toutes les supers attractions que nous avons faites ensemble. Louis aussi a l’air ravi de sa matinée et moi, j’essaie de cacher le sourire qui se dessine automatiquement quand je repense à ce que j’ai partagé avec Oriane. Mais quand je le vois venir la bécoter, j’avoue que l’atmosphère se rafraîchit immédiatement pour moi. J’ai horreur de le voir la toucher comme ça et de constater qu’elle n’oppose quasiment aucune résistance, même s’ils restent sages en public. Je suis à deux doigts d’aller m’interposer quand Robin s’en charge en signant qu’il a faim.
— Allez, je vous propose d’aller prendre des hamburgers et des frites ! dis-je en passant mon bras derrière les épaules de mon patron pour l’entraîner vers le fast food où l’on va payer notre repas une blinde.
— Hamburgers et frites, sérieusement ? J’oublie parfois que tu es un petit jeune, rit Louis. Et il faudra que tu m’expliques comment tu fais pour garder la ligne avec ce genre de nourriture.
— Facile, je fais du sport tous les jours et je ne fais des écarts comme ça que très rarement. Tu sais, tu devrais te mettre à faire quelques exercices tous les matins. J’en ai plusieurs qui marchent bien.
Je fais tout pour détourner son attention de sa jolie épouse en me disant que tout le temps qu’il passe avec moi, c’est du temps de gagné où il n’est pas en train de la tripoter ou de la bécoter. L’après-midi risque d’être beaucoup moins drôle et je sens que je vais finir la journée sur les rotules. Non pas parce que je serai fatigué physiquement, mais assister à leur petite vie de famille normale, ça m’épuise moralement. Finalement, je suis peut-être moi aussi sur le parcours avec le rail qui me ramène toujours au point de départ ?
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